Vacances Sans Frontières Part 1 Le Départ

Jean ne savait pas vraiment ce qu'il faisait. Depuis son départ de chez lui jusqu'au hall de gare et ensuite dans le compartiment de son train, le sac à la main, il s'efforçait de ne pas réfléchir à la situation dans laquelle il se trouvait. Pourtant, le choix vers lequel il s'était orienté ne lui semblait pas aussi déraisonnable sur le moment.
Partir en vacances 10 jours durant pendant ce mois d’août, à arpenter la France en camping-car, lui qui depuis le divorce de ses parents 5 ans auparavant n'était plus sorti de sa région, même durant son année passée à l'université.
Non, il n'y avait en effet rien de mal à cela !!
Sauf que ces vacances ne se font pas en compagnie d'une bande d'amis connus de longue date ni même de son ex-meilleur ami âgé, comme lui de 21 ans, mais en compagnie d'un couple marié rencontré, si l'on peut dire, 6 mois auparavant en dialoguant sur internet.
Le regard perdu dans le paysage, les écouteurs dans les oreilles, Jean prit le temps de se remémorer la façon dont les événements se sont enchaînés.
Retour 6 mois en arrière... Comme souvent lorsqu'il s'ennuie le weekend, Jean va vagabonder sur internet et principalement sur des forums de chat IRC.
C'est donc sur un des nombreux forums qu'il a fait la rencontre qui l'avait amené dans ce compartiment.
À la suite des nombreuses conversations devenues houleuses, il s'était orienté vers des salons manifestement réservés aux couples portaient toujours les mêmes noms (paradis des couples, et autres noms évoquant la dualité). À peine eut il eut le temps de saluer la "room " qu'un onglet s'était ouvert, signal qu'une personne désirait avoir une conversation privée.
Assez peu coutumier de se faire ainsi aborder, mais néanmoins ravi à l'idée d'une conversation, il cliqua sur l'onglet.

Peve :"Salut. Que viens-tu faire ici ?
• Salut, que voulez-vous dire "ici ?
• Sur ce salon
• Pas grand-chose, je vais de salon en salon
• Tu t'ennuyais au salon cinéma ?

Réponse qui le figea, étant donné que c'est de là qu'il était sorti vingt minutes avant.



• Comment le savez-vous ?
• Nous y étions tout à l'heure mais les disputes nous ont lassé et nous sommes venus ici.
• Curieux hasard. Eh bien oui je m'y ennuyais, il devenait difficile de parler vu le tas de cyber-hooligans venus s'incruster. C'est dommage, le sujet me plaisait.
• Alors pourquoi ne pas continuer ici."

La conversation avait été plaisante, amusante, tant sur le salon qu'en privé. À la suite, il les avait recontactés de nombreuses autres fois et avait ainsi pu faire plus ample connaissance.

Ils s'appelaient Pascal et Ève, tous deux 38 ans, mariés depuis 20 ans et sans s. Vivant en Alsace, de profession libérale et relativement à l'aise, Jean apprit alors qu'ils affectionnaient de nombreux loisirs communs aux siens, notamment une fréquentation régulière des cinémas et des boites de nuits.

Au fur et à mesure de leurs conversations, qui avaient pris un caractère quasi journalier au bout de quelques semaines, Jean se mit à oser se livrer un peu plus. Cette première année en université était en effet teintée d'angoisse de par le divorce ayant entraîné moult ennuis familiaux.
Bientôt, Jean se mît à leur parler de sa vie plus intimement, rassuré de la complicité s'étant installé durant les dialogues. Complicité réciproque, Pascal n'ayant pas hésité à rassurer Jean de sa timidité en invoquant son propre passé.
À 19 ans, très timide, Jean avait évoqué son malaise vis à vis de son manque d'expérience, son inhabileté à aborder celles de ses condisciples féminins qui ne le laissaient pas indifférents.

Un samedi soir, alors qu'il était en ligne avec Pascal, il se prit même à évoquer très brièvement la seule expérience sexuelle qu'il avait eue jusqu'alors. À la demande de Pascal qui s'était pourtant montré le moins pressant possible, il n'avait répondu qu'un vague " Ce n'était presque rien mais ça n'était pas terrible".

Une brusque secousse sortit Jean de sa rêverie.
Rien de bien grave, le train s'étant arrêté et le retard annoncé par le conducteur n'ayant duré que quelques minutes. Une fois ce dernier reparti, Jean se rendit compte de la lumière faiblissante de la journée et consulta sa montre. 21H24.
Il se souvient alors qu'il devait rappeler Pascal un quart d'heure avant son arrivée à Colmar…à 21h41.
Il se saisit alors de son téléphone.
"- Allo ? Fit la voix désormais connue de Pascal,
• Oui, c'est Jean, j'appelle juste pour dire que je devrais arriver à la gare dans environ un quart d'heure.
• Parfait, nous allons partir, juste le temps de ranger nos sacs et nous arrivons. Nous serons sur le parking, tu reconnaitras facilement : il n'y aura pas beaucoup d'autres camping-car à part le nôtre et nous laisserons le moteur tourner et nos phares allumés pour te faciliter la tâche. Ça t’ira ?
• Oui oui, je pense que je trouverai. S'entendit répondre Jean. À tout à l'heure.
• À dans un quart d'heure."

Un seul quart d'heure. Oui dans une quinzaine de minute, réalisé Jean, il arrivera à destination. Il se sentit soudain fébrile, stressé. Avait-il définitivement bien fait de se lancer dans ce train ?
Il se remit alors à penser comment cette situation l'avait mené ici, deux semaines auparavant. La conversation s'était amorcé comme à son habitude, racontant la journée, commentant des informations glanées sur internet comme à son habitude.
Ève était au clavier et elle avait alors parlé d'un voyage qu'elle et Pascal avait prévu d'effec et qui allait donc les rendre absent pendant une quinzaine de jours, ce dont elle voulait elle avait voulu avertir Jean (une méprise étant vite arrivée sur internet). À cette pensée, ce dernier avait alors évoqué une invitation dont une de ses amies lui avait fait part sur le ton de l'anecdote. Cette dernière venait de se faire inviter, elle et sa famille, en Autriche par des amis de ses parents et allait donc y passer tout le reste de ses vacances d'été.

Heureux pour elle, et bien que dépourvu à ce moment de jalousie, cette nouvelle l'avait alors rappelé à sa propre réalité, lui qui n'était plus parti hors de sa région depuis maintenant plus de 10 ans. Et cela lui manquait. Mais, et selon les nombreux adages qu'il s'efforçait de se remémorer pour contrer l'amertume : tout vient à point à qui sait attendre. Oui, le temps viendrait ou il savourera à nouveau ce plaisir des départs en vacances.

Ève et Pascal n'ignoraient pour leur part pas ce fait (il leur en avait déjà parlé) mais il ne fût cependant pas très surpris lorsque Ève lui avait posé la question :
"- Tu as quelque chose de prévu pour le mois d’aout ?
• Non, avait-il répondu, mis à part les activités habituelles : ballades, sport et sorties.
• Pascal et moi avons discuté plusieurs fois et nous voudrions te demander quelque chose justement.
• Oui ? Qu'est ce qui se passe ?
• En fait nous avions pensé que, puisque tu n'étais pas parti depuis longtemps, nous pourrions t'emmener.
• Quoi ? C'est sérieux ?
• Oui, bien entendu, nous y avons déjà pensé depuis quelques temps et nous supposions que cela allait te faire plaisir.
• Ça m'intéresserait mais je ne sais pas si je pourrais. Mes parents ne vous connaissent pas et je ne sais pas s'ils ne trouveraient pas bizarre que je parte avec vous deux. Sans parler du prix du billet.
• Pour ça on pourra s'arranger. Ne t'en fais pas. Est-ce que tu as un téléphone, nous pourrons en parler, ce serait sans doute mieux que de voir ça sur internet."

C'est ainsi que le voyage fût envisagé. Quelques minutes plus tard, Pascal et Jean discutaient par téléphone des détails de leur éventuel voyage. Lui et Ève gagnant très confortablement leur vie, ils avaient fait l'acquisition un an auparavant d'un camping-car suffisamment vaste pour 4 ou 5 personnes. Ils avaient assuré Jean que, si ce voyage avait lieu, ils pourraient sans problème rembourser le prix du billet de train.

Quant à l'inquiétude de Jean concernant ses parents, Pascal et sa femme se feraient passer pour ceux d'un ami de fac qui aurait donc lancé l'invitation.

Trois jours plus tard, tout était décidé, réglé, planifié. Jean prendrait le train dès le samedi matin pour se rendre à Paris. De là il prendrait une correspondance à destination de Colmar où il arriverait en milieu de soirée. À son arrivée, les sacs en mains, Pascal et Ève l'attendraient et ils partiraient tous les trois dans leur camping-car, s'arrêtant sur les aires où ils le pourraient et en profitant allègrement de leur trajet qui les mènerait à déposer ainsi Jean 10 jours plus tard chez lui.

Oui, se dit Jean au rappel de ces circonstances, il n'y a rien de bizarre. C'est même une chance de pouvoir bénéficier de 10 jours loin de toute ma vie et de ne plus penser qu'à la détente.

Cette fois, ce fût la voix du conducteur qui brisa sa réflexion, pour annoncer l'arrivée imminente du train à destination.

Tout en prenant ses deux sacs, lourds des livres et des vêtements embarqués (la plupart légers mais aussi parfois plus habillés pour être sûr de ne manquer de rien et d'être présentable en cas de sortie) et en vérifiant, comme le soulignent les recommandations toujours éclairées de la SNCF, de n'avoir rien oublié dans son compartiment, il se souvint qu'il n'avait jamais vu ni les visages, ni les silhouettes de ses hôtes.
Tandis qu'il posait le pied sur le quai de gare, il fût prit d'une brève angoisse à l'idée de n'être pas capable de les reconnaître, qui fût balayée par le fait qu'il avait le téléphone et que de toute façon, ils seraient les seuls ou presque à être stationnés en camping-car.

En effet, il ne lui fût pas difficile de les localiser. Le jour était presque tombé sur le parking de la gare et la majorité des voitures qui y étaient stationnées, bien que nombreuses, ne dépassaient pas le volume d'un monospace et étaient surtout vierges de passagers. Les campings car étaient au nombre de sept mais un seul arborait un plafonnier et des phares allumés.

Jean se dirigea vers le véhicule, avec cependant la nervosité d'un jeune postulant se dirigeant vers le bureau du patron de l'entreprise qu'il envisage d'intégrer. Le véhicule allait être sur sa droite et lui faire face et il distingua les visages de ses occupants.

Il eût le temps de noter que Pascal et Ève avaient une allure très jeune, vive. Deux silhouette, l'une les cheveux bruns coupée assez court et coiffés manifestement à la brosse et l'autre une chevelure auburn longue et ondulée. Tandis qu'il n'était plus qu'à une dizaine de mètres, ils tournèrent tous deux le visage dans sa direction, ce dont il ne s'étonna pas, étant donné qu'il était le seul à en venir.
Pascal, qui était du côté conducteur, l'invita à entrer. Il eut le temps d'apprécier la taille du véhicule et le confort de son intérieur.

Ève le reçut la première. Sa voix était vive, douce et rieuse. Elle arborait un sourire convivial et chaleureux souligné par un maquillage dont les tons rosés donnaient à ses lèvres une élégance certaine. Ses yeux d'une teinte brune étaient également soulignés par une couleur chair subtile. Le chauffage lui avait fait ôter un foulard ample posé sur le dossier de son siège et qui laissait ses longs cheveux d'un blond éclatant tomber librement autour de son visage. Elle se présenta ainsi dans un pantalon de sport en corsaire et un tee-shirt épousant les formes d'un corps habitué à n'en pas douter à une pratique sportive régulière.

Pascal était par ailleurs à la hauteur de son épouse, ce dont Jean se sentît gêné (pensant comme toujours qu'il n'était pas suffisamment sportif malgré ses pratiques de nombres de disciplines). Pascal arborait un short de toile ample et un débardeur noir tout aussi ample qui laissait voir une carrure sans prétention mais à la musculature mince et entretenue. Sa voix était plus rassurante et ferme qu'au téléphone, mais son sourire aimable et ses yeux sombres et attentifs ne pouvait qu'attirer l'amitié et la sympathie.

Un instant, Jean se sentît honteux de venir s'introduire pour quelque dans la vie de ce couple qu'il ne connaissait que par correspondance. Mais les paroles de Pascal vinrent ses craintes.

"- Nous sommes contents de te rencontrer enfin. Nous n'avons pas l'habitude de faire ça tu sais mais comme le courant passe bien entre nous je suis sûr que nous allons bien nous amuser. Tu as fait bon voyage ?
• Oui, bien sûr, un peu long mais sans problème. De toute façon j'ai toujours de quoi m'occuper, dit Jean et désignant le sac partiellement empli de livres.
• C'est bien, dit Ève, nous en faisons toujours autant. Tu verras, dans le coffre il y a suffisamment pour ouvrir un bibliobus.
• Nous avons vu que tu semblais un peu intimidé en entrant, poursuivit Pascal. Mais ne t'en fais pas, tout ira bien. Par contre, il faudrait que tu ailles mettre tes sacs au pied du lit, dans le fond. Comme ça nous pourrons faire un peu de route. Ève te donnera la pizza que nous allions réchauffer sur le trajet et nous mangerons dans une heure, une heure et demi, si ça te va. Tu n'auras pas trop faim ?
• Non, ça va, je peux tenir le coup, répondit Jean en souriant. J'ai pris des nems à Paris vers 19h.
• Alors va poser tout ça et en route !!!" scanda Pascal.

Et, après un rapide appel à sa mère lui confirmant son arrivée à destination et lui promettant un appel dans les deux jours, nous fûmes lancés, tous les trois, vers le début de mes premières vacances, vers un inconnu qu'il soupçonnait réjouissant, convivial et plein de complicité.

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