Confession... Intime (2Ème Partie)

De nouveau, sœur Isabelle prend une longue inspiration. L’instant d’après, c’est tout aussi longuement qu’elle expire. Il est là, à présent. Elle ne peut désormais plus revenir en arrière. Ce ne sera pas un moment agréable. Elle le sait. De plus, ce n’est pas comme si rien ne changerait à l’issue de cette confession. Ce qu’elle va dire… avouer… aura une incidence sur la suite. Qui plus est, c’est la première fois qu’elle va ouvrir son cœur à un homme… autre que Pascal.
Un toussotement la sort brusquement de ses pensées intimes. Cette fois, c’est clair, net, précis: le père Antoine est bel et bien là. Sœur Isabelle inspire. Puis expire.
– Sœur Isabelle? Vous êtes là, ma sœur? Répondez-moi.
– Mon père. Je suis là. Veuillez m’excuser. Je…
– Vous, vous étiez en train de réfléchir… Toujours en train de penser… Vous ne pouvez donc pas vous en empêcher… Vous savez ce que j’en pense, ma sœur… Nous en avons déjà parlé… C’est vrai que c’est une qualité que j’apprécie chez vous.
– Je suis comme ça, mon père. J’ai toujours été ainsi.
– Et c’est bien, ma sœur. C’est une grande qualité. Vous êtes intelligente. Ça, et votre amour pour le Seigneur… Vous êtes sur la bonne voie. Si vous continuez ainsi, Il vous accueillera les bras grands ouverts au paradis.
– Vous en êtes complètement sûr, mon père? Je veux dire…
– Que voulez-vous dire au juste, sœur Isabelle? Doutez-vous de vous? Doutez-vous de vos qualités? Ou bien… doutez-vous de ce que je vous dis?
– Jamais je ne me permettrai de mettre votre parole… votre belle parole en doute, mon père. C’est juste que…
– Que…? N’ayez pas peur de dire tout haut ce que vous pensez tout bas. Nous… Vous êtes ici, là, pour ça, après tout.
Sœur Isabelle ne sait pas quoi penser… Le père Antoine a raison, il n’empêche. Si elle a pris rendez-vous avec lui pour une confession, c’est ment pour quelque chose! De plus, elle n’a jamais été du genre à faire perdre leur temps aux gens.

Par conséquent, il va falloir qu’elle rassemble son courage et qu’elle le prenne à deux mains. Sinon, elle fera perdre son temps au prêtre. C’est aussi simple que ça. Une fois encore, elle prend une grande inspiration. Tout de suite après, elle expire et l’air évacué vide sa poitrine. C’est une sensation étrange mais agréable qu’elle ressent instantanément. Ça lui fait du bien. C’est comme si elle venait de s’enlever un poids particulièrement lourd de la poitrine… et de l’esprit. Cette fois, elle est en mesure de remuer les lèvres… et de parler. De parler… et d’ouvrir les portes de son âme.
– Soeur Isabelle? Vous êtes toujours là? Répondez-moi.
– Mon père. Je suis toujours là. Rassurez-vous.
– Bien. Vous avez la parole, ma sœur. Confessez-vous.
– Mon père, voilà. J’ai intégré le couvent et la communauté des sœurs de Sainte-Marguerite il y a un an, après la mort de mon mari.
– Oui, ma sœur. Continuez. Exorcisez-vous de ce poids qui vous pèse.
– J’ai alors décidé de ne plus avoir que Dieu pour unique époux. De contribuer à rendre mon prochain heureux. Le reste n’a plus d’importance. J’offre à Dieu le même amour et la même dévotion que lorsque j’étais mariée à Pascal. Il n’y avait pas le moindre doute dans mon esprit.
– Que voulez-vous dire, ma sœur? Je ne comprends pas. Non. Je ne vois pas où vous voulez en venir. Continuez, alors, je vous prie.
– Mon père… À la mort de mon mari, j’étais perdue. D’un seul coup, mon repaire le plus important dans la vie disparaissait. Ça m’a complètement dévastée. Détruite. Je ne savais plus à quel saint me vouer, si j’ose. Oh… Mon Seigneur...
Elle lève les yeux au ciel, regarde le plafond du confessionnal et elle fait le signe de croix.
– Pardonnez-moi. On ne parle pas comme ça de vos saints, mon Seigneur…
– Du calme, ma sœur… Calmez-vous, sœur Isabelle! Vous n’avez rien dit de blessant et je suis persuadé que… sachant votre piété et votre dévotion.
Hmm… Le Seigneur ne vous en tiendra pas rigueur.
Sœur Isabelle reprend son souffle. Elle en a besoin. Elle qui s’est promise de rester digne et de garder son calme malgré tout l’enjeu que représente ce rendez-vous de confession… Du coup, se rappelant que respirer lui a fait du bien tout à l’heure, au moment où le prêtre est entré dans l’isoloir, elle prend une nouvelle longue inspiration. Et elle expire tout de suite après tout l’air qui remplit ses poumons. Là. C’est mieux, quand même. Elle se tient droite, au mieux. Là.
– Quand je suis entrée au couvent, au bout de l’année où vous m’avez rencontrée à de multiples reprises, où vous vous êtes fait une certaine idée de ma foi, de ma piété, de mon amour et ma dévotion pour notre Seigneur, j’ai tout de suite su que le couvent était le lieu où j’allais être le mieux, où je pourrais me sentir moi-même désormais. Et, dès les premiers jours, c’est ce qu’il s’est passé! Ni plus, ni moins! L’accueil et l’attitude des sœurs à mon égard… Votre bienveillance et votre respect envers moi, mon père… Non. Je n’aurais pas pu rêver de meilleur accueil. Ça a été ainsi que, malgré la perte de mon époux un an encore avant, malgré la douleur que je ressentais par-ci par-là, j’ai commencé à me sentir moi-même et que ma place, c’était désormais ici. À la communauté des sœurs du couvent Sainte-Marguerite. Et c’est vrai que les premiers jours, les premières semaines… je me suis sentie comme un poisson dans l’eau. Alors, oui… Ça a pu arriver que Pascal me revienne à l’esprit… Pascal ne disparaîtra JA-MAIS de ma mémoire. Nous avons été mariés vingt-et-un ans.. Mais j’étais désormais corps et âme ici. I-ci.
– Ma sœur… Je suis attentif à vos paroles. Je me souviens très bien de l’année où nous, les prêtres, les évêques, les abbés, l’archevêque, le cardinal… Nous vous avons reçue de nombreuses fois. Ma première sensation à votre égard a été positive. Bienveillante. Bien sûr… J’ai vu en nous une femme meurtrie par la mort de l’homme qu’elle aimait.
Mais aussi, et surtout… quand nous vous recevions, quand nous vous auditionnions… Je vous écoutais… Et j’ai vu en vous une parfaite potentielle sœur qui nous rejoindrait un jour ou l’autre. Vous saviez ce que vous vouliez… Vos paroles étaient sincères. Et plus nous vous recevions… plus nous vous auditionnions… plus nous analysions ce que vous nous disiez, vos motivations, votre désir de rejoindre la communauté Sainte-Marguerite… et plus ça sautait aux yeux que vous vouliez rendre votre prochain sain et heureux. Vous seriez une sœur exemplaire… La suite m’a donné personnellement raison, n’est-il pas? Continuez, sœur Isabelle.
– Il a pu m’arriver par moments d’avoir le regard fermé et de ne plus être par-ci par-là la sœur Isabelle enjouée et toujours motivée que vous commenciez à côtoyer. Je le reconnais… et je le confesse. Et peut-être même que ça a fait que certaines personnes ici m’ont alors considérée comme une femme austère. En fait, je n’ai jamais voulu donner, renvoyer cette image-là de moi. Malheureusement, l’être humain est comme il est. Et dès lors qu’il vous perçoit d’une manière bien précise, c’est…
(Sœur Isabelle marque une pause et réfléchit sur ce qu’elle va dire.)
– C’est difficile de le faire changer d’avis. Et dès lors…
(Elle remarque un temps d’arrêt et réfléchit aux mots qu’elle va dire.)
– Dès lors, il n’est pas chose facile de redonner et de renvoyer aux gens l’image qu’ils avaient de nous au départ.
– Moi, en tant que prêtre du couvent, en tant qu’administrateur principal de la communauté de Sainte-Marguerite, j’ai une vue d’ensemble sur ce qu’il se passe ici. Vous le savez, ma sœur. Je délègue les responsabilités après… Elles sont dispatchées… D’abord et avant tout à la Mère Supérieure… Certaines de vos consœurs vous auraient dévisagée… Savez-vous si elles ont pu tenir des propos à votre encontre, en particulier? Je n’en sais rien, moi, ma sœur. Je ne suis qu’au registre des interrogations.
Mais… Est-ce, là, l’objet, le motif de votre désir de vous confesser, aujourd’hui? Veuillez me pardonner, ma sœur, mais… Nous savons très bien, vous comme moi, que ce n’est pas le sujet de ce rendez-vous. Ai-je raison? Ai-je… tort? À vous de me le dire, sœur Isabelle. Je vous en prie. Faites abstraction de tout. Rappelez-vous. Il n’y a que vous et moi, à l’intérieur de ce confessionnal. Et je dirai même, à l’intérieur de la pièce. Et si je dois finir de vous rassurer… Je suis tenu au secret. Rien ne sortira de ce confessionnal. Seul Dieu nous entend. Confessez-vous, sœur Isabelle. Nous vous écoutons.
– Mon père… Si effectivement je m'en étais tenue juste à ça, je vous aurais menti. Or, je n'ai pas… plus pour habitude de mentir. Mentir, c'est tromper son prochain., selon le Livre. Oui, il a pu m'arriver de le faire par le passé, mentir… Mais je n'ai jamais trompé mon mari, par exemple, père Antoine. Oh… Je ne sais même pas pourquoi je raconte tout ça, mon père.
– Calmez-vous, ma sœur. Calmez-vous! Vous allez avoir une attaque cardiaque si vous continuez comme ça! Reprenez-vous. Calmez-vous!
Les pires craintes de la sœur sont en train d'arriver. Elle qui avait convenu de garder son calme… et dire les choses telles qu'elles sont parce qu'elles sont ce qu'elles sont… Là, elle perd le contrôle des événements. Même si… Là… C'est le père Antoine qui l'entend se confesser… En fait, le père Antoine est, si l'on peur dire les choses ainsi, la cause de ce rendez-vous. Il ne le sait pas. Elle en est persuadée. D'ici une heure, la donne va changer et il se peut que les choses ne soient plus du tout les mêmes. Sœur Isabelle n'est pas… est loin d'être la dernière des idiotes. Quand elle a pris la décision d'obtenir ce rendez-vous, ça a été, bien sûr, une possibilité qu'elle a envisagé.
Le père Antoine se tait pour le moment. Cette sœur… Cette femme… Elle est là, de l'autre côté du confessionnal. Ils sont là, seuls, dans cette salle. De toutes les sœurs de la communauté du couvent, la sœur Isabelle est la religieuse pour qui il a le plus grand respect. En dépit de son uniforme de religieuse, en dépit de son âge, c'est une femme très intelligente et qui réfléchit beaucoup. Elle ne parle jamais pour ne rien dire. Elle est souvent volontaire. Comme les religieuses, le père Antoine a fait vœu de chasteté quand il est entré sous les ordres. Cependant, force est pour lui de l'admettre: à l'égard de CETTE religieuse, il… Non. Il doit garder ça pour lui, laisser ça de côté.
Sœur Isabelle serait choquée s'il lui disait qu'elle ne le laisse pas indifférent. Premièrement, elle a fait vœu de chasteté, elle aussi, et elle est veuve. Deuxièmement, elle est une femme mûre, comme on dit, et ils ont une bonne dizaine d'années d'écart. Troisièmement, s'il passait à l'acte et s'il lui disait la vérité, les choses ne seraient plus du tout les mêmes entre eux et elle le verrait d'une toute autre manière. Non. Il faut que ça reste un secret, SON secret. Non! Mieux! S'il était même beaucoup plus raisonnable, il chasserait ses sentiments de son esprit et il s'éloignerait de cette pente savonneuse dangereuse. Le péché de la chair a été décrit dans le Livre. Adam et Ève… C'est ce que l'on inculque au couvent aux toutes jeunes filles destinées à devenir religieuses, lors de leur catéchisme et de leur éducation. C'est ce que l'on lui a enseigné quand il a lui-même rejoint les ordres. Non… Tout bien réfléchi, pour elle comme pour lui, il vaut mieux que tout ça soit refoulé. Ce qu'il ne sait pas, c'est la raison pour laquelle la sœur a demandé à se rendre à confesse cet après-midi. La sœur s'est interrompue alors qu'elle semblait bien être inspirée. S'il savait, en fait…

Comments:

No comments!

Please sign up or log in to post a comment!