Histoire Des Libertines (55) : Mata Hari

Margaretha Geertruida Zelle dite Grietje Zelle, dite Mata Hari (1876-1917), est une espionne, danseuse et courtisane néerlandaise, fusillée pour espionnage pendant la Première Guerre mondiale.

UNE JEUNESSE TUMULTUEUSE

Margaretha est la fille d’un riche marchand de chapeaux et de capes néerlandais. Appelée familièrement M'greet ou Grietje, la jeune Margaretha a un teint basané, au point d'être souvent prise pour une Eurasienne.

Grietje a peu connu sa mère, tôt disparue ; quant à son père, acculé à la faillite, il s'est vu déchoir de l'autorité parentale ; la toute jeune fille tomba alors sous la tutelle d'un oncle, à La Haye.

Lors de ses études pour devenir institutrice, elle est renvoyée de l'école à la suite d'un scandale impliquant une liaison avec le directeur.

À 18 ans, à la suite d'une annonce matrimoniale, elle se marie avec un officier de la marine néerlandaise de dix-neuf ans son aîné, Rudolf MacLeod, avec qui elle part vivre aux Indes néerlandaises. Comme c'était l'usage des femmes européennes à l'époque, elle s'habille à la javanaise, parle un peu le javanais, apprend la danse javanaise.

Sa vie conjugale fut un enfer : McLoan se révéla irascible, violent et surtout jaloux - non sans quelques raisons... Il ne gêne pas pour tromper Grietje.

L'officier jouait aisément de la cravache, quand ce n'était pas du pistolet. Le couple a deux s, Louise-Jeanne et Normand-John. En 1899, un drame brise définitivement ce couple mal assorti. Les deux s ont été empoisonnés. Seule Louise-Jeanne survit.

En 1902, de retour en Europe, elle divorce à La Haye de son mari, un homme violent et alcoolique. Elle obtient la garde de sa fille et une pension alimentaire, qui ne lui sera jamais versée. Rudolf MacLeod enlève sa fille, jugeant son ex-femme indigne et dangereuse. En novembre 1903, à l'âge de 27 ans, elle fait son arrivée à Paris.

COURTISANE, ELLE DEVIENT MATA HARI

Pour survivre, elle se fait entretenir par les hommes, devenant une cocotte, entre la courtisane et la prostituée, dans le Paris de la Belle Époque.

Début 1905, elle se fait embaucher en tant qu'écuyère dans le « Nouveau cirque » d'Ernest Molier, qui lui propose d'évoluer en danseuse dénudée. Elle commence dès lors à composer son rôle de danseuse orientale.

Le 13 mars 1905, Émile Guimet, orientaliste fortuné et fondateur du musée du même nom, l'invite à venir danser dans la bibliothèque du musée, transformé pour l'occasion en temple hindou. Elle y triomphe dans un numéro de danseuse érotique exotique sous le nom de Mata Hari, signifiant « soleil », littéralement « œil du jour » en malais : sous les apparences d'une princesse javanaise habillée d'un collant couleur chair et entourée de quatre servantes, elle rend hommage au dieu hindou Shiva, et s'offre à lui lors de la troisième danse, se dénudant progressivement. Très grande, élancée, avec une peau mate sous une chevelure de jais, un regard ténébreux et une bouche sensuelle, elle séduit son public.

Dans un article du Courrier français daté de 1905, un journaliste décrit l'incroyable numéro de la jeune divorcée : « Elle ondule sous les voiles qui la dérobent et la révèlent à la fois. Et cela ne ressemble à rien de ce que nous avons vu. Les seins se soulèvent avec langueur, les yeux se noyent. Les mains se tendent et retombent, comme moites de soleil et d’ardeur ».

DANSEUSE ET EGERIE DE LA BELLE EPOQUE

Couronnée d'aigrettes et de plumes, elle se produit d'une capitale à l'autre, guettée par les échotiers qui comptent ses chapeaux, ses chiens, ses fourrures, ses bijoux et ses amants.

Son numéro d'effeuillage sous prétexte de danse orientale a fait d'elle une égérie de la Belle Époque, une femme moderne qui lève le tabou de la nudité dans une société encore marquée par le rigorisme moral du XIXe siècle. Elle aide les échotiers à créer autour de sa personne une légende : elle serait née à Java, où les prêtres de Shiva l'ont initiée aux secrets de son culte et de ses danses. Son père était baron. Son mari, un officier supérieur dont elle est séparée, était jaloux comme un tigre (Mata Hari, pour justifier les cupules de bronze ornées de bijoux qui masquaient ses seins pendant ses spectacles, affirmait qu'il lui avait arraché ses mamelons dans un accès de rage jalouse, lui laissant de vilaines cicatrices.
Ces cupules servant surtout à masquer leur petite taille.)

Le tout Paris accourt voir les spectacles de celle que l’on appelle maintenant Mata Hari. Les grands noms de la musique l’encense, tel que Puccini, et les amants se succèdent. En 1910, elle devient la danseuse la mieux payée de la scène européenne. Tout le monde la veut. Elle aurait été, dit-on, bisexuelle et l’amante de Colette comme de Natalie Barney.

Mata Hari vient d’inventer un érotisme mondain, elle se montre quasi-nue quand les femmes portent encore le corset. Son numéro est encore plus scandaleux que ceux que faisait Colette à la même époque.

Agnès Grossmann, dans le chapitre qu’elle lui consacre (voir biographie), nous dit que : « le poème de Charles Baudelaire, Les Bijoux, semble avoir été écrit pour elle ».

Mais cette réussite et cette omniprésence excitent autant qu’elles dérangent. Certains l’affublent déjà de titres tels que : mangeuse d’homme ou vampirique. Elle n’hésite d’ailleurs pas à dire qu’elle préfère un officier pauvre à un banquier riche. Et malheureusement, c’est ce genre de propos qui la perdra.

Elle est une courtisane qui se préoccupe trop peu de la nationalité de ses conquêtes. Personnalité flamboyante, elle s'invente ainsi un personnage et une histoire mais sa carrière a du mal à redémarrer depuis sa liaison avec lieutenant allemand Alfred Kiepert en 1907 : endettée, elle est réduite à des rôles peu reluisants dans des spectacles non plus mondains mais populaires, allant jusqu'à se prosti dans des maisons closes !

ESPIONNE, AGENT DOUBLE ET COUGAR

En 1914 alors que la guerre éclate, Mata Hari se trouve à Berlin, une ville par ailleurs qu’elle déteste. Elle rencontre un aviateur et officier allemand, avec qui elle a une aventure. Malheureusement avec la déclaration de guerre des allemands aux français, il lui est impossible de retourner en France. Elle décide donc se rendre dans sa Hollande natale, qui est un pays neutre.
Mais elle s’ennuie et n’arrive pas à se défaire de ses pulsions. Elle décide de tenter un retour en France en passant par l’Angleterre en 1915. Malheureusement sa notoriété la ratt. Elle se fera entendre par les agents de Scotland Yard en passant sur le sol britannique. Ses allées et venues entre pays belligérants éveillent les soupçons de l’agence britannique. Pourtant, ils ne trouveront rien à lui reprocher.

En 1915, elle vend son hôtel luxueux de Neuilly et loue une modeste maison à La Haye. Elle y reçoit la visite du consul d'Allemagne Carl H. Cramer qui est intéressé par cette femme polyglotte introduite auprès des milieux du pouvoir et lui propose de rembourser ses dettes en échange de renseignements stratégiques pour l'Allemagne en retournant à Paris.

De retour à Paris, elle se rendra vite compte que de nombreuses danseuses ont repris sa marque de fabrique. Elle ne fait plus recette, sa silhouette s’est épaissie et la quarantaine approchant, elle n’arrive pas à rivaliser avec les jeunettes qui enflamment les cabarets et les salles de spectacles parisiennes. Néanmoins, elle remet au goût du jour, certaines de ses danses en les intégrant subtilement dans des ballets. Sa grâce fait le reste et sa popularité remonte.

Elle s'éprend vers la fin 1916, à Paris, d'un capitaine russe au service de la France, dénommé Vadim Maslov, fils d'amiral, couvert de dettes. Il a 21 ans. Blessé au front, il est soigné dans un hôpital de campagne près de Vittel. Mata Hari se comporte en cougar : elle est éprise, follement, et envisage de l'épouser dès que la guerre sera finie.

Elle réalise des démarches pour obtenir un laissez-passer à destination de cette infirmerie du front. C'est dans ces circonstances qu'elle rencontre le capitaine Georges Ladoux, chef des services du contre-espionnage français, le 2 septembre 1916, ce dernier pouvant faciliter l'obtention du laissez-passer. Comme Cramer quelques mois plus tôt, il l'invite à mettre ses relations internationales, son don des langues et ses facultés de déplacement au service de la France.


Elle accepte contre rémunération (elle réclame une somme d'un million de francs à Ladoux qui accepte mais la somme ne sera jamais versée) d'aller espionner le Haut commandement allemand en Belgique. En tant que ressortissante des Pays-Bas, elle peut franchir librement les frontières.

Pour éviter les combats, elle compte rejoindre la Belgique via l'Espagne. Elle est interrogée lors d'une escale involontaire à Falmouth par Basil Thomson du MI-5 à qui elle reconnaît son appartenance aux services secrets français. On ne sait pas si elle ment à cette occasion, croyant que cette histoire la rendrait plus intrigante, ou si les services français se servent effectivement d'elle sans le reconnaître. Après un séjour en Belgique, où elle aurait reçu une formation au centre de renseignements allemand d'Anvers, elle embarque finalement le 24 mai 1916 pour l'Espagne, où elle fréquente dans la capitale de nombreux membres des services secrets. Elle y est courtisée par de nombreux officiers alliés.

En janvier 1917, l'attaché militaire allemand à Madrid, le major Kalle, que Mata Hari avait tenté de séduire en se faisant passer comme l'espion allemand de nom de code H-21, transmet un message radio à Berlin, décrivant les activités de H-21.

Les services secrets français interceptent le message et sont capables d'identifier H-21 comme étant Mata Hari. Aussi étrange que cela puisse paraître, les Allemands chiffrent le message avec un code qu'ils savaient pertinemment connu des Français et avec des informations suffisamment précises pour désigner sans peine Mata Hari (nom de sa gouvernante, adresse), laissant les historiens penser que le but du message était que, si elle travaillait effectivement pour les Français, ceux-ci pourraient démasquer sa double identité et la neutraliser. En tout état de cause Mata Hari se retrouve au milieu de services secrets en pleines manœuvres de manipulation et d'intoxication de part et d'autre.

Six semaines après son retour en France pour rejoindre son amant Vadim Maslov, le contre-espionnage français fait une perquisition dans sa chambre d’hôtel. On ne trouve pas de preuve incontestable, mais le sac à main contient deux produits pharmaceutiques. Elle déclare que l'un de ces produits est un contraceptif, bien légitime compte tenu de ses activités, mais il entre aussi dans la composition de l'encre sympathique. Des télégrammes chiffrés interceptés établissent (et elle le reconnaît) que le consul allemand aux Pays-Bas lui avait versé 20 000 francs. « Pour prix de mes faveurs », précise-t-elle. Pour des « renseignements », selon ses juges. Elle est arrêtée.

VICTIME EXPIATOIRE ET CONTROVERSEE

Accusée d'espionnage au profit de l'Allemagne dans le cadre d'une enquête sommaire, Mata Hari passe du statut d'idole à celui de coupable idéale dans une France traumatisée par la guerre.

Son avocat et ancien amant Édouard Clunet n'a le droit d'assister qu'aux premiers et derniers interrogatoires. Son procès, dont le substitut du procureur est André Mornet, ne dure que trois jours, sans apporter de nouveaux éléments. Elle est même, lors du procès, abandonnée par son amant Vadim Maslov qui la qualifie tout simplement « d'aventurière ».

Elle est condamnée à mort pour intelligence avec l'ennemi en temps de guerre et sa grâce rejetée par le président Raymond Poincaré. Son exécution a lieu le 15 octobre 1917 par fusillade, au polygone de tir de Vincennes.

Mata Hari fut sans doute une « cocotte » naïve et vénale manipulée par les services secrets. La réalité de ses activités d’espionnage reste un sujet de discussion entre historiens.

Avec le recul, il est difficile de croire que Mata Hari était une espionne à la solde des allemands. Bien qu’elle fût recrutée par Ladoux, elle a certainement transmis quelques informations aux français, mais en aucun cas, il était dans sa nature de jouer les agents doubles. Mata Hari avait un faible pour les militaires et les officiers, et c’est probablement cette faiblesse qui a causé sa perte. Elle s’est laissée entraînée naïvement dans un jeu dangereux orchestré par Ladoux, afin de pouvoir continuer son train de vie de luxe. Elle était obnubilée par l’argent, le sexe et la notoriété, mais en aucun cas par l’envie de trahir ou de mentir. D’ailleurs aucunes preuves dignes de ce nom n’ont pu démontrer sa participation dans de l’espionnage.

PRINCIPALES SOURCES (outre les articles Wikipédia et le chapitre que lui consacre Agnès Grossmann dans son ouvrage « Les salopes de l’histoire » (Acropole, 2016) :

• https://www.histoire-pour-tous.fr/biographies/4522-mata-hari-ou-le-mythe-de-la-danseuse-espionne.html

• https://www.histoire-et-civilisations.com/mata-hari-femme-fatale-victime-de-grande-guerre/

• http://enigmeshistoire.e-monsite.com/pages/mata-hari-espionne-ou-victime.html

• https://www.holland.com/fr/tourisme/destinations/les-provinces/friesland/mata-hari-8.htm

• https://www.collection-privee.org/public/galerie-virtuelle-plus.php?theme=9

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