Elle Était Si Jolie...

Deux ans 5 mois et 23 jours, je compte les jours. Il faudrait que j’arrête, je me fais du mal pour rien, c’est destructeur je le sais, on me l’a dit cent fois, mais je ne peux pas m’en empêcher.
Ce soir, j’arrête… Non, pour faire un compte rond, dans une semaine. Samedi prochain … c’est ça. Juré, samedi prochain j’arrête de compter les jours… peut-être.

Il y a 2 ans 5 mois et 23 jours, le ciel m’est tombé sur la tête. Ma famille, mes amis ont bien essayé de me remonter le moral, rien n’y a fait. Leur parole sonnait faux « oublie », « tu es encore jeune, tu n’as pas 40 ans » … Ils ne comprenaient rien, maintenant je ne veux plus les voir. Je ne veux plus voir personne. Je suis seul.

Mon toubib a essayé de m’expliquer que la déprime est une véritable maladie, que je devais me soigner. Foutaise ! Pour moi c’était le vide, l’absence, parfois la colère, la haine… je n’étais pas malade.
Je ne suis toujours pas malade, mais je me traîne à longueur de journée, le goût pour rien, l’envie de rien… Ma vie n’a plus aucun sens.

J’ai perdu mon boulot. Mon patron compréhensif m’a dit « tu n’es plus en état de travailler, reposes toi. Reviens quand tu veux ». Je n’y suis jamais retourné, sauf deux fois pour le dépanner, un ouvrier cuisiniste ça ne se trouve pas du jour au lendemain, surtout un bon. Et moi je suis, enfin j’étais un bon ouvrier, j’aimais mon métier…le travail bien fait… Une belle cuisine c’est tout un art, il n’y en a pas deux pareille. Il faut choisir les éléments, les couleurs, occuper l’espace en imaginant la cuisinière allant du plan de travail au four, au frigo…ça n’a l’air de rien, le moindre détail est important…
Maintenant, à quoi bon ! Je me contente le plus souvent de sandwichs.

J’ai aussi vendu la maison, notre maison, la maison du bonheur. Nous l’avions choisie ensemble, décorée ensemble. Chaque pièce était un souvenir, je la voyais partout. Insupportable. J’ai loué un deux-pièces en ville, et gardé mon petit pécule pour vivre, sans rien faire, entre deux petits boulots… Si on appelle ça vivre.

Combien de temps encore ?

Cela fait 2 ans 5 mois et 23 jours qu’elle est partie... Il faut que j’arrête de compter.

« Secoue-toi Simon, réagis ». J’aurais pu écouter mes amis, refaire ma vie. Je n’ai jamais voulu, je n’ai jamais pu. Avec qui ? Une autre ? Aucune ne pourra jamais la remplacer.

Certains soirs j’erre dans les rues de Paris, sans but. Inévitablement mes pas me conduisent au Quartier. Pas à Pigalle, ni rue Saint-Denis, un quartier anodin, sans touriste dans la journée, il s’anime à la tombée de la nuit. Des bars louches, des ombres, des filles qui attendent le client. Amours tarifées, amours éphémères … frustrant. C’est tout ce qu’il me reste, tout ce que je recherche. Perdre la tête l’espace d’un instant, pour ne pas devenir fou.

Et le retour avec ce goût amer, l’impression de l’avoir trompée.

---oOo---

23 jours, 24 jours, … ne plus compter. Réagit Simon, pour elle. Elle te regarde, elle ne voudrait pas te voir comme ça.

Réagir ? comment ? Pour faire quoi ? Demain … Secoue toi. Relève la tête.

Demain…
Ce soir, les mains dans les poches, je marche dans la rue après avoir bu un demi dans ce bar qui n’ouvre que le soi, dans ce Quartier où chaque porte abrite une dame prête à distribuer un peu de joie aux âmes esseulées.

Ma tête est vide, indifférent au monde qui m’entoure. Je ne l’ai pas entendu venir, elle s’est approchée de moi par-derrière « Alors mon joli, on se promène ? », avec cette gouaille parisienne qu’elle doit réserver aux provinciaux en goguette.

Je continue ma route, elle me prend par le bras :

- Viens avec moi mon joli. Cindy te donnera le bonheur que tu cherches.

« Mon joli ? », l’expression m’amuse, je tourne la tête, elle est jeune, un beau sourire. Elle a l’air heureuse, comment peut-elle être heureuse en faisant un métier pareil ? Le sourire aussi est à vendre.
D’habitude, je ne les regarde même pas, je les suis, je tire mon coup et je rentre me coucher pas très fier de moi.

Aujourd’hui, sa jeunesse m’émeut, son sourire est charmant, ses yeux verts étincellent, ses cheveux blonds vénitiens accrochent la lumière des réverbères. Je m’attarde à la détailler. Une lueur apparaît dans ses yeux :

- Mais je te connais toi.

Devant mon regard intrigué, elle précise :

- Tu ne serais pas venu me voir il y a une ou deux semaines. Je suis très physionomiste, et ta tête je ne l’ai pas oubliée. Tu avais l’air si triste, comme maintenant.

Possible, je ne me souviens plus. Je ne saurais le dire, je suis venu si souvent. Et c’est à peine si sur le lit je regarde leurs seins et leurs fesses, alors leur visage.

J’ai beau la dévisager, aucun souvenir. Pourtant elle est jolie. Un petit modèle comme je les aime, avec des taches de rousseur, des cheveux roux bouclés. Pour ne pas la vexer, je lui souris à mon tour, comme si je l’avais reconnue. Je cherche un mot pour la décrire… « pétillante », c’est ça elle est pétillante.

Elle n’a pas besoin d’en dire plus. Je la suis.

- Enlève ton pantalon et viens là que je fasse ta petite toilette.
- Je m’approche du lavabo dans un coin de cette chambre un peu sordide.
- Ne soit pas timide, ne garde pas ton slip, je ne vais pas te manger. Quoique, dit-elle avec sa gouaille parisienne.

Je me mets nu machinalement, mettant mes attributs à sa disposition. Je ne bande pas, pas encore.
Ses mains sont douces. Elle a enlevé sa robe, une jolie guêpière met en valeur ses petits seins eux aussi parsemées de taches de rousseur. Son sourire ne la quitte pas. Elle doit le servir à tous les clients, mais ce soir, c’est pour moi, je suis sous le charme.

Je la regarde faire, le savon d’une main, ma queue dans l’autre. La mousse recouvre le gland qu’elle a décalotté, elle s’applique, elle passe ses mains sous mes couilles, elles sont douces. Des frissons me parcourent, ma queue se redresse. Ça a l’air de l’amuser, son rire sonore résonne dans mes oreilles.

L’eau coule, je suis vite propre. En me séchant avec une petite serviette, elle me branle lentement. La serviette est inutile, méthodiquement ses mains parcourent ma queue de bas en haut, ses doigts frôlent mes bourses, jusqu’à ce que la forme lui convienne :

- N’oublie pas mon petit cadeau mon joli, me dit-elle en tendant la main.

Mes billets préparés à l’avance disparaissent comme par enchantement dans une petite pochette prévue à cet effet.

Enlevant son frêle vêtement, elle s’allonge, me laisse admirer ses formes. J’ai l’air d’un con, debout à côté du lit, la bite raide, devant cette femme inconnue que je vais baiser.

Je ne me presse pas, tout au plaisir du spectacle de ce corps d’un blanc laiteux, tacheté, la peau semble si fine, si fragile. On distingue nettement les veines bleues de sa poitrine. Sa toison rousse légèrement bouclée, bien taillée, laisse entrevoir ses fines lèvres, encadrées de ses cuisses dont la peau semble aussi fine que celle de ses seins. Une idée saugrenue me passe par la tête « je risque de l’abîmer, ce serait dommage ».
Elle me secoue, me tirant de ma rêverie :

- Allez vient. T’es pas venu juste pour regarder.

A peine étendu à ses côtés, elle me prend dans ses bras, une main emprisonnant ma queue pour lui redonner la vigueur souhaitée. Sa bouche parcourt mon corps, je ferme les yeux, sa langue joue avec mon gland, elle n’a pas l’air de vouloir me prendre dans sa bouche. Je ne lui demande rien, c’est elle l’experte. Elle doit avoir hâte d’en finir pour passer au client suivant. Sans faire durer les préliminaires, elle tend la main sur la petite table, se saisie d’un préservatif pour m’équiper. Quelle dextérité ! J’aurais mis une heure pour arriver au bon résultat.
Elle me guide en elle, je la pénètre en lui caressant les seins du bout des doigts, pour te pas la blesser. Je suis au paradis. Rapidement je jouis en elle, sans me soucier de ce qu’elle ressent.
Je suis là pour me vider avec une belle femme, pas pour faire l’amour.

La tension passée, je me blottis contre son épaule, elle me serre un instant contre elle. L’émotion, les souvenirs… comme toujours, les souvenirs. Pour ne pas montrer mon trouble, je me lève et me rhabille rapidement.
Elle doit avoir l’habitude, une fois leur petite affaire faite, les clients ne s’attardent jamais. Elle reste étendue, sans bouger. Je lui jette un dernier regard en refermant la porte.

Son visage reste gravé dans ma mémoire. Elle est bien gentille celle-là, mais quelle tristesse !

---oOo---

Samedi, le compte est terminé. J’ai juré.
Hier j’ai appelé mon ancien patron, il m’annonce qu’il va fermer son entreprise. Heureux de mes nouvelles dispositions, il me propose de reprendre l’affaire à mon compte, il pourra m’aider au début. C’est lui qui m’a tout appris, j’avais 17 ans quand j’ai arrêté mes études, l’école ce n’était pas pour moi. Je voulais apprendre à travailler de mes mains, un vrai travail.

Sa proposition me plaît, mais tout seul je n’y arriverais jamais. Il me faut réfléchir.

Je suis tout rouillé, je dois bouger pour remettre mes idées en place. J’enfile un jogging, et pars courir le long des quais, il est temps que je me secoue un peu. Je crache mes poumons, ce n’est pas encore la pleine forme. Il faudra recommencer demain, recommencer tous les jours, comme avant.

Midi, je descends au restaurant juste en bas de chez moi, encore une habitude, pourquoi aller plus loin. En prenant mon café offert par le patron, nous discutons quelques minutes. Je lui parle de ce projet encore bien vague dans mon esprit. Il m’encourage « Fonce, tu y arriveras. Et qu’est-ce que tu risques ». Devant mon hésitation, il insiste « Tu ne vas pas rester là ne rien faire toute ta vie. Ce n’est pas comme ça que tu séduiras une femme ».

Je ne l’aurais jamais cru il y a seulement quelques jours, mais je pense à l’avenir, à mon avenir. En me levant je suis de bonne humeur, comme ça pour rien, il y a tellement longtemps que je n’avais pas ressenti autant de bien-être.

Le travail ne me fait pas peur, c’est l’envie qui me manquait. Si mon patron m’aide un peu, je m’y remettrai facilement. Il a précisé qu’il me laissait Michèle, sa secrétaire, qui vient deux jours par semaine s’occuper de la paperasse, devis, factures. Moi je n’y connais rien. Je me suis toujours bien entendu avec elle. Je lui ai aussi promis de garder son apprenti, ça me rappellera ma jeunesse.

Ma décision est prise. Je suis certain qu’elle approuverait mon choix, elle serait fière de moi. C’est sa bonne étoile qui me guide, qui me conseille.

---oOo---

Une décision en entraîne une autre. On n’est pas samedi, mais en route pour Paris, une de ces dames pourra me redonner le tonus qui me manque encore.

J’arpente la rue, ma rue, j’en connais tous les recoins. Sans m’en rendre compte, je dévisage chaque femme que je croise, sans vraiment la voir. La petite rousse pétillante n’est pas là ce soir ? Comment s’appelle-t-elle déjà ? Cindy, c’est mignon. J’aimerais bien revoir ses petits seins blancs veinés de bleus et sa toison rousse.

Je tourne dix fois dans le Quartier, insensible à l’appel des sirènes qui espèrent aussi un client. Elle n’est pas là, dommage, je reviendrais un autre jour.

Enfin la chance me sourit. C’est elle sur le trottoir d’en face, elle devait être occupée. Je traverse, elle vient vers moi avenante, comme elle le ferait à n’importe quel client potentiel. Elle qui est physionomiste, elle aurait pourtant dû me reconnaître. Son sourire s’élargit, elle m’apostrophe de sa gouaille habituelle :

- Ah ! C’est toi. Dis donc mon joli, tu l’aimes bien Cindy. Tu viens avec moi ?

Après les rituels, toilette, petit cadeau, je m’abandonne dans ses bras.

L’habitude est vite prise. Régulièrement, enfin tous les samedis, je vais chercher un peu de bonheur auprès de Cindy. J’ai même l’impression qu’elle m’attend. Si elle n’est pas là, je rentre chez moi, et je m’endors en pensant à ses boucles rousses.

Ces consœurs me connaissent bien maintenant, elles n’essaient même plus de tenter leur chance. Je fais partie des habitués. Quand j’arrive, elles se poussent du coude en riant. Entre elles, elles m’appellent familièrement le soupirant. Pfft, si ça les amuse, j’ai des habitudes, voilà tout.

Braves filles, elles me désignent la porte cochère où s’est réfugiée Cindy, ou elles vont la chercher si elle se repose dans le bar au pied de l’immeuble dont la façade vieillissante abrite sa chambre.
Je remarque bien leurs regards amusés en voyant Cindy qui se presse en venant à ma rencontre.

---oOo---

Reprendre une entreprise n’est pas de tout repos, je ne ménage pas ma peine. J’ai plus de travail que je ne peux en assurer. La reprise n’aura pas été aussi difficile que ce que j’aurais cru. Heureusement que l’apprenti est là, il me seconde bien. S’il continue comme ça, je l’embauche à la fin de son contrat.

Parfois, fini le repos dominical, je ne vois pas passer le weekend. Un chantier commencé doit être terminé dans les temps.
Mais aujourd’hui, cela va faire 3 ans, triste anniversaire, je me traîne chez moi en attendant le soir. Je ne dois plus y penser. Seule ma jolie rousse pourra m’empêcher de sombrer dans une nouvelle déprime.

Dès mon arrivée, Cindy remarque que j’ai perdu mon sourire. Je lui donne son petit cadeau, et vais m’étendre sur le lit tout habillé :
- Qu’y a-t-il ? Tu ne veux pas de moi ?
- Pas ce soir. Viens t’allonger près de moi.

J’ai besoin de parler, de me confier. Cindy est la personne idéale, je me sens bien avec elle. J’ouvre la boîte aux souvenirs. Elle m’écoute sans m’interrompre. Comment j’ai rencontré celle qui allait devenir ma femme, notre amour, notre passion, notre mariage, les années de bonheur, l’avenir qui s’ouvrait devant nous.

Elle sent les larmes qui me montent aux yeux :

- Ben alors, qu’est-ce qu’il t’arrive mon joli. T’es marié et tu as honte de tromper ta femme avec Cindy ?

Je ne dis rien, le corps tout à coup secoué de sanglots.

- Viens dire à Cindy ce qui ne va pas.

Des images me passent par la tête, images déformées par le temps, souvenirs flous.

- Je ne peux m’en prendre qu’à moi-même, tout est de ma faute. Je n’aurais pas dû.
- De quoi tu parles ?

Je me parle à moi-même, à haute voix. M’entend-elle ? M’écoute-t-elle ?

- Je n’aurais jamais dû la laisser conduire dans son état à la tombée de la nuit… Elle n’a pas dû voir le camion, ou c’est le camion qui ne l’a pas vue, peu importe… Le constat de police et le médecin appelé sur les lieux ont été clairs, morte sur le coup, elle n’a pas souffert. C’est ma faute, je n’aurais pas dû la laisser prendre la voiture, j’aurais dû l’accompagner.
- …
- Je ne saurais jamais si c’était un garçon ou une fille, trop tôt, à 2 mois impossible de connaître le sexe de son .

Ai-je rêvé, les bras de Cindy me serrent un peu plus fort.
- En une fraction de seconde j’ai tout perdu, la femme de ma vie, mon … C’est ma faute.

Cindy a les larmes aux yeux, elle me caresse tendrement les cheveux, m’embrasse sur le front, sans oser prononcer la moindre parole. C’est la première fois que je parle à quelqu’un de ce que j’ai là au fond de moi.

Cindy me sourit, à moi Simon, pas à un client :

- J’ai envie de te faire un cadeau, me dit-elle soudain sérieuse.
- …

Elle se penche vers moi, et pose ses lèvres sur les miennes. Je suis surpris, une professionnelle n’embrasse pas. Notre baiser s’éternise. Juste le temps de reprendre notre souffle :

- Tu sais, Cindy c’est pour la rue. Pour toi, j’aimerais redevenir Clara.
- Clara… C’est joli Clara.
- Ça fait du bien de m’entendre appeler Clara. Il y a si longtemps.

Sans rien lui demander, c’est elle qui parle. Sa vie n’a pas été rose. La fuite de son père quand sa mère trop jeune est tombée enceinte, la maladie qui la laisse orpheline à 7 ans, élevée par sa tante, le manque d’amour, les visites de son oncle dans sa chambre quand elle avait 10 ans, le dégoût, la fugue avec son copain à 15 ans, elle était amoureuse, mais elle a vite déchanté, un vrai salaud, il la prêtait à ses potes.

Que faire ? Partir ? Pour où ? Impossible de retourner chez sa tante. Ramassée dans la rue pour racolage, elle a connu tous les commissariats de Paris. Prise en charge par un homme du Quartier qui faisait déjà travailler 4 filles, c’est lui qui l’a baptisée Cindy. Au moins, elle mangeait à sa faim et savait où dormir. Et cette soirée, cette bagarre, un coup de couteau, elle est de nouveau seule, plus pour longtemps, les frères Graziani, Baptistu et Ange, lui ont vite mis le grappin dessus. De toute façon, eux ou un autre, quelle importance !

Maintenant, c’est moi qui ai les larmes aux yeux. Que puis-je lui dire ? En partant, je pose mes lèvres sur les siennes, elle ne recule pas.

Dans mon lit trop grand pour moi, je repense à cet accident qui a détruit ma vie, je pense à Cindy qui n’a pas eu de vie… et je m’endors une femme dans les bras.

---oOo---

La semaine suivante, je pars de chez moi joyeux à l’idée de revoir Cindy, de revoir Clara. Elle aussi a l’air heureuse, elle a retrouvé son sourire.

Après la toilette habituelle, elle repousse les billets que je lui tends :

- Non, aujourd’hui c’est cadeau, dit-elle un peu gênée.
- Mais…
- Pour une fois, juste pour le plaisir.

Enlacés, nus sur son lit, elle accepte mes baisers, mieux c’est elle qui m’embrasse. Nous faisons l’amour avec tendresse, en prenant notre temps. Nous jouissons à l’unisson, son orgasme me bouleverse.

Voyant l’heure, elle se lève d’un bond :

- Vite, il faut que tu partes. Ça fait trop longtemps.
- …
- Ils me surveillent tu sais, ils n’ont rien d’autre à faire.
- …
- Pars vite.

Non ! Je ne bouge pas. Il y a longtemps que j’y pense sans oser me l’avouer. D’un coup, je prends conscience de ne pas vouloir perdre Clara, de la vouloir pour moi, chez moi. Elle a l’air affolée. Je la tire par le bras la forçant à s’asseoir au bord du lit :

- Viens. Viens vivre avec moi. Quitte cette chambre sordide.
- Quoi ? Tu es fou. Ne te moque pas de moi. Ne dis pas de bêtises.
- Ce ne sont pas des bêtises, je suis très sérieux. Viens avec moi.
- Mais… Je suis une fille de rien, juste une p.

Je lui ferme la bouche d’un doigt :

- Ne dis pas ça, ne dis jamais ça. Tu es ma princesse.

Je serre ses mains entre les miennes. J’ai envie de la protéger, de la sauver.

- Tu es gentil, mais c’est impossible. Les frères Graziani ne voudront jamais me laisser partir.
- Pourquoi, tu es libre non ?
- Tu ne comprends pas, je leur appartiens.
- Je veux vivre avec toi.
- Réfléchis, tu ne vas pas t’encombrer d’une fille comme moi. Je baise tous les jours pour de l’argent.
- Tu n’es pas la seule. Regarde toutes ces bourgeoises qui épousent un compte en banque dont les intérêts sont versés deux fois par semaine, en missionnaire,

Sa respiration s’accélère, j’ai l’impression que tout se bouscule dans sa tête. Elle bafouille :

- C’est, c’est impossible… S’il te plaît, ne me donne pas de faux espoir.
- Tu ne veux pas de moi ?
- Tu es gentil, j’aimerais tellement… mais, je ne peux pas.

Je vois passer dans ses yeux un éclair, témoin de la peur qui la gagne. Elle hoche la tête :

- Non, ce n’est pas possible.

Il faut que je sois fort pour deux. Je reste ferme :

- Dis-leur… Je viendrais te chercher la semaine prochaine.

Quand je la quitte, elle tremble en posant ses lèvres sur les miennes. En une seconde, je me demande si je la reverrais. Dans quoi l’ai-je entraînée ?

---oOo---

Quelques jours plus tard, Cindy me téléphone, elle me demande de passer la voir. Elle a parlé aux frères Graziani qui, on s’en doutait, ne veulent pas lui rendre sa liberté. Le ton de sa voix reflète son anxiété.

Quand j’arrive dans sa chambre, elle est effondrée, un bleu sur la figure. Je n’ose lui poser la question qui me brûle les lèvres :

- Qu’est-il arrivé ?
- Ils n’ont pas été contents. Ils veulent 100.000 € pour me rendre ma liberté. Je te l’ai dit, ce n’est pas possible, je n’ai pas cet argent.
- Pourquoi ces bleus, lui dis-je en déposant mes lèvres sur ses blessures.
- Pour rien, ce sont des pervers, pour leur bon plaisir, pour s’amuser. Pour me faire comprendre que je leur appartiens.
- …
- Simon j’ai peur. Peur pour toi… Pars, va-t’en, oublie-moi.
- Fais-moi confiance Clara, je trouverais cette somme.
- Attends… j’ai quelques économies, je te les donne.
- Non, gardes-les. Ça pourra te servir un jour, c’est à moi de payer.

En quittant sa chambre, je tombe nez à nez sur l’un des frères Graziani, je reconnais Ange, le plus bête, une vraie brute. Il me regarde en ricanant, je devine que c’est lui qui a passé Cindy à tabac :

- Tu as bien compris, me dit-il en se frottant les poings.
- …
- Elle t’a dit 100.000 €… dans une semaine.
- Vous n’avez pas le droit.
- J’ai tous les droits, C’est une bonne gagneuse. On mérite bien un petit dédommagement.

Inutile de discuter. Enfonçant mes mains dans les poches, je lui tourne le dos, il me crie :

- Souviens-toi, 100.000 dans une semaine, pas un jour de plus. Et, en petites coupures.

Quoi faire d’autre ? Je casse ma tirelire, toutes mes économies. Je vends ma vieille moto, souvenir de ma première paye. Il y a tellement longtemps que je ne m’en suis plus servi, nous la prenions parfois pour aller à la campagne avant notre mariage… Bah ! Ne laissons pas le passé nous envahir.
Le plus difficile a été de trouver des petites coupures sans éveiller la curiosité des banques.

En me voyant arriver, une sacoche sous le bras, les deux frères ont un sourire ironique. Cindy tremble dans son coin, sans oser me regarder.

Rapidement, Baptistu compte si je ne me suis pas moqué de lui. Il a l’habitude, ça se voit.

- Parfait… Ange emmène là.

Ange saisit vivement Cindy par le bras, et l’entraîne dans le couloir. Surprise, elle crie :

- Simon…

J’essaie de faire un geste pour m’interposer, mais je reçois un coup de poing pour m’ôter toute velléité :

- Tu avais promis, tu as ton argent. Tu n’as donc pas de parole ?
- Ne m’insulte pas en plus… Ça, c’est pour le manque à gagner, mais je suis un grand sentimental, j’y tiens moi à cette petite, elle va me manquer, me dit Baptistu avec un horrible rictus.
- Combien ?
- Oh, ce n’est pas l’argent qui va remplacer la douceur de ses seins, de ses lèvres. Tu dois me comprendre.
- Que veux-tu ?
- Je la garde deux mois avec moi. Passé ce délai, si tu la veux encore, tu viendras la chercher avec… disons une petite enveloppe pour mes faux frais.
- Combien ?
- 100.000.
- Mais où veux-tu que j’aille chercher une telle somme une seconde fois.
- C’est ton problème. C’est à prendre ou à laisser. Maintenant tires toi, tu vas finir par m’énerver… Et n’oublie pas dans deux mois, si tu veux la revoir.

---oOo---

Je laisse passer quelques jours avant d’aller revoir Clara. Un soir, je retourne au Quartier en essayant de ne pas me faire remarquer. Je ne la trouve pas, Cindy a disparu, qu’est-elle devenue ? J’essaie d’interroger les autres filles. Pourtant elles me connaissent, mais quand j’approche, elles se détournent, refusant de me parler. Enfin, une plus courageuse me confie que Cindy est enfermée par Baptistu dans un studio pas très loin d’ici. Ne voulant pas qu’on nous surprenne ensemble, elle se sauve rapidement.

Plusieurs jours de suite, je vais planquer attendant le bon moment. Aujourd’hui, j’ai vu les deux frères au bar, mais ils peuvent avoir laissé un de leurs acolytes sur place.
J’observe encore pendant une heure…Rien ne bouge… Je risque le tout pour le tout.

Quelques coups rapides sur la porte, aucun mouvement. Nouveaux coups un peu plus forts… Cindy ouvre timidement, sur ses gardes. La surprise est grande, elle se jette dans mes bras en retenant ses larmes.
Sans lui laisser le temps de reprendre ses esprits, je dépose un baiser rapide sur ces lèvres. Je ne veux pas m’éterniser :

- Je viens te chercher. Prends tes affaires, on s’en va.
- Maintenant ? Tu es fou, ils ne vont pas aimer.
- Viens, ils ne te laisseront jamais partir.

C’est certain, il ne va pas aimer, mais c’est la seule solution. Comme un preux chevalier, j’enlève ma belle princesse du donjon où elle est enfermée.

- Tu as bien tes papiers, ils ne te les ont pas confisqués ?
- Je les ai… mais
- Qu’y a-t-il ?
- Mon argent est là-bas, caché dans ma chambre. Je dois passer le chercher.
- Non, ce serait trop dangereux. Viens. Maintenant c’est à moi de prendre soin de toi.

Réflexion un peu macho, je rajoute aussitôt :

- Si tu le veux.

Pour toute réponse, elle se blottit dans ses bras et m’offre ses lèvres.

La voiture nous attend dans une rue adjacente. Rapide passage chez moi, pour charger mes affaires. Il faut nous éloigner rapidement.

Je téléphonerais demain à ma secrétaire pour lui dire que je ne travaillerais pas ces jours-ci, qu’elle fasse confiance à notre apprenti, il connaît les chantiers en cours.

Cindy me suivit sans poser de questions. La fatigue, le stress, ce saut dans l’inconnu, elle s’est endormie. J’écoute Radio Nostalgie qui diffuse une ancienne chanson d’Alain Barrière :
« Elle était si jolie
Que je n'osais l'aimer,
Elle était si joliiii e… ».

Nous roulons à peine deux heures, j’ai réservé une chambre d’hôtel comme un couple qui s’offre un weekend à la campagne. Malgré l’heure tardive, le patron nous accueille avec le sourire.

Cela nous fera quelques jours de vacances, pour mieux mieux nous connaître. J’ai l’impression que je vais devoir apprivoiser ma belle princesse, avant de pouvoir revenir chez moi, enfin chez nous maintenant.

Sur un coup de tête, ma vie vient de basculer, mais que dire de celle de Cindy. Enfin ce n’est plus Cindy, c’est la première chose que je lui dis en la réveillant par mes baisers :

- Cindy n’existe plus… Bonjour Clara, tu as bien dormi.

Elle me sourit, et se colle contre moi. Nous faisons l’amour comme deux amants qui se retrouvent, avec tendresse. Repus, nous restons enlacés.

Le bruit de la douche me tire de ma torpeur, je m’étais assoupi. Je m’étire quelques secondes, et la rejoins dans la salle de bain. Je ne me lasse pas du spectacle de l’eau qui ruisselle sur son corps. La douche s’arrête, elle s’ébroue comme un chat après sa toilette.

Je suis des yeux une dernière goutte qui tombe sur son épaule, glisse sur son sein, longe son ventre et va se perdre dans sa toison flamboyante.

Nos yeux se croisent., elle me sourit :

- Viens.

Je l’embrasse sur l’épaule, ma bouche glisse sur son sein, s’attarde sur ses tétons que je sens durcir entre mes lèvres, je dépose un chapelet de baisers sur son ventre, avant de me perdre dans sa toison. Agrippé à ses cuisses, une main dans le creux des reins, je m’enivre de son odeur, ma langue caresse son petit bouton. Mes baisers sont de plus en plus profonds. Elle se crispe. Sa jouissance silencieuse me ravit. Je la regarde amoureusement, et pour la première fois cette phrase trop longtemps retenue tombe de ma bouche :

- Clara, je t’aime.
- Moi aussi je t’aime, me dit-elle timidement, comme prise en faute, comme si elle n’avait pas le droit de prononcer ces mots.

Quinze jours ont passé. Quelle a été la réaction des deux frères corses ? Certainement très en colère. J’attends encore une semaine, avant de retourner à Paris, laissant Clara aux bons soins de nos hôtes :

- Je ne serais pas long, juste l’aller-retour.

En arrivant chez moi, je me méfie, on ne sait jamais. Tout est calme. En me voyant la concierge m’apostrophe :

- Eh bien, ils en ont fait du raffut vos amis. Vous étiez passés où ?

D’après la description qu’elle m’en fait, c’est Ange avec deux gros bras qui m’ont rendu visite. Ils me cherchent. Ils sont revenus trois fois. La porte a été défoncée, l’appartement est sens dessus dessous, ils se sont défoulés. Ils connaissent mon adresse, je comprends que je ne peux plus habiter là, il me faut disparaître.

Je vais voir mon propriétaire. Je ne reviendrai plus, je lui laisse le mobilier en dédommagement, enfin ce qu’il en reste. Il accepte de garder mes affaires quelques jours, je passerais les prendre avant de repartir. Les locaux de mon entreprise me réservent la même surprise, la même visite d’Ange. Je n’ai qu’une envie, fuir, fuir loin de ses brutes. Juste le temps de mettre un peu d’ordre et de laisser un mot à ma secrétaire.

Le soir, je vais traîner au Quartier. Apercevant les deux frères dans leur bar habituel, j’essaie de ne pas me faire remarquer. Je cherche l’amie de Cindy, peut-être sait-elle quelque chose ?
Je la vois sortir d’une porte cochère suivie quelques secondes après d’un client qui marche en regardant ses chaussures.

Pas très rassurée, elle me raconte la colère des deux frères au départ de Cindy :

- Ne traîne pas trop par ici, ils ne te portent pas dans leur cœur.
- Je m’en doute.
- Si tu ne te montres pas, ils te laisseront tranquille. Protège bien Cindy, ils ne lui pardonneront jamais. Elle pourrait tomber dans la Seine, une nuit sans lune. La police s’en fout, une pute de plus ou de moins, aucune enquête ne sera jamais faite.
- Merci.
- Elle en a de la Chance, donne-lui mon bonjour, me dit-elle émue
- Protège-toi bien, bonne chance.

J’en sais suffisamment. Ma décision est vite prise, je tourne la page définitivement…

Ce que Simon ne saura jamais, c’est que les deux frères sont des grandes gueules, mais ils ne font pas le poids face au kaïd du Quartier, un russe qui tient à sa tranquillité. Il ne veut surtout pas attirer l’attention de la police sur ses petits trafics. Avare de mots, quand il a dit à Ange et à Baptistu « laissez tomber, elle a payé », ils ont compris qu’il n’y avait pas à discuter. Le russe, il ne faut pas le contrarier.
Ange s’était bien amusé lors de ses visites au domicile de Simon, il y retournerait bien, mais on se lasse de tout. Philosophe, Baptistu a conclu avec sa nonchalance coutumière « Bah ! ça risquait d’être fatiguant » avant de commander une autre bière.

Qu’on se rassure, ils n’ont pas tout perdu. Avec l’argent de Simon, ils ont pu faire venir deux filles de l’Est qui ont remplacé avantageusement Cindy.

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J’ai voulu mettre de la distance avec eux. Nous nous sommes installés à Gap dans les Alpes, un charmant village que je connais bien pour y avoir passé des vacances chez mes grands-parents, là où personne ne viendra nous chercher. De suite, la région a plu à Clara.

Quelques semaines après, un ancien collègue apprenant mon départ, m’a proposé de racheter mon entreprise parisienne, en gardant le personnel. C’était inespéré, l’affaire a été conclue rapidement. Ce qui nous a permis d’acquérir une belle maison dans la campagne environnante, et d’ouvrir une petite boutique dans le centre-ville pour présenter nos produits et recevoir les clients. Avec le nombre de résidences secondaires, le travail ne manque pas. Le bouche-à-oreille a rapidement fonctionné, les contrats se sont enchaînés sans beaucoup de difficultés. Clara, toujours souriante, est devenue une secrétaire hors pair.

Ce soir, nous sommes confortablement affalés sur notre terrasse, dans les bras l’un de l’autre, profitant du soleil couchant. Je caresse machinalement les cheveux de Clara, aimant passer mes doigts dans ses boucles d’or. En fermant les yeux, je nous imagine sur une plage paradisiaque à l'autre bout du monde.

J’ai une pensée émue pour ma femme, ma bonne fée. Elle me protège. Me revient en mémoire cette chanson des Beatles qu’elle aimait fredonner « All you need is Love ». De là-haut, je suis certain qu’elle partage mon bonheur.

En pensant aux mois que nous venons de vivre, je serre Clara dans mes bras et lui murmure à l’oreille :

- Si nous faisions un beau bébé ?

Clara s’arrête de respirer. La gorge serrée, elle ne peut prononcer le moindre mot. Un sourire illumine son visage, je vois deux larmes couler sur ses joues.

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