Mister Hyde 24 Et 25

24–

L’endroit sentait le désodorisant bon marché sous lequel perçaient encore des relents de tabac froid et de sueur aigre. Mais cela ne dérangeait pas Frédérique. Elle avait sciemment négligé le code vestimentaire édicté par l’homme. Il allait donc la punir et c’était tout ce qui comptait. Lentement, elle se dénuda en prenant soin de plier chacun de ses effets puis elle s’agenouilla, cuisses écartées et les mains en plateaux sous ses seins. L’homme avança. Sa verge tendue émergeait de son pantalon. Il l’imposa à la bouche de Frédérique qui engloutit le gland puis la hampe tandis que sa langue s’échappait vers les bourses de son maître d’un soir. Très vite, elle prit la posture enseignée par Frédéric et glissa ses mains dans son dos pendant que la queue allait et venait jusqu’au fond de sa gorge. L’homme était pressé mais consciencieux : il voulait se débarrasser de son désir tout en montrant à la femelle qu’il avait entre les jambes les caresses qu’il appréciait. Ensuite, il pourrait posément la punir en prenant tout son temps et serait de nouveau en mesure de la saillir lorsque prendrait fin le châtiment. Frédérique pensa qu’il savait ce qu’il faisait et qu’elle avait peut-être trouvé un dominant à sa mesure. Cela la fit sourire et dévier le trajet de la verge qui se coinça contre sa joue. Pour récompense, elle fut giflée et l’homme accéléra tout en l’insultant pour son manque de concentration.
Il fallut plusieurs minutes à l’homme pour déverser dans sa bouche un sperme copieux au goût sucré. Elle avala et nettoya le sexe du boss puis, sur son ordre, alla se positionner sous une énorme poutre à laquelle il l’attacha. L’homme lui présenta un fouet, elle acquiesça. Elle voulait avoir mal et que les traînées rouges laissées par la lanière fassent perdurer la douleur. Elle voulait que lorsqu’il entrerait en elle par-derrière, sa peau se déchire. Elle voulait que la souffrance efface tous ses plaisirs passés. Ce n’était qu’à ce prix qu’elle pensait pouvoir oublier Frédéric.


***
Julie approcha le plug de ses lèvres. Elle l’avait offert à Frédérique à l’époque, pas si lointaine, où elles jouaient encore ensemble. Mais Frédérique s’éloignait et Julie n’avait trouvé que ce moyen pour conserver le sentiment qu’elles s’appartenaient encore. Finalement, elle repoussa l’objet et l’enfonça sèchement dans son rectum. Le lubrifier aurait été un mensonge de trop.
***
Fanny se tourna mille fois dans son lit. Elle n’arrivait pas à dormir parce qu’elle n’avait pas eu sa dose de câlins et qu’il se passerait du temps avant que Frédéric la rappelle. Elle n’était ni triste ni jalouse, juste ennuyée de la certitude d’être bientôt supplantée par Lucile. Trouver un nouveau mec ne serait pas bien compliqué bien qu’elle sût à l’avance qu’elle serait ment déçue. Frédéric lui avait révélé trop de facettes d’elle-même pour qu’un autre que lui puisse les combler toutes. Elle s’endormit en pensant que, pour la première fois elle lui mentirait en ne lui avouant pas les caresses qu’elle se prodiguait.
***
Nathalie se réveilla épuisée, dépitée. Elle avait fait l’amour toute la nuit, avec un fantôme – une ombre plutôt – qui refusait de dire son nom et de se laisser voir. Elle, avait disparu aux premières lueurs du jour : son lit était vide, comme chaque matin.
***
Dans les couloirs du métro, ce matin-là, les lumières étaient moins agressives et les badauds moins tristes. Lucile esquissa un pas de danse tout en fredonnant une chanson.
***
Frédéric s’éveilla tard. Il était nu. Et seul. La colère le gagna. Non d’avoir manqué le départ de Lucile mais de l’avoir accueillie chez lui et passé la nuit avec elle. Il ragea d’autant plus qu’il ne pouvait s’en prendre qu’à lui-même. Que lui était-il donc passé par la tête pour succomber aux charmes de cette gamine ? Il jeta sa tasse dans l’évier où elle éclata bruyamment.
***
Frédérique arriva à son premier rendez-vous encore endolorie de ses folies nocturnes.
Elle n’avait passé chez elle que le temps nécessaire à une douche et un changement de vêtements. Plus sage, elle ne l’était qu’en apparence : sous son pull échancré, elle était nue et le collant qu’elle portait était ouvert à l’entrecuisse. Elle avait très envie d’être vilaine et le regard concupiscent du patient de la salle d’attente lui démontra qu’elle pouvait l’être.
***
• Viens si tu veux mais je te préviens, je suis de mauvais poil aujourd’hui…
Fanny sauta dans l’ascenseur, courut jusqu’à la gare, attrapa le train à la volée, déboula dans le métro et arriva chez Frédéric en moins d’une heure. Puisqu’il était de mauvaise humeur, il avait besoin d’elle pour se détendre.
***
Les maladresses volontaires dont elle faisait preuve n’échappaient pas au médecin grisonnant qui lui faisait face. Malgré son allure sportive et son teint hâlé, il était célibataire et ses seules compagnies féminines étaient constituées de ses patientes et de sa secrétaire. Les liens de famille qui l’unissait à l’une rendaient impossible toute relation quant aux autres, leur statut les rendait intouchables même s’il sentait fréquemment qu’il y aurait matière à… son éthique le lui interdisait. Cette petite visiteuse médicale, en revanche, rien ne l’empêchait de tenter sa chance. Il effleura sa main en saisissant la boîte de médicaments qu’elle lui tendait.
Frédérique sut aussitôt qu’elle allait être très vilaine.
***
Nathalie était mal à l’aise. C’était la première fois qu’elle s’habillait en fille et les regards de ses collègues le lui firent sentir. Elle aurait pu en être flattée, elle aurait pu se sentir désirable, elle aurait pu simplement en sourire mais non ! Elle s’en voulut. Elle eut l’impression de trahir son mari, d’avoir agi comme une dévergondée. Elle se jura de ne pas renouveler l’expérience.
***
Le pull bleu-roi qu’elle arborait jurait horriblement avec le pantalon couleur « granny-smith » qu’elle avait enfilé. Mais Lucile n’y prêtait pas attention bien qu’elle fût l’objet de bien des regards ébaubis.
Elle s’installa à la place qu’elle avait l’habitude d’occuper à la B.U. de Clignancourt et fit semblant de se plonger dans la lecture. Son esprit était ailleurs, incapable de se concentrer, elle vagabonda dans ses souvenirs de la nuit. Les caresses de Frédéric étaient encore toutes présentes à sa peau. Y penser suffisait à les ressentir de nouveau. Elle se laissa aller et son corps s’ouvrit. Sous son soutien-gorge en coton, ses seins se tendirent. Plus bas, ses lèvres ramollirent…
***
Malgré les traces évidentes de son passage, Frédérique n’avait pas pris la peine de lui laisser un mot. Les yeux embués, Julie regardait les vêtements sales de la femme qu’elle aimait.
***
Tranquillement assis devant son ordinateur, Frédéric piratait les données personnelles du personnel de son ancienne boîte. Les lèvres de Fanny qui aspiraient son sexe ne le troublaient pas plus que ça.
***
Comment l’homme s’était-il retrouvé derrière elle ? Frédérique ne se posait plus la question depuis que sa verge l’avait pénétrée. Il s’enfonçait en elle et rien d’autre ne comptait. Certes, il était brusque et maladroit et il prit son plaisir bien avant que celui de Frédérique ne s’éveillât. Elle sourit néanmoins et s’agenouilla promptement pour redonner vigueur au mâle en rut qu’elle devinait sous les dehors civils du bon docteur.
• Hmmm ! Tu suces divinement ! Voyons jusqu’où tu sais aller dit-il en agrippant la chevelure de la jeune femme.
Le sexe du médecin était long et large. Beaucoup plus imposant que toutes les verges auxquelles elle avait eu affaire jusqu’à présent. Frédérique le goba pourtant jusqu’à l’écœurement et se garda de le rejeter malgré un bref haut-le-cœur. Elle fut cependant soulagée quand, répondant sans doute à un fantasme ancien, il la dégagea de son pull et enfouit son outil entre ses seins. Seul le gland pénétrait désormais sa bouche. Elle en profita pour lui prodiguer toutes les caresses que connaissait sa langue. Il ne fut pas long à prendre son plaisir pour la seconde fois et fut sidéré de la sentir déglutir tandis que son nœud turgescent tressautait encore entre ses lèvres.

Lorsque Frédérique monta en voiture, elle se dit que c’était son rendez-vous le plus intéressant depuis longtemps. Elle planifia de revenir aussi souvent que possible rendre visite au bon docteur…
***
Frédéric ferma son ordinateur, satisfait. En moins de deux heures, il venait de pirater deux sites hautement sécurisés. Le premier avait été facile puisqu’il s’était ménagé une porte dérobée avant de le verrouiller et dont, bizarrement, le souvenir ne l’avait pas quitté. Améli, le site de la Sécu, lui avait donné plus de fils à retordre avec ses sept pares-feux et ses diverses chausse-trappes destinées à balader les hackers et à les obliger à se dévoiler. Pour ce faire, il s’était connecté à divers VPN sur les cinq continents ; ses traces, s’il en avait laissé, seraient difficiles à remonter. D’autant qu’il n’avait piraté qu’un seul compte et récupéré une adresse sans modifier une seule donnée.
Pour fêter sa réussite, il emmena Fanny dans sa chambre et lui prodigua toutes les caresses qu’elle aimait sans la rudoyer si peu que ce fût.
***
Fanny était aux anges. Jamais encore Frédéric ne l’avait traité avec autant de douceur. Il l’avait caressée, embrassée, ses doigts s’étaient transformés en mille petites fourmis qui avaient pénétré son corps de millions de frissons, ses paumes avaient flatté sa peau avec tendresse ; son nez, sa bouche, ses joues aux poils renaissants, avaient flirté avec son épiderme de façon si suave qu’elle en resterait pantelante longtemps. Puis il l’avait abandonnée, subitement, sans un mot. C’est à cet instant qu’elle décida qu’il était temps pour elle de partir pour ne plus jamais revenir. Elle aussi l’abandonna sans un mot.
***
Nathalie profita de l’heure du déjeuner pour rentrer se changer mais même dans ses vêtements difformes, son malaise persista. Parce que ce n’était pas le regard de ses collègues qui l’avait dérangé, c’était autre chose, de plus diffus, de plus intérieur. Quelque chose qu’elle refusait de nommer autrement qu’avec ce vocable sans âme. Quelque chose dont elle connaissait pourtant la définition autant que les implications. Quelque chose qu’elle avait croisé la nuit passée sous la forme diffuse d’une ombre. Quelque chose qui lui faisait peur parce qu’elle risquait de briser son passé. Quelque chose qui lui murmurait que sa vie n’avait aucun sens et qu’il allait falloir lui en redonner.
***
Lucile sortit de la bibliothèque et appela Frédéric.
Frédéric sortit son téléphone, regarda l’appelant et remis l’engin dans sa poche.
Lucile ne laissa pas de message. Elle rangea son téléphone certaine qu’un jour, il appellerait.

25–




Une barrière blanche encadrait le jardin et la maison à laquelle on accédait par un portail bas. Les fenêtres, aux volets clos, donnant sur la rue, devaient ouvrir sur la cuisine et la salle à manger. Les pièces à vivre étaient sans doute derrière. Debout, à proximité, Frédéric, un sac sur l’épaule, observait l’habitation en imaginant la disposition intérieure : au rez-de-chaussée, la cuisine, la salle à manger et le living ; à l’étage deux ou trois chambres et la salle de bains ; les combles, sans doute aménagés en bureau ou en salle de jeux pour les s. Mais, n’eut été ces rayons de lumière qui filtraient des persiennes, la maison semblait vide et sans vie. Il n’était pourtant pas très tard. Il fit un pas pour traverser la route puis, aussitôt, recula de deux. Avait-il vraiment envie de savoir ce qui se cachait derrière ces murs de pierre ? Pas sûr. Pourtant il avait fait la route, pris le train, le car et marché un bon kilomètre. Alors, qu’est-ce qui le bloquait ? la peur de l’inconnu ? La crainte de voir disparaître la vie douillette qu’il s’était forgée depuis son accident ? Ou plus simplement le fait d’être confronté à son ancienne vie, celle qu’il avait oubliée et qui ne l’intéressait pas… ? Il recula encore d’un pas.
Puis, soudainement, la maison sembla prendre vie. Les rayons de lumière se multiplièrent et des voix se firent entendre. Des voix de femmes dont il ne discerna pas les paroles mais d’où filtrait une certaine agressivité. Une fenêtre s’ouvrit sur les pleurs d’un . La personne qui l’avait ouverte s’immobilisa le temps d’un battement de cœur en le voyant puis se retourna vers le fond de la pièce et les cris du marmot.
***
La moutarde n’avait mis qu’une petite dizaine de secondes pour monter au nez de Frédérique. Elle était pourtant arrivée pleine de bonnes intentions et disposée à faire amende honorable auprès de Julie qu’elle avait conscience de délaisser de plus en plus. Tout avait volé en éclat quand elle était entrée dans un salon plongé dans le noir où Franck était livré à lui-même.
D’un ton acerbe, elle avait rappelé Julie à l’ordre et sa compagne avait commencé par chouiner avant de s’emporter à son tour. Elle n’avait eu que le temps de refermer la fenêtre, incertaine de la vision qu’elle venait d’avoir.
Elle commença par consoler Franck, puis ce fut le tour de Julie. L’un comme l’autre manquaient de tendresse. Elle en était pleinement lucide et totalement responsable. Finalement, elle s’excusa. De son égoïsme, surtout ; de ses absences prolongées, un peu moins.
***
Julie resta tétanisée. Frédéric se tenait sur le pas de la porte, un sourire gêné au coin des lèvres. Machinalement et sans un mot pour l’homme, elle finit par se retourner en criant d’une voix de fausset :
• Je crois que c’est pour toi… !
Frédérique approcha. Elle tenait dans les bras un dont les yeux larmoyaient encore. Elle stoppa à quelques mètres de la porte.
***
À tout le moins, Frédéric venait de créer un tsunami dans la maison. Il avait tout imaginé sauf ça : une telle sidération que tout le monde resterait sans voix. Heureusement, son sac glissa de son épaule et il le rattrapa au vol. ce fut le signe du dégel.
• Entre !
La voix de Frédérique était caverneuse, comme si quelqu’un d’autre s’exprimait par sa bouche. D’un pas d’automate, elle précéda Frédéric au salon et lui offrit, d’un geste, de s’asseoir. Elle prit place face à lui. Leur toujours dans les bras.
• Je t’écoute.
Cette fois, la jeune femme avait parlé d’un ton posé, d’une voix claire. Une voix qu’elle n’avait pas utilisée depuis des mois, depuis que Frédéric l’avait prise au piège ce soir de juillet, il y avait un siècle.
***
• Je suis tombée amoureuse de Frédéric dès la première minute, le jour où tu l’as amené ici. Il rayonnait. Il posait sur toi un regard tellement doux, tellement rempli d’amour que je n’ai pas pu résister. J’ai eu envie que ce regard, ce soit sur moi qu’il le pose. Mais, paradoxalement, je n’étais pas jalouse. J’étais même heureuse pour toi. J’étais heureuse parce que je t’aimais et que je pensais que tu méritais cet amour. Et puis tu es venue avec un autre mec, une espèce de Matamore qui roulait des biceps et pensait que tout lui était du sous prétexte qu’il avait une belle gueule et, peut-être, une grosse queue. Ce jour-là, je t’ai détestée. Et je te déteste toujours. Pas parce que tu t’envoyais en l’air avec un con, ça, ça arrive à tout le monde. Je t’ai détesté pour le mal que tu allais lui faire. Pour le mal que tu lui as fait. Tout ça pour un gros con mal embouché qui te foutait la main au cul à tout bout de champ. C’était sordide, que tu le fasses souffrir à cause de cette raclure.
Tu voulais savoir. Maintenant, tu sais. Mais ça ne changera rien entre nous. Pour moi, tu resteras toujours une salope pour qui le cul a plus d’importance que le cœur.
Maintenant que tu as eu ce que tu voulais, je ne te retiens pas. La porte est derrière toi.
Nathalie ne se le fit pas dire deux fois, elle rebroussa chemin, monta dans sa voiture et rentra chez elle.
Certes, elle en avait pris plein son sac mais ses souvenirs donnaient raison à Lucile : elle avait bel et bien abandonné Frédéric pour une histoire de cul, qui ne l’avait d’ailleurs pas menée très loin. Et puis, après une longue série de voyage sans départ, il y avait eu Juan, l’homme qu’elle aimait encore plus de deux ans après sa mort. Le parallèle avec Lucrèce et Frédéric lui arracha un sourire triste. Enfin, la conclusion tomba : des deux hommes qui l’avaient aimée, l’un était mort et l’autre l’avait oubliée. Elle se sentit soudain perdue dans les limbes. Sa vie avait-elle eu un sens ?
***
Frédéric resta silencieux un long moment. Face à lui, Frédérique tenait Franck dans ses bras comme un bouclier mais l’homme ne pouvait s’empêcher d’être fasciné par l’image qu’elle lui renvoyait : un Botticelli moderne. La ressemblance avec la belle Simonetta était tellement frappante, tellement évidente qu’il en restait muet. Il fallut une intervention hargneuse de Julie pour lui faire reprendre pied.
• Je ne sais pas vraiment par où commencer, dit-il. Je ne suis pas certain des raisons de ma présence ici et encore moins si elle est une bonne chose pour vous, votre et votre amie. Je ne sais même pas si c’est une bonne chose pour moi… Mais, au vu de vos réactions, il semble que je vous doive une explication…
J’ai passé près de six mois dans un hôpital, à la suite d’une agression. À mon réveil, mes souvenirs tenaient en un visage de femme et trois prénoms : Lucrèce, Lucile et Frédéric. Pour le visage, je n’ai pas mis longtemps à découvrir à qui il appartenait, il est connu dans le monde entier. Pour les prénoms, étant donné l’âge du visage qui me hantait, il ne fut pas très compliqué d’y associer les noms de Borgia et de Desmoulins. Pour le troisième, il apparut comme une évidence que c’était le mien. J’étais devenu un voyageur du passé, perdu dans un présent qui ne m’était rien et qui ne m’intéressait pas. J’ai quitté le boulot de mon prédécesseur, vendu ses parts de la société, acheté un appartement… et fait ce qui me plaisait, c’est-à-dire pas grand-chose. Et puis il y a trois jours, une personne que l’autre avait connu m’a raconté qu’il y avait, dans ma vie d’avant, une femme et un . J’ai fouillé : j’ai pris contact avec la policière en charge de mon affaire et j’ai appris votre nom et que nous travaillions, avant, pour la même entreprise. Vous retrouver a été un jeu d’. Et je suis là…
Frédéric laissa planer un silence de quelques secondes avant de reprendre.
• Apparemment, je suis tombé du premier coup au bon endroit. Vous me connaissez, votre amie me connaît… Le seul doute que j’avais est à propos du petit bonhomme sur vos genoux… Mais quand je le regarde, je ne peux plus douter. Il me ressemble trop.
• Il s’appelle Franck.
Frédérique n’estima pas nécessaire d’en dire plus. Elle avalait la somme d’information que venait de lui fournir Frédéric tout en regrettant amèrement sa fuite et la rupture du contact avec la fliquette qu’elle avait eu une ou deux fois au téléphone dans les premières semaines après la disparition de Frédéric.
• Je suis désolé, reprit Frédéric, mais si vous savez qui je suis, moi, j’ignore complètement qui vous êtes. Excepté votre nom, je ne sais rien de vous ni des relations qui nous unissaient. Quant à vous, mademoiselle, dit-il en se tournant vers Julie, j’ignore jusqu’à votre nom.
• Je suis Julie, dit Julie en prenant la parole avec une autorité qui lui faisait défaut depuis trop longtemps. J’étais responsable informatique à la succursale de Caen ou travaillait Frédérique après votre séparation. C’est là que je vous ai connu tous les deux, elle comme collègue, vous comme supérieur. Vous étiez venu régler un problème suite à un piratage et vous vous êtes montré à mon égard, à la fois, désagréable, désobligeant et… extrêmement persuasif. Autant dire que je ne vous porte pas dans mon cœur. Pour moi, vous faisiez un mort très convenable. Votre retour ne me comble pas de joie…
• Ça suffit Julie !
La colère de Frédérique était palpable mais elle était la seule à en connaître la vraie raison.
• Je vais coucher Franck ajouta-t-elle en pensant que cela lui laisserait du temps pour réfléchir. Profitez-en pour refaire connaissance tous les deux, que nous puissions discuter dans le calme à mon retour.
Restés seuls, Julie et Frédéric se regardèrent en « chiens de faïence » en espérant que l’autre prendrait la parole le premier. Ce fut Frédéric qui craqua.
• Je me suis donc conduit comme un mufle avec vous…
• Vous êtes un violeur !
Assénée avec juste ce qu’il faut de conviction et de hargne, la phrase fit mouche. Frédéric pâlit et accusa le coup.
• Je vous ai violée ? Sincèrement, je le regrette. L’homme que je suis aujourd’hui n’aurait jamais fait ça mais je suis prêt à assumer les conséquences des actes de celui que j’étais. Je… Je ne sais pas quoi dire si ce n’est que je me dégoûte. C’est…
• C’est dégueulasse ! affirma Frédérique du haut de l’escalier. C’est dégueulasse et c’est un mensonge, Julie. À moins que ce ne soit à moi que tu aies menti quand tu m’as raconté votre rencontre. Dans mes souvenirs, le comportement de Frédéric ne t’avait pas totalement déplu à l’époque et, si j’ai bonne mémoire, tu avais accepté de te le taper avec ma bénédiction. Alors, pourquoi tant de haine aujourd’hui ?
Si Julie s’attendait à une riposte, ce n’était vraisemblablement pas du côté de Frédérique. Elle se renfrogna donc, dans le fond du fauteuil qu’elle occupait, les jambes repliées entre ses bras. Pour rien au monde, elle n’aurait manqué la suite, même au prix de la pire des humiliations.
Bientôt, Frédérique apparut au bas des marches, portant toujours Franck dans ses bras.
• Ne te préoccupe pas de ce qu’elle peut raconter, Frédéric. En ce moment, elle ne va pas très bien. Quand tu la connaîtras mieux, tu verras que c’est une fille adorable mais elle a parfois besoin d’être recadrée…
Elle avait dit les derniers mots en posant sur Julie un regard lourd de sens qui échappa complètement à Frédéric, trop fasciné par la vision de la vierge à l’ qu’il avait sous les yeux. Puis l’apparition s’éloigna. Le petit Franck lança un sourire à la ronde, accompagné d’un léger signe de la main et il disparut à son tour. Seul le craquement des marches troubla un instant le retour du silence.
***
• C’est qui le monsieur ?
La question n’étonna pas Frédérique, elle connaissait suffisamment la curiosité de Franck pour n’être surprise que par le temps qu’il avait mis à l’interroger et, bien que la réponse soit déjà prête, elle mit quelques secondes à l’énoncer.
• C’est ton papa, mon Loulou. Il est parti pendant longtemps et puis le voilà de retour. Il est revenu parce qu’il t’aime et que tu lui manquais…
• Pourquoi… ?
• Pourquoi il est parti ? Parce qu’il a été très malade alors, il a eu besoin de se soigner mais il va mieux maintenant. Il n’est pas tout à fait guéri mais il va mieux et il a très envie de te voir. Demain, tu pourras jouer avec lui et lui poser toutes les questions que tu veux, d’accord ? Maintenant, c’est l’heure de faire dodo. Et puis, maman et papa ont à parler aussi.
Gros poutous petit loup.
Frédérique fit mine de s’éloigner mais la petite voix la retint.
• Maman ?
• Oui mon Loulou…
• Tu lui feras un gros bisou pour moi. Comme ça, il dormira bien et il guérira vite.
• C’est promis mon chéri. Fais de beaux rêves.
• Maman…
• Oui mon Chéri ?
• Moi aussi je l’aime.
***
Au salon, l’atmosphère était glaciale. Julie lançait à Frédéric des regards meurtriers qu’il avait toutes les peines du monde à éviter. Qu’il l’ait violée, c’était possible. Encore que sa compagne se soit montrée catégorique quant au caractère mensonger de l’accusation. En revanche, il ne doutait pas un instant de s’être conduit comme un mufle avec elle, cette fille était une vraie tête à claques et ses mains le démangeaient. Le retour de Frédérique fût, à cet égard, une bénédiction.
• Franck est fou de curiosité à ton égard dit-elle en s’asseyant. Je suis sûre qu’il est en train de tourner dans son lit en listant toutes les questions qu’il va te poser demain. Personnellement, je n’en ai qu’une…
Frédéric se tint coi. À vrai dire, il ne savait pas comment réagir face à cette femme qui était l’exacte incarnation du fantasme qui le hantait depuis des mois.
• Pourquoi es-tu revenu ?
Cette question, il se la posait depuis la veille, sous diverses formes dont l’incontournable : « Mais quoi donc suis-je venu faire dans cette galère… ? », qui avait pris tout son sens face aux attaques de Julie. Il s’interrogeait mais ne répondait pas, ni à lui, ni à Frédérique. Il en était bien incapable. Un imperceptible mouvement de la lèvre lui fit sentir que la jeune femme s’agaçait de son silence.
• C’est une foutue bonne question. Je me la pose depuis deux jours sans savoir y répondre. Il y a une heure à peine, j’hésitais à rebrousser chemin mais je suis là. Je ne sais pas pourquoi. Est-ce de la curiosité ? Peut-être bien. Encore que je la trouve assez incongrue. Ma seule certitude, c’est qu’il fallait que je vienne, que je vous rencontre et que je vous raconte. Je n’ai peut-être pas l’air, comme ça… mais j’ai failli y passer, je suis passé à deux doigts de la faucheuse et, pire encore, à un seul de finir dans une chaise avec pour unique compagnie un appareil à dialyse. Depuis, je m’intéresse assez peu aux « pourquoi », je suis mon instinct et mon instinct m’a dit qu’il était important que je vous rencontre. Je comprends vos réticences, votre méfiance à mon égard, Je peux même comprendre l’agressivité de la demoiselle mais répondre à votre question, non, je ne peux pas. Je ne sais quasiment rien de ma façon de vivre avant cet accident, de vous et du petit bonhomme, j’ignore tout. Je vous l’ai dit, je ne connaissais pas votre existence il y a deux jours. J’ai fait aussi vite que possible compte tenu de votre disparition des radars. Bien entendu, Nathalie aurait pu vous retrouver bien plus tôt mais les flics sont soumis à des tas de règles dont je me suis affranchi. Notamment, ils n’ont pas le droit d’utiliser les moyens que j’ai mis en œuvre découvrir votre cachette. Ce qui est sûr, c’est que j’ai ressenti l’urgence de vous voir. Pas seulement à cause de l’existence d’un mais parce que j’ai eu le sentiment que cela allait, au moins, expliquer le seul manque que j’éprouve dans ma nouvelle vie. Ce manque, quel est-il ? Je ne saurais le dire. C’est une sorte de trou noir que rien de ce que je fais, de ce que je vis ou de qui je rencontre n’arrive à combler. Vous vouliez savoir ce que je suis venu faire ici… Je suis, très prosaïquement, venu boucher un trou.
Frédérique avait écouté avec beaucoup d’attention le discours de Frédéric. Il lui avait rappelé l’homme que des amis lui avait présenté, celui dont elle était tombée amoureuse et qu’elle avait fini par rejeter. Le docteur Je en quelque sorte. L’agression dont il avait été victime n’avait-il été que le moyen de redonner la prééminence à cette facette de sa personnalité, une façon de le réinitialiser ? Elle était en passe de le croire quand il avait parlé de manque. Et très vite elle avait eu la conviction que ce manque, elle seule était à même de le combler.
***
Il arrivait parfois à Lucile, au cours de ses recherches universitaires, de tomber sur des illustrations graveleuses ou juste évocatrices de l’acte sexuel. D’ordinaire, elle n’y prêtait guère attention mais depuis qu’elle avait passé la nuit avec Frédéric, sa perception de ces dessins avait changé, certains lui rappelant de façon un peu trop brutale les souvenirs dont elle devait se contenter face au silence assourdissant de son amant. C’est en observant l’une de ces images qu’elle perdit ce jour-là le fil de son travail. L’homme et la femme étaient debout, lui sur ses deux pieds, elle sur une seule jambe, l’autre reposant sur le bras de l’homme qui s’accrochait à ses épaules. C’était exactement ainsi que Frédéric l’avait prise dans l’entrée de son appartement. La vision qu’elle avait sous les yeux éveilla aussitôt son désir. Elle sortit son téléphone et tenta, pour la énième fois de le joindre.
***
Les premières notes d’« Âme Câline » retentirent fort à propos pour briser le silence qui s’était instauré entre Frédérique, Julie et Frédéric. Il raccrocha mais prit, en s’excusant d’un regard, le temps de textoter « Je te rappelle plus tard » à sa correspondante.
Frédérique pâlît. Sa certitude venait d’être battue en brèche par quelques notes de musique. Elle connaissait trop Frédéric pour douter de l’affection qu’il avait pour le mystérieux contact. Elle, car il ne pouvait s’agir que d’une femme, avait sa sonnerie dédiée et il prenait le temps de la rassurer sur sa disponibilité. Avait-il refait sa vie malgré tout ? C’était plus que probable. Elle se sentit bête d’avoir espéré, ne serait-ce que quelques secondes, qu’elle allait retrouver son Maître, que tout redeviendrait comme avant…
***
Tout en gardant un œil sur Frédérique, Frédéric se demanda pour quelle foutue raison il avait répondu à Lucile alors qu’il la fuyait depuis deux jours. La pâleur de la jeune femme, en face de lui, le détourna des réponses possibles.
• Ça ne va pas ? s’enquit-il.
Frédérique ne répondit pas. Du moins pas tout de suite. Sans ce fichu appel, elle aurait sans doute tout déballé à Frédéric. Maintenant, elle n’était plus certaine d’en être capable. Trop de questions se bousculaient.
• Vous devriez la rappeler, elle doit s’inquiéter…
Frédéric émit un rire et secoua la tête en signe de dénégation.
• C’est juste une personne qui m’a beaucoup fait avancer dans la découverte de ma vie passée… Il n’y a pas d’urgence.
• Donc, pas de petite amie…
• Pas de petite amie ! répondit-il en tentant de se persuader qu’il n’avait pas envie que Lucile le fût ou le devînt et que, quoi qu’il en soit, Fanny n’avait jamais rempli ce rôle.
Sur ces paroles, Julie se leva et quitta la pièce en marmonnant un truc du genre : « Putain de menteur ! ». Elle fut rattrapée par la voix de Frédérique qui la sommait de s’expliquer.
• Je n’ai pas à m’expliquer, répondit Julie. Je dis que ce mec est un menteur parce que j’en ai la conviction. Tout comme je suis sceptique sur le hasard auquel nous devons son retour. En revanche, je suis intimement persuadée qu’il éprouve bien un manque… mais pas celui qu’il décrit. Écoute-le encore et il va te convaincre. Et puis, il te bouffera toute crue.
Julie jeta un dernier regard de défi à Frédéric puis elle quitta la salle.
• Il y a bien eu quelqu’un, annonça Frédéric ; évitant ainsi à la mère de son fils d’énoncer la question. Mais ce n’était en rien une « petite amie » et puis c’est terminé, à son initiative. Quant à la personne qui vient d’appeler… Elle ne m’est rien. Du moins, pas comme vous l’entendez.
En utilisant le présent, il ne mentait pas à Frédérique. Pas formellement. Il ne se mentait qu’à lui-même.
Les neurones de Frédérique s’entrechoquèrent à la vitesse du son, reliant entre elles chaque bribe d’information pour les traduire en langage épuré. « Pas sa petite amie » signifiait sa soumise ; « elle ne m’est rien » ainsi que la précision qu’il avait apportée criait qu’il était amoureux. Une larme perla à son œil qu’elle réussit à retenir. Il avait reproduit avec d’autres les schémas qu’elle seule avait su cumuler.
• Alors c’est vrai, dit-elle, vous m’avez oubliée.
Puis elle se mit à raconter :
• Nous n’étions plus amants depuis… un certain temps lorsque vous avez disparu. Mais nous étions autre chose, bien autre chose que les parents désunis de Franck. Notre relation avait évolué non vers une unité mais vers un unisson. C’était à la fois puissant et beau, sauvage et libre. Y avait-il de l’amour entre nous. Oui ! Je vous aimais à en mourir et vous m’aimiez à en perdre la tête. Mais je ne suis pas morte, je me suis juste desséchée à attendre votre retour. Vous, vous avez perdu la tête au sens propre du terme. Du coup, celle qui ne vous est rien, je la bénis et celle qui n’était pas votre petite amie, je la remercie. Parce que, finalement, elles vous ont rendu à moi. Dans un sens, j’étais ces deux femmes pour vous, j’étais juste, humblement, à vous. Et je le suis toujours. J’étais… Je suis, la mère de votre fils mais, plus que tout, je suis votre femelle. Si vous voulez encore de moi.
Frédérique se tut. Frédéric se tut. L’un tentait de comprendre tandis que l’autre espérait une réponse. Frédéric tendit la main.
• Venez dit-il, allons marcher.
***
La lune éclairait chichement la route et la clarté du lampadaire n’arrivait pas à contrebalancer la noirceur ambiante. Le couple fit quelques pas silencieux dans la nuit puis Frédérique prit le bras de son accompagnateur.
• Les échos que j’ai eu du « moi d’avant » sont bien différents de ce que vous m’avez affirmé. Pour dire la vérité, cela semble coller plus à l’homme que je suis aujourd’hui qu’à celui que j’étais hier. Du coup, je ne comprends pas. Votre copine me traite de violeur, vous attestez que j’étais votre maître… Cela ne correspond absolument pas aux descriptions de « l’autre moi » qui m’ont été faites. Tous ceux que j’ai rencontré, même s’ils ne sont pas légion, parlent de ma gentillesse et de ma discrétion. Le terme humilité a même été employé à plusieurs reprises et par certains qui certifiaient me bien connaître. Alors, où est la vérité ?
• La vérité… J’ai vécu presque deux ans avec l’homme que vous décrivez : gentil, serviable, humble et discret mais aussi cassé par un chagrin secret et inextinguible. Et puis un soir, sans que pour autant l’autre disparaisse, vous vous êtes affirmé, vous avez pris en main votre vie et la mienne. Vous vous êtes dévoilé. À moi seule d’abord, puis à un petit cercle d’intimes… De très intimes. Je ne pense pas qu’il existe au monde plus de trois ou quatre personnes qui connaissent cet aspect de votre personnalité. Vous vous cachiez des autres et de vous-même aussi. Votre gentillesse, votre serviabilité ? Un paravent pour masquer l’amour que vous portez aux gens. Votre humilité ? Une façon efficace de refréner vos désirs et votre soif de pouvoir. Votre discrétion ? Le meilleur moyen de ne pas révéler vos secrets. Croyez-moi, vous n’avez jamais été l’homme que vous paraissiez, vous n’avez fait que l’imposer aux autres et à vous-même. À vous-même surtout…
• Je suis donc un menteur…
• Vous êtes un dissimulateur. Du moins, vous l’étiez puisqu’aujourd’hui vous semblez affirmer haut et fort ce que vous n’avez jamais cessé d’être : un dominant. Cependant, il reste une part d’ombre, un verrou que votre accident n’a pas fait sauter. Je vous laisse deviner lequel.
Frédéric serra son téléphone au fond de sa poche et prit congés, refusant l’hébergement que lui proposait Frédérique. Une nuit de réflexion à l’auberge de la ville s’ouvrait devant lui. Il en avait bien besoin.
***
Julie était allongée dans Leur chambre, sur Leur lit. Elle lisait et avait revêtu une nuisette qu’elle savait plaire tout particulièrement à Frédérique. Voulait-elle ainsi échapper à la colère de sa compagne. Pas sûr. Aussi fut-elle déçue de la voir entrer calme et silencieuse mais surtout ignorante de sa présence.
Frédérique pourtant était bien en colère. Et pas uniquement contre Julie. Contre Frédéric également, qui avait refusé son invitation pour, avait-il dit, réfléchir sereinement dans la solitude.
Elle entra dans la chambre affublée d’un air renfrogné et sans un regard pour Julie. Quelques brefs instants, elle fouilla dans l’armoire. Julie l’observa une seconde ou deux puis retourna à sa lecture. L’indifférence, se disait-elle serait le meilleur moyen de susciter son intérêt… Cela permit surtout à Frédérique de récupérer et dissimuler en toute discrétion certains objets dont elle voulait faire la surprise à Julie. Une surprise désagréable : Frédérique avait la ferme intention de punir sa compagne pour ses mensonges de la soirée.
• Ferme ton livre et lève-toi dit-elle en se retournant.
Julie obéit aussitôt tandis que Frédérique mettait de la musique en sourdine.
• Danse pour moi ajouta-t-elle en se jetant sur le lit.
Julie se déhancha doucement. Ses mouvements épousèrent peu à peu la mélodie qui sortait faiblement des haut-parleurs pour la plus grande satisfaction de Frédérique. Au bout de deux minutes, la spectatrice sortit de sa poche un objet qu’elle tendit à la danseuse.
• Corsons un peu les choses… Tu sais quoi en faire… N’arrête pas de danser.
Julie saisit le plug et, tout en se trémoussant, lui fit gagner le logement prévu à cet effet. L’ustensile était large, bien plus que celui dont elle usait d’ordinaire mais lorsqu’elle tenta de le lubrifier en le portant à sa bouche, Frédérique lui fit un signe de dénégation. Contrainte, elle força le passage. La partie de plaisir commençait mal. Il fallut plusieurs minutes pour que l’engin trouvât sa place et que la douleur fût moins vive et, lorsque retentirent les premières mesures de « The Final Countdown », elle se demanda si les sautillements qu’impliquait la musique n’allaient pas remettre en cause cet équilibre précaire. Mais Frédérique la détourna de son inquiétude en exigeant d’elle un strip-tease. Bien entendu, il ne fallut pas les cinq minutes neuf secondes de la chanson pour que sa nuisette se retrouve au sol et, dès qu’elle le fut, Frédérique lui lança un nouvel outil.
• Des pinces à tétons… Tu sais que je ne supporte pas ces machins, ça me fait un mal de chien…
• Je dois avoir envie que tu aies mal, je suppose. Et de toute façon, tu es une chienne. Une chienne, une salope et une menteuse… Mets ces pinces !
Le ton de Frédérique ne souffrait pas la contradiction, Julie s’exécuta en grimaçant. La douleur lui vrilla la poitrine, ses yeux s’embuèrent.
• Maintenant viens ici, sur le lit. Mets-toi à quatre pattes, le dos tourné vers l’extérieur.
De son expérience de soumission, Frédérique avait retiré un grand nombre de connaissances que Julie n’avait pas : notamment celle de moduler sa voix pour la rendre impérieuse. Julie fit un premier pas et se plia en deux. Les deux souffrances, celle de ses seins et celle que la marche avait réveillé dans ses reins, venaient de se télescoper. Le tourment qu’elle vivait était insupportable.
• Chochotte ! Viens ici.
Tant de mépris en un seul mot. Julie, les larmes aux yeux, s’affala sur le lit.
• Je vais te poser des questions auxquelles tu répondras sans mentir. Si tu te tais, je te punirais. Si tu mens, je te punirais. Si tu m’as menti, je te punirais même si ta réponse rétablit la vérité. Est-ce bien compris ?
Julie opina, Frédérique poursuivit.
• Bien. Fais ce que je t’ai demandé.
Péniblement, Julie prit la position imposée par Frédérique. Les pinces, alourdies par une chaînette d’un poids conséquent, tiraient ses seins vers le sol et lui envoyaient de piquantes et désagréables décharges tandis que son rectum trouvait dans cette situation un confort auquel elle ne s’attendait pas. Durant les courtes secondes qui suivirent elle tenta de ne plus penser aux désagréments qu’elle vivait. La première question fut un bien meilleur dérivatif que sa pitoyable ébauche de concentration.
• Quand tu as accepté d’être celle que j’offrirais à Frédéric, tu voulais vraiment sa queue ou tu voulais ma chatte… ?
• Je ne l’aurais pas dit de cette façon mais, en réalité, je voulais les deux.
• Donc tu m’as menti…
• Non ! Je t’ai dit une partie de la vérité. À l’époque, l’autre partie ne t’intéressait pas. Il n’y avait aucune raison pour que je t’en fasse part.
• Mais tu as omis…
• Je n’ai rien omis. Tu m’as demandé si j’étais motivée pour me soumettre à ton homme et je l’étais. Son comportement avec moi m’avait excitée et j’avais vraiment envie de sentir ses mains sur mon corps et sa queue en moi. À cet instant T de ma vie, je désirais ton mec et je commençais à tomber amoureuse de toi. Accepter de me soumettre à lui pour une ou deux nuits, c’était un peu comme gagner le gros lot. Je te rendais service et je me faisais du bien. Tout était parfait. Et pour toi aussi. Tu te foutais complètement de savoir si j’avais des motivations cachées. Donc, je ne t’ai pas menti.
• Mais tu as menti quand tu lui as dit qu’il t’avait violée…
• Oui !… Et non. La nuit où nous avons bossé ensemble, il m’a traité comme une gamine et il m’a fait ramper, au sens propre du terme. Total, j’ai eu envie de lui. Ce week-end où je devais jouer les béni-oui-oui et satisfaire à toutes les demandes du Maître, il a disparu. Moi j’ai été frustrée. Et je le suis encore. Cette frustration, c’est, pour moi, comme un viol à l’envers. Je ne peux pas voir un homme sans rêver à ce qu’il m’aurait fait, à ce qu’il aurait dû me faire. Du coup, je suis bloquée et je crois qu’il est le seul à avoir la clé. Enfin, il était, parce qu’apparemment, il l’a perdue.
• Conneries ! Ça reste un mensonge.
• Oui.
Frédérique agita sous les yeux de Julie un lourd martinet qu’elle venait de sortir de Dieu sait où.
• Un mensonge, c’est dix coups. Je te donne tout à l’addition ou tu préfères les manger séparément ?
• Tu as vu dans quelle position je suis… Alors, fais comme tu veux. N’essaie pas de me faire porter le chapeau pour des responsabilités qui sont les tiennes.
• OK. Dans ce cas, on fera un tir groupé. Mais tu sais, ça peut être dur à supporter.
• Je te promets de ne pas faire ma chochotte. Allez ! Pose tes questions.
Sans rien dire, Frédérique promena le bout des franges sur le dos et les fesses de Julie puis elle remonta sur ses épaules et sur son cou avant de longer son torse et ses hanches.
• Tu es partie tout à l’heure en le traitant de menteur et c’était convainquant. Ce qui l’était moins, c’est ta justification. Tu n’es pas du genre à croire les choses sur un simple coup de tête. J’ai trouvé ton explication oiseuse maintenant, je veux la vérité.
Un long silence fit suite à la question. Les options de Julie étaient limitées, trop limitées pour qu’elle pût choisir l’une des deux sans dommage. Dire la vérité signifiait à coup sûr de perdre Frédérique à jamais. Continuer à mentir aurait, au bout du compte, le même résultat mais lui permettrait sans doute de gagner un peu de temps. Elle opta pour le mensonge.
• C’était une intuition… Une simple intuition. Et puis, j’étais en colère et j’étais triste. J’étais jalouse aussi. Parce que le retour de Frédéric signifie que je vais te perdre. À plus ou moins brève échéance, il va te reprendre et tu choisiras de le suivre. S’il ne le fait pas, tu sombreras comme après sa disparition et je finirais par te perdre parce que, d’une façon ou d’une autre, tu m’en rendras responsable. Il te ment, j’en ai la conviction. Je n’en ai pas la preuve.
Fais ce que tu veux…
Le discours de Julie ébranla quelque peu la certitude de Frédérique. Néanmoins, elle resta suspicieuse : il manquait un maillon à l’explication de Julie, un point crucial qui avait emporté la croyance de sa compagne et qu’elle lui cachait. Elle poussa ses investigations.
• L’intuition, ce n’est pas ton truc. Tu es une fouineuse qui ne laisse rien au hasard et encore moins aux supputations. Quand tu as une intuition, tu fouilles pour la confirmer ou l’infirmer. Je sais que régulièrement, tu visites mes affaires, mon téléphone, mon ordi. Parce que tu as besoin de preuves tangibles, toujours, tout le temps… Je sais aussi que tu sais te taire quand il le faut : tu ne m’as jamais parlé de tes découvertes à mon sujet. Je sais aussi pourquoi tu agis comme ça, tu as honte d’être une fouille-merde !
Julie resta ferme sur ses positions.
• Punis-moi, qu’on en finisse
Frédérique leva le martinet qui resta en suspend un instant avant de retomber sous le nez de Julie.
• Ça n’en vaut même pas la peine dit Frédérique en quittant la chambre.
***
Seul dans sa chambre d’hôtel, Frédéric se repassait en boucle le film de la soirée. Il n’avait pas appelé Lucile. Les révélations de Frédérique et les assertions de Julie l’ayant passablement chamboulé, il avait estimé préférable de ne pas prendre contact. Il pensait la gamine à même de découvrir la moindre fluctuation de sa voix et de s’en inquiéter. Des questions intrusives et blessantes en auraient fatalement découlé et il ne voulait cela pour rien au monde.
***
Seule chez elle, Nathalie s’assit devant sa coiffeuse et se maquilla.
Seule chez elle, Fanny commença à regretter sa décision.
Seule chez elle, Lucile s’interrogea sur le silence de Frédéric malgré le texto du début de soirée.
Seule dans son lit, Julie pleura.
Seule dans le canapé du salon, Frédérique finit par s’endormir.
Seul dans sa chambre d’hôtel, Frédéric rêva de Simonetta.
Une seule nuit pour six destins…

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