Le Corbeau Ou Le Renard ? 2

Le lundi je pars tôt pour le bureau, laissant Chantal au lit.
A dix heures, je reçois un appel de Pierre. Il est affable.
- Vous êtes bien rentrés samedi soir ?
- Oui, merci
- Et Chantal, elle a aimé la soirée ?
- Plutôt oui ! Toi et René avez été charmants avec elle. Elle en a été très sensible.
- Il faut dire qu’elle est vraiment belle Chantal. C’est facile d’être charmant et charmeur avec elle. Ce serait bien hypocrite de prétendre le contraire. Elle n’a pas été choquée ?
- Mais de quoi, Pierre ?
- Je crois avoir vu René carrément la draguer.
- Comment ? Elle ne m’en a pas parlé.
- Ah bon ! Excuse-moi alors, je me suis fait des idées.
Je ressens une boule au creux de l’estomac. De toute évidence, je sens comme une retenue de la part de mon complice.
- Non, non, Pierre, tu peux me dire ce qui t’embarrasse ?
- Mais rien, rien du tout. J’espère seulement qu’elle va accepter de venir à Versailles.
- C’est si important ?
- René y tient beaucoup. Je peux te l’avouer, il a flashé très fort sur Chantal.
- Ce qui signifie ?
Je me sens mal, mais en même temps je sens ma bite gonfler dans mes sous vêtements. C’est à chaque fois la même chose : dès qu’un autre homme pose un regard intéressé sur elle, je me mets à imaginer et alimenter mon fantasme. Celui qui m’habite depuis que j’ai rencontré Chantal. Je veux être cocu et la voir faire l’amour avec son amant ou un inconnu. C’est mon jardin secret, inavoué. Je n’ai jamais osé aborder ce sujet avec quiconque, encore moins avec elle sachant combien elle est très « fleur bleue » concernant les choses du sexe.
- Rien de plus mon vieux. Ta femme est très belle et excite la libido de la gent masculine. Tu dois bien le savoir non ?
- Bien sûr. Chantal est souvent sollicitée et draguée. Je ne peux pas l’ignorer. Mais je la sais fidèle.
- Et cela te gêne ?
- Qu’elle soit fidèle ?
- Mais non.

Qu’elle excite les hommes malgré elle ?
- Ben oui… et non. J’ai tellement peur de la perdre. Maintenant je suis convaincu de sa loyauté envers moi. Elle est la franchise même et n’a jamais répondu à ces sollicitations. Elle est incapable de mentir, de tromper. Elle est trop droite dans ses bottes.
- Je te crois. Enfin j’espère que tu as raison. En tous cas, apparemment, elle n’est pas restée insensible aux charmes de René.
- Comment peux-tu dire cela ?
- Nous en avons parlé tous les deux à l’issue de la soirée. Il est convaincu que sa drague a porté ses fruits. A moins qu’il ne se fasse des idées bien sûr.
- C’est ce que je crois. J’ai entière confiance en elle !
- Tu disais oui et non tout à l’heure, si cela te gênait qu’elle soit désirée. Pourquoi non ?
Je me mors les lèvres. Quel con je suis ! Je me suis bêtement découvert. C’est la personnalité de Pierre qui m’a fait baisser la garde. Fanfaron, j’ai voulu me rendre important. Il est adroit pour avoir su me flatter en parlant de la beauté de Chantal. J’avance une pirouette.
- Je préfère ne pas en parler si tu veux bien. S’il te plait.
- En fait, je crois que comme beaucoup d’hommes qui ont une femme particulièrement belle et sollicitée, tu dois trouver une certaine excitation de la voir draguée, non ? Une fierté de mâle.
- …
- J’ai raison non ? Insiste-t-il.
Après quelques secondes de silence, je réalise que je suis vraiment sous l’emprise de cet homme. Vaincu, je m’entends lui avouer mon fantasme. Pour la première fois. Pire, cela m’excite !
- Oui, c’est vrai, de voir un homme la draguer, je suis souvent pris d’une excitation immédiate, incontrôlée. Au lieu de réagir, je prie presque pour la voir se laisser aller et s’abandonner au prédateur. Mais elle est très maîtresse de ses pulsions. Bien souvent j’ai assisté au dépit du mec qui repartait la queue entre les jambes. Elle n’est pas facile à séduire et je crois que c’est une femme fondamentalement fidèle que l’adultère répugne.

- Je comprends. En vérité, samedi soir, je ne lui ai fait qu’une cour discrète par respect pour toi. Je ne crois pas que René se soit embarrassé de tels scrupules. Elle ne l’a pas du tout envoyé paitre, en tous cas. D’après lui, elle s’est sentie flattée de l’attention qu’il lui portait. Il faut dire qu’il y a mis les formes.
- J’ai bien vu qu’elle était sous son charme. Nous en avons parlé sur le chemin du retour. Il a eu de la chance de trouver ses passions pour les fleurs et les oiseaux.
Je ne vais pas lui avouer qu’elle n’a m’a rien révélé dans ce sens. Mon estomac se noue de plus belle.
- Soyons clairs, mon vieux. Es-tu prêt à m’autoriser à draguer ouvertement ta femme ?
- Comment ça Pierre ?
- Eh bien tout simplement je te demande l’autorisation, de faire la cour à ta femme pour la séduire. Et si je prends la précaution de te le demander, crois moi, c’est au nom de notre amitié que je ne voudrais pas trahir.
Je suis sur le cul. Cet homme si important me demande l’autorisation de draguer ma femme et au nom de notre amitié, il m’en fait la demande. Sur le moment, je suis partagé entre l’excitation d’assouvir mon fantasme et la jalousie que je ne manquerai pas de ressentir si mon épouse répondait à cette cour. Et étrangement, je ressens comme un compliment qu’il ait envie de la drague. Mais au fond je suis tranquille, Chantal ne se laissera pas faire. Elle a horreur des dragueurs assurés de leur pouvoir de séduction.
Pourtant, ce n’est pas ma voix naturelle qui lui répond tellement je suis troublé.
- D’accord. J’accepte.
Après m’être ressaisi, je lui demande :
- Pierre, je souhaiterais que tu me tiennes au courant de l’évolution des évènements.
- Bien entendu. Tu sauras si ta femme succombe ou bien si elle nous rembarre. Nous te tiendrons au courant minute par minute, heure par heure.
- Pourquoi nous ? Ah, je comprends ! René est dans la combine.
- Bien entendu.
Je suis abasourdi.
J’ai du mal à réaliser vraiment ce qui m’arrive. Surtout que me reviennent en mémoire les paroles de Chantal concernant René. J’ai le sentiment de jouer avec le feu.
- Écoute mon vieux nous pouvons en rester là si tu as peur. Notre projet est plus important, non ?
Il commence à m’agacer de toujours m’appeler « mon vieux », je suis plus jeune que lui, non ? Je laisse glisser.
- Oui c’est vrai. Mais je suis d’accord. Je vous confie la tâche que je sais vain, de séduire mon épouse.
Je réfléchis quelques secondes. Sa proposition est indécente, violente. Si le désir de voir ma femme dans les bras d’un autre n’existait pas, je crois que je lui aurai tout bonnement foutu mon poing dans la figure. Par téléphone ! Seulement voilà, en vérité, j’entrevois là l’occasion de tester la fidélité de ma femme soumise aux charmes de ces deux prédateurs « professionnels » hors du commun et que j’admire énormément.
Quand il raccroche, je prends la mesure de ce que je viens de faire. Et la volière et la serre me reviennent en mémoire. Des arguments de poids pour eux. Petit à petit mon assurance fond devant ces arguments. Je me mets à douter de l’issue de ce deal.
Et si Chantal se rendait compte de ma trahison, de laisser des hommes la draguer avec mon accord. Je décide de la prévenir. Mais prévenue, les dés seront pipés et je ne saurais rien des intentions et agissements de mon amour de femme. Alors je rappelle mon complice.
- Pierre, il est bien entendu que nous laissons ma femme dans l’ignorance de notre accord.
- Cela va de soi. C’est évident ! On se voit demain 10 h à mon bureau ?
- D’accord, à demain.
Ça y est, c’est entendu, le piège se referme sur moi. Sur nous ?
∞
Quand je la retrouve le soir en train de préparer le dîner, je suis pris d’un sentiment de culpabilité que j’étouffe très vite. Pas glorieux ! Je la regarde, elle est si belle, si fragile en même temps. Jamais elle ne trahira notre couple et j’ai la certitude également qu’ils ne parviendront pas à la séduire.

- Tu vas être étonné. René vient de m’appeler pour m’inviter demain à venir à Versailles. Il n’a pas perdu de temps !
C’est comme si je recevais un coup de poing dans le ventre. J’ai du mal à reprendre ma respiration. Interdit, je reste figé devant elle. Elle me regarde étonnée.
- Ça va ? Tu es tout pâle. Un problème au bureau ?
J’arrive enfin à balbutier.
- Non, tout va bien. Je suis crevé, je lui réponds avant de filer dans la salle de bain pour vomir. Il me faut plusieurs minutes pour retrouver toutes mes facultés.
Quand je la retrouve pour nous mettre à table, fort est de constater qu’elle est joyeuse.
- Qu’est ce qui te rend si heureuse ?
- Rien de particulier. Tu me trouves joyeuse ?
- Oui, particulièrement.
- Ah bon ! Eh bien tant mieux non ?
Son enthousiasme devrait me réjouir. Au lieu de ça, il m’inquiète.
- Bien sûr. Tu as répondu quoi à René, je lui demande avec du mal à contrôler le tremblement de ma voix ?
- Pour demain ? J’ai accepté bien sûr. C’est une occasion qui ne se reproduira pas de si tôt non ? Je suis contente à la perspective de voir des étourneaux, des moineaux et même, je crois un aigle des montagnes. Il aurait jusqu’à 50 espèces différentes. Et les entendre chanter ! Et pareil pour les plantes
- Et tu y vas seule ?
- Ben oui ! Il ne m’a pas parlé de toi. Mais si tu veux je peux lui demander ?
Apparemment, elle n’avait pas envisagé cette éventualité.
- Non, laisse tomber. Et puis demain j’ai plein de rendez-vous avec Pierre.
- Ah bon ?
- Oui ! Ça t’étonne ?
- Non, pas du tout. J’espère que tu es content pour moi, dit-elle trop rapidement à mon sens.
- Bien sûr ! Je suis sûr que tu vas passer de bons moments parmi les plantes et les petits oiseaux.
Je suis blessé. Pour me donner une contenance, j’enchaine :
- Tu y vas à quelle heure ?
- Il veut passer me prendre. Sympa non ?
- Oui, à quelle heure ?
- A midi.
- Bien sûr, il veut t’inviter à déjeuner ?
- Je crois, oui ! Versailles ce n’est pas tout près.
J’ai peine à cacher ma surprise.
- Votre projet avance ?
Elle a trop rapidement changé de sujet de conversation. Bien joué. Je laisse glisser mais je suis troublé quand j’acquiesce d’un simple signe tête.
J’ai comme l’impression qu’elle me cache quelque chose, sans vraiment en être sûr, mais c’est évident ses réponses sonnent faux. Elle ne me dit pas tout. Comme cette fois, sa trahison avec un ami voisin quand elle a laissé nos s en garde à ses parents avant de le rejoindre à son hôtel, où il était en déplacement, pour baiser toute une soirée. Elle s’est bien gardée de me l’avouer sur le moment avant de passer aux aveux deux ans après. Un mensonge par omission a-t-elle prétendu.
Ce soir, dans notre lit je panique. Je n’arrive pas à trouver le sommeil alors qu’elle est déjà endormie à mes côtés. Tout tourne dans ma tête. Elle ne donne que des réponses partielles à mes questions. Et je dois la harceler pour connaître les détails de cette visite de demain. Comme cette invitation à déjeuner.
Pierre devait me confirmer le lendemain qu’ils n’avaient effectivement pas parlé de moi ; qu’ils avaient proposé demain car lui savait que je bossais et surtout, qu’elle n’avait émis aucune remarque et accepté sans réserve cette date. Enfin qu’elle était très enjouée à cette idée de visite de la serre et de la volière. Il ne se prive pas de détails et sait y faire, le salaud, pour m’inquiéter.
En fait je devais aussi comprendre que sachant Pierre de la balade, il ne pourrait pas être en même temps avec moi au bureau le mardi. D’où son étonnement quand je lui ai parlé de rendez-vous avec Pierre. Mensonge ? Non ! Omission !
Sont-ce là toutes les raisons de son trouble ce soir ? Ou bien ma parano ?
L’éventualité de tester sa fidélité m’apparaissait maintenant de plus en plus judicieuse. La confiance est bien fragile…
(à suivre)

Comments:

No comments!

Please sign up or log in to post a comment!