Petite Fleur

Petite fleur
Misa - (03/2013)

Un soir Jpj a dit « Sydney Bechet ».
J’ai pensé « Petite fleur ».
Je peux vous la montrer ? Regardez …

Un nénuphar dans un poumon ? Quel effet ça fait une fleur qui pousse là ? Floriane
glisse un doigt entre deux pages de ‘L’écume des jours‘, compagnon de voyage en
autorail, s’appuie du front à la vitre froide, laisse le vent balayer ses épais
cheveux blonds libérés de la barrette de nacre dont elle joue sur ses lèvres, regard
perdu sur le paysage qui défile.
Pour un bout de l’été de ses quinze ans, elle vient passer deux semaines chez sa
tante, lecture, tennis et piscine sont au programme.

Elle vide sur le lit la valise gonflée. Petites robes à fleurs et dessous blancs, sa
jupette de tennis et les t-shirts colorés, chaussures rougies de terre battue dans un
sachet de plastique, maillot de bain une pièce pour la piscine et des livres : ce sera
Vian cet été et cet autre lui qui se disait Sullivan.
Sa tante range à mesure dans la grande armoire, s’arrête un instant en haussant les
sourcils ; elle se souvient l’an dernier des culottes ‘Petit-bateau’ et des
brassières, sourit à la légèreté vaporeuse signée ‘Dim’, au 85-C sur une étiquette,
c’est vrai qu’elle l’a trouvée changée. Elle s’amuse des joues rosies et des lèvres
mordues de Floriane et glisse en riant sous le grand oreiller ‘J’irai cracher sur vos
tombes’, « c’est bien pour tes nuits ? », se souvenant qu’à quinze ans, elle non plus
n’avait pas que des rêves d’.
Sa nièce a cet air de santé innocente qu’ont les filles à cet âge, la fraîcheur
naturelle et le teint doré de soleil, encore aux joues un peu des rondeurs de
l’enfance, et déjà aussi les rondeurs d’une femme.

Ils s’appellent Alexis, Marc et Julien, deux frères, un ami, Noémie l’amie d’un des
frères.

Au premier jour de vacances de Floriane, ils sont sur un banc sous la tonnelle
de vigne vierge qui borde le cours et la regardent jouer, commentent et rient. Sa
tante a compris l’intérêt des garçons a un peu hésité et puis a pensé « plus tard, je
lui dirai plus tard ». Floriane saute en frappant un coup-droit, se fend au filet,
pivote pour asséner un revers lifté exécuté à deux mains, et la jupette s’envole,
s’enroule sur la taille, expose les petits dessous blancs si légers gentiment déplacés
par ses courses.

Julien lui a demandé si elle voulait bien jouer le lendemain avec lui. Floriane aurait
préféré que ce soit Alexis mais a accepté, encouragée par sa tante. Ils étaient tous
accoudés au comptoir du clubhouse quand elles sont sorties des vestiaires, et se sont
invités pour les accompagner à la piscine réservée aux membres du club.

Sa tante s’est promis : elles iraient faire des courses demain. Elle lui offrirait un
petit short blanc à porter sous sa jupette, aussi un maillot de bain, offrant moins de
transparence au sortir de l’eau que celui qu’elle portait ce tantôt, qui forçait les
garçons à n’offrir au soleil que leur dos, qui faisait rire Noémie.

Ils vont toujours par quatre, se partagent son temps, subissent sa loi sur les courts
l’un puis l’autre, se disputent une place près d’elle autour du bassin entre deux
bains. Floriane s’amuse et sa tante s’inquiète de la voir ne rien voir de leurs
attentions.
Elle se trompe.
Ce garçon grand et blond, au sourire discret, la voix calme et de si belles mains,
elle se dit qu’elle aimerait qu’il la prenne par la taille, et le soir dans son lit
elle rêve plus loin, qu’il pourrait être celui qui l’embrasserait et après, après elle
enlèverait de son nez les lunettes d’écailles qui le font si sérieux, déposerait à
côté, ils seraient assortis, la pince qui retient ses cheveux, pour attendre, attendre
d’être un peu décoiffée, attendre mais pas trop, elle saurait profiter de l’été.


Le dernier soir de la première semaine, elle est invitée, une soirée, une nuit, des
amis, ils danseront sans doute, alors elle demande à sa tante si elle peut y aller, et
avant sa réponse demande aussi quelle robe elle mettrait, la petite bleue à l’encolure
carrée et aux manches bouffantes ou bien celle à petites fleurs, qui s’évase sous un
ruban sous les seins et qui vole si bien ? Sa tante ne dit pas qu’elle les trouve bien
courtes toutes les deux mais profite du moment et demande en riant si elle pourrait
fâcher un petit-ami laissé derrière elle. Le haussement d’épaules qui balaie la
question , « personne derrière moi » ne la rassure pas du tout, surtout que Floriane
ajoute regard dans le vague qu’Alexis, celui qui a dix-huit ans, est bien gentil et a
de si belles mains.

Sa tante a dit oui, elle pourra danser, et a ajouté « Tu sais, les garçons … », elle
parlait, parlait, et Floriane blottie sous son bras dans la balancelle et la fraîcheur
du soir, écoutait ? juste un peu, pensait « celle avec le ruban, avec mes ballerines
blanches … et la pince en écaille », bercée par de musique des mots de sa tante, sans
trop les entendre.
Que peuvent des mots quand les filles se mettent à rêver ?

« Sidney Bechet » ? j’ai pensé « Petite fleur » j’ai commencé par :

A peine cueillie
Si vite flétrie,
Petite fleur sauvage
Pas assez sage,
Tu rêvais, un mirage,
Petit fleur sauvage,
Un amour une nuit
Et l’oubli.

Je vous ai montré Floriane. Vous n’avez d’elle que quelques images, et déjà de ces
premiers mots posés je vous donne la fin de l’histoire ? Croyez-vous ?
Mais vous savez vous aussi : peu importe où on va, c’est le voyage qui compte !
Alors voyageons … quelques images encore … vous venez ?

Que peuvent des mots quand les filles se mettent à rêver ? Déjà faudrait-il savoir à
quoi rêvent les filles …
Les filles je ne sais pas, mais Floriane un peu mieux.
Fille fleur, Floriane a des
buts, Floriane se prépare. Elle sait ce qu’elle veut et comment l’obtenir, elle se
veut fille femme.
Alors regardons, regardons un peu …

Alexis, Marc et Julien, et d’autres, une quinzaine, Noémie devenue son amie qui
fricote avec Marc, deux autres de son âge qu’elle a déjà croisées, d’autres encore
qu’elle ne connaît pas. Sa tante la dépose, reste un peu, parle aux parents de celui
qui reçoit, contourne avec eux la haie, descend les marches, voit la tonnelle tout en
bas du jardin, adossée à la grange où dormiront les jeunes, la terrasse de pierres
plates et la piscine, des lumières, une sono, des fauteuils ; « nous sommes là, pas
très loin » ; elle part en retenant « sois sage », et c’est Floriane qui l’embrasse en
disant « t’inquiète pas ».

Les garçons discutent, les filles dansent, Floriane avec elles. Elles rient d’un pas
de Madison essayé, d’un rock entre filles où elles se disputent pour savoir qui mène,
d’une main qui glisse sur celle d’un garçon qu’on essaie d’entraîner. Ils éteignent la
guirlande qui festonne la tonnelle quand une fille met un slow pour obliger les
garçons à bouger, et c’est Julien le premier qui avance vers elle. Six filles huit
garçons, un qui choisit la musique, Alexis au bord de la piste regarde, se joint à la
ronde quand tous dansent en se tenant aux épaules et chantent leur « Cœur grenadine
».
Elle tenait Julien juste avant des deux mains aux épaules, et quand Alexis l’invite
elle glisse un bras sous le sien, elle lève le visage et sourit de la chemise mouillée
sous sa main dans le dos : « t’as chaud », « toi aussi ». Elle frissonne du doigt qui
suit la ligne de l’épaule et remonte dans son cou, lève une main pour défaire la pince
d’écaille qui retient ses cheveux qui retombent sur la main, appuie sa joue à l’épaule
du garçon, glisse sa pince dans la poche d’Alexis et l’enferme de ses bras.
A Noémie
serrée contre Marc qui sourit et fait un clin d’œil, qui tend une main pour effleurer
son bras « ça va ? », elle fait « oui » de la tête et ferme les yeux à la caresse de
la main dans son cou, serre ses bras plus fort et ses seins contre lui.

Elle, sait déjà ce que lui ne sait pas, pas encore. Pas vraiment réfléchi, juste là,
évident depuis quelques jours, ressenti, le picotement de ses joues et la brûlure qui
vient, ses seins qui durcissent et la douce tension de son ventre quand elle est près
de lui. Plusieurs nuits elle s’est dit « s’il me touche je fonds, ce pourrait être lui
», et fondait sous ses mains à rêver des siennes au creux d’elle.
La musique est moins forte, il est tard, deux sont partis et quelques-uns sont déjà
couchés à l’étage de la grange, sur les matelas alignés à même le plancher. Il ne
reste bientôt plus que Marc et Noémie, Julien, Floriane et Alexis qui à la fin d’une
danse a gardé un bras sur ses hanches, a écarté une mèche collée pour un baiser sur le
front, si sérieux. Elle prend sa main, la porte à sa joue les doigts noués aux siens,
se retourne et s’appuie de son dos contre lui en tenant la main sous ses seins.

Julien propose un bain de minuit. Noémie, Floriane, sourires entendus échangés entre
filles, se lèvent et main dans la main s’en vont dans la nuit un peu à l’écart au
bord du bassin, sans un mot aux garçons qui les suivent des yeux. Elles se
déshabillent, font voler les robes au-dessus de leurs têtes, ombres esquissées à la
lueur des étoiles et d’une lune cachée par les peupliers qui joue de reflets d’argent
sur le corps des filles, hésitent à peine et enlèvent leurs culottes en riant,
s’approchent de la margelle et se laissent doucement glisser, s’accoudent des deux
bras et regardent les garçons qui n’ont pas encore bougé.
Alexis fait lentement le tour du bassin et étend un drap de bain à côté des robes des
filles, plie la robe de Floriane et pose dessus la petite culotte blanche, se
déshabille à son tour et pose ses lunettes sur sa chemise, s’avance vers Floriane qui
ne l’a pas quitté des yeux un instant. Il se laisse glisser dans l’eau à son tour et
lui tend les deux mains, l’entraîne à sa suite vers l’autre côté du bassin où elle n’a
presque plus pied. Il se penche et embrasse ses lèvres, baiser léger, elle s’approche
plus près et lâche ses mains, passe les bras autour de son cou, lève le visage et
l’embrasse, goûte ses lèvres et sa bouche longtemps, puis échappe en éclats de rire
aux mains sur ses joues, aux mains sur ses hanches, aux éclaboussures.
Baisers et jeux, frôlements dans l’eau, les autres qu’on rejoint et les rires, il y a
trop de mains sur la peau dans la nuit sous l’eau et Noémie la première s’enfuit,
s’enroule dans un drap de bain qu’elle ouvre bientôt pour accueillir Marc, l’entraîne
dans l’ombre vers les peupliers sous les quolibets de Julien assis seul de l’autre
côté du bassin.
Floriane joue avec Alexis, s’écarte, revient, effleure sa hanche d’une main. Elle se
redresse contre lui et offre sa bouche, ferme les yeux au désir du garçon sur son
ventre, au baiser et aux mains sur ses joues qui écartent les mèches mouillées de son
front. Elle rit du baiser et des mains sur ses hanches qui l’attirent, des lèvres sur
les siennes qu’elle sent s’étirer d’un sourire quand elle se pend à son cou et referme
ses cuisses sur la taille du garçon qui la porte jusqu’au bord, la soulève et l’assoit
sur la pierre, embrasse ses seins et son ventre.
Elle s’allonge sur les dalles tièdes et s’étire, s’offre à la douceur du baiser au
creux de ses cuisses les yeux dans les étoiles. Elle sait qu’elle aura cette nuit ce
qu’elle attendait et sourit en plongeant ses doigts dans les boucles mouillées
d’Alexis, pour le tenir là à goûter son miel. C’est le premier plaisir qu’elle a d’un
autre qui vient qu’elle assourdit d’un poing pressé à sa bouche.

Et parfois le voyage nous mène sur des chemins inattendus …

Elle sait Noémie et Marc à s’aimer dans le noir et jouit autant de la bouche au creux
de ses cuisses que de l’impudeur à s’offrir si près d’eux, à sentir la main qui prend
la sienne et croise ses doigts aux siens, une autre qui caresse sa joue brûlante. Trop
de mains, tant de mains, qui décuplent la tension dans son ventre qui s’ouvre au
baiser qui la fouille et donnent un nouvel élan à son cri étouffé de son poing dans
l’ombre de Julien.
Essoufflée de plaisir, aidée de Julien dans son dos, Floriane se redresse, devine le
grand sourire d’Alexis qui l’attire dans ses bras et trouve sur sa bouche son goût de
fille.

Il écarte pour elle les branches du saule, elle s’assoit près de lui, qui l’attend.
Ils n’ont pas échangés un mot. C’est trop tard ou trop tôt. Trop inattendu aussi, un
autre rêve que le sien, qui lui rougit les joues et l’enflamme. Elle pose sa main sur
la main qui redresse le sexe et épouse son rythme, écarte ses doigts pour laisser
glisser le bourrelet que la main déroule. Elle s’allonge et pose une main sur le torse
qui se penche sur elle, une main sur la hanche où une autre main l’attendait.
Il tremble en venant à elle entre ses cuisses levées, ne s’aperçoit pas de la
résistance brisée, ne voit pas la lèvre mordue, ne comprend pas le long soupir et le
souffle relâché. Elle caresse la joue et l’attire vers elle, embrasse la bouche
crispée qui s’ouvre et gémit quand il se tend plus profond en elle. D’une main sur sa
nuque elle le tient dans son cou et yeux écarquillés dans la nuit cherche les yeux de
celui dont l’ombre dans le dos d’Alexis donne la cadence à leur souffle et les mène à
son rythme. Elle sait l’instant du plaisir dans la chaleur de son ventre, plus tard à
la crispation des doigts croisés aux siens.

Elle savait qu’elle ne partagerait pas ce moment, et pourtant se sent comblée dans la
nuit de son premier été. Elle se voulait femme pour rêver autrement et plus loin.

Floriane a perdu sa petite fleur.
Elle a choisi et voulu, comme une étape pour après.

Vous vous souvenez ?

A peine cueillie
Si vite flétrie,
Petite fleur sauvage
Pas assez sage,
Tu rêvais, un mirage,
Petit fleur sauvage,
Un amour une nuit
Et l’oubli.

A quoi rêvent les filles ?
Les filles, je ne sais, mais Floriane un peu mieux.
Le voyage, au début, n’est pas celui qu’elle avait imaginé. Les voyages sont faits de
surprises.
Elle rêve d’un après, d’un ailleurs, qui sera différent.
Elle est prête à rêver plus loin et voyager encore.

Laissons-là, pour elle ce soir il est tard,
Souhaitons-lui bonne nuit et doux rêves.

Misa – 03/2013

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