Amnésie

Mon cher journal, laisse-moi te récapituler ma vie en quelques lignes. Je ne suis pas née dix-huit ans plus tôt comme l’indique ma carte d’identité, mais il y a quelques semaines.
Que sait-on de l’amnésie ? Rien, sinon qu’elle est causée par un traumatisme. On m’a trouvée, on m’a amenée dans cette clinique privée ultra moderne, je suis restée dans le coma pendant un mois.
Mon réveil a été douloureux, au moins suis-je réveillée, ce qui a causé une certaine surprise dans le service, puis une grande agitation au sein du personnel médical. J’ai ouvert les yeux et… Et rien !
Alors mon hurlement a fait sursauter la femme en blouse blanche occupée à me laver avec une grosse éponge. L’aide-soignante a réagi selon le protocole, avertissant l’infirmière qui alla à son tour prévenir les médecins.
« Bonjour Chloé. »
Chloé… c’est moi ?
Voici comment je suis née une seconde fois.

Très vite des gens se sont présentés comme mes parents, les mains pleines de photos et de souvenirs. Sans mettre leur bonne foi en cause, il m’est impossible de répondre à leur affection tant le mystère plane sur mon ancienne vie. Je les appelle papa et maman pour les remercier de leur gentillesse, car cela m’aidera peut-être à retrouver mon passé ; cependant, je ne ressens rien de particulier en leur présence, ils restent pour moi des étrangers.
Ils ont exhibé Lucas, un grand jeune homme timide, comme étant mon petit ami. J’ai bon goût si c’est le cas. Si, car la présence du beau brun au visage carré n’attise aucun trouble en moi. J’aurai préféré qu’ils m’amènent un chien.
Après deux mois en clinique, nécessaires à la rééducation de mes muscles et à la découverte du monde à la télévision et dans les journaux, on me permit enfin de rentrer à la maison.
– Un accompagnement est indispensable dans son état, annonça le médecin à ma mère dubitative. Une aide-soignante de la clinique vient avec vous. Je vais prévenir le cabinet d’un de mes confrères, dès demain une infirmière à domicile passera beaucoup de temps avec votre fille.

Elle saura vous conseiller et veiller au moral de Chloé.

Tout le monde s’attacha à mes réactions en pénétrant dans le joli pavillon du 16ème arrondissement de Paris. Revenir « chez moi » ne réveilla toutefois aucun souvenir, et maman dut me guider jusqu’à ma chambre.
– J’ai envie d’être seule, lançai-je à Lucas qui voulait s’inviter sur mes talons dans mon domaine.
Ce premier instant m’appartenait, je ne voyais pas l’intérêt de le partager avec un garçon qui me laissait indifférente.
– Mais je veux être avec toi comme avant, supplia-t-il en tentant d’accrocher chez moi un démenti qui ne vint jamais.
– Avant n’existe plus, alors arrête de me coller.
Cet instant particulier devait permettre de découvrir ma personnalité – ou de la retrouver avec de la chance – à travers le mobilier et la déco de ma chambre, aussi la solitude s’imposait afin de dissimuler une éventuelle déception. L’aide soignante congédia les parents et Lucas puis s’adossa au chambranle de la porte comme une sentinelle. Je la remerciai d’un sourire avant de me focaliser sur ce qui avait été mon univers. J’en sortis désappointée quelques instants plus tard. Bien que jolie, agréablement meublée, la pièce n’avait pas réveillé les souvenirs espérés.

Une infirmière se présenta le lendemain, et s’attacha à mes pas avec habileté afin de ne jamais paraître collante. Cette jolie brune d’une trentaine d’années se comporta comme une bonne copine d’enfance, celle qui semble indispensable dans un décor, qui donne sans rien exiger. Lucas en fit évidemment les frais, se voyant refuser le statut de confident privilégié. Je me demandais pourquoi mes parents m’imposaient la présence de ce mec trop saoulant à mon goût, qui avait tenté de m’embrasser à maintes reprises sans s’occuper de savoir si j’étais ou non consentante. J’en fis part lors du déjeuner auquel maman l’avait convié une fois de plus. J’obtins avec fermeté que Lucas reste chez lui à l’avenir.
Deux jours plus tard, Agnès l’infirmière proposa un après-midi shopping afin de reprendre les repères que ma mémoire avait occultés.
Voilà qui me plaisait, davantage que de supporter les approches vulgaires de mon soit disant « petit ami » de voisin. Je partis donc à la découverte de Paris le cœur léger. Nous en arrivâmes, avec ma nouvelle amie chargée de me ramener à une vie normale, à un tutoiement logique.

Cher journal, quel moment fantastique ! Nous nous sommes amusées comme des folles. J’ai repéré au rayon lingerie d’un grand magasin un soutien-gorge de belle coupe, qu’il me fallait bien sûr essayer au plus vite. J’ai invité Agnès dans la cabine en toute innocence, comme cela se passe entre nanas ; je ne voulais pas m’exhiber en petite tenue dans le magasin pour lui montrer le résultat.
– Tu es bien dedans ? demanda Agnès en glissant un doigt entre ma poitrine et le soutif afin d’apprécier le tissu.
J’allais répondre quand une vendeuse tira distraitement le rideau de la cabine. Son air interloqué face au geste innocent de mon infirmière en dit long. Sans chercher à comprendre, cette femme ne voulait voir en nous que des gouines en train de se peloter dans « sa cabine ». Quelle pruderie ridicule !
Il eut été facile de la détromper, mais moins amusant. D’un geste je saisis le poignet d’Agnès qui ouvrit la main de surprise. Occupée à rougir en dévisageant la vendeuse, elle ne vit pas mon désir de provocation, et je collai sa main sur mon sein. Par réflexe sans doute ses doigts le palpèrent délicatement, mon téton durcit sous sa paume. Pour le coup, l’infirmière se retrouva aussi interloquée que la vendeuse. Toutefois, Agnès joua le jeu. Quand, plus tard, je lui ai expliqué la raison de mon acte, elle s’en amusa, même si la gêne fut longue à se dissiper.
Le soir dans mon lit, il me parut difficile de chasser ce souvenir, l’empreinte de sa main sur mon sein enfiévrait mon esprit.
Le lendemain et les jours suivants permirent à notre complicité de prendre son envol comme un oisillon quitte le nid. En bonne infirmière, elle expliquait dans ses rapports aux parents que le déclic pouvait se produire n’importe quand, ou ne jamais avoir lieu.
Moi, je me foutais de retrouver la mémoire, la vie présente me comblait. Agnès arrivait le matin, passait la journée avec moi sans jamais donner l’impression de vouloir être ailleurs, puis rentrait le soir après dîner.

Mon cher journal, que te dire des derniers instants qui mérite l’encre pour l’écrire, sinon qu’Agnès travaille six jours de suite, puis en a trois de repos. J’ai donc passé le reste de la semaine avec une autre infirmière, gentille mais avec qui je n’ai pas autant d’affinités.
C’est fou comme elle me manque. Hier soir un trouble bizarre s’est emparé de moi au moment de me mettre au lit. Je me suis couchée énervée, et le sommeil a été long à venir.
Quand la lune blanche découpa sa silhouette devant la fenêtre entrouverte de ma chambre, Agnès me fit signe de garder le silence. Par quel miracle pouvait-elle se tenir là, si belle en enjambant la traverse avec précaution. J’aurais aimé savoir, mais aucune question ne franchit mes lèvres par peur de briser le charme de l’instant.
Sa robe a glissé, dévoilant ses rondeurs à mon attention. La grosse veine dans son cou avouait l’affolement de ce cœur dont je cherchais inconsciemment la clé. Ses seins, à peine plus gros que les miens, affirmaient une arrogance toute féminine. Mon regard en suivit le dessin jusqu’à l’arrondi de la hanche, puis il se focalisa sur la toison bouclée de son pubis.
Elle s’allongea sous le drap lisse, son corps épousa mes formes. Sa bouche sur la mienne me montra la voie, révélant la douceur sucrée d’un fruit de saison. Ses mains, papillons distraits, virevoltèrent à la découverte des endroits sensibles dont le souvenir s’était évaporé avec le reste de mon existence. Aussi avide de comprendre qu’ignorante de ces choses, je lui offris, soumise, mes premiers émois avec une confiance aveugle.
Une fabuleuse perception irradia soudain chacune des terminaisons nerveuses de mon corps tendu. Je me réveillai, le drap froissé rejeté au bas du lit, hébétée dans ma solitude.
Ce n’était pas sa main qui furetait entre mes cuisses, c’était la mienne. J’en pleurai de déception. Que penser de ce rêve alors que j’ignore tout de ma vie d’hier, de ce qui me faisait vibrer ? Qu’importe, Agnès revient demain, rien d’autre n’a d’importance.

Elle m’est apparue de dos, en grande conversation avec maman. Des doigts fins balayèrent sa soyeuse chevelure brune, m’offrant la vision de sa nuque un trop court instant. Le soleil d’avril dessinait en transparence sa silhouette fine à travers la chemise de coton, un jean moulait d’adorables petites fesses tendues comme une invitation. Je m’approchai dans son dos.
– Salut.
– Bonjour Chloé, me lança-t-elle d’une voix douce tandis que maman prenait la fuite, pressée d’aller travailler.
Débarrassée de ma mère, je détaillai Agnès sans détour. Son beau visage barré par d’immenses yeux marron me souriait, accentuant les fossettes qui mettaient sa bouche fine entre parenthèses.
La profondeur de l’échancrure de la chemise laissait deviner deux petits seins ronds, tels que je les avais rêvés. Comme elle m’avait permis d’apprécier le dos, la transparence révélait à mon attention la silhouette en X de face. Je ne retins pas un compliment.
– Tu es très belle.

Comme la vie c’est être simple, mon cher journal. Le retour d’Agnès rendait ses couleurs au printemps, on reprit nos aventures journalières sans se soucier du reste du monde, oubliant souvent les rapports de patiente à infirmière. Chacune dans les semaines suivantes apporta sa contribution à l’épanouissement de notre amitié. Même lors de ses absences, Agnès me téléphonait et s’arrangeait pour me voir, sans susciter l’étonnement de sa remplaçante.
La nuit, esseulée dans mon grand lit vide, j’espérais de nouveau rêver d’elle, revivre cet indéfinissable moment d’abandon. Le souvenir tournait à l’obsession, hantait mon esprit même de jour en sa présence. Persistait la réminiscence d’un intense frisson, d’une chaleur à la limite de la brûlure, d’une odeur doucereuse, et d’une incommensurable béatitude.

Mon cher journal, tant pis si je te choque, mais je ne saurais taire ce qui vient de se passer.
Agnès et moi nous avons vagabondé dans Paris comme à l’accoutumée, mais la dégradation du temps nous a intimé de rentrer tôt. Nous n’avons cependant pas pu éviter l’averse. On se pressa dans ma chambre en riant, et je lui prêtai un peignoir tandis que ses fringues séchaient.
– Tu as un petit copain ? demandai-je sans détour alors qu’on s’asseyait face à face sur le lit.
Jamais encore, malgré notre complicité avérée, nous n’avions abordé de sujets aussi intimes.
– Je suis seule depuis quatre mois, mais ça va. Je ne veux pas replonger pour une simple aventure, ou alors cela devra être exceptionnellement surprenant et beau à la fois.
– Tu te touches des fois ? balançai-je sans hésitation, la voix claire de savoir les parents au travail.
Agnès dodelina de la tête sans perdre sa jovialité, une lueur espiègle traversa ses yeux marron piquetés de gris sous l’intensité de la réflexion. Ma question ne semblait pas la gêner. Peut-être se posait-elle la même à mon sujet. D’ailleurs, j’en eus la confirmation.
– Et toi ? L’émotion dans sa voix me charma.
Mes attouchements en solitaire se concluaient souvent par un plaisir mitigé, sans jamais atteindre le sommet entrçu en rêve. Mes efforts modéraient alors la pression sans la calmer, la frustration s’invitait à chaque fois.
– Oui, même si ce n’est pas évident quand on n’a plus de souvenirs. J’ignore tout de ce qui provoquait mon désir.
Je ne pouvais pas simplement avouer que depuis quelques temps, c’était elle qui me faisait fantasmer. Agnès rougit, peut-être d’avoir deviné. Elle s’empressa de retrouver le ton d’une infirmière.
– Rassure-toi, la vie sexuelle est rarement épanouie chez une fille de 18 ans. C’est encore l’âge où on se cherche. Tu peux tout découvrir sans aucun remords dans ton cas.
Tout ou elle ? J’estimais ne plus avoir de temps à perdre. Les parents allaient rentrer du boulot dans quelques heures, alors plus rien ne serait possible. Car si le courage me manquait aujourd’hui, je n’en aurai certainement pas davantage dans les jours suivants.

La situation bascula quand je défis sa queue de cheval pour permettre à ses cheveux de sécher. Mes bras autour de son cou prirent appui sur ses épaules. Ce contact nous fit l’une et l’autre frissonner. Je déposai sur ses lèvres tremblantes une myriade de petits baisers à la limite de la chasteté. Agnès ne chercha pas à se défendre.
Ma langue força doucement la barrière de ses dents et s’enroula autour de la sienne. Oh non, ce n’était pas la première fois que j’embrassais une femme. Mes mains encore fébriles agirent comme si elles reconnaissaient le rituel amoureux qui allait suivre. Et tout s’embrouilla.
Les peignoirs tombèrent, révélant nos nudités. J’admirai ses petits seins ronds, fermes, tendus vers moi, je fis rouler une pointe entre mes doigts, puis l’autre. Le hoquet d’Agnès m’encouragea. J’abandonnai sa bouche pour happer avec gourmandise un téton qui durcit encore sous ma langue.
Embrasser, caresser, lécher, cela me sembla naturel en cet instant. Plus Agnès se pâmait sous mon audace, plus mon désir d’elle se faisait fort. La bouche sur ses seins, une de mes mains dans sa toison bouclée, la seconde se faufila entre ses cuisses ouvertes. Je la pris d’un doigt sans attendre. Sa grotte trempée avala mon index et se comprima.
Je la masturbai ainsi, à genoux face à elle, léchant et mordillant les pointes de ses seins, jouant d’un doigt dans sa vulve trempée et d’un autre sur son clitoris. Son souffle dans mon cou trahissait sa fièvre. Ses mains parcouraient mon corps d’attouchements légers qui me maintenaient au comble de l’excitation.
Trop vite Agnès se crispa, griffant le haut de mon dos, un feulement rauque jaillit dans la chambre. Sa jouissance me surprit. Elle se laissa aller sans retenue, expulsant un plaisir sincère. Elle était à moi maintenant, et j’en étais simplement heureuse. Délaissant sa poitrine, j’observai le retour au calme dans ses yeux.
Je m’attendais à ce qu’Agnès me rende la pareille, mon désir transpirait par tous mes pores. Elle m’allongea sur le lit puis me regarda, rompant le contact de nos peaux. Qu’attendait-elle pour me toucher ?
Sans prévenir, mon amante s’allongea entre mes cuisses largement ouvertes. Sa langue effleura ma fente, puis se faufila entre mes grandes lèvres. Même dans mon rêve, elle n’avait pas osé.
Je me redressai, prenant appui sur mes avant-bras, curieuse de la contempler. Agnès entreprit aussitôt mes seins d’une main experte. Les caresses franches me tirèrent les premiers soupirs de volupté.
Mon amante me lécha longuement, goulûment. Elle fouilla mon intimité à la recherche d’un secret qu’elle dénicha de sa langue. La raison, le cœur et le corps, tout en moi chavirait. Sa bouche tirait de mes nymphes la nature même de ma vie. Je me laissai aller sans plus rien penser.
Quand naquit en moi le balbutiement du plaisir, Agnès intensifia ses coups de langue autour de mon bouton, sa main se fit plus ferme sur mes seins. Mes râles se transformèrent en suffocation, la folie s’empara de moi, je voulais jouir. Elle m’amena enfin à la délivrance, la béatitude dépassa celle de mon rêve.

Et tout me revint en un instant, tandis que je jouissais sans retenue sous les doigts et la langue de mon amante. Mes parents, nos engueulades journalières, leur refus de savoir leur fille lesbienne, l’envie d’en finir, la Seine, le plongeon dans l’eau glacée…

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