Elle Était Si Jolie

Elle était si jolie

Je devais passer de terminale en classe préparatoire dans le même lycée. Mes parents, désireux de réaliser un placement dans la pierre, sautèrent sur l'occasion quand un propriétaire fit savoir qu'il vendait un petit appartement à proximité du lycée. Je pourrais l'occuper pendant une ou deux années. Plus tard m'y succéderaient ma soeur Emilie ou Jacques, notre benjamin. Par ailleurs il se trouverait toujours un étudiant pour le louer.

Après une première année pourtant studieuse, je résolus de passer en deuxième année afin de pouvoir choisir une école de commerce plus prestigieuse que celles auxquelles j'aurais eu accès après les concours de première année. J'avais bossé et prétendais être capable d'obtenir de meilleurs résultats. J'apporterais encore plus de rigueur à mon travail.

Cependant, en ce début d'année, j'estimais que ma vie après les cours avait trop ressemblé à celle d'un ermite. L'appartement serait plus vivant si je le partageais avec un autre étudiant. Nous pourrions discuter, échanger et nous améliorer réciproquement. La chambre à coucher recevrait un deuxième lit facilement et le placard suffirait largement pour notre rangement. Le séjour et sa kitchenette était spacieux. Dans le sas d'entrée l'étagère recevrait nos affaires scolaires. Enfin deux occupants pour une salle de bain, avec machine à laver le linge et sèche-linge superposés sauraient établir un ordre de passage. Seule l'utilisation du wc constiait un inconvénient. L'expérience était à tenter. Je fis connaître ma décision au bureau des élèves.

Dès le premier jour, profitant de sa place dans ce bureau, se présenta à mon plus grand étonnement, une jeune fille. J'avais pourtant précisé que je souhaitais l'accompagnement d'un jeune homme. Or la demoiselle Corine, malgré son apparence de garçon manqué, ne répondait pas à ce critère. Et quitte à recevoir une jeune fille, je préférais une personne plus attrayante que ce laideron à moustache et trop large d'épaules et de hanches.

Décidément son allure ne m'attirait pas, un ventre trop rond et des fesses trop lourdes gâchaient son apparence. pourquoi m'infliger sa présence quotidienne ? Je me contentai naturellement de rejeter sa candidature au motif que je refusais la mixité dans mon appartement.

Corine jura sans doute de se venger. Ce jour là je ne reçus aucun candidat. Par contre Je dus décevoir trois candidates qui s'excusèrent de s'être présentées, ignorant la condition exigée. Deux comprenaient parfaitement mon choix et m'en félicitèrent d'ailleurs. Comme moi, elles étaient hostiles au mélange des sexes. Si elles avaient su, elles ne seraient pas venues. La troisième me soupçonna de tendre un lamentable piège à con pour m'attirer les faveurs des filles crédules. Comme j'avais bien fait de n'accepter qu'un garçon en colocation. Au dernier coup de sonnette, j'étais prêt à me rendre au bureau des élèves pour y faire un scandale si je me trouvais de nouveau face à une candidate fille.

-Salut toi. Eh oui, je suis une fille et je viens pour la colocation. Il paraît que tu es homo ? Quoi, tu n'aimes pas les filles, qu'est-ce que tu as contre elles?

L'attaque venait effectivement d'une demoiselle. La clarté du propos me coupa le souffle. Je fis un effort pour garder mon sang froid. Finalement je redescendis sur terre :

- Mais non. Je ne suis pas homo, qui t'a raconté ça ?

- Alors explique-moi pourquoi tu fais de la discrimination sexiste ? Tu as été malheureux en amour ? Tu mériterais que nous portions plainte. Qu'as-tu à me regarder comme ça ? J'ai une tête qui ne te plaît pas ou tu as peur que je ne te morde ? La place est à louer, elle est donc à qui la veut et moi je la prends !

- Pardon, je suis chez moi ici et je loue à qui je veux, pas plus à toi qu'aux autres filles. Cela n'a rien à voir avec ta tête; au contraire je te trouve très jolie. Tes dents ne m'effraient pas non plus. Mais il se trouve que je ne juge pas convenable de partager mon appartement avec une jeune fille.
C'est mon droit. Porte plainte si tu veux, on verra si un juge veut t'imposer chez moi.

- Tout de suite les grands mots. T'ai-je parlé d'un juge? Bon, je me calme, parlons tranquillement entre gens civilisés. Voilà, j'ai vraiment besoin de trouver rapidement un point de chute pour suivre les cours de première année. Ca n'a pas l'air mal ici. S'il te plaît, rends-moi service. Je ne te ferai aucun ennui; je le jure.

- Je regrette, mais tu as lu mes préférences sur mon annonce

-Tu vois, tu regrettes déjà ! Je devine, tu as une copine et c'est une jalouse ? Tu trembles devant elle. Elle t'interdit de parler aux autres filles et tu files droit. Pauvre soumis.

-Erreur, je n'ai pas de copine. Personne ne m'interdit quoi que ce soit.

- Quoi ? Un beau garçon comme toi; tu n'as pas de copine ; tu te moques de moi ! Oh! Non. Tu dois être malheureux. Aucune fille ne s'intéresse à toi. C'est impossible.

- Mais je m'en passe parfaitement. J'ai des concours à préparer. Alors, les filles...

- Des concours ! Ta vie se limite à ça. Quelle tristesse... Je parie que tu n'as jamais embrassé une nana. Hein ?

- Tu es bien indiscrète. Tu comprends pourquoi je ne veux pas de fille qui bavarde sans cesse et te fait perdre ton temps.

- Encore des idées préconçues. Je sais me taire quand il faut. Mais là il faut te mettre en garde ;tu es un phénomène trop rare pour que je laisse tomber aussi vite. Permets-moi encore une question ou deux. Donc tu n'as jamais embrassé une fille. Je ne te parle pas d-un baiser sur la joue, mais d'un vrai, un baiser bouche à bouche...? Non, jamais. Tu as une soeur.

- Oui, chez nous, le baiser sur la bouche n'est pas admis entre frère et soeur.

- Tu as vu ta soeur nue peut-être ?

- L'exhibitionnisme ne fait pas partie de nos pratiques. Connais-tu le mot pudeur ? Tu te trimbales à poil devant ton frère toi ?

- Non, nous avons des moeurs communes.
Une autre fille t'a peut-être montré comment sont faites les bavardes ? Non ?

- Pourquoi une fille me montrerait-elle comment elle est bâtie. Je n'ai jamais demandé à voir. Un jour...quand le moment sera venu, si je suis épris ma future femme saura ...

- Ce n'est pas vrai. Il y a un puceau dans ce lycée et il a fallu que je tombe dessus. Chasse toutes tes appréhensions. Je jure de respecter tes choix. Je ne me promènerai jamais nue dans l'appartement, je ne t'embrasserai jamais sur la bouche; je ne te violerai pas. Puceau tu es, puceau tu resteras.

- Que vont dire les gens quand ils apprendront que nous dormons dans la même chambre ?

- Les gens. Voilà l'explication de ton attitude, tu redoutes le "Qu'en dira-t-on?" Oh : Secoue-toi. Puisque je te promets d'être sage, ta bonne conscience est satisfaite. Qui saura que nous couchons dans le même lit, séparés par une planche ? Qui osera nous accuser sans preuve d'entretenir une relation amoureuse ? Oublie les cancans ! Tu es un homme, oui ou non ?

- Bien sûr. Tu te trompes quand tu penses coucher dans mon lit. Ouvre cette porte, vois les deux lits de quatre-vingt-dix éloignés de deux mètres.

Elle sera déçue si elle espérait un contact intime et ses suites dans un lit commun. Elle va partir et claquer la porte. J'attends son cri de rage; je me crois délivré. Or elle exulte .


- Mais c'est formidable. Deux lits séparés, que demander de mieux. Tu n'as plus de raison de me jeter à la rue. Parlons tarif, combien veux-tu pour m'héberger. J'ai droit à l'APL. Dis: deux cent cinquante euros? Ca te va ? Affaire conclue, tiens ma caution.

Je cherchais moins un gain en argent qu'une compagnie, plus un garçon de deuxième année de classe préparatoire qu'une fille de première année . Et je me retrouve avec cinq billets de cinquante euros en main, en face de l'inattendue. Je devrais les rendre ces billets, refuser de laisser cette fille décider à ma place.
Hélas, quelque chose me bloque. D'une part, elle sait ce qu'elle veut, c'est un caractère, d'autre part elle possède ce quelque chose d'indéfinissable, ce charme particulier des belles filles. Un visage, ou un regard, une silhouette, des seins, des jambes, une croupe.

Je dois avoir l'air idiot à la fixer, muet. Jamais je n'ai examiné aussi attentivement une autre fille. Elle rit de ma sidération, de cette paralysie qui m'empêche de la refouler comme les trois précédentes. Elle se réjouit d'avoir obtenu gain de cause et pour me remercier elle virevolte, me sourit, s'éloigne, entreprend un pas de valse lente. Elle est belle, si belle. Elle a gagné, elle le sait. Moi aussi je le sais, je suis hypnotisé, incapable d'imposer ma volonté.

Voilà qui explique mon choix. Je me savais faible en face du sexe féminin, je m'en tenais éloigné afin de ne pas céder aux fantaisies des filles séduisantes. Et celle qui s'accroche à la colocation fait partie des plus charmantes. Elle ne perd jamais pied,

- Excuse-moi. J'ai oublié de me présenter. Je m'appelle Noémie Ecart. Tu es bien Jean Duteuil ? Ne t'inquiète pas, nous nous entendrons bien. Merci de m'accueillir. Si on rédigeait le bail de location?

Sa détermination me fait oublier que je n'ai pas donné mon accord. Il ne reste plus qu' à établir les conditions d'occupation des lieux. Elle se montre souple, sourit pendant la rédaction du bail, me trouble par son parfum. Je fais des voeux pour n'avoir pas à regretter cet instant de faiblesse.

Avant de courir à la CAF avec le bail, Noémie me colle un gros baiser sur chaque joue, y laisse des traces de rouge. Bon début. Il faudra que j'apprenne à effacer ces marques de reconnaissance.

A suivre

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