Blanche (3)

– Il est bien jeune…
Sur le ton de la simple constatation. Il n’y a pas de véritable réprobation dans sa voix.
Il est jeune, oui, et alors ? Elle n’a pas à se justifier. Elle ne se justifiera pas.
Ils chevauchent côte à côte en silence. Prennent à droite vers La Bastide de Peuch.
– Avec monsieur Pierre, Madame n’est pas heureuse. N’a jamais été heureuse.
Inutile de nier. Il la connaît depuis si longtemps. Et il vit à côté d’eux. À leur contact. Il y a une foule de choses qu’il sent. Ou dont il a pu se rendre évidemment compte.
Une nuée de perdreaux les survole.
– Ce mariage…
Que ses parents ont voulu. Parce que Pierre avait une bonne situation. Parce que leurs deux familles étaient liées depuis des temps immémoriaux.
– Ce mariage était une énorme sottise.
Jamais, auparavant, il ne se serait permis de donner ainsi son avis. Jamais il ne se serait octroyé une telle liberté. Seulement il y a… ce qui s’est passé ces jours derniers. La complicité qu’elle a été, par la force des choses, obligée de laisser s’instaurer entre eux. Il s’imagine qu’elle lui donne des droits dont il ne disposait pas auparavant.
– Vous n’avez, Monsieur Pierre et vous, strictement rien en commun. C’est le jour et la nuit.
Si elle n’y met au plus vite bon ordre, il va en prendre de plus en plus à son aise. Se permettre beaucoup. De plus en plus.
– Vous vous trompez, Sylvain ! Vous vous trompez complètement. Il y a une foule de choses sur lesquelles, Pierre et moi, nous nous entendons à merveille.
Il insiste.
– Ah, oui ! Et lesquelles ?
Elle cherche désespérément. En toute hâte.
– Nous… Nous apprécions tous les deux la peinture. Et… Et la musique du XVIIIe siècle. Et puis…
– Et puis ?
Un lapin, sur le chemin, effraie Flamboyant. Qu’elle rassure de la voix et du geste.
– Là… Là… C’est tout…

Gontran veut encore la grange.
– C’est mieux, attends !
Et ils sont dans le foin.

Et il la chatouille. Les côtes. Sous les bras. Sous les pieds.
– Arrête ! Arrête ! Je suis chatouilleuse.
– Ben, justement, raison de plus !
Il se déchaîne.
– Ah, t’es chatouilleuse ! Ah, t’es chatouilleuse !
Elle se tortille, tente, sans succès, de lui échapper.
– Pouce, Gontran ! Pouce !
Il l’immobilise, bras en croix, poignets fermement enserrés. Sa bouche s’approche de la sienne, s’y pose. Elle ferme les yeux. De sa langue, il lui entrouvre les lèvres. Sa queue est dure contre son ventre. Elle tend la main vers elle. Elle s’en empare.

Ils reposent l’un contre l’autre.
– On est bien, hein ?
Ils sont bien, oui.
Gontran se redresse sur un coude, fixe, devant lui, la paroi de planches mal jointes.
– Il y a quoi, derrière ?
– Une remise.
– Peut-être qu’il nous regarde !
– Sylvain ? Sûrement pas, non !
– Qu’est-ce t’en sais ?

* * *

Elle jette un coup d’œil à la pendule, quitte son fauteuil.
– Bonne nuit, mon ami !
Pierre lève la tête de son journal.
– Puis-je venir vous rejoindre ?
Elle s’immobilise. Lui sourit.
– Mais certainement !
Quatre mois, presque cinq, qu’il ne le lui avait pas demandé. Il fallait bien que cela finisse par arriver.
Elle referme la porte, soupire. Un mauvais moment à passer.

Un très mauvais moment.
Il y a cette insupportable odeur de tabac. Son souffle dans son cou. Il y a ses mains sur elle, adipeuses, suintantes. Son sexe qui la pénètre d’un coup. Qui entreprend son va-et-vient. Il ahane. Il se vide. Il retombe.
– C’était bien, chère amie ?
– C’était parfait.
Il arbore un sourire satisfait. Il se lève. Il regagne sa chambre.
Elle se précipite dans la salle de bains.

– Mademoiselle a pleuré.
– Mais non, Sylvain, non ! Une poussière.
Si, elle a pleuré. Bien sûr que si ! Toute la nuit.
Il se tait. Ils se taisent.

Un grondement de tonnerre se fait entendre au loin.
– Mademoiselle se sent coupable.
Comment il sait ? Mais comment il sait ?
Il ne la regarde pas. Il poursuit, imperturbable.
– Oui, elle se sent coupable. Parce que Monsieur Pierre lui assure une existence confortable. Parce qu’elle n’a rien d’autre à faire, de toute la journée, que de donner des ordres à sa cuisinière. Que de monter à cheval. Que d’aller errer, de magasin en magasin pour y acquérir tout ce qu’il lui semble bon d’acquérir. Et comment le remercie-t-elle du luxueux train de vie qu’il lui assure ? En se pâmant de plaisir dans les bras d’un autre.
– Je…
– Vous vous sentez néanmoins coupable. Et c’est tout à votre honneur. Vous vous sentez d’autant plus coupable que vous vous savez totalement incapable de mettre un terme à cette relation.
Il lit en elle. Il lit en elle à livre ouvert.
– Et que l’éducation que vous avez reçue ne vous prédispose guère à vous absoudre d’une faute dont vous savez qu’elle est, dans le cadre du mariage, l’une des plus graves qui soient.
Elle voudrait parler. Elle voudrait lui dire…
Il ne le lui en laisse pas le loisir.
– Cette culpabilité, vous allez, au fil du temps, la ressentir de plus en plus vivement. À tel point que, par moments, elle vous sera parfaitement insupportable. Une chose, et une seule, pourra mettre un peu de baume sur les souffrances qui seront alors les vôtres. Et qui le sont peut-être déjà…
Elle tourne la tête vers lui.
Il prend tout son temps. Pour descendre de cheval. Pour l’aider à descendre du sien.
Il la fixe droit dans les yeux.
– Toute faute mérite châtiment. C’est à ce prix seulement qu’on peut retrouver un peu de sérénité. Et de tranquillité d’esprit.
Il brandit sa cravache. Qu’il fait claquer plusieurs fois en l’air.
Elle se détourne. Sans un mot.

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