Le Goéland

Le ciel plombé d’octobre, à Balardville, dissimulait mal un faible crachin qui tombait depuis l’aube. La mer, grise et sereine, confiait son écume au vent qui, ne sachant qu’en faire, la projetait au loin sur la plage de sable fin. Des pêcheurs à pied pataugeaient dans l’eau et les algues, les pieds nus et le pantalon retroussé jusqu’aux genoux. Les mouettes criaient dans les bourrasques ou bien rasaient les vagues à la recherche d’un poisson égaré ou d’un crabe solitaire, indifférentes à l’homme et à la femme qui se promenaient le long de l’immense grève désertée par les estivants. Le couple avançait lentement sur une piste constituée de lattes de bois tapissant le sable, longeant des cabines de plage maçonnées et des poteaux de parasols déshabillés de leur toile. Au loin, dans l’ombre des blockhaus tagués, se balançaient les mâts des bateaux du port de plaisance et en bordure du boulevard, derrière des maisonnettes aux couleurs chamarrées, se détachait la coupole du casino, véritable clocher païen semblant appeler ses fidèles d’une mélopée silencieuse.
— Tu es malheureux ? demanda Judith.
Judith était une femme de petite taille et d’abord volontaire. Approchant la cinquantaine, elle arborait ses cheveux gris coupé court avec élégance. Marchant à petits pas, elle paraissait se cacher derrière le col relevé de son ciré rouge qui ne pouvait toutefois contenir le vif éclat de ses yeux bleus.
— Non, je ne suis pas malheureux. Je suis heureux avec toi et je t’aime, Judith. C’était un faux pas, une absurdité, je ne sais pas ce qui m’a pris. Si tu me pardonnes, je voudrais qu’on n’en reparle plus.
Paul, l’homme qui venait de s’exprimer avait visiblement le même âge que Judith, peut-être une année ou deux de plus. Grand et sec, le visage taillé à la serpe, il marchait les mains dans les poches d’un imperméable de ville beige. Son regard franc, souligné par des yeux noirs sous ses sourcils grisonnants, était empli d’une douceur sincère.


Judith ne répondit pas ; se tournant vers Paul elle lui prit la main et la serra fermement. Nul n’aurait pu savoir si, au milieu des gouttes de pluie, ses joues inondées ne dissimulaient pas quelques larmes.
*
Un mois plus tôt, le soleil brillait dans le ciel. Septembre est toujours agréable sur la côte normande, c’est ce qui avait poussé Dannick et Elsa à venir y passer quelques jours. Paul et Judith, attablés derrière un verre de Gros Plant en guise d’apéritif, avaient vu arriver ce couple d’une trentaine d’années à la pension de famille « Le Goéland » où eux-mêmes résidaient maintenant à l’année. Ces jeunes gens étaient beaux et heureux, inévitablement enviés par toute personne ayant parcouru la moitié de sa vie. Paul et Judith ne faisaient pas exception à la règle, mais éprouvaient une envie bienveillante, innocente, totalement à l’opposé d’une jalousie malsaine. À midi, tous quatre se retrouvèrent à deux tables de distance dans la salle de restaurant. La femme était jolie, blonde et volubile. Elle ne pouvait s’empêcher de glisser sa main dans celle de son ami ou de la poser sur son bras. Elle parlait avec un débit tel qu’entre deux questions, l’homme n’avait pas le loisir de répondre. Parfois, elle s’interrompait et ils se souriaient amoureusement. Les plats repartaient en cuisine, ils y avaient à peine touché. Leur bonheur les béatifiait.
Après le déjeuner, dans la salle du bar, Paul et Judith buvaient un café silencieusement. Sur leur table, un jeu de cartes posé sur un tapis vert attendait que l’on veuille bien s’occuper de lui.
— Bonjour, vous ne jouez pas ? dit Dannick en sortant de la salle à manger et désignant les cartes.
Dannick était grand et musclé. Les cheveux châtain coupés ras à la façon G.I. tapissaient un crâne étonnamment bien formé. Ses yeux marron étaient rieurs et on sentait que son corps ne lui occasionnait aucun motif de complexe. Il aurait pu poser nu pour une statue de la Grèce antique.
— Bonjour.
Non, nos partenaires sont partis hier et les cartes à deux, ce n’est pas très intéressant, répondit Judith.
— À quoi jouez-vous donc ?
— Belote.
— Je me présente, je m’appelle Dannick et mon amie Elsa. Nous avons toujours du mal à trouver des amateurs de belote. C’est vrai qu’en général, ce n’est pas un divertissement de notre âge. Nous pourrions faire un mini-tournoi ensemble, qu’en dites-vous ?
— Pourquoi pas ? répondit Judith enchantée de la proposition. Hein ? Paul, qu’est-ce que tu en penses ?
Paul détacha ses yeux de Dannick avec peine et balbutia :
— Jouer ?... Ah oui ! Certainement.
— Par contre, ce sera pour ce soir si vous le voulez bien, reprit Dannick. Cet après-midi, nous allons à la plage. Cela fait si longtemps que nous en avons envie…
— Bien sûr, répondit Judith. Nous vous retrouverons au restaurant. Si vous voulez que nous dinions ensemble, nous pourrions faire plus ample connaissance.
— C’est une bonne idée, s’exclama Elsa. Tu viens chéri ? dit-elle en tirant son ami par la manche.
Dannick conclut en plantant ses yeux dans ceux de Paul :
— Alors d’accord à ce soir, mais en attendant nous allons profiter du soleil, fit-il.
Le couple se dirigea vers la porte en chahutant et en riant.
— Quels jeunes gens sympathiques ! fit Judith.
— Oui. Et tu as vu comme Dannick est un bel homme, remarqua Paul.
— Elsa est une jolie femme aussi.
— Dannick, je me demande quelle est l’origine de ce prénom peu courant.
— Ça vient de Daniel, j’en suis sûre. Sinon, je crois que c’est un prénom mixte, mais je ne l’affirmerais pas. Bon, je vais faire ma sieste, on se retrouve dans une heure ici ?
Paul hocha la tête et sourit. Quand Judith eut disparu de son champ de vision, il tourna le regard en direction du jeune couple qui ne formait que deux silhouettes noires ténues sur le sable. S’il avait pu s’observer dans un miroir, il eût été étonné de l’expression de son visage reflétant un sentiment inconnu de lui jusqu’à présent.


Le soir comme convenu, les deux couples s’assirent à la même table, les deux hommes faisant face aux deux femmes.
— Quel pays magnifique ! fit Elsa en dégustant son consommé.
— Oui, cela fait maintenant deux ans que nous sommes ici et, quelle que soit la saison, la Normandie est toujours aussi belle, répondit Judith.
— Vous êtes là à l’année ! Quelle chance ! dit Dannick.
— Nous aimons bien ce pays. J’étais ingénieur et PDG de l’entreprise que j’ai créée à vingt-cinq ans en région parisienne. J’y ai travaillé dur puis je l’ai revendue à un prix dépassant mes espérances. Je peux ainsi profiter d’une préretraite sereine.
— Maintenant, il s’occupe de moi, compléta Judith en souriant. Je l’ai attendu si souvent toutes ces années… Mais je n’ai pas abandonné mon métier d’infirmière libérale que je reprends à l’occasion, pour ne pas perdre la main. J’ai un cabinet que j’ouvre deux matinées par semaine à Balardville en centre-ville. Toutes mes collègues sont en périphérie alors j’ai quelques patients fidèles.
— Mon amie et moi nous sommes rencontrés sur notre lieu de travail, commença Dannick. Nous travaillons dans une compagnie d’assurance à Orléans. Nous sommes des commerciaux et j’espère qu’un jour nous pourrons nous établir comme courtiers.
— Chez nous, presque tout le monde part en juillet août, aussi nous nous faisons bien voir en prenant le mois de septembre, continua Elsa. C’est bon pour nos primes et plus vite nous aurons le capital nécessaire et plus vite nous pourrons franchir le pas. Il n’est pas exclu que nous nous installions ici si la ville nous plait. Nous sommes venus en voiture pour visiter un peu la région.
— Vous ne pourrez que vous plaire ici, je vous assure, fit Judith.
La discussion allait bon train, mais il se passait des choses surprenantes sous le plateau. Assis à côté de Dannick, Paul sentait la jambe de son voisin bouger régulièrement le long de la sienne. Les tables étaient petites et il mit cela sur le compte de la promiscuité.
Il éloigna sa propre jambe, mais celle de Dannick revint à la charge. Paul appuya machinalement la main gauche sur sa cuisse quand la main droite de Dannick se posa sur elle et la serra doucement.
— Il a vu qu’il me plaisait ! songea Paul dont le cœur battait la chamade. Que fait-il ? Se moque-t-il de moi, ou est-il sincère ? Il a une si belle femme… Il est à voile et à vapeur, ma parole ! Mais moi, je n’ai jamais aimé que des femmes ! Qu’est-ce qui m’arrive ? Je n’ai jamais ressenti ça pour un homme ; je ne vire pas pédé tout de même !
Sur cette dernière pensée qui se voulait sans appel, Paul retira sa main résolument. Dannick ne persista pas et la fin du repas arriva.
— Chéri, dit Judith à son mari. Je vais fumer une cigarette dehors. Tu montes chercher un jeu neuf dans la chambre. La plupart des cartes de l’hôtel sont cornées.
Elsa sauta sur l’occasion et, parlant de la cigarette :
— Ah ! Vous aussi avez ce défaut. Je peux vous accompagner ?
— Volontiers. Je n’en fume que deux par jours après les repas, mais j’y tiens.
— Moi, j’en fume plus que vous, mais je vais essayer de m’aligner sur votre rythme. Dan chéri, tu serais un ange si tu me redescendais mon gilet.
— Prenez mon châle en attendant, suggéra Judith. J’ai déjà un pull.
Tandis que les deux femmes franchissaient le sas d’entrée de l’hôtel, les hommes empruntèrent l’ascenseur. Les deux chambres étaient au quatrième étage. Paul et Dannick pénétrèrent dans la cabine et, sitôt que la porte se fut refermée, Dannick s’approcha de Paul et lui passa la main derrière la tête. Offrant sa bouche, il la posa sur celle du quinquagénaire. Ce dernier résista pour le principe puis, presque malgré lui, écarta les lèvres et laissa entrer la langue experte et insistante. Dannick, sachant qu’il avait gagné, maintint son baiser et saisit la main de Paul qu’il plaqua sur sa braguette. Vaincu, vidé de toute volonté propre, Paul caressa ardemment à travers le pantalon, le sexe de taille conséquente qui déjà se dressait. La porte s’ouvrit soudain sur le palier du quatrième étage avec son bruit de clochette caractéristique. Les deux hommes se séparèrent comme deux s pris en faute, mais il n’y avait personne. Dannick se dirigea dans le couloir à gauche et Paul à droite.
— À tout de suite Paul, fit Dannick l’air entendu.

La partie de belote fut longue et vit la victoire des deux femmes contre les deux hommes. Dannick, assis en face de Paul, frottait périodiquement son pied déchaussé contre le mollet de son nouvel ami qui, cette fois, ne se dérobait pas. Les deux hommes, déconcentrés, réalisèrent de nombreuses fautes de jeu dont les femmes profitèrent à plein. Il n’était pas loin de minuit lorsque tout le monde alla se coucher.

Tous deux étendus sur le lit, la lumière éteinte, Paul et Judith gardaient les yeux grand ouverts.
— Elsa et moi avons gagné, mais tu as fait beaucoup d’âneries, remarqua Judith.
— Sans doute. Je n’avais pas trop la tête à jouer ce soir. Je n’ai pas la tête à grand-chose d’ailleurs, là tu vois, je voudrais dormir, mais je n’y parviens même pas.
— Je vais t’aider, dit-elle, malicieuse, en glissant la main dans le pyjama de son mari et en empoignant le sexe flaccide.
Écartant draps et couvertures et abaissant le pantalon, Judith approcha sa bouche et engloutit en salivant à l’avance le gland encore mou. Quelques instants plus tard, la verge de Paul devenait dure comme un bambou et il commença à soupirer sous les caresses humides et habiles de la langue et des lèvres de sa femme.
— C’est ça que je dois lui faire. Ça ne peut être que ça, songea-t-il.
*
Le lendemain matin, Paul et Judith parurent dans la salle de restaurant où Dannick et Elsa prenaient leur petit-déjeuner. Avant de s’installer à une table pas trop proche par discrétion, Judith, après avoir salué le couple, s’enquit auprès d’Elsa :
— Je vais à mon cabinet en ville ce matin. J’ai quelques piqûres à faire, mais je n’en ai pas pour très longtemps. Après, nous pourrions faire les boutiques. Ça vous dit ?
Elsa quémanda des yeux un avis de son ami qui lui sourit.
— Oh, oui ! Avec plaisir, je ne connais pas Balardville.
— Tant mieux ! Nous pourrons déjeuner sur place, je vais souvent dans un petit restaurant sympathique qui sert des produits de la mer comme vous n’en avez jamais goûté, j’en suis sûre. Nous en aurons pour la journée, mais les hommes vont bien trouver une occupation.
— Ne vous inquiétez pas, dit Dannick. Elle est toute trouvée. Le document de l’Office de Tourisme décrit une randonnée d’une douzaine de kilomètres le long du littoral et retour à travers un parc ornithologique. J’avais très envie de la faire, mais Elsa n’aime pas trop marcher…
— Oui, c’est vrai, confirma son amie.
— Paul est un passionné des longues promenades. Vous allez bien vous entendre tous les deux.
Judith était loin de s’imaginer ce que ses paroles avaient de prophétique. Une demi-heure plus tard, les deux femmes étaient parties en voiture effec la tournée des patients avant de se consacrer aux boutiques de mode. Au même moment, Paul et Dannick, chaussés pour la circonstance, quittaient la plage pour remonter vers le sentier côtier coincé entre deux dunes aplaties. La mer renvoyait le reflet du ciel bleu et le vent agitait mollement les herbes hautes. Quand ils eurent marché une heure et demie, le chemin de promenade bifurqua sur la gauche, s’éloigna de la côte et longea une palissade en bois. Celle-ci délimitait une zone lacustre préservée dans laquelle nichaient un grand nombre d’oiseaux de toutes espèces, et tous les cinq cents mètres, une porte donnait sur une cahute équipée de jumelles et de bancs de branches et de paille. À la première, Dannick entraina Paul à l’intérieur et dès qu’ils furent entrés, il lui attrapa la nuque et plaqua ses lèvres sur les siennes. Paul ne résista pas et ouvrit largement la bouche à la fougue de son ami. Déplaçant lentement sa main vers l’entrejambe de Dannick, il défit la fermeture de la braguette et dégrafa la ceinture au-dessus. Des deux mains, il s’empara du pantalon et du sous-vêtement et les fit tomber jusqu’à mi-cuisse. Le pénis de Dannick, déjà raidi par le baiser passionné, se dressa brusquement et Paul s’empressa de le tâter pour en apprécier la chaleur, la douceur et le diamètre imposant. Reculant le prépuce le plus loin qu’il put il caressa, avec une extrême délicatesse, le frein et le gland de son ami qui lui parut bien plus charnu que le sien. N’y tenant plus il tomba sur les genoux, embrassant et léchant avec fougue la verge de Dannick ainsi que le scrotum à la peau tendue dans lequel roulaient deux gros testicules durs comme des noix. Fermant les yeux il ouvrit la bouche, enfourna avec délice le gland chaud comme une braise et entama des aller et retour savants, calqués sur ceux que lui pratiquait Judith. Dannick leva la tête béatement, mais à trente ans l’orgasme vient rapidement et parfois même trop tôt. Soudain, il prévint en emprisonnant le crâne de Paul de ses deux mains :
— Je vais jouir Paul, je vais jouir…
À ces mots, Paul accéléra son mouvement, s’apprêtant à recueillir sur la langue la jouissance de son ami, lui qui n’avait jamais bu que la cyprine des femmes…
— Aaaahhh !...
La première giclée de sperme alla au fond de sa gorge, ce qui le surprit un dixième de seconde. Il se dépêcha d’avaler pour recevoir la deuxième puis la troisième éjaculation. Il déglutit à nouveau. La quatrième et la cinquième suivirent le même chemin, ainsi que les deux suivantes. Il semblait à Paul que cette jouissance, qu’il était heureux de provoquer, ne s’arrêterait jamais. L’aurait-il voulu d’ailleurs, à ce moment précis ? Les spasmes reprirent encore deux ou trois fois, mais le liquide séminal s’était tari et le gland devint douloureux. Dannick se retira doucement au grand dam de Paul qui persistait à lécher le sexe de son ami avec frénésie.
Paul se remit debout et embrassa Dannick qui lui parut moins excité.
— Pas tout de suite s’il te plait, tu sais bien pourquoi, tu es un homme aussi…
À regret, Paul lâcha son amant. Il se rendit soudain compte que sa verge était aussi raide que l’était celle de Dannick. D’un geste rapide, il défit sa braguette et exhiba son pénis.
— Tu peux me branler ? implora-t-il.
Dannick sourit et donna une chiquenaude à la verge tendue.
— Allonge-toi, fit-il en désignant un banc de paille.
Paul s’exécuta. Il se mit sur le dos en ayant eu soin auparavant de baisser slip et pantalon. Dannick s’approcha, s’assit à terre et posa la tête le long du flanc de Paul. Il prit le pénis de son ami à pleine main et le caressa ainsi que les testicules. Paul songea, complexé :
— Il doit la sentir bien plus petite que la sienne…
Dannick ne s’attachait pas à ce détail. Dès qu’il eut le membre de Paul en main, il fit glisser la peau, découvrit le gland et remonta le prépuce à toute vitesse plusieurs fois de suite. Ce n’était ni plus ni moins qu’une branlette de collégien. La recette fonctionnait toujours aussi bien, car au bout d’une minute à peine Paul se mit à râler et sa verge, excitée par la récente fellation, cracha un jet de sperme puissant qui retomba sur le banc derrière lui. Voyant cela, Dannick accéléra à nouveau son mouvement et les giclées se suivirent rapidement et violemment, inondant le ventre de Paul et sa propre main. D’un coup, le gland en feu, Paul stoppa net le geste de Dannick en lui saisissant le poignet. Quelques instants s’écoulèrent.
— T’es pressé ? interrogea Paul amusé.
— Je sais, je vais trop vite… répondit Dannick contrarié.
— Non, non, rassure-toi. C’est bon aussi comme ça.
— Oui, mais c’est mieux autrement, c’est bien ce que tu veux me dire ? On me l’a déjà fait comprendre.
Paul s’assit ainsi que Dannick à ses côtés. Il embrassa son ami et le tranquillisa.
— Ce que j’aime par-dessus tout c’est te faire plaisir à toi. Pour moi, c’est juste pour évacuer le trop-plein, j’aurais pu le faire moi-même, tu sais. J’aime bien ça aussi, surtout si on me regarde.
— Tu es gentil. Il y a une chose qui me ferait plaisir plus que tout. Dans une chambre à l’hôtel, es-tu prêt ?
La virilité de Paul résista une seconde à cette image, mais guère plus.
— Oui, c’est promis.
Après cette halte fructueuse, le reste de la randonnée fut consacrée à l’observation des oiseaux et à de franches rigolades. Revenus à l’hôtel, les deux femmes n’étant pas encore rentrées, les deux amis décidèrent de retourner dans leur chambre respective, de prendre une douche et de se reposer avant de se retrouver pour l’apéritif. Sous l’effet bienfaisant de l’eau, Paul ne put s’empêcher de se masturber en repensant à sa première fellation. Il n’avait plus de complexes, plus de crainte de devenir « pédé ». Il était heureux.
*
Il s’écoula plusieurs jours où Paul et Dannick ne purent se rencontrer comme ils l’auraient voulu. Ce n’étaient que caresses et baisers volés furtivement et leur envie respective grandissait. Un jour cependant, l’occasion se présenta. À la table du restaurant où les deux couples avaient pris l’habitude de partager leurs repas, Elsa déclara :
— Ça ne me dit rien de bouger aujourd’hui. Il fait soleil, j’ai plutôt envie d’aller sur la plage pour me faire bronzer.
— Je veux bien vous accompagner, ajouta Judith. Les hommes vous venez avec nous ?
Paul et Dannick échangèrent un bref regard complice et se comprirent en une fraction de seconde.
— J’avais prévu un tour en ville, fit mine de regretter Dannick.
— Vas-y avec Paul. Moi, j’ai vraiment envie de ne rien faire cet après-midi, répliqua Elsa.
— Nous partirons en même temps que vous après le café, fit Paul en s’adressant aux femmes.
Le café terminé, Elsa et Judith prirent leur sac de plage et quittèrent la salle du bar pour le sable et le soleil. Paul et Dannick remontèrent au quatrième étage sous prétexte de se préparer. En fait, parvenus au palier, ils bifurquèrent tous les deux à droite en direction de la chambre de Paul et Judith. Ils y pénétrèrent silencieusement et fermèrent soigneusement les rideaux, laissant une lumière tamisée envahir la pièce. Se jetant dans les bras l’un de l’autre, ils s’embrassèrent fougueusement et Dannick poussa Paul sur le lit. Les deux hommes, rongés par l’impatience, se déshabillèrent rapidement et s’enlacèrent nus sur les draps tirés. Paul ôta sa bouche des lèvres de son amant, lui lécha le thorax, l’abdomen puis la verge dressée. Il engloutit le gland profondément jusqu’à toucher du nez le pubis de Dannick. Celui-ci apprécia la caresse quelques minutes puis se retira. Il fit signe à Paul de se mettre à quatre pattes. Paul avait compris que le moment était venu. Tendant délibérément ses fesses au bon plaisir de Dannick, la tête posée sur la couverture, il attendit la chaleur du gland sur son orifice offert. Dannick, s’aidant de la main, poussa son pénis, mais ne parvint pas à le faire entrer. Il recommença plusieurs fois et enfin le sphincter se décida à s’agrandir un peu. Paul avait approché un oreiller vers lui et le tenait entre les dents. À chaque poussée de Dannick, il serrait les mâchoires et émettait une plainte de douleur. Il avait mal, il était ravi. L’anus se dilata de plusieurs centimètres et le gland put pénétrer dans l’antre secret de Paul. La verge s’enfonça de moitié, Paul soupira en mordant les coins de l’oreiller puis lors d’un dernier coup de reins, le pénis entra dans sa totalité. Paul poussa un cri. Il sentait le pubis de Dannick contre ses fesses et comprit que ça n’irait pas plus loin. Il en fut à la fois soulagé et déçu. Soulagé, car l’objet de son plaisir ne lui faisait plus mal et déçu, parce qu’il savait, pour l’avoir pratiqué sur sa femme, que la pénétration était le meilleur instant de la sodomie. Là, malgré la longueur peu commune du sexe de Dannick, ce tendre moment venait de prendre fin. Il sentit tout de suite la verge de son ami glisser doucement sur la paroi de son rectum presque jusqu’à sortir de son écrin, puis celle-ci replongea brusquement, ce qui lui arracha un soupir de volupté et de surprise. Les aller et retour de cette sorte furent nombreux. À chaque fois que l’orgasme se montrait trop proche, Dannick s’arrêtait trente secondes pour reprendre peu après. Mais ce petit jeu ne put durer aussi longtemps qu’il l’aurait voulu. Il arriva le moment où Dannick dépassa le point de non-retour et où il s’activa nerveusement en agrippant le bassin de Paul des deux mains. Le ventre claquait fort contre les fesses, les deux hommes ahanaient bruyamment et Dannick poussa un râle de plaisir étonnant, le phallus enfoncé jusqu’à la garde dans l’anus de Paul comme un pieu en terre.
Les deux amants restèrent ainsi immobiles, puis Dannick se retira. Paul, d’une contraction involontaire du rectum, expulsa une grande quantité de sperme qui lui coula le long de la face intérieure de la cuisse droite. Les deux hommes s’allongèrent alors sur le dos, seul Paul avait encore le sexe dressé. Il se tourna vers Dannick, prit sa verge molle de la main gauche, approcha son propre pénis, et gland contre gland, se masturba lentement de son autre main. Quelques instants plus tard, il accélérait le mouvement puis, dans un râle, éjacula une demi-douzaine de fois sur la verge, le scrotum ou les poils pubiens de Dannick. Enfin, épuisés par leurs ébats, ils s’embrassèrent tendrement.
— Merci pour le plaisir que tu m’as donné, dit Dannick.
— La prochaine fois, nous jouirons en même temps, je te le promets.
*
Il s’écoula quelques jours pendant lesquels, au cours de leurs discussions, Paul apprit que Dannick relevait réellement de la bisexualité. Pour satisfaire sa libido, il aimait les femmes autant que les hommes, mais il préférait rester actif dans la mesure du possible encore qu’il lui arrivât parfois de se laisser posséder. Paul ne sut que répondre, car si lui-même avait toujours été hétérosexuel, il n’avait jamais compris son attirance envers Dannick et surtout la perte virtuelle de sa virilité quand il faisait l’amour avec lui. Toujours est-il que Paul voulait tenir sa promesse. Un après-midi de liberté provisoire dans la chambre de Paul, Dannick et lui se déshabillèrent et se caressèrent longuement en s’embrassant. La verge de Dannick devint raide, dure et si bien tendue que le gland émergeait d’un prépuce devenu soudain trop étroit pour lui. Paul s’émerveilla une nouvelle fois devant ce membre, long, épais et droit comme un « I ». L’angle formé par le sexe en érection et le ventre de Dannick s’avérait tellement fermé que, même debout, le gland touchait pratiquement la peau de son abdomen. Paul lui prit la verge à pleine main et commença à le masturber. Parallèlement, il saisit son propre pénis de l’autre main, ne put s’empêcher à nouveau d’effec mentalement des comparaisons à son désavantage et se caressa également. Dannick se laissait faire puis Paul l’entraina sur le lit. Il le fit étendre et l’imita en se positionnant tête-bêche. Les deux hommes avaient maintenant le pénis de l’autre devant le visage, la suite vint naturellement et ils ouvrirent la bouche en fermant les yeux. Paul gérait la double caresse avec précision. Se retenant si Dannick n’était pas prêt et freinant son ami si l’orgasme ne se présentait pas aussi pour lui. Il fit tant et si bien qu’après vingt longues minutes de fellation réciproque, les deux amants éjaculèrent simultanément avec des cris étouffés par la verge qui leur obstruait la bouche. L’orgasme fut fulgurant pour eux deux et après une demi-douzaine d’éjaculations chacun, ils restèrent inanimés et silencieux tout en caressant et léchant doucement le sexe aimé redevenu flaccide. Puis ils s’embrassèrent et échangèrent longuement de leurs langues les parfums distincts de leur liquide séminal. Dannick lâcha soudain Paul, l’oreille tendue :
— Il est tard. Nous devons redescendre, les femmes peuvent revenir d’un moment à l’autre.
— Tu as raison, Dan. Rhabillons-nous et allons au bar les attendre.

Les deux amants à peine installés à une table devant une bière brune irlandaise, Judith et Elsa pénétrèrent en riant dans la salle du café. Elles s’assirent à côté de leurs hommes et commandèrent un thé. Judith, dévisageant Paul, lui dit l’air sérieux :
— Tu en as des cernes sous les yeux. Tu es fatigué ?
— Non, non, répondit-il gêné. Nous sommes allés en ville, mais je n’aime pas faire du sur place dans les magasins. Ça me crève.
— Ah ? Et vous êtes allés où ?
Paul ne savait plus quoi dire. Dannick discutait avec Elsa en aparté, volontairement afin de ne pas prendre part à la conversation.
— Je ne sais pas trop, vers le centre commercial, je crois… affirma Paul d’une voix mal assurée.
— Nous y étions aussi, nous aurions pu nous retrouver.
— Nous ne vous avons pas vues…
— C’est probable, acheva Judith pensive.
Reprenant un ton enjoué, elle continua :
— Une partie de belote après diner ?
— Oui ! fit Dannick faussement ravi. Paul et moi allons vous battre à plate couture ce soir, Mesdames.
— Ça n’est pas dit ! rétorqua Elsa en donnant un léger coup de poing dans l’épaule de son ami.
— En attendant, allons manger, fit Judith.

Après le repas pourtant, le sort avait formé de nouvelles équipes. Dannick et Elsa jouaient contre le couple Judith et Paul. Ce dernier, intrigué par les questions embarrassantes de sa femme à son retour, n’apportait qu’une attention minimum au jeu. La victoire en revint tout naturellement aux jeunes gens. Il était vingt-trois heures et d’un commun accord, personne ne voulut entamer une autre partie et les deux couples décidèrent alors d’aller se coucher et regagnèrent leur chambre.

Judith sortit de la salle de bains et vint s’allonger à côté de son époux.
— Tu m’as semblé distrait ce soir, lui avoua cette dernière.
— Oui, c’est vrai, je suis un peu fatigué en ce moment.
— Comme tu nous as fait perdre, je te donne un gage.
— Ah bon ? Et lequel ?
Judith retroussa sa chemise de nuit à hauteur du nombril, enjamba son mari couché sur le dos et, à genoux, remonta jusqu’à son visage où elle posa sa vulve sur ses lèvres.
— Comment dites-vous, les hommes ? Ah, oui ! Je sais : suce !
*
Vint l’avant-dernier dimanche des vacances de Dannick et Elsa. Paul prit soudain conscience du fait que le week-end suivant, il ne verrait plus son amant. Il n’ignorait pas non plus que pour lui, il n’était qu’une passade et qu’il irait ensuite se soulager auprès d’autres femmes et surtout d’autres hommes au gré de sa jeunesse. Il avait du mal à supporter cela et s’en attristait par avance. Cet après-midi-là, Judith et Elsa se rendirent à la plage. Comme il leur arrivait souvent, les deux hommes n’y allèrent pas et se retrouvèrent dans la chambre de Paul. Sitôt entrés, ils s’embrassèrent ardemment et Paul se déshabilla. Voyant que Dannick ne se pressait pas, il lui dit :
— Qu’est-ce que tu attends ? J’ai envie de toi.
— Ne sois pas jaloux, mais tu sais, j’ai fait l’amour avec Elsa toute la nuit et je suis à plat.
— Moi aussi, qu’est-ce que tu crois ? J’ai dû lécher la chatte de Judith jusqu’à ce qu’elle ait un orgasme et ensuite, je te le donne en mille, elle m’a demandé de la sodomiser. Il a bien fallu que je m’exécute.
— Ça ne t’a pas pris toute la nuit !
— Non, j’avoue, mais je n’ai pas ton âge. De plus, nous avons une double vie, il faut bien l’assumer.
Tout en parlant, Dannick avait ôté ses vêtements sans enthousiasme ; sa verge tombant en arc de cercle n’indiquait qu’un début d’érection. À genoux, Paul s’empara du pénis mou, tira le prépuce et suça hardiment le gland découvert. Le phallus se dressa triomphalement, Paul le retira de sa bouche et le contempla :
— Ah ! Tu vois que tu en as envie.
Dannick ne répondit pas et les yeux au plafond, dirigea la tête de Paul qui se remit à l’ouvrage…
— Tu sais y faire, je dois dire.

Et la porte de la chambre s’ouvrit…

Paul lâcha précipitamment le pénis de Dannick qui recula en essayant de dissimuler son sexe de ses mains. Paul se releva et attrapa son slip qui était à sa portée sur le lit pour non pas l’enfiler, mais pour cacher sa verge raidie. Les deux hommes dévisagèrent enfin la silhouette qui était restée dans l’encadrement de la porte. La bouche et les yeux grand ouverts, les bras ballants, Judith laissa échapper son sac de plage qui tomba avec un bruit mat au milieu d’un silence assourdissant. Suspicieuse depuis les explications vaseuses de Paul, la veille, concernant sa sortie avec Dannick, elle était loin de s’attendre à ça. Dix secondes d’éternité s’écoulèrent, aucune parole ne sortit d’aucune lèvre. Judith fit trois pas en arrière, ne pouvant détacher le regard de son mari ridiculement nu et coi, puis fit demi-tour et, négligeant l’ascenseur, s’enfuit en courant par l’escalier.

Le soir même, Elsa et Dannick avaient fait leurs bagages. Sur l’insistance de sa femme, Paul restait cloîtré dans sa chambre. Elsa avait sollicité ce service auprès de Judith, car elle ne voulait pas que les deux hommes se revoient avant de partir. Paul ne risquait pas d’importuner le jeune couple, il était effondré sur le lit en proie à des spasmes de larmes incessants. Quant à Dannick, il avait vite fait amende honorable et Elsa le ramenait à Orléans manu militari. Une chose est sûre, ils ne s’installeraient jamais à Balardville.
*
Octobre. Le crachin ne s’arrêtait pas et persista d’ailleurs toute la journée. Les pêcheurs avaient quitté la plage et les pas de Paul et Judith résonnaient sur le bois glissant. Hormis les mouettes, ils étaient totalement seuls.
— Tu l’aimes encore ? fit Judith
— C’est fini, je te dis.
— Moi je t’aime et ce n’est pas fini. Je t’aime d’autant plus, car maintenant, tu sais ce que peut ressentir une femme.
— Merci, mon amour.
L’imperméable beige enlaça le ciré rouge, et les cheveux gris se mêlèrent en un baiser passionné.
C’était tout ce que l’on aurait pu distinguer depuis l’hôtel « Le Goéland ».
*

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