Confidences - Vestiaires 3/3

Confidences – Misa / 10-2012
3/3 - Troisième soir

Comme l’a dit Hélène la dernière fois, pas la peine de se casser la tête : « Troisième soir » est un titre qui convient.
Vous vous souvenez d’Hélène ?
Dès le lendemain de nos rencontres, j’avais rédigé le contenu de son histoire, telle qu’elle nous la racontait.
Elle m’avait dit vouloir lire. J’avais donc tout imprimé et mis les feuillets dans une enveloppe de papier kraft que j’avais rangée dans mon sac afin de la lui remettre à sa prochaine apparition.
Comme je le fais toujours, j’ai essayé de rester fidèle dans le récit à ses mots, à son débit de parole. Le plus difficile était de respecter l’ordre dans lequel elle nous avait raconté son histoire : je ne prends pas de notes. C’est souvent perturbant pour celui ou celle qui parle. J’espère avoir eu bonne mémoire.

Finalement, vous aurez lu les ‘deux premiers soirs’ de son histoire avant elle.
Si toutefois vous les avez lus, bien sûr … je me fais des idées, parfois …

Nous n’avions pas de rendez-vous précis. J’ai transporté la vingtaine de pages de son récit dans mon sac pendant plus d’une semaine. Elle est apparue dans le bar où nous nous étions déjà rencontrées alors que j’étais en compagnie d’une amie.
Elles ne s’étaient jamais rencontrées, mais mon amie m’a dit avoir eu l’intuition que la jeune femme qui entrait dans le bar était cette Hélène dont elle avait lu les confidences avant même qu’elle ne s’approche de notre table, bien que je me sois abstenue de toute description physique qui l’aurait aidé à la reconnaître.
Son allure décidée, son regard clair et direct, son allure sportive … l’image qu’elle s’était fait d’elle au cours de sa lecture correspondait à celle qui nous a rejointes.

Hélène est grande. Sans doute proche de 1m80, elle est à la fois athlétique et féminine. Elle dégage une impression de santé éclatante, mélange de force et de douceur.


Elle portait ce soir-là un pantalon de lin taille basse kaki flottant sur ses hanches et un petit chemisier à manches courtes et bouffantes, dont le décolleté laissait entrevoir la naissance de ses seins libres.
Au-delà de sa silhouette, le plus remarquable chez elle, ce sont ses yeux, d’un bleu très clair, lumineux et comme pleins de rire.
Je ne sais pas si un jour elle pourra remettre ses tenues taille 38 comme elle nous l’a dit. Personnellement, je le regretterais. C’est une très belle femme telle qu’elle est.

Elle nous a gratifiées de deux bises chacune avant de s’installer à notre table, jetant sur la banquette de cuir rouge le gros sac de sport qu’elle avait à l’épaule pour appeler le serveur d’un bras levé. Elle a commandé du thé vert comme les fois précédentes.
— Tu m’as amené tes travaux d’écriture ?
Elle s’est plongée sans tarder dans la lecture des feuillets que je lui ai tendus.
Elle se mordait la lèvre inférieure pour retenir son rire et jetait de brefs coups d’œil vers moi en secouant ses boucles brunes.
— Je suis aussi grossière que ça ? Vraiment ?
Elle a replié les feuillets et les a remis dans l’enveloppe qu’elle a repoussée vers moi. Elle souriait.
— Ce sera sans doute le dernier épisode aujourd’hui, si tu veux bien. Ensuite, ce sera à moi de vous écouter, tes amies ou toi, d’accord ?
Elle s’est appuyée des deux coudes à la table pour boire le thé auquel elle n’avait pas encore touché, puis a écarté sa tasse et la théière, faisant place nette devant elle avant de lever les yeux vers moi :
— Il s’est passé beaucoup de choses depuis la dernière fois …

« Je ne sais pas pourquoi. Avoir revu Frédéric et n’avoir rien ressenti pour lui, vous avoir parlé de moi, bouger, je ne sais pas, un peu tout, sans doute, mais je me retrouve ! Je suis bien dans ma peau, bien dans ma vie !
Ça se voit ? J’avais l’air larguée, la première fois ? Je l’étais un peu.
C’est assez bizarre de raconter des choses aussi intimes à des inconnues.
Et finalement, c’était plus facile la première fois qu’aujourd’hui ! tu n’es plus une inconnue !
Frédéric, c’était une erreur. Une erreur qui a duré deux ans. C’est pas sa faute, il n’a pas changé, lui. Avec le recul, je vois bien maintenant qu’il a toujours été tel qu’il était à la fin quand je ne le supportais plus.
Avant lui, quand je sortais avec des garçons, c’était pour le fun, pour le plaisir d’une peau contre la mienne, ou parce qu’ils me faisaient marrer ou qu’on faisait des choses ensemble. Ça durait jamais très longtemps.
Après la fac, j’ai trouvé du boulot tout de suite, et je me suis mis dans la tête de devenir adulte. Quelle connerie ! Devenir adulte ! Du conformisme idiot. J’avais du boulot, alors il me fallait un homme, une maison, des s, une voiture, pourquoi pas un chien, être sage, rangée, raisonnable. Que des trucs chiants, quoi !
J’ai mis deux ans à voir que je m’emmerdais. Que c’était pas moi.
Le pire, c’est que je ne m’en rendais pas compte, juste je m’éteignais tout doucement.
Il choisissait les meubles, il décidait de nos sorties, il éloignait mes amies, en douceur, et j’adoptais les siens.
Sans m’en rendre compte, j’essayais de devenir ce qu’il attendait de moi.
Je ne sais même pas quand ça a changé. Pas d’évènement particulier. L’accumulation de petites choses qui a rendu le quotidien trop lourd. Je sais pas.
Une chose à laquelle j’ai réfléchi récemment, c’est pourquoi je l’avais choisi, lui.
Si je me souviens bien, il a mis un moment à me mettre dans son lit. Et c’est pas moi qui le freinais ! La première fois, c’était un beau ratage ! Pas bien mieux les suivantes d’ailleurs … Il a la baise triste, besogneuse.
Vous êtes déjà tombées sur des mecs pareils, vous aussi ?
Il baise méthodique, sans fantaisie, comme si le plaisir qu’il y prend était accessoire ! Une pure fonction physiologique ! Ou une manière de s’affirmer, je sais pas, de s’affirmer comme un mâle dominant ! Le pouvoir qu’ils ont sur les nanas qu’ils baisent, ça les rassure, faut croire !
Donc, c’est pas ça qui m’a retenue.

Comme je voulais ressembler à l’image que je me faisais d’une femme, j’ai dû me dire que ça faisait partie du package.
C’était déjà très con de vouloir me fondre dans un moule imaginé de femme faite, de sagesse, que j’ai accepté comme normal que la tristesse aille avec !
Non mais ! Qui m’a foutu des idées pareilles dans le crâne ? Peut-être ma mère … Je l’ai toujours trouvé coincée et ça m’a toujours fait rigoler. Un qui a pas dû rigoler souvent, c’est mon père !
Tu te rends compte ? Je me suis choisi un mec chiant parce que je croyais que grandir et vieillir c’est chiant !
Bon, je dis pas que des soirées à jouer au poker avec des amis et finir à poil le nez entre les cuisses d’une copine est un truc normal qui devrait être pratiqué par tous les couples, peut-être pas ! Mais au moins c’est marrant ! Parce que côté marrant, les soirées bridge avec ses copains à lui, pas très fun !
Frédéric, quand il voulait faire l’amour, le plus souvent, il me demandait la permission ! T’y crois, à ça ? Au début je trouvais ça un peu gênant, et puis c’est devenu … poli ? T’imagine ? Attendez, je vous le fais !
« Chérie, quand tu auras fini d’essuyer la vaisselle, voudras-tu que nous commettions l’acte ? »
« Si tu le souhaites, amour ».
J’en fais trop, ouais ! J’ ! Mais c’est l’idée.
Pas une seule fois on n’a baisé la lumière allumée ou en pleine journée ! Physiquement il était beau mec, pourtant. Ou alors c’est moi ! Il voulait pas me voir !
Au début, il culpabilisait parce qu’il me faisait pas jouir en faisant l’amour. Cet andouille, il m’aurait caressée avant, ou pendant ! Mais non ! Alors je faisais moi, et il était vexé ! J’aurais pu lui expliquer, lui dire ce que j’attendais ! Ben non ! Rien.
Heureusement que j’avais des mains, parce que sinon, je pouvais me brosser ! J’attendais qu’il parte au boulot, et d’avoir le lit pour moi toute seule. Pour le coup, mes copines me manquaient ! Mais ça se fait pas, pas une dame !
Qu’est-ce que j’ai pu être conne !

J’ai revu José, la semaine dernière.
Je lui ai un peu raconté. Il rigolait.
Je vous avais dit que je le rappellerai. Je l’ai fait. Parce que j’avais envie d’être dans ses bras. Et puis pour … pour être fixée. Les filles, les mecs.
Je vous dirai après. Encore une question idiote. Résolue.
J’ai eu des scrupules avant de l’appeler, parce qu’il est marié. Et j’ai décidé que c’était son problème et pas le mien. C’est dégueulasse pour sa femme, non ? Il m’a un peu parlé d’elle. Je lui avais parlé de Frédéric, il a dû se sentir obligé.
Je suis pas sûre de vouloir le revoir. Ou alors … je vous dirai !
C’était super ! Toujours aussi attentif, caressant, surprenant … dans un lit tout va bien ! Mais c’est comme le chocolat : c’est pas parce qu’on aime ça qu’il faut en manger tout le temps ! Et puis, il y a des trucs, il faudrait pas que ce soit tous les jours. Cette fois aussi, il m’a … prise par derrière.
Voyez, je deviens polie, je choisis mes mots, pas être trop grossière. T’écris tout, alors je fais gaffe !
Et puis merde, les mots, ça change rien au fait : il m’a enculée.
Confirmation : j’aime bien. Eva avait déjà joué avec mes fesses et un gode une fois ou deux, mais j’avais trouvé ça moyen, et j’avais jamais laissé un garçon s’aventurer par là avant José. C’est pas tant que je trouve ça déplacé ou humiliant, du tout, mais, une crainte, de salissure, ça me bloquait un peu.
Il a su s’y prendre, c’était bien. Mais après, pendant une bonne journée, je ressentais une gêne, comme un brûlure.
Question d’entraînement ? C’est pareil, pour vous ?
Je me suis acheté une crème, pour adoucir. Quand j’ai expliqué à la pharmacienne ce que je voulais et pourquoi, je vous dis pas le fou-rire !

Apparemment, mes petits soucis vous amusent, vous aussi ! Vous moquez pas ! Christelle aussi, ça l’a fait rigoler ! Et elle rougissait en même temps ! Ce foutu respect des convenances ! Ces choses qui existent, mais dont il ne faut pas parler ! Comme si c’était honteux !
Tout doit rester caché. Le sexe, c’est tabou, motus et bouche cousue. Ils nous ont quand même bien dressés tous les curés d’hier et d’aujourd’hui !
Après, j’ai bien compris que si elle rougissait, Christelle, c’est qu’elle avait les mêmes problèmes que moi. Son mari aime bien les chemins détournés lui aussi. Et elle a fini par me dire qu’elle aimait pas trop, mais qu’elle le laissait faire, pour lui faire plaisir, et que pour éviter les mêmes désagréments que moi elle utilisait du gel lubrifiant qu’elle achetait en grande surface.
C’est marrant tous ces trucs qu’on se dit pas, les secrets d’alcôves.
D’un autre côté si on se disait tout, ça perdrait tout intérêt.

Elle me faisait rire, Christelle. Je voyais bien que le peu que je lui avais dit sur Sandra la titillait. Ça la travaillait. Elle faisait des efforts pour le cacher, mais je me rendais bien compte de petites choses, qu’un peu de nouveauté, un peu de piquant, lui plairait assez. Des regards, des gestes retenus, des conversations qui glissaient un peu, l’air de rien, sur le sujet.
Je vous ai déjà raconté comment elle me provoquait gentiment avec Ninon. Un jour, je lui ai dit qu’elle n’avait qu’à l’aborder, elle, si elle l’intéressait tellement. Elle rougissait et baissait les yeux : « oh non, pas elle … ». Vous auriez compris quoi, vous ? Moi j’ai compris qu’elle était mûre pour que je la serre de plus près.
Une fois, après les cours de danse, je me suis dépêchée de partir vers la douche avant qu’elle ne soit prête. La fois suivante, j’ai traîné un peu, pour voir. Elle tournait, virait, rangeait un truc dans son sac. Et cette manière qu’elle avait de ne pas croiser mon regard ! Son attitude me rappelait les parades d’approche assez maladroites du temps où j’étais ado.
Moi, j’avais jamais rien fait pour l’attirer, et puis je vous l’ai dit, je crois, je ne ressentais pas d’attrait particulier pour elle. En plus, comme on discutait pas mal, je savais qu’elle était plutôt heureuse en ménage.
En fait, elle avait envie de tremper son doigt dans le pot de confiture, en cachette, pour voir le goût que ça a, et le pot de confiture, c’était moi !
« T’es prête ? On y va ? ».
Elle a eu un sourire fugitif, vite réprimé. Elle avait des questions plein les yeux. Etonnant comme on voit beaucoup de choses à condition de regarder les gens.
On fait pas assez attention les uns aux autres.
Je suis partie devant, sans l’attendre. On avait tellement traîné qu’il n’y avait pas d’attente et que plusieurs cabines étaient libres. J’ai poussé une porte et je me suis retournée. Une gamine. Elle avait l’air d’une gamine, tout gênée d’elle-même, tripotant sa serviette et son gel douche de ses deux mains croisées sur son ventre.
« Tu me frottes le dos ? ».
Elle s’est glissée entre moi et la porte que je tenais ouverte en l’attendant.
Je ne savais pas trop ce qui se passerait. J’étais prête à l’aider, l’encourager un peu. Je vous ai dit qu’elle ne m’attirait pas, c’est vrai, mais elle était tellement touchante !
Eh ! Faites pas cette tête ! C’était pas de la pitié ou une connerie comme ça, ou un jeu pervers ! Non, vraiment je la trouvais touchante.
Vous avez jamais ressenti ça ? Des picotements sur la peau, comme une chair de poule, une indécision mêlée d’envie, un frisson brusque, et cette attente pleine de questions ? C’est bon, hein ?
Elle savait pas quoi faire. Elle a mis deux plombes à accrocher sa serviette et à mettre ses sous-vêtements de rechange à l’abri des projections d’eau. J’avais presque fini de me savonner quand elle a arrêté de tourner en rond. Je l’ai prise par la main pour l’attirer sous la pomme de douche et je lui ai savonné les épaules, savonné les seins aussi pendant qu’elle se lavait les cheveux bras levés au-dessus de sa tête et les yeux fermés.
J’étais pas brusque, pas vraiment, mais j’essayais de ne pas être trop caressante non plus. Je ne sais plus si c’est moi qui l’ai attirée ou si c’est elle qui s’est reculée vers moi, mais on s’est retrouvées l’une contre l’autre, ses fesses contre mes cuisses.
Je vous raconte pas la scène en détail par perversité, c’est pour vous dire que c’était calme, en retenue, juste un moment super agréable, pour toutes les deux.
J’ai savonné son ventre aussi, et le haut des cuisses. Elle, n’en finissait pas de se laver les cheveux. Je la sentais trembler contre moi. Elle me laissait faire, moi, en attente de moi, sans oser le moindre geste.
Et puis j’en avais envie, vraiment, alors j’ai posé ma main sur son sexe, effleurant le sillon entre ses lèvres du bout d’un doigt. Elle a rejeté sa tête en arrière pour l’appuyer contre mon cou et a baissé les bras, posé une main sur la mienne sur son sexe, pour la garder là.
Je vous dirai pas. Mais c’était tout doux. C’était bien. Elle, elle a pas osé. Elle avait un très doux sourire quand elle s’est retournée pour se mettre sur la pointe des pieds et me poser un baiser sur les lèvres.
On n’a rien dit, ni l’une ni l’autre. Pas un mot jusqu’à notre retour devant nos casiers.
Juste avant de partir, elle était prête avant moi et m’attendait, elle m’a montré Ninon qui s’en allait.
« C’est avec elle que tu devrais prendre ta douche, elle attend que ça, elle te mange des yeux ».
Elle riait.
C’était un mardi. On va ensemble au club le mardi et le jeudi.
J’y suis aussi allée quelque fois le samedi pour faire un peu de musculation et de tapis. J’ai un forfait, j’y vais aussi souvent que je veux. Je reprends goût à tout ce que j’avais laissé de côté depuis trop longtemps. Ça m’occupe, et j’aime ça.

Je me souviens que c’était le mardi qu’on s’est un peu frottées l’une à l’autre à cause de ce qui s’est passé deux jours plus tard et le week-end.

Le lendemain, Christelle avait la mine un peu chiffonnée. Elle m’a pris à part quand on s’est retrouvées à la pause devant la machine à café. Elle était toute excitée. Elle m’a raconté sa nuit agitée avec son mari ! Et elle m’a dit que c’était à cause de moi ! Si j’avais été inquiète de l’effet de nos débordements de la veille sous la douche, elle m’aurait pleinement rassurée.
Je vous passe les détails de ce qu’elle m’a raconté. C’est son histoire, pas la mienne. Si vous voulez, un jour, je vous l’amènerai, vous vous arrangerez avec elle !

Le jeudi soir, on n’a pas fait douche commune. Elle se dépêchait, semblait pressée de partir. Et arrivées dans le hall, elle n’était plus pressée du tout, regardait la programmation des cours, les affiches de petites annonces sur le tableau mural. Elle traînait. Et puis Ninon est sortie du vestiaire à son tour et Christelle s’est précipitée vers elle. Elles ont discuté un bref instant avant de me rejoindre.
« On va boire un verre, viens ! »
Pendant que Ninon rangeait son sac dans sa voiture sur le parking du club, j’ai demandé à Christelle à quoi elle jouait.
« Te fâche pas … » j’étais un peu agacée, je devais pas avoir l’air aimable « … tu fais gaffe à rien, toi, donne-lui sa chance ».
C’est Christelle qui a fait la conversation. Elle me donnait des coups de genoux sous la table.
A force de questions, Christelle a fini par nous faire parler. Elle jubilait littéralement quand on s’est aperçues qu’on jouait toutes les deux au tennis, et pas si mal, qu’on s’intéressait aux mêmes livres, qu’on aimait bien les mêmes humoristes et qu’on avait pensé à réserver pour aller les voir en spectacle, et le pompon, qu’on irait toutes les deux cet été sur les plages des Landes où on aimait bronzer nues loin de la foule.
Et puis elle nous a plantées là, prétextant que son mari allait s’inquiéter, qu’elle n’avait pas le temps de dîner avec nous.
Jamais on n’avait parlé de dîner ensemble !
On s’est retrouvées toutes les deux face-à-face, un peu étonnées de ce qui venait de se passer, un peu empruntées.
Après un silence gêné, Ninon la première a repris timidement la discussion au point où Christelle l’avait interrompue en me demandant où j’allais en vacances.
J’avais la sale impression d’avoir été manipulée par Christelle. De quoi elle se mêlait, après tout ? Une chose était évidente, c’est que Ninon n’y était pour rien, et je me rendais bien compte que c’était assez injuste de lui faire subir ma mauvaise humeur.
J’avais du mal à me concentrer sur ce qu’elle disait, et je l’ai interrompue. Je ne sais plus ce qu’elle était en train de dire à ce moment-là. J’ai vidé mon sac. Que Christelle était persuadée qu’elle s’intéressait à moi, que c’était un coup monté pour nous faire rencontrer, que je lui en voulais.
Je ne me souviens plus de tout ce que j’ai dit. Je sais que j’étais en colère, et que la colère enflait au fur et à mesure que je parlais.
Ninon se recroquevillait petit à petit sur la banquette, et une grosse larme a coulé sur sa joue.
Je vous ai dit toute à l’heure qu’on regardait pas assez les autres … Il a fallu cette larme pour que je la regarde vraiment.
J’étais trop gênée et en colère pour l’avoir regardée depuis qu’on s’était assises face-à-face.
Je crois d’ailleurs que je ne l’avais jamais bien regardée.
On avait plaisanté avec Christelle de l’attention que lui portaient les culturistes du club, j’avais guetté son déshabillage pour surprendre le détail de son anatomie qui nous intriguait et nous amusait, j’avais regardé ses fesses pendant qu’on attendait une douche. Mais elle, je ne l’avais jamais vraiment regardée.
Et je la faisais pleurer en déversant sur elle ma colère alors qu’elle n’y était pour rien.
Si elle avait su le genre d’attention que je lui avais portée jusque-là, c’est elle qui aurait eu de bonnes raisons d’être en colère.
Je me suis tue. Brusquement consciente de l’injustice de mon comportement.
Et je l’ai regardée, enfin. Tout arrive.

C’était le jeudi soir.

Je me suis excusée. Un peu tard. Elle cachait ses yeux gros de larmes, détournait le regard.
Tout ce que je vous ai raconté, depuis le premier jour, je lui ai raconté aussi. En plus court, j’abrégeai.
Vous aviez ri à mes histoires, je voulais la faire rire aussi. Effacer les larmes de ses yeux. La faire rire à mes dépens. Effacer les mots de colère que j’avais déversés sur elle. Je n’ai rien caché. Presque rien. Un peu tout de même, je ne lui ai rien dit de comment je la guettais dans le vestiaire.
J’ai parlé de Frédéric, de Sandra, de mes copines de fac, de José.
De Christelle aussi.
Elle, ne disait rien.
Je guettais ses sourires. J’ai pas dû être très bonne. C’est son rire que je voulais. Je n’ai pas su.
On s’est quittées sur le trottoir.
Je lui ai dit que j’irai sans doute au club le samedi, lui décrochant un « peut-être » et un petit sourire timide.

Le lendemain, je me suis engueulée avec Christelle.
Elle écoutait sans répondre, sans baisser les yeux.
« T’as fini ? ». Elle s’est accrochée à mon bras et m’a fait une bise sur les lèvres avant de tourner les talons.
Je suis restée comme une imbécile devant la machine à café, toute rouge de voir les sourcils levés de mes collègues de bureau.
Elle est venue me chercher à midi pour déjeuner avec moi.
Elle a parlé de ses gosses et de leurs bêtises, du salon qu’elle allait acheter et du crédit qu’elle devrait prendre.
Juste avant de retourner au bureau, elle m’a dit qu’elle aimerait bien que je lui savonne le dos une autre fois. D’une petite voix. Sans me regarder. En pressant ma main sur la table.

Je suis allée au club de gym le samedi. Nerveuse. Inquiète. Etonnée de la boule qui me serrait le ventre. Etonnée de mon soulagement et de la bouffée de chaleur en voyant Ninon courir sur un tapis de jogging en entrant dans la salle.
Elle ne m’avait pas vue. Elle courait. Les écouteurs d’un MP3 aux oreilles.
Je l’ai regardée courir, me déplaçant d’une machine à l’autre sans la quitter des yeux.
J’ai attendu qu’elle s’arrête enfin pour m’approcher et je lui ai pris sa serviette de toilette des mains pour essuyer la transpiration sur son visage et son cou.
Je l’ai raccompagnée vers le vestiaire. On n’avait pas prononcé un mot.

Elle a tendu la main vers moi pour récupérer sa serviette, mais au lieu de la prendre, elle s’est approchée et m’a attirée d’une main dans mon cou.
Le plus beau baiser de toute ma vie.
Je vous ai pas dit avant. C’est très rare que j’embrasse. C’est pas que j’aime pas, au contraire. Mais c’est très intime un baiser. Ça dit beaucoup un baiser. Je vous parais peut-être idiote après tout ce que je vous ai raconté. Mais un baiser, c’est … »

— Voilà, il faudra vous contenter de ça. Je vais m’arrêter là. Fini. Je suis désolée pour toi, Misa, parce que cette histoire est finie et qu’elle n’a pas vraiment de fin. Fais-en ce que tu veux. Je reviendrais un de ces jours, j’espère que tu me feras lire ce que tu as écrit. Là, il faut que je vous laisse. Une partie de tennis.

Elle a repris son gros sac de sport sur la banquette et nous a quittées sur un sourire.
Elle s’est arrêtée à deux tables de la nôtre et a tendu la main à une jeune-fille qui s’est levée. Elle aussi avait un sac de sport à l’épaule. Elle lui souriait, a passé un bras autour de sa taille en lui chuchotant quelques mots, l’a poussée devant elle vers la sortie du café.
Hélène s’est arrêtée à mi-chemin de la sortie, s’est penchée à son tour vers son amie pour quelques mots en lui tendant son sac.
Elle est revenue vers nous, s’est assise à nouveau à notre table,

— Je crois que je peux quand même t’aider pour ton histoire. Il y a encore une chose que je peux te dire. Il y a trois semaines, Ninon s’est fait poser un piercing. Ne dis rien, je suis d’accord d’avance, c’est une connerie. Mais elle l’a faite. Ça s’est un peu infecté, c’était gonflé, et elle devait mettre un pansement pour éviter de tâcher ses slips. Mais ça va mieux. C’est guéri. Alors j’espère que tes lecteurs fantasmeront pas trop sur le présumé gros clito ! Et aussi. Je lui ai parlé de José. Elle est pas contre. Ciao ! et surtout n’écrit pas « fin » au bout de ton histoire, ça fait que commencer !


La jeune-fille à son bras était bien jolie … très jolie, cette Ninon …

… et je suis son conseil, je m’arrête là, mais en pensant à elles, je n’écris pas le mot « fin »…

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