Le Corbeau Ou Le Renard ? 9

Elle m’écoute figée, pâle, avec de l’inquiétude dans le regard. Petit à petit cependant, elle reprend des couleurs tout en m’écoutant, mais je lis cependant une lueur de méfiance dans ses yeux.
Je lui fais part de ce qui m’aurait été répété, n’étant pas censé avoir vu. Je ne reviens pas sur ce qu’elle m’a avoué pour mettre le doigt sur ce qu’elle a « oublié » ou effacé de sa mémoire. Je n’évoque pas non plus ce que j’ai pu entendre pendant sa communication téléphonique avec René.
J’énumère et à chaque fois je lui demande de confirmer. Elle le fait avec un air de défis, voire même de provocation, voulant me signaler qu’elle ne craint rien.
- René prétend qu’il a réussi à te rouler une pelle. C’est vrai ?
- Non, je lui ai toujours refusé le baiser ! Il ment ! Me répond-elle, agressive.
- Pierre prétend qu’il t’a baissé et enlevé ta culotte et qu’il a caressé ton sexe. Même doigté. Tu aurais pris du plaisir. C’est vrai ?
- Oui, je te l’ai dit ! Et j’ai voulu partir.
- En tous cas tu es restée pour danser avec René.
Quand elle m’entend évoquer ce moment, elle se raidit. J’insiste :
- Tu ne te souviens pas ?
- Si ! Cela je m’en souviens. Je lui ai même fait une fellation. Je venais de lui refuser un baiser. J’ai eu envie de lui faire plaisir.
Cette évocation ne semble pas l’affecter ni la culpabiliser. Par contre, elle provoque chez moi un début d’érection spontanée. C’est le pouvoir et la force des mots dans sa bouche, alors que j’ai gardé en ma mémoire, les images d’un contenu sexuel extrême.
- Tu l’as sucé ? Jusqu’au bout ?
- Ah non !
- Et Pierre ?
Elle garde le silence quelques secondes en me fixant droit dans les yeux, effrontée.
- Il a sorti son sexe et il s’est caressé juste à côté.
- Alors ?
- Quoi alors ? Il a une très grosse bite. Eh bien, j’ai été tentée de le sucer aussi. Je pense que je ne réalisais pas vraiment ce que je faisais.


- Tentée seulement ?
- Arrête, veux-tu, avec ces questions. Oui je l’ai sucé aussi.
- Bon, d’accord, cela ne m’étonne pas, je sais que tu aimes me faire cette gâterie.
- Je n’ai rien fait de plus.
- Non, c’est vrai, juste une danse érotique qui les a rendus fous d’excitation. Tu les aurais allumés en t’effeuillant lentement, un strip-tease de folie, m’ont-ils dit.
Cette fin de phrase lui soutire un petit sourire.
- C’est vrai. Je me suis bien amusée. Mais Pierre m’a sauté dessus, et ils ont voulu me violer. Je leur ai dit que c’était fini. Ils ont vu que j’étais en colère, alors, ils m’ont raccompagnée. Tu sais tout maintenant.
Enfin presque ! J’aborde l’épineux épisode du retour en auto.
- Quand ils t’ont raccompagnée, Pierre m’a dit que tu t’étais abandonnée dans la voiture.
- Non, ce n’est pas vrai. Ils ont essayé de me toucher tous les deux mais je ne les ai pas laissés faire.
Je ne sais pas qui d’elle ou de Pierre ment. Je penche pour Pierre. Mais je suis curieux de savoir.
- Il prétend qu’il a réussi à t’embrasser ?
Elle nie d’abord puis avoue qu’elle a répondu à son baiser.
- Avec la langue ?
- Heu, juste la pointe ! Le salaud.
- Et René ?
- Je te l’ai dit, il matait.
- Même quand il a arrêté la voiture ?
Elle marque une pause, cherchant ses mots.
- Oui, c’est vrai, il ne s’est pas contenté de regarder, il a tenté de me toucher entre les cuisses, en glissant sa main entre les deux sièges avant de l’auto. Il avait un regard de dément, fou d’excitation. Il m’a fait peur. J’ai crié de vouloir rentrer et d’arrêter. Pour les calmer je leur ai promis de revenir à Versailles.
A cet instant, elle a compris que l’orage était passé ! Toujours en me regardant droit dans les yeux, elle poursuit.
- Je ne veux plus les revoir. Ils ont abusé de moi.
Je lui rapporte la conversation avec Pierre, le matin même, en omettant bien sûr tout ce qui est de notre complicité.
Elle est choquée en apprenant ce qu’il pense d’elle et sa certitude de parvenir à la baiser.
- Me baiser d’ici une semaine ? Il peut toujours courir !
Elle réalise combien elle été naïve et dupe. Elle est très perturbée. Pour changer de sujet, je lui demande :
- Tu as pris du plaisir ?
Elle me regarde, surprise.
- Pourquoi me demandes-tu cela ?
- Comme ça, pour savoir.
Nouvelle pause.
- Oui, mais au début c’était juste de les voir contents. Je leur faisais plaisir… mais j’en avais aussi. C’était un jeu. !
Elle le répète à plusieurs reprises. Un plaisir amical !
Petit à petit je sens la colère et la honte s’installer dans son esprit.
C’est le moment que je choisis pour lui dire que je lui pardonne car j’ai compris qu’elle a fait cela sans réelle perversité, conduite par l’admiration pour René, ses plantes et ses animaux. Puis, par politesse. Par gentillesse, un peu par faiblesse, aidée également par la champagne, elle a fini par céder à Pierre.
Je sais que Chantal n’est pas vraiment portée sur le sexe. Pour elle, c’est nécessaire mais pas indispensable. De fait, elle n’attache pas la même importance que moi aux jeux érotiques. Par contre, la fidélité est une valeur indispensable pour la survie du couple. Et depuis longtemps, elle me soupçonne d’infidélité.
Mes paroles la rassurent, je la sens se détendre. Aussi, je pousse mon avantage jusqu’à lui dire que je veux la venger et nous venger. Elle m’écoute attentive et intéressée.
- Ils ont pour objectif de te séduire au delà de ce que tu leur as donné. Nous, on pourrait les allécher et les frustrer encore plus que la première fois. Non ?
Elle refuse. Ne voulant pas retourner à Versailles en dépit de sa promesse dans la voiture.
- Je n’ai pas envie de me compromettre à nouveau. Je préfère oublier. D’accord ?
Je sens qu’elle n’est pas encore prête. J’insiste.
Elle comprend vite, même avant moi, que j’ai dans la tête d’assouvir ce fantasme qui me ronge depuis si longtemps et qu’elle s’est toujours refusée à satisfaire.
Elle considère cela complètement humiliant et dégradant.
Prudent, je laisse filer. Acceptera-t-elle un jour d’entrer dans l’arène de mes fantasmes avec moi ?
Je contacte tout de même René pour lui proposer un accord et un plan. Je le fais sans réelle conviction, balancé entre mon amour et mon fantasme.
Il m’apprend qu’Alexandre l’a renseigné de ma présence dans le petit salon noir. Il sait maintenant que j’ai assisté à la première séance. Et certainement que j’y ai trouvé la réalisation de mon candaulisme.
Je lui demande de taire cela et lui propose de l’aider en appuyant sa demande auprès de Chantal, pour la convaincre de revenir à Versailles. Il est surpris mais je devine qu’il compte bien exploiter mon fantasme pour r de ma femme.
De mon côté, je lui cache mon objectif de vengeance et le fait que Chantal est décidée à me suivre.
J’aime ma femme et je ne veux pas la perdre. Cependant ce fantasme m’obsède et, après avoir assisté à ces scènes, il m’est encore plus difficile d’y renoncer. Surtout que maintenant je sais qu’une fois dans l’ambiance, elle peut se prêter à ces jeux dangereux de son plein gré et s’abandonner sans retenue.
Les jours passent. Elle me dit que Pierre a téléphoné pour lui demander de venir à Versailles. Elle a refusé et l’a poliment éconduit.
Puis c’est au tour de René de lui faire la même proposition prétextant avoir acheté des nouvelles plantes de pays exotiques et qu’il craignait de ne pas pouvoir les maintenir longtemps dans leur beauté naturelle. Elle décline à nouveau et m’en fait part. Mais je sens comme du regret dans sa décision.
Je l’encourage à y aller à la condition que Pierre ne soit pas là ! Mon fantasme reprend le dessus. Je le perçois enfin à portée de main !
Je la sens fléchir.
- Tu sais qu’il va recommencer à me draguer.
- René ? Oui, je le crains. Mais, cependant, je sais aussi, que tu ne te laisseras pas faire.
- Justement, tu aimerais bien, hein ? dit-elle en me lançant un regard de reproche.

Je décide de jouer franc jeu.
- Oui, c’est entendu, mais je ne me fais pas d’illusion. S’il se passe quelque chose, avoue que ce ne serait pas pour me faire plaisir.
Alors là, elle me sidère.
- Qu’en sais-tu ?
Je suis vraiment bouleversé, et une érection spontanée m’envahit. Mais je reste prudent.
- Je le sais et je ne te demanderai jamais de le faire que pour mon seul plaisir. Il faudrait que cela vienne de toi et que tu en es aies envie.
Là dessus, elle clôt la discussion et nous allons nous coucher.
Nous faisons l’amour avec beaucoup de fougue et de tendresse. Comme toujours, je la sens retenir ses manifestations de plaisir. Je sais bien, que je n’ai jamais vraiment réussi à la faire jouir entièrement. J’ai conscience de ne pas être un « bon coup » !
J’aimerais tant la voir crier sa jouissance sous mes caresses… ou celles d’un autre !
Quelques jours après elle m’annonce un nouvel appel de René.
Il l’invite à nouveau. Et comme je lui demande ce qu’elle lui a répondu ?
Tout naturellement, elle me dit :
- Pierre ne sera pas là !
Waouh ! Je l’espérais mais c’est un coup de massue. Je suis fou de joie et en même temps jaloux et angoissé.
- Tu es sûre que ce n’est pas un nouveau piège ?
- Peut-être ! Mais il m’a dit que Pierre partait en déplacement toute la semaine. Tu pourrais te renseigner non ?
Bien sûr que je peux et le fais immédiatement par un simple coup de fil à sa maison d’édition. C’est confirmé, il est parti en déplacement au moyen orient pour chercher des accords avec d’autres maisons d’édition.
- Tu irais quand, cachant ma nervosité ?
- Je ne sais pas. Il doit m’appeler ce soir. Tu pourras écouter.
Pour relancer la complicité entre lui et moi, je téléphone à René pour lui annoncer que Chantal est mûre. Mais j’exige que ce soit en ma présence derrière le miroir sans tain. Il n’est pas chaud craignant ma réaction violente s’il entreprend de la séduire, comme il en a bien sûr l’intention. Je le rassure en précisant qu’elle m’a tout avoué et qu’elle est assez remontée contre Pierre, seul accusé d’avoir fomenté ce guet-apens. Il est aux anges.
Le soir bien entendu, René appelle. Elle met le haut parleur, sachant que cela s’entend à l’autre bout du fil. Ainsi il sait que je sais. Elle lui demande :
- On est bien d’accord, Pierre ne sera pas là ?
Elle ne réalise pas que cela peut-être interprété comme : « avec toi, c’est Ok, mais pas avec Pierre !
Le rendez-vous est pris pour le samedi, dans deux jours. Comme il lui propose de venir la chercher pour déjeuner, elle refuse et décide d’y aller avec sa voiture affirmant par là qu’elle serait plus libre de ses mouvements.
Quand elle raccroche, elle se tourne vers moi, le regard fier.
- Tu veux venir ?
Surpris, je ne sais pas quoi répondre. Je suis soudain pris d’un sentiment de culpabilité et de remords alors qu’elle joue la confiance et la transparence avec moi. Je me sens petit, en pensant que je ne la mérite pas. Je me trouve aussi salaud que Pierre et Roger.
- Tu as peur d’y aller seule ? Tu n’as pas confiance en lui ? En toi ?
- Les deux. Tu sais combien il est malin. Et je pensais que tu aimerais me voir tomber ? Non ? Ce n’est plus ton fantasme ? Ou bien tu ne m’aimes plus ?
- Mon fantasme ne fonctionne qu’à la seule condition de t’aimer. Je t’aime sans restriction, tu le sais.
- Pourtant cela ne t’a pas empêché de me tromper !
Je suis piégé. Alors c’est le moment de sauter. Détournant le regard je lui avoue.
- Bon ! C’est vrai ! J’ai eu une faiblesse pour une femme. Brève ! Moi aussi je peux perdre la tête.
Elle me regarde en souriant.
- Nicole ?
J’en ai le souffle coupé, incapable de répondre !
- Je le sais depuis toujours répond-t-elle. Et si je suis allée retrouver Jacques, ce n’était pas autre chose qu’une vengeance. Seulement pour moi, ça été un moment pénible, et moi, je te l’ai avoué !
Tout cela est vrai. Je suis vraiment un couillon. Comme je ne trouve toujours rien à ajouter, elle me dit :
- Je ne t’ai pas pardonné pour autant, ni à elle. Je lui en ai voulu. C’était mon amie et elle a trahi notre amitié, comme Jacques avec toi, quand il m’a demandé de le rejoindre !
Décidément on nage en plein mélo, mais qui se termine bien, car pour conclure elle me dit, tout sourire :
- Un partout, balle au centre.
Trop content, je me garde bien d’évoquer la pipe accordée chez nous, à mon collègue.
Émus, on se retrouve enlacés dans une étreinte pleine de tendresse et d’amour.
- Si tu ne viens pas, je te raconterai tout, surtout s’il ne se passe rien, car je n’ai pas l’intention de lui faire ce plaisir. Maintenant, je veux me venger de m’avoir prise pour une femme facile.
Emu, heureux de nous sentir complices, je suis à deux doigts de lui dire la vérité sur le miroir. Pourtant je me retiens, convaincu que je pourrais bien le lui dire plus tard !
La suite devait-elle me donner raison ? Ce soir là nous avons une nouvelle fois fait l’amour dans une communion exceptionnelle. J’ai même cru l’entendre exprimer sa jouissance.
Et pourtant, je ne pensais qu’à une chose : m’organiser pour aller samedi à Versailles.

(à suivre)

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