Clorinde, Ma Colocataire (24)

Elle a jeté son sac sur la petite table de l’entrée.
– Changement de programme !
– Hein ! Elle vient plus, Alexandra ?
– Oh, mais paniquez pas comme ça ! Si ! Enfin non ! Non, ce qu’il y a, c’est qu’on a encore discuté toutes les deux et que ce qu’elle aimerait, c’est que ce soit en boîte qu’ils se passent les travaux d’approche. C’est son truc à elle, ça ! Parce que son premier mec, celui qui l’a dépucelée, c’est là que… Enfin bref, je vous passe les détails. Toujours est-il qu’on ira en boîte. Et que je me tirerai vite fait. Comme convenu. D’autant que j’ai rendez-vous avec son magnétiseur d’amant, là.
– Ah, oui ? Ça y est ! Et elle est au courant ?
– Ça va pas, non ? Vous êtes pas bien ? Il y a des choses qui ne se font pas. Parce qu’elle a beau dire qu’elle en a rien à foutre, que c’est juste pour le cul avec lui, dans ce genre de situation, t’as tout intérêt à marcher sur des œufs. Parce qu’il y a des nanas, c’est quand on veut leur piquer le mec auquel elles tiennent soi-disant pas qu’elles en tombent amoureuses. Et ça vous retombe sur le coin de la figure. Vous devriez savoir ça depuis le temps.
– Et alors Mégane ce soir, du coup, elle va se retrouver toute seule.
– Pas grave. Elle passera la soirée à penser à vous. Ce n’en sera que meilleur demain. Pour elle comme pour vous.

C’est d’abord Clorinde que j’ai invitée à danser.
– Vous voulez faire diversion, oui, je comprends bien, mais ça vous sert strictement à rien. Parce que vous jouez sur du velours, je vous dis ! Elle va vous tomber toute rôtie dans le bec. Alors allez-y ! Foncez !
– Oui, mais…
– Mais quoi ?
– J’ai aussi envie de danser avec toi.
– C’est gentil, mais on en aura d’autres, des occasions. Plein d’autres. Parce que je sais pas si vous avez remarqué, mais on vit ensemble au quotidien, hein ! Je file n’importe comment. Henri m’attend.

Et j’ai fait danser Alexandra. Qui a suivi des yeux Clorinde en train de prendre la poudre d’escampette.


– Elle va où ?
– Aucune idée. Elle me dit pas tout, hein ! Elle vit sa vie de son côté. Et moi, la mienne du mien. Mais, la connaissant, il y aurait quelque séduisant jeune homme là-dessous… À l’attendre quelque part…
On s’est souri.
Elle s’est abandonnée plus librement contre moi. Mes mains sont descendues, sont venues se loger au creux de ses reins. Juste au-dessus des fesses. Elle a posé sa tête contre ma poitrine. Et on s’est tus.
Mon souffle dans ses cheveux. Elle a eu un imperceptible frémissement. Je les ai effleurés de mes lèvres. Sa poitrine s’est soulevée plus vite. En bas je me suis dressé vers elle, pressé contre elle. Elle n’a pas tenté de se dérober. Elle a levé vers moi des yeux pleins de désir. Je me suis penché. Et nos lèvres se sont jointes.
Un quart d’heure plus tard, on était chez moi.

* *
*

Je me suis réveillé en sursaut. J’ai tâté l’absence à mes côtés et je me suis précipité à la cuisine où ne se trouvait que Clorinde.
– Elle est partie Alexandra ?
Elle a tranquillement vidé sa tasse.
– Il est dix heures, je vous ferai remarquer. Et elle a un métier, elle !
– Tu l’as vue ? Elle t’a dit quelque chose ?
– Oh, plein de choses ! Fort intéressantes d’ailleurs ! Non, parce que, si je veux me faire une idée de la façon dont vous baisez, vu que je peux pas juger moi-même sur pièces, le mieux, c’est encore que je me renseigne. Et vous vous en êtes pas si mal sorti que ça, à ce qu’il paraît. Mais enfin, faut bien reconnaître aussi que vous avez bénéficié d’un préjugé favorable au départ. Très favorable. Elle était de parti pris, Alexandra. Elle est enchantée, ce qu’il y a de sûr. Et vous pouvez remettre le couvert quand vous voulez. La prochaine fois, si tout se passe bien, vous aurez même droit à une petite pipe. Elle a pas osé hier. Parce qu’au début, comme ça, elle avait peur de ce que vous pourriez penser d’elle. Mais elle en crevait d’envie. N’empêche… Qui aurait cru, hein ? Qui aurait cru, le jour où on s’est mis à la suivre parce que vous aviez flashé sur son cul, qu’elle se retrouverait dans votre lit ? C’était pas gagné.
Après, reste à savoir comment ça va tourner, tout ça.
– Comment ça va tourner ?
– Ben oui. Oui. Parce que vous êtes libre. Et elle aussi. Alors il y a toutes les chances qu’il lui pousse des idées derrière la tête. Si c’est pas déjà fait…
– C’est pas l’impression qu’elle m’a donnée.
– Oui, non, mais ça, évidemment ! Évidemment ! Une nana, aujourd’hui, elle se pointe pas comme ça, tranquille, la fleur au fusil : « Coucou, c’est moi ! Je viens te mettre le grappin dessus. » Non. Elle se la joue fine. Elle te fait croire ce que t’as envie de croire. Que c’est juste pour prendre du bon temps. Qu’elle a pas l’intention de s’investir le moins du monde. Et puis, petit à petit, elle grignote. Elle gagne du terrain. Elle t’enrobe. Et, au final, tu te retrouves installé avec sans trop savoir au juste comment ça s’est passé. T’es piégé. Et alors après, pour réussir à te dégager… Surtout vous ! Je vous vois mal dans le rôle.
– Pourquoi tu me dis tout ça ? Tu sais quelque chose ? Elle t’a fait ses confidences ?
– Pas vraiment, non ! Mais je sais lire entre les lignes. Après, c’est vous que ça regarde, hein ! Vous faites bien ce que vous voulez… Mais je vous aurai prévenu. Vous courez des risques. Surtout que…
– Que quoi ?
– Qu’elle commence à en avoir soupé de son magnétiseur. Et qu’elle se demande ce qu’elle fout encore avec. Ce que je peux comprendre. Parce que des nuits aussi nulles que celle que je viens de passer, j’en ai rarement connu. Non, mais attendez ! Le mec qui débande quand vous l’avez dedans, c’est quand même pas banal. Il a passé son temps à ça. Bander. Débander. Rebander. Redébander. Et à s’excuser. Qu’il était désolé. Que j’étais une fille hyper attirante pourtant. Qu’il avait une envie folle de moi. Alors il comprenait vraiment pas ce qu’il se passait. Peut-être les médicaments. On lui avait changé son traitement. Ce dont j’avais strictement rien à foutre. Que ce soit ça ou autre chose, moi, un mec qu’arrive pas à me satisfaire, j’ai pas l’intention de perdre mon temps avec.

– Mais Alexandra…
– On l’a entendue jouir, oui, je sais… Mais apparemment c’est plus vraiment le cas. Depuis un bon petit moment déjà. Bon, mais et vous ?
– Quoi, moi ?
– Vous êtes monté deux fois à l’assaut cette nuit, à ce qu’elle m’a dit. Deux fois et demi même. Vous croyez que vous allez pouvoir assurer avec la Mégane, là ? Surtout que, si elle a pas vu le loup depuis des mois, comme elle le prétend, elle va être sacrément demandeuse.
– On verra. Je te dirai.
– Oh, oui, hein ! Avec tous les détails. Je veux tout savoir.

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