Marilou

Jpj, Aix-en-Provence, juillet 2014


C'était cours Mirabeau, printemps 66, l'année de mes seize ans.

Son papa était quelque chose comme négociant, marchand de vins, de rosés Sainte-Victoire, de Gris des Sables de Camargue.
Un homme solide rougeaud carré.
Il me regardait droit dans les yeux, toujours.
Moi, chaque fois, je pensais, la Marilou te faudra pas te louper
Soit tu la veux tu la prends tu te la maries
Soit tu te casses vite fait et glisses, goujon de rivière, hors les mains battoirs diablement préhensiles de ce père autoritaire.

Mais Marilou était fille aimante
Et moi j‘étais déjà un peu attrapé dans ses bras de pieuvre
En plus j’aimais sa chevelure bouclée sombre brune ibérique forte d’odeurs musquées qu’elle dissipait allègrement autour d’elle en lents allers-retours de dénégation qui faisaient voler gaiement ses cascades ondulées.

Moi, en ces temps-là, j’étais garçon frêle vulnérable, proie facile.

Cette Marilou était une princesse, une Arlésienne, fine et noble.
Je crois bien que c’est pour ça que je l’aimais.

C’est au Grau du Roi que l’on s’est, elle et moi, rencontrés.
Le Grau, c'était le lieu de nos jeunes années, de nos étés d'adolescence tendre.

Mon 4-20, fin voilier
Son maillot une pièce bleu pâle, tant si pâle
Cet été-là au Grau du Roi, fin de journée
Elle debout, tenant au vent l'étrave du dériveur, l'eau à la taille, ses boucles épaisses en tourmente, ses yeux noirs sur moi.
Moi affalant les voiles qui claquaient dans le mistral.

Cette image est restée dans ma mémoire cinquante ans durant
Tant de temps passé et rien n'a pu l'effacer
Non, rien n'a pu effacer l'ombre brune de sa touffe sous le pâle du maillot révélée à chaque vague du clapot
Indécente mouillée frisée
Et n'a rien effacé non plus ces nuits solitaires à en repasser sans fin le film, en boucle comme on dit aujourd'hui
Au moins deux longs hivers nourris rien que de son souvenir.



Années lycée, aixoises.

C'est plus tard, bien plus tard, quand elle était en fac et moi aux Arts à Cayenne que je l'ai enfin tenue dans mes bras
Bras amoureux.

Moonlight in Vermont, Ray Charles, slow, mes mains sur ses hanches son parfum dans ma tête et mon cœur d'adolescent qui revenait lancinant comme un ressac.
Soirée étudiante début d'été, grosse villa accrochée à la Sainte-Victoire.

Mes mains sont à sa taille, sur l'étoffe fine de la robe
Elle laisse faire, je sens bien qu'elle est bien, qu'elle aime.

Moi aussi je suis bien
Et puis je suis en pays de connaissance.
J'alterne exploration de son corps et tendres étreintes
Mes mains sont guidées par la curiosité, seulement par la curiosité.
Plus tard plus vieux je saurai tous les secrets des filles et mes mains seront alors mues par idées de caresse, idées de donner du plaisir, idées de générosité.

Mais là point de générosité, je suis juste, jeune ado, dans mon trip à moi, égoïste.
Besoin de découvrir, d'apprendre, de savoir, et rien de plus.
Son plaisir à elle que je vois que je sens, évident, est seulement la clef pour franchir les frontières des réticences d'éducation ou de pudeur que je prévois que je suppute que j'attends comme obstacles sur ma route d'explorateur de corps de fille.
Son plaisir n'est mon but que parce qu'il est ma pelle ma pioche, l'outil de ma curiosité exploratrice, la clef pour forcer ses retenues.

De sa taille ma main remonte, courant légère sur la fine maille jersey de la robe, jusque sous le bras. A l'aisselle la robe est échancrée.
Son léger duvet est humide, à peine humide et je l'effleure de deux doigts. Ma paume sent, sans toucher, le renflé, la chaleur de son sein. Un sein libre et menu de fille jeune.
De toutes façons cette robe largement ouverte sous les bras interdit le port d'un soutien-gorge. Pas de bretelles de bandeaux de sangles de harnais sur les côtés dans le dos.
Merci.


Alors mes mains caressent ce dos ce grand dos des épaules à la taille jouant sur les omoplates, descendant remontant les bosselées de la colonne vertébrale. Je sens sous mes doigts à travers la maille de la robe les frémissements de ses muscles qui, éloquents, disent son plaisir.

Mon ventre vient en avant pour dire ma réponse et montrer à mon tour mon émotion grandissante qui s'exprime.

Richard Anthony chante C'est ma fête et moi je bande tendrement, serré à Marilou, avec mes mains qui parcourent son dos, son grand dos.
Mes pensées ne vont pas à ma bite et à l'élan qui me pousse vers elle. Non, mon intérêt alors, petit con que je suis, est intello, purement intellectuel…

Je suis le gars que depuis vingt ans on mène d’écoles en collèges, lycées et d’instits en profs, moniteurs, coachs. Je suis le pur produit du système éducatif. Les livres, les films, comme aujourd'hui les sites web, les rencontres de réseau, tout était, tout est, tout n'a que ce rôle de parfaire ma connaissance.
Alors cette fille dans mes bras et son dos avec cette foultitude de muscles là sous mes doigts qui se contractent plus ou moins en harmonie, du moins en connivence avec mes caresses, cette fille m'intéresse.
Je pense surtout à son devant d'entre-ses-cuisses, que déjà je connais un peu, que je sais velu, poilu, sombre, secret.
Je sais plein de choses d'entre-les-cuisses des filles
Voilà des années que je me renseigne.

En ce temps-là, on ne connaissait pas Wikipedia mais l'on savait déjà trouver les infos aussi bien, même encore mieux.
Je savais tout
Le clitoris, oiseau sacré chez les Incas, ...

*
* *

Non, non, je ne veux pas raconter ça.
Le vrai c'est que ce qui m'importait c'était la tignasse épaisse drue bouclée de Marilou et l'odeur forte qui émanait d'elle et se mélangeait au sel de l'eau sur le bateau de ma mémoire.
Ce qui m'importait alors sur la plage de nos vacances avait été de toucher ses chairs musclées couvertes de sable fin, déco friable qui tombait au moindre effleurement, rugueux sous mes doigts, les extrémités de mes doigts timides qui n'osaient pas.


Pourtant tant je voulais savoir tant j'étais curieux d'elle de son coeur de son corps du coulant de sa salive de sa bouche sous mes lèvres et je pensais à ces autres lèvres cachées dans la noire toison entrevue entre ses cuisses dans le maillot bleu clair.
Mouillé.
Qui montrait tout
Indécence de la mer des vagues qui venaient montaient sur ses cuisses et se retiraient pour me tout montrer en transparences d'étoffe humide.

Son odeur et l'idée de son père étaient mêlées et faisaient dans ma tête comme un chiasme de polarités opposées qui me tenaient en lévitation étrange
Je voulais tendre la main pour empaumer son sein
Son sein qui pommelait le haut du maillot une-pièce bleu
Avec téton saillant
Comme pour bien marquer que la maille fine de Jersey bleue tendre épousait directement ses peaux fines sans doublures ni coques.

Mais on n'était plus au Grau à la mer mais à Aix, en soirée étudiante sur une terrasse de demeure bourgeoise accrochée à la Sainte-Victoire.
Elle n'était plus la sylphe méditerranéenne de l'été passé, fine et légère dans son maillot clair, ombré au pubis, merveilleusement indécente.

Pourtant je savais tout, je savais son père je savais qu'il suffisait de peu pour me faire prendre, capturer...
Je savais qu'il me fallait être prudent, rester sur la retenue...


J'ai succombé, j'ai attrapé sa taille et l'ai tenue serrée contre moi
Ce fut ce soir-là comme si je l'avais demandée, épousée.

Brusquement j'ai voulu m'enfuir
Comme voleur d'âme de bonheur de fleur cachée
Découvert.

Fallait pas
Pourquoi diable était-ce ainsi alors, en ces temps-là ?

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