Orga 3

Tia était la médium de la troupe. D’apparence une gamine, elle n’avait pas d’âge et nul doute qu’elle était la plus vieille d’entre nous. Ses pouvoirs étaient immenses et même si pour le public elle ne tirait que les cartes elle n’en avait nul besoin pour connaître les secrets les plus intimes. Un simple regard, un bref effleurement des doigts et l’essentiel lui était dévoilé.
Lorsqu’elle m’avait touché les tempes, insufflé son souffle et inspiré le mien, elle m’avait lue entièrement. Malheureusement hormis le mot Orga qui s’était imposé en son esprit et le cauchemar avec le loup il n’y avait rien. Ma mémoire était vide. Ma mémoire n’était plus en moi. Elle était ailleurs. Mais elle ne savait pas où.
Par contre elle avait découvert qu’en plus de posséder ce sexe rétractible mon corps produisait des phéromones extrêmement concentrées auxquels il était quasi impossible de résister. Un bref moment elle les avait absorbé ce qui m’a donné l’illusion que c’était elle qui produisait ces odeurs particulièrement envoutantes.
Plus que pour le sexe il était impératif que je puisse les contrôler si je ne voulais pas risquer des agressions en tout genre à chaque pas. J’étais littéralement ce qu’il est commun d’appeler un « appel au viol ».

Je passais donc des jours très instructifs en compagnie de Tia et, lorsque nous ne « travaillions » pas, de Mamma trop vieille que pour être réceptive à mes charmes.
Je ne serais présentée au reste de la troupe que lorsque mon professeur aurait décidé que j’étais prête.

Ce jour arriva deux semaines plus tard. Lorsque je sortis de la roulotte, ils étaient tous là. Il y avait bien entendu ceux que je connaissais déjà : Mamma, Tia, le chien Brut et le singe Monk – grands inséparables -, les chats Lucifer et Pirate, et ceux que je ne connaissais encore que par personnes interposées : Tips, nain et contorsionniste, qui pouvait se faufiler dans les trous de souris, Mix l’homme élastique qui avait la capacité d’étirer son corps à volonté – lorsque la troupe avait encore un chapiteau il avait réussi à s’étirer jusqu’à son sommet, sans doute sa taille maximum car cet exploit lui valu de garder une apparence « étirée » même au repos – , Sad le clown qui ne disait jamais rien et n’ouvrait la bouche que pour pleurer, et enfin les frères siamois, TweeDoo et TweeDee qui un jour étaient liés par le ventre, le jour suivant par le bras, ou tout autre endroit suivant leur bon vouloir.

Personne, pas même les membres de la troupe ne les avaient vus séparés ou même assisté au changement de position. Tips s’était même introduit dans leur roulotte à leur insu et les avait espionné plusieurs jours sans qu’il ne découvre quoi que ce soit. Et pourtant en sa présence ils avaient changés au moins trois fois. C’était un mystère complet.

Je leur fus présenté sous le nom d’Orga. Mamma le disait si bien, qu’importe que ce soit ou non mon ancienne identité pour autant qu’elle le soit maintenant. Et puis – là Tia intervint – c’est un très joli nom, proche d’orgasme, donc proche du plaisir. N’est-ce pas là un gage de bonne fortune ?


Plusieurs années passèrent. Je parcourus le pays avec la troupe et avec eux découvrit la vie de saltimbanque. Au début je n’aidais qu’à la maintenance mais petit à petit j’aidais pour les numéros. Finalement la remarque de Tia par rapport à mon nom prit une importance considérable et inattendue.

Qu’est-ce donc le cirque sinon la recherche de plaisirs par le public ?

Notre troupe prit ainsi le nom d’ « Orgasme » et nous garantissions à notre public les plaisirs les plus intenses. Plaisirs visuels, olfactifs, auditifs, gustatifs, tactils… Plaisirs des sens au sens le plus littéral du mot, nos numéros s’ingéniaient à tous les garantir. Notre imagination n’avait plus de limite et bientôt, en plus des numéros traditionnels nous osâmes ajouter des plaisirs plus interdits, plus secrets et capiteux, des plaisirs d’alcôves. Chaque membre de la troupe, Mamma excepté, en fit partie. Tips se trouvait toujours là où l’on s’y attendait le moins, Mix à lui seul donnait à chacun l’illusion qu’une dizaine d’amants étaient présents, Tia devançait tous les désirs et garantissait une complète réussite en nous fournissant ces informations, Sad était adoré des femmes possessives et révéla bien d’autres talents que les larmes, quant aux siamois TweeDoo et TweeDee leurs changements étaient passés de l’art à la pure magie et ils pouvaient presque rivaliser avec Mix.


Quant à moi j’étais devenue à la fois la mascotte du chapiteau et la reine des alcôves.
Lors des représentations je me trouvais toujours au faîte du chapiteau, vêtue de mon costume de papillon, emblème de notre troupe. Je diffusais mes senteurs, attentive aux plaisirs procurés, aidant l’apparition des rires et des larmes, des émotions les plus douces tout autant que les plus vives. Je distillais mes phéromones, jouant avec le plaisir comme un pianiste virtuose avec les notes de musique.
J’avais laissé pousser mes cheveux et les coiffait de perles et de clochettes à l’instar de Tia. Les cicatrices étaient toujours présentes mais Tia et Mamma les avaient cachées derrière un tatouage magnifique, un arbre au tronc épais dont les branches s’étendaient sur toute la largeur du dos et qui de plus abritaient les membres les plus beaux de Faërie, des fées adorables aux démons les plus attirants.

Après les représentations, quand le public partait, je quittais le chapiteau pour me préparer aux rencontres plus privées, à mes représentations particulières. Tour à tour femme, homme, hermaphrodite, suscitant les désirs les plus fous, je me libérais de toutes contraintes excepté une seule : jamais qui que ce soit ne voyait mon deuxième sexe paraître ni même ne pouvait deviner que ces personnages si différents étaient en réalité une seule et même personne. Pourtant quelles possibilités cette capacité entrainerait… Mais j’avais toujours cette peur d’être découverte, reprise et ramenée là où tout avait commencé.

Depuis cette fameuse nuit où Mamma m’avait recueillie, je n’avais pas plus d’informations à propos des habitants du manoir. Notre troupe était bien retournée quelques fois dans cette région mais malgré mes longues promenades dans la forêt et alentours, je n’avais pas réussi à le retrouver.
Mon corps avait changé. J’étais plus grande, athlétique et mes seins beaucoup plus volumineux. Ma croissance à mon arrivée n’était pas encore terminée.
Quel âge avais-je alors ? Tant de questions toujours sans réponses.

Mais petit à petit j’en venais à les trouver moins cruciales. Je vivais. J’avais une famille et même, avec Mix, nous envisagions de l’agrandir encore, si tant est que je sois capable d’er. J’aurais pu continuer ainsi, insouciante, sans deux événements qui eurent lieu à quelques jours d’intervalle.

Nous étions alors près de la capitale, en pleine campagne électorale. Les candidats à la présidence multipliaient les apparitions en tout genre et leur image était omniprésente. Pas un mur qui ne fut décoré de leurs couleurs. Pas une radio qui ne diffusait leur voix, pas une tv qui n’avait pas au moins un ou deux reportages sur eux à proposer sans compter le journal télévisé.

C’est lors de ce rendez-vous quotidien, alors que je m’attablais avec Mix et Tia que je le revis.
Il n’avait pas particulièrement changé hormis que son sourire était plus large, plus franc - si tant est que l’on puisse parler de franchise pour un homme briguant la présidence.
Son nom était William Curtis et la femme qui l’accompagnait, en qui je reconnus sans peine la jeune femme qui m’aida à sortir du manoir, était son épouse, Héléna. La peur et la haine montèrent en moi en une vague incontrôlable. Lorsque je la voyais, si docile et soumise au bras de son époux je n’avais qu’une envie, la secouer, la frapper, afin qu’elle s’aperçoive à qui réellement elle était liée. Quant à lui c’est à peine si j’osais le regarder tant il m’inspirait de terreur. Des images de , de douleur, de peines défilaient devant moi, me laissant avec un goût de sang dans la bouche et une cruelle envie de .
Je me couchais fiévreuse et durant la nuit le loup revint me visiter. Il n’avait jamais cessé de me hanter toutes ces années mais peut être à cause du choc ressenti sa présence me fut cette nuit là beaucoup plus tangible et par là même extrêmement plus douloureuse. Mon dos et mon âme brûlaient avec une égale intensité.

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