Blanche (5)

Elle se regarde, par-dessus l’épaule, dans sa psyché.
C’est inscrit en rouge flamboyant sur toute la surface.
Il n’y est vraiment pas allé de main morte.
Ben, c’est toi qui lui as demandé !
Oui, mais pas de taper comme un sourd !
T’avais pas précisé…
Ça coulait de source.
Elle hausse les épaules. Elle sourit. Elle suit la ligne d’une cinglée rougeoyante, du bout du doigt. L’y enfonce. Plus fort. Plus loin.
– Aïe !
Pas question, en tout cas, que, pour le moment, Pierre l’approche. Mais c’est quelque chose qu’il ne lui demandera pas, elle en est sûre, avant plusieurs mois.

Elle est couchée sur le ventre. Elle ne dort pas. Il y a un cœur brûlant qui lui bat dans les fesses. Douloureux, mais pas vraiment désagréable. Elle ferme les yeux. C’est pour Gontran. C’est pour lui. Elle est heureuse. Apaisée.
Et elle a honte. Tellement honte. Fouettée. Par un serviteur. Même si c’est Sylvain. Qu’elle connaît depuis des années. Qui était déjà au service de ses parents. Surtout parce que c’est Sylvain. Comment a-t-elle pu ? Elle repousse les images. Elles reviennent. Comment elle s’est trémoussée ! Elle rougit. Quel spectacle obscène elle lui a offert ! Et comment elle a crié ! Sans la moindre pudeur. Sans la moindre retenue. Honte… Oh, oui, honte ! Mais cette honte, elle est… Non, ne dis rien ! Elle ne veut pas savoir. Elle ne veut pas !

Sylvain l’aide à mettre le pied à l’étrier. À enfourcher Flamboyant.
Elle grimace.
Il arbore un air faussement inquiet.
– Quelque chose ne va pas, Mademoiselle ?
Elle baisse les yeux.
– Si, si ! Tout va bien.
Et elle éperonne. Il la laisse caracoler un bon moment devant lui et puis, le chemin s’élargissant, il vient à sa hauteur.
– Madame a réfléchi ?
– Réfléchi ? Mais à quoi donc ?
– À ce qu’elle compte faire…
Ce qu’elle compte faire ?
– Pour ce monsieur…
Mais rien.

Rien de spécial. Rien du tout.
Il insiste.
– Si une faute se répète… Ou se prolonge…
Elle ne répond pas.
Quand elle lui tend les rênes, au retour, ses mains tremblent.

Gontran l’étreint. L’étouffe de baisers.
– Tu es fou…
– De toi, oui…
Et il lui dénude la poitrine, s’infiltre sous sa robe, s’empare de ses fesses, s’arrête brusquement, la regarde, interloqué.
– Qu’est-ce qu’elles ont ? Elles sont toutes chaudes. Fais voir !
Elle veut l’en empêcher. Un peu. Pas vraiment. Pour la forme.
– Ah, si ! Si ! Fais voir !
Il les découvre, se penche sur elles.
– Eh, ben dis donc !
Il y promène une main.
– Ton mari ?
Il n’attend pas la réponse.
Il la veut. Davantage encore que d’habitude. Elle est à lui.

* * *

Pierre lit. Son journal. En mangeant. Pousse, de temps à autre, une exclamation. Commente à mi-voix…
– Et ils comptent nous faire croire ça !
Il ne la voit pas. Elle n’existe pas.
Elle n’existe pas et c’est une envie soudaine en elle, violente, de lancer un grand coup de pied dans la fourmilière, de lui jeter à la figure qu’elle a un amant. Un amant, oui ! T’es cocu. Hein, qu’est-ce que tu dis de ça ? Il lèverait les yeux sur elle. Il soupirerait. Peiné ? Malheureux ? Furieux ? Jaloux ? Même pas, non. Ennuyé. Seulement ennuyé. De voir dérangée sa petite routine. De devoir prendre en considération, d’une façon ou d’une autre, un problème qu’il n’avait pas prévu.
Il replie son journal. Il se lève, va jusqu’à la fenêtre, écarte le rideau.
– Décidément, la nuit tombe de plus en plus tôt.
Il s’étire. Bâille.
– Je monte me coucher, chère amie. Je vous souhaite le bonsoir.

Les marques sont toujours là. Marques qui se sont estompées. Dont les couleurs se sont altérées. Toujours du rouge, mais aussi par endroits, par petites touches, du grenat, du noir, du jaune, du bleuté.
Elle appuie. Elle enfonce ses doigts.
La douleur n’est plus la même. Moins vive. Moins intense. Mais plus sourde. Plus ancrée.
Elle sourit. Il a aimé, Gontran, que ses fesses soient zébrées. Tellement. Avec quelle ardeur il les a caressées, redessinées, pétries. ! Avec quelle passion il l’a prise  ! Il l’a comblée. Il l’a rendue folle. Elle l’aime.
Sa chemise retombe.
Elles s’effaceront, les marques. Non. Ah, non, non ! Elles ne partiront pas. Elle ne veut pas. Il y en aura d’autres. Beaucoup d’autres. Avant même que celles-ci aient disparu. Des marques incrustées dans sa peau plus profondément encore. Des marques qui le raviront. Qui lui donneront éperdument envie d’elle. Le fouet la cuira, la brûlera, la mordra, lui fera infiniment mal. Oui, elle sait. Tant pis. Ou tant mieux. Elle veut souffrir pour lui. Pour que son désir s’affole. Pour qu’elle s’en enivre. Et elle est prête à en payer le prix. Dès demain. Demain Sylvain la punira.

Elle se laisse doucement descendre à proximité du sommeil. Ses doigts font rouler les boursouflures sur ses fesses. Elle sourit. Elle est heureuse. Elle pense à lui. Elle est dans la grange avec lui. Elle est dans ses yeux.
Et elle s’endort tout contre lui.
Il est dans ses rêves. Des rêves doux et brûlants dont elle se refuse à sortir. Dans lesquels elle se pelotonne voluptueusement.
Et puis il y a quelqu’un dans son rêve. Quelqu’un qu’elle ne connaît pas. Qui brandit une cravache. Qui veut la fouetter. Elle s’affole. S’enfuir… Courir… Mais ses jambes refusent de lui obéir. On la saisit par un bras. Se débattre… Crier… Hurler… Elle n’y parvient pas.
– Faudrait savoir ce que vous voulez !
C’est alors qu’elle le reconnaît. Sylvain ! Elle pousse un immense soupir de soulagement. C’est Sylvain.
– Êtes-vous décidée à quitter ce jeune homme ?
Le quitter ? Ah, mais non ! Non ! Jamais de la vie. Il n’en est pas question.
– Alors Mademoiselle va être punie.
Elle ne proteste pas. Elle ne se dérobe pas.
Elle s’agenouille, tend sa croupe vers lui. Elle s’abandonne.
Un premier coup tombe. Sèchement appliqué. Elle sursaute. Elle ferme les yeux. C’est pour lui. C’est pour Gontran. Elle est heureuse.
Les coups se succèdent. À toute volée. De plus en plus rapprochés.
Elle gémit. De plus en plus fort. Elle ondule.
Il s’arrête. Il est furieux.
– Ah mais non, non ! C’est une punition. Une punition !
Elle se réveille. En sursaut. C’est trempé entre ses cuisses.

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