Confession... Intime (1Ère Partie)

Sœur Isabelle a le cœur qui bat la chamade. Elle marche seule dans les couloirs du couvent. Elle a besoin de l'être, seule. Elle n'aura l'âme libérée et le cœur léger que lorsqu'elle se sera confiée. Il n'y a qu'une personne en particulier à qui elle peut parler. Personne d'autre ne la comprendrait. Elle en est sûre. Pire encore… Si on l'écoutait, on la jugerait. Ce n'est pas une certitude, certes. Mais connaissant les autres sœurs… Certaines d'entre elles n'en ayant la langue dans la poche… Il valait effectivement mieux qu'elle prenne rendez-vous avec le père Antoine pour une confession… Et là, le moment approche…

Sœur Isabelle s'efforce de garder la tête haute, le port altier. Elle a conscience que c'est un poids lourd qu'elle a envie de s'ôter de la poitrine en allant à confesse. Elle ne peut pas s'empêcher de penser… et de repenser à ce qu'elle va dire au père Antoine, comment elle va agencer sa confession… Elle ne peut pas s'empêcher d'anticiper ce qu'elle va ressentir sur le moment après coup…

Elle est confuse, en réalité, sœur Isabelle. Ce qu'il va se passer à l'issue de l'heure qui va venir aura probablement des incidences, des conséquences sur la suite de sa vie de religieuse au couvent. Et pourtant… Elle est pragmatique. Elle sait qu'il faut qu'elle parle, qu'elle exorcise son âme. Ce qui va être… compliqué, ce n'est pas tant d'avouer ses pensées… charnelles. Non… Le plus dur dans tout ça… C'est que l'objet de ses lubies… sera… de l'autre côté du confessionnal. Cependant, dans tout ça, il y a une donnée qui rentre en ligne de compte inconnue… et non des moindres. Quid du père Antoine?


Sœur Isabelle est ce que l'on appelle aujourd'hui une «femme mûre». Elle a une quarantaine d'années. Pour être tout à fait honnête, elle se rapproche lentement… mais sûrement de ses cinquante ans. Elle n'en reste pas moins une jolie femme, pourtant. Elle a les cheveux longs, d'un noir de jais ténébreux. De par le fait qu'elle soit devenue religieuse, elle porte une coiffe blanche et ça fait que l'on ne voit que très peu sa chevelure.

Du fait de ses racines méditerranéennes, ses formes et ses courbes sont pulpeuses. Mais cette générosité corporelle est, elle aussi, cachée par sa tunique noire. Au couvent, dans la religion, on rejette le corps, la sensualité, la chair, le sexe. On met, et de loin, l'accent sur la croyance en Dieu, la Bible, le chant, la chasteté, la générosité et la vie en communauté. L'accent est davantage mis sur la croyance. Ce qui n'est pas écrit dans la Bible n'a tout simplement pas lieu d'être. Les choses de l'amour et du sexe figurent en première ligne de tout ce qui n'est pas religieux. Les yeux de sœur Isabelle sont noisettes et son regard est sévère, austère. Elle est pieuse et elle met toute son énergie au profit de la communauté du couvent. Elle a de bonnes relations avec ses consœurs et le père Antoine. C’est une femme, une sœur respectée. Personne, hormis le père Antoine et les instances supérieures, ne connaît le passé de sœur Isabelle, ni les raisons pour lesquelles elle était ici.

Sœur Isabelle a décidé de devenir religieuse après que son mari soit décédé d’un cancer généralisé foudroyant, alors qu’il avait lui aussi la quarantaine. Ils n’avaient pas d’ et Pascal représentait é-nor-mé-ment pour elle. La perte soudaine de son mari a causé à Isabelle un chagrin inconsolable. Elle n’avait pas perdu uniquement son mari d’un seul coup. Pascal avait été à la fois son meilleur ami, son confident, son époux, son amant. Sa mort avait eu des conséquences inimaginables sur la vie de Isabelle. Ça l’avait détruite. Toute gaieté, toute flamme, toute espièglerie avait disparu. Tout ça, ça avait laissé la place à un cœur vide, une vie désormais dénuée de toute saveur. Sans Pascal, Isabelle ne se reconnaissait plus. Elle n’avait plus été que l’ombre d’elle-même. Elle savait cependant qu’elle serait incapable d’offrir à un autre homme le même amour passionné qu’elle avait donné à son feu mari. C’est pourquoi elle a décidé de devenir religieuse et d’offrir son temps et son énergie à la communauté, de se découvrir à Dieu, après un certain temps et grandes réflexions.
Ce fut au bout d’un processus d’un an qu’elle a rejoint le couvent Sainte-Marguerite.


Sœur Isabelle arpente les couloirs de ce couvent qu’elle connaît à présent à la perfection. Il n’y a plus une pièce, plus un couloir qui soient inconnus. Elle s’y sent comme un poisson dans l’eau. Elle se sait désormais à sa place. C’est le seul endroit sur Terre où elle se sent bien, où elle juge être utile. Bien que Dieu soit aujourd’hui son seul et unique amour, il lui arrive de temps en temps d’avoir des souvenirs de son passé, de ses années de mariage qui remontent à la surface. Le temps avance, bien sûr. La vie de sœur Isabelle a également évolué, changé. Mais la mort de Pascal reste une cicatrice qui ne se refermera jamais. C’est comme ça. Elle le savait. Et, qui plus est, à l’heure actuelle, personne au sein de la communauté des sœurs ne sait qu’elle s’apprête à se confesser. Ça va être la toute première fois. D’autant plus que la raison pour laquelle elle va le faire… c’est son grand secret. Malgré les souvenirs qui la lie encore à son mari décédé, son travail de deuil se fait petit à petit. Mais il se fait dans le plus grand secret. Personne n’a, ne doit savoir. Après tout, c’est personnel. C’est sa blessure, sa cicatrice à ELLE. Il n’y a qu’elle que ça regarde. Cependant, là, ce n’est pas ce qui la turlupine. Si elle va se confesser, c’est qu’il y a une bonne raison. Si elle avait eu l’esprit léger, elle aurait fait autre chose, à commencer par continuer de participer à la vie quotidienne de la communauté des sœurs. Alors que là… Elle se rend au confessionnal parce que ça ne peut plus tout simplement continuer comme ça. Ce n’est pas… bien! Le pire, c’est qu’elle va parler… à l’homme… qui occupe désormais ses pensées, son cœur…

Depuis qu’elle a intégré le couvent, sœur Isabelle n’est pas non plus un modèle parfait d’exemplarité, ce serait exagéré de la définir ainsi. Néanmoins, elle met son énergie, sa foi, son temps au service du couvent. Elle est ponctuelle pour la messe ainsi que pour les heures de prière.
Elle dévoue son âme et son cœur à Dieu. De plus, elle est généreuse et ça fait que son activité est appréciée par ses consœurs et par ses supérieurs. Pour résumer, à priori, tout va bien dans le meilleur des mondes. Il y a tout pour qu’elle sourit, pour qu’elle soit heureuse, n’est-ce pas? La vie, ce n’est pas le monde des Bisounours. Sœur Isabelle ne le sait que trop bien. Dans ce monde, depuis la nuit des temps, tout n’est pas tout beau, tout n’est pas tout rose. Et là, elle est au pied du mur. Mais voilà… Sœur Isabelle ne peut pas continuer comme ça. Ce n’est juste pas… plus possible. Si elle ne le fait pas, elle pourrait commettre… l’irréparable.

Elle ne pensait pas qu'un autre homme lui ferait tourner la tête, perdre la raison. Pendant des années et des années, son mari avait été le seul homme qui comptait pour elle. Pascal avait été là chaque jour. Dans son corps. Dans son cœur. Dans sa tête. La douleur avait été inimaginable quand elle avait appris que l'homme de sa vie avait fini par succomber au cancer dont il était atteint depuis quelques mois. Son état de santé s'était brusquement aggravé et il avait dû être hospitalisé. Malgré l'attention et les soins des aides-soignants, des internes et du cancérologue de l'unité, Pascal avait fermé les yeux pour toujours une nuit. Sœur Isabelle s'en souviendra pour toujours, de cette maudite nuit.

Vêtue de sa tunique noire et de sa coiffe, elle a chaud. Et ce n'est pas dû uniquement au fait que les jours sont beaux ces temps-ci et que le soleil est au rendez-vous. Le cœur de la religieuse bat à toute vitesse dans sa poitrine. Plus elle se rapproche de la pièce où le confessionnal a été disposé, plus elle appréhende. C'est un saut dans l'inconnu. Une sorte de saut de l'ange. Son cœur pulse intensément. Sœur Isabelle est comme une pile électrique. Elle sait que c'est bientôt l'heure et qu'elle n'a plus que quelques mètres à parcourir.

Un coup d’œil furtif à l'horloge située sur le mur, bien en évidence en hauteur… Là.
C'est l'heure. Comme à son habitude, elle est à l'heure. Juste avant de rentrer dans la salle du confessionnal, elle fait le signe de croix. Elle prend une longue inspiration. Et elle expire tout aussi longuement l'instant d'après. Voilà. Elle reprend le dessus. Elle tend la main droite vers la clenche de la porte. Celle-ci s'ouvre.



Sœur Isabelle s'efforce de garder son calme, malgré tout. Elle sait que ce n'est pas un moment agréable qu'elle s'apprête à vivre. Mais… voilà… Elle doit passer par-là. D'ici une heure, son esprit sera plus léger.

Elle connaît le père Antoine… Comme elle, c'est quelqu'un qui veille à ce que les choses soient bien réalisées. De plus, l'homme n'est JA-MAIS en retard. Et là, il n'y a pas un bruit dans la salle. Elle a beau vouloir rester calme, sœur Isabelle… Elle aurait quand même entendu du bruit, ne serait-ce qu'un son, histoire de lui signifier qu'il était là et que c'était l'heure de la confession… Là, pas un bruit. Ni une, ni deux, ponctuelle comme elle est, elle se résout à pénétrer dans le confessionnal. Elle rend la main droite vers la poignée de la porte du mobilier religieux. C'est… plus sombre, à l'intérieur. Là. Elle s'assied sur l'agenouilloir en bois en cèdre. 5… 4… 3… 2… 1… Ça va bientôt commencer…

Sœur Isabelle s'efforce à se détendre. Dans son esprit manichéen, il n'y aurait de pire si elle stressait, si elle bafouillait dès le début de sa confession. Or, il faut que son discours reste construit, fluide. Pour se changer les idées, elle observe le mobilier. La partie dans laquelle elle se trouve est exiguë. Avec un minimum d'imagination, le compartiment où le prêtre se placera a probablement les mêmes dimensions. Une fente, de petite taille et percée de petits trous, est sur la plaque qui sépare les deux côtés…

Un bruit extérieur la sort de ses pensées. Elle entendu une porte que l'on ouvre. Il n'y a pas de doute possible. Le père Antoine vient d'entrer à son tour dans l'isoloir.

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