Empêchée

Je n’y arrivais pas. Je me mettais à trembler, je n’arrivais plus à respirer.
— C’est rien, chérie, on a tout le temps, c’est pas grave. Je voudrais tellement que ça soit bien pour toi !
Je ne supportais ni ses yeux ni ses mains sur moi, sur ma peau nue. La nuit, dans le noir, elle soulevait ma chemise de nuit et posait sa main sur ma culotte. Mais dès qu’elle bougeait trop ou qu’elle voulait glisser ses doigts dessous, je me débattais, je la repoussais. C’était plus fort que moi. Je l’ai même frappée une fois.

***

Coincée ? Un peu ? Euphémisme ! Un peu beaucoup. C'est bête, mais c'est comme ça depuis ... depuis toujours.
Me déshabiller devant quelqu’un, même en restant en sous-vêtement … je coince !
Déjà au lycée, les rares fois où j’allais en EPS, je me mettais le matin en survêtement, pour ne pas avoir à me changer.
Alors me mettre nue ? Devant des inconnues ? Faut même pas y penser !
Même aller chez mon médecin, c’est une qui me rend malade, vraiment malade, des jours à l’avance. Ma gynéco ? Une fois ! Et jamais plus après cette fois-là !
Des petits amis ? Quelle blague ! Il aurait fallu ... non. Pas de petit ami. Des flirts ? Quelques-uns ... et puis ... rien, la fuite.

Pourquoi je vous raconte ça ? Parce qu'à 20 ans, je venais d'être embauchée dans une grande compagnie d’assurances, et que notre patron organisait un après-midi par mois des rencontres sportives entre les membres du personnel.
Quelle idée ! A ce qu’il paraît que ça renforce le dynamisme et la cohésion ! Une galère ! Badminton et volley-ball au programme …
Je me retrouvais donc très embarrassée dans le vestiaire d'un gymnase en compagnie d'une dizaine de collègues en train de se changer !
Assise sur le long banc de bois sous les porte-manteaux fixés au mur, les yeux baissés sur le sac en plastique posé entre mes pieds où j'avais glissé mes chaussures de sport, un t-shirt et des leggings-corsaire, je me refusais à croiser les regards des autres filles.


Je baissais les yeux, je fouillais mon sac, je sortais lentement mes affaires, je faisais traîner, j'attendais qu'elles soient prêtes et qu'elles sortent du vestiaire.
Ne rien montrer de moi.
Ne rien voir ? Euh ... si. Je regardais ...

Le vestiaire s’est vidé petit à petit, et nous n’étions plus que deux, toujours en tenue de ville. La jeune-femme, petite trentaine, assise sur le banc en face de moi m’a regardée en souriant et en claquant ses cuisses des deux mains avant de se lever. Elle riait :
- Bon ! Nous voilà tranquilles ! Je préférais attendre, trop de pipelettes parmi elles, elles peuvent pas s’empêcher de causer à tort et à travers ! T’es nouvelle, non ? Je ne me souviens pas de t’avoir croisée …
- … depuis le début du mois …
Elle avait déjà enlevé son chemisier et sa jupe quand elle s’est approchée de moi en me tendant la main :
- Aurélie, je travaille au second, à la compta.
Elle souriait et a froncé les sourcils en me voyant rougir :
- Et toi ?
- Au contentieux, moi c’est Caroline ...
Elle est retournée vers son banc en dégrafant son soutien-gorge et j’ai tourné le dos en la voyant glisser les mains sur ses fesses pour enlever son slip.

… il était vert pâle, tout fin … mousseux … comment ne pas voir quand elle s’était approchée pour me serrer la main … il … il laissait tout voir … de son ventre … tout dessiné dessous en reliefs explicites … très explicites … comme si elle avait été nue … pire que si elle avait été nue … elle était … jolie, bien faite … toute bronzée … et puis elle s’est retournée et c’était pareil dans son dos … une maille fine qui collait à ses formes… son petit slip avait bougé et mordait à moitié sur une fesse elle aussi toute bronzée et il se creusait au milieu …
Oui, mes premiers souvenirs d’elle sont remarquablement précis …

Je me suis dépêchée de me changer. J’ai enfilé mon t-shirt avant d’enlever mon pantalon et j’ai vite enfilé mon legging-corsaire.

Aurélie mettait ses chaussures quand je me suis retournée. Elle riait :
- Les filles sont pires que les mecs ! C’est pour ça que j’ai attendu. Comme j’ai bronzé intégral cet été, je te dis pas les réflexions que ça aurait fait ! Autant éviter. T’es discrète, j’espère ?
- Oh oui ! Pas de problème.

Elle m’a pris par le bras en sortant du vestiaire. Dans le couloir qui mène au gymnase, elle me bousculait de l’épaule en riant et chuchotait à mon oreille :
- Un peu transparents tes leggings ! On voit ta culotte ! C’est mignon !
J’en revenais pas ! Elle m’avait passé la main sur les fesses ! Elle m’a lâché le bras en arrivant dans la salle où les autres étaient en train d’installer des filets de badminton.

Les hommes, les femmes, je sentais leurs regards, je me sentais vraiment mal, persuadée qu’ils me détaillaient et je tirais sans arrêt sur mon t-shirt pour l’étirer sur mes fesses. J’ai croisé les yeux d’Aurélie. Elle a haussé les épaules en m’adressant une petite mimique, lèvres pincées, comme pour dire « je te l’avais bien dit ».

En partant en fin d’après-midi, j’ai vite enfilé mon pantalon par-dessus le corsaire. Pas question de me déshabiller devant tout le monde, ni d’attendre que toutes s’en aillent !
J’ai bien vu qu’Aurélie levait les sourcils en me regardant faire. Elle, a enfilé sa jupe avant d’enlever le petit short en lycra qu’elle portait. Elle m’a adressé un clin d’œil en souriant quand j’ai croisé son regard. Elle souriait, complice.

Je l’ai vue souvent les semaines qui ont suivi. Elle venait à la machine à café aux heures de pause, de temps en temps elle passait et me faisait un signe de la main en arrivant le matin.
Un jour elle m’a invitée à l’accompagner pour déjeuner et parfois le soir elle faisait un bout de chemin avec moi jusqu’à mon arrêt de bus, on s’est retrouvées un samedi pour faire des courses ensemble.
Etonnée ? Non … elle était sympa, et comme je suis assez réservée, nouvel euphémisme, je n’avais lié aucune relation autre que strictement professionnelle avec mes collègues.
Bizarrement, notre première rencontre dans les vestiaires m’avait laissé comme un sentiment d’intimité.
Et d’un intérêt plus particulier ? C’est vrai que je me souvenais très bien de son petit slip vert … et d’elle dedans … mais je n’associais rien de précis à ces images, sinon qu’elles me faisaient sourire, rougir parfois, seule en y pensant ou quand j’étais avec elle.
Elle avait souvent de petits gestes, me tenait le bras, s’excusait d’une bise sur ma joue quand elle se moquait un peu, quand la discussion prenait un tour trop personnel et que je me braquais.
Elle bousculait ma solitude et j’aimais ça … et son petit slip vert que j’avais en tête si souvent …

Peut-être qu’à vous, ça paraît évident ? Moi j’ai rien vu. Rien de rien au début.
Je vous ai dit : coincée ? Naïve aussi. Ou ... un peu conne.

C'était pour moi une amie ? Une copine ? Une grande soeur ? Un modèle ? Un mélange de tout ça, et dès le début, sans que je m'en rende compte, ou sans que je n'ai de mot pour ça, autre chose, peut-être, sans que j'ose réfléchir à ce que je ressentais, autre chose... quand j'étais avec elle, souvent ... son petit slip vert pâle ... c'est bête, mais j'en avais acheté un tout pareil un soir en rentrant du travail, je l'avais essayé devant le miroir en pied dans le couloir de mon studio ... c'était trouble, je sais ...

Et les choses ont changé. Une bise un soir en nous quittant. Juste au bord de mes lèvres. Comme un accident, quand on tourne le visage en même temps du même côté. J'avais ri et rougi, gênée, et je n'y avais plus pensé jusqu'à ce que ça se reproduise le lendemain.
S'il n'y avait eu que ça ?
Ce contact de ses lèvres au bord des miennes, répété, était déjà énorme pour moi, me paralysait, me plongeait dans des affres de questions dérangeantes, parce qu'il y avait plus, il y avait son regard après, fixe et voilé, ses lèvres qui tremblaient et se pinçaient, le pli à son front et sa tête baissée.


Avec elle jusque-là, je me sentais ... gamine ! celle dont on s'occupe, qui a besoin qu'on lui tienne la main. C'était confortable. Je me complaisais dans cette infériorité. Etre "la petite" excusait jusqu'aux pensées idiotes et un peu troubles qui me passaient par la tête, cette image d'elle dénudée de son petit slip vert, celle à qui on pardonne ces bêtises à peine dignes d'une ado.
Sauf que je n'étais plus une ado, que j'avais 20 ans, que j'étais censée être adulte.

Ce qui me perturbait le plus était de l'avoir tout d'un coup découverte fragile. Ce constat me déstabilisait … son regard inquiet détourné après cette bise glissée au bord de mes lèvres …
Coincée, naïve, un peu conne … mais quand même ! Je savais que ces choses-là existaient ! Des femmes qui préfèrent les femmes aux hommes, j’en avais entendu parler … et ça m’arrivait à moi ?

Des garçons ? Deux. Au lycée. Avec le premier quelques baisers timides, et le second, celui qui essayait de me peloter les seins, je m’en étais très vite éloignée, pas envie.
Ces filles à filles, franchement, je n’y avais jamais vraiment pensé, sinon comme à une chose un peu bizarre.
Une lesbienne ? Aurélie ? Qui s’intéressait à moi ? Dans le bus en rentrant, en arrivant chez moi, je ne pensais plus qu’à ça, en pensées désordonnées, des images … un petit slip vert qui la dénudait …
J’étais vexée, fâchée, autant après elle qu’après moi, sentiments diffus. Vexée de n’avoir rien vu et incertitude à avoir compris, fâchée contre elle, comme si elle m’avait menti ou trompée ou trahie … incertitude aussi à ce que j’en pensais … son petit slip vert qui la faisait si nue le premier jour dans le vestiaire … celui tout pareil que j’avais acheté et que plusieurs fois j’avais mis pour me regarder dans le miroir de l’entrée … qui provoquait … une lesbienne ! une perverse ? parce que c’est pas vraiment normal … une amie … quasiment la seule véritable amie que j’aie jamais eue.

J’avais passé une mauvaise nuit, trop de pensées qui partaient dans tous les sens, trop de questions. Au matin, je ne savais plus si j’avais rêvé, si je me faisais des idées, si je n’avais pas tout inventé. Je me traitais de folle quand j’en venais à regretter d’avoir mal compris. J’en voulais à Aurélie, d’être ce que je croyais, et l’instant suivant de ne pas l’être.
Comme elle en avait pris l’habitude, elle est passée par mon bureau le matin pour me dire bonjour. Elle portait le pantalon à pince en drap bleu marine que j’aimais bien avec un chemisier blanc qui blousait, ses cheveux noués dans son cou d’un lacet de cuir avec deux petits poissons de bois verni au bout, celui qu’on avait acheté ensemble. Elle était jolie et je lui en voulais d’être jolie. J’étais en colère.
Quand elle s’est approchée tout sourire pour me faire la bise, c’est moi qui ai tourné la tête et planté un bise sur ses lèvres avant de me reculer. Pour voir. C’était pas prémédité, juste une impulsion, l’effet de ma mauvaise nuit. Elle ouvrait de grands yeux étonnés et puis a eu un grand sourire et s’est approchée pour prendre mes mains dans les siennes. Je l’ai repoussée :
- Tu m’as rien dit ! Tu m’as menti ! Tu …
J’en bafouillais, de colère et de honte, je me sentais tellement bête ! Elle m’a tourné le dos et elle repartait vers la porte. Je me suis mise à pleurer. Je me sentais stupide, rejetée, abandonnée, toute la fatigue de ma nuit d’insomnie m’écrasait.
Mais elle ne partait pas. Elle a fermé la porte du bureau avant de revenir vers moi.
Elle a posé une main sur ma joue, a effacé du pouce une larme qui roulait.
Elle m’a attirée contre son épaule, mon visage noyé dans son cou, mes mains doigts noués entre nous, serrées contre mon cou :
- Je comprends rien … je suis conne …
Elle murmurait des « chhhutt » à mon oreille, un bras autour de ma taille, une main sur ma joue, tournait la tête pour des bises tout près de mon oreille.
Je me suis redressée, elle peignait mes cheveux de ses doigts, sa lèvre mordue. Je tremblais :
- Pourquoi tu m’as embrassée ?
- C’est toi qui viens de m’embrasser, Caroline.
- Hier … j’ai pas dormi … Je comprends pas … je vais pas bien …
- D’accord, Caroline, d’accord … on se voit à midi, tu veux ? On ira manger à l’extérieur.
Elle me caressait la joue, très vite elle a posé une bise légère sur mes lèvres en partant.

Une bise ? Une bise ça fait copine. Toute la matinée en y pensant je me disais ‘un baiser’, c’est un baiser qu’elle avait posé sur ma bouche. Ridicule de s’attacher ainsi à un mot ? Sans doute … Les joues me piquaient chaque fois que j’y pensais, et ce matin-là j’y pensais sans arrêt. Une fille m’embrassait et … et j’aimais ça.
Pour ce que je ressentais, je n’avais pas de mot. Jamais avant je n’avais rien ressenti de pareil. Jamais. Jamais ces frissons, cette chaleur, mes mains moites et les yeux qui me piquaient, envie de rire et le ventre serré d’angoisse. Jamais. Et tout ça pour un petit baiser sur mes lèvres !
Ma nuit d’insomnie ? Je n’arrivais pas à dormir, trop de questions, je m’étais relevée en pleine nuit, dans ma tête le souvenir d’un petit slip vert qui dessinait la nudité … Aurélie. Depuis un mois sans arrêt cette image d’elle m’accompagnait. J’étais qui ? J’étais quoi ? J’étais perdue … et je me sentais bête, si bête !

Normalement, ce sont des sentiments, des émois, des envies, des questions, qui viennent à l’adolescence. Moi j’étais passée au travers. Etrangère aux autres comme ils m’étaient étrangers. Repliée sur moi-même.
Ma mère déménageait souvent, je n’avais pas le temps de me faire des amis. Pas l’envie non plus. Souvent j’arrivais dans une école et ensuite un lycée en cours d’année, je ne me liais pas, je restais à l’écart.
Ce que je suis, comment je suis, ma pudeur maladive, mes phobies … je sais aujourd’hui. Ma mère. Ma mère qui ne me prenait jamais dans ses bras, dont je n’ai pas le souvenir d’une bise … ses jupes longues et ses leçons de morale, ses grandes chemises de nuit. La gifle magistrale un jour où j’étais entrée dans la salle de bains pendant qu’elle se lavait. Les miroirs qu’elle enlevait partout dès le premier jour où on s’installait dans un nouvel appartement. Les dispenses de sport qu’elle écrivait pour moi, et ma stupéfaction, en première au lycée, un proviseur avait refusé cette dispense, de voir les filles de ma classe en sous-vêtements.
Ma curiosité d’elles alors que je ne savais pas très bien à quoi je ressemblais, à un âge où le corps prend de l’importance et s’impose, que je contraignais en niant les besoins, les désirs et les questions d’une ado.

Aurélie ? J’étais seule, si seule.
Son sourire, sa gentillesse, l’inconnu … et son petit slip vert.

Le midi elle m’a emmenée dans le petit resto où on allait de temps en temps. Elle parlait, j’écoutais. Elle m’a parlé d’elle en serrant très fort ma main sous la table. Sa préférence, exclusive, pour les femmes, depuis toujours. Son attirance pour moi. Ses amours avant. Ses déceptions.
De moi, je n’ai rien dit. J’écoutais. Je questionnais.
- Mais … c’est pas normal …
- Ah bon ? Regarde ! Regarde la salle. Tu vois tout ce monde ?
Elle s’est tournée vers moi et m’a embrassée sur la bouche. Un long baiser ces lèvres appuyées fort sur mes lèvres et elle riait en se reculant :
- Regarde encore, regarde les gens ! Qu’est-ce que tu vois ?
- … rien. Ils font pas attention … et puis eux à côté … ils sourient.
- Ils sourient parce que t’es mignonne, et moi ? Tu me trouves comment ? Ils sourient parce qu’on va bien ensemble. Tu trouves pas qu’on va bien ensemble ? Ils sourient parce que tu es toute rouge, et ça les amuse. Tu vois ? Ils ne se moquent pas, ils ne sont ni surpris ni choqués. Ils m’ont vu t’embrasser, et ils mangent, ils parlent, ils rient. Ils ne font pas attention à nous … ah si ! le couple, là-bas, ils nous regardent et ils sourient ! Tu sais pourquoi ? Regarde, ils se tiennent la main, ils s’aiment, et ils se disent que nous aussi … Tu rougis encore ! Eh ! C’est pas un gros mot ! Je suis prête à t’aimer, moi … Tu veux bien me laisser ma chance ?

J’ai dit oui ? Sans doute puisqu’on s’est retrouvées le soir, que pour la première fois elle m’a raccompagnée jusque chez moi. Mais si j’ai dit oui, une chose est certaine, c’est que je ne savais absolument pas où j’allais.

Dans la rue, elle avait passé son bras sous le mien, et elle se moquait un peu en me voyant jeter des coups d’œil inquiets autour de moi. En descendant du bus elle a croisé ses doigts aux miens qu’elle a serrés plus fort pour m’empêcher de lui retirer ma main en arrivant dans ma rue.
J’aurais pu, j’aurais dû, avoir honte du désordre dans lequel j’avais laissé mon studio en le quittant le matin, mais j’avais l’esprit entièrement accaparé par la présence d’Aurélie qui me suivait pas à pas dans mon dos pendant que je rangeais dans l’évier les couverts et l’assiette du repas du soir, le bol du petit déjeuner, se tenait encore dans mon dos pendant que je tirais les draps froissés repoussés en boule au pied du canapé-lit sur lequel je dormais et sur lequel elle m’a bousculée à peine remis en ordre.

Elle s’est agenouillée au-dessus de moi en m’encadrant de ses jambes et m’a empêchée de me redresser, ses mains à plat sur le drap de chaque côté de ma tête … le tout premier vrai baiser de toute ma vie, le seul qui compte vraiment après deux brouillons ratés avec des garçons au Lycée, bien sûr que je m’en souviens ! Ses lèvres humides qui pinçaient mes lèvres, la pointe de sa langue qui en suivaient les contours, les frissons, mes mains serrées sur les draps qui n’osaient pas la toucher, sa main dans mes cheveux sous mon cou et sa main qui se glissait sous mon dos, le bout de sa langue qui effleurait la mienne, provoquait, les tremblements de tout mon corps et la chatouille de son souffle sur ma bouche … un baiser.
Elle s’est allongée près de moi, sa main sur mon ventre sous mes seins, un doigt sur ma peau glissé entre deux boutons du chemiser. Je retenais sa main de ma main libre, empêchant son jeu sur les boutons.

Longtemps je n’ai voulu d’elle que ses baisers, longtemps je refusais ses gestes, jamais moi je ne posais mes mains sur elle. Longtemps ? Ce soir-là et le lendemain, et les jours suivants encore.
Elle ne m’a jamais brusquée, n’a jamais montré d’impatience.

Un jour, pressée de questions, je lui ai parlé de ma mère, qui avait fait de moi ce que j’étais, ma curiosité des autres, le trouble et la honte qui l’accompagnait, tout à la fin aussi je lui ai dit ma curiosité d’elle depuis ce premier jour dans le gymnase … son petit slip vert tout mousseux qui la faisait si nue, auquel je pensais souvent.

Elle riait en embrassant mes yeux mouillés de tous ces mots qui disaient ce que j’étais.
- J’ai pas fait exprès, tu sais ! C’est vrai que tu pensais à moi, alors ? A moi ? Ou à moi en petite culotte ?
- … à cette première fois, t’étais belle …
- Alors c’était un jour spécial ! et c’est un jour spécial aujourd’hui …
- Pourquoi ?
- Parce que j’attendais que le vestiaire soit vide, je voulais être seule, mais tu restais là, et t’étais bien jolie, et puis parce que ce petit slip qui t’a plu, je ne le mets pas souvent … tu es gênée de ton corps, mais pas de celui des autres … ne rougis pas, chérie, c’est pas un péché, tu sais ?
Elle s’est levée, se tenait debout devant moi.
Elle s’est déshabillée.
C’était son tour d’avoir les joues toutes rouges. Elle se mordait les lèvres pour les empêcher de trembler.
J’écarquillais les yeux, mes mains plaquées sur ma bouche :
- Aurélie, non …
- Pour toi, chérie … pour nous … regarde-moi …

… son chemisier en premier, qu’elle déboutonnait menton baissé sur les petits boutons, dévoilant son soutien-gorge dessous, vert, en maille mousseuse et fine.
… des picotements sur mes bras à le découvrir, le même, celui qu’elle portait le premier jour, assorti au petit slip, un frisson et le duvet dressé sur mes bras, mes joues brûlantes entre mes mains, brûlantes de son effeuillage pour moi, brûlantes du souvenir, des images si souvent évoquées qui toujours me laissaient tremblante de tension et de honte à si bien me souvenir, à la chaleur refoulée qui m’envahissait toute entière.
Je baissais les yeux, n’osant croiser son regard, je me cachais sous mes mains comme une gamine, toujours je relevais les yeux sur la peau dorée lentement dévoilée par le chemisier ouvert qui glissait des épaules sur les bras.
… ses doigts fins aux ongles peints bleu brillant de paillettes lissant les pinces du pantalon de drap bleu marine, et venant pincer le gros bouton qui fermait sur le ventre creusé et baisser la fermeture éclair en un crissement continu, son souffle et le mien relâchés à la fin, et retenu à nouveau en attente, nos regards croisés, furtifs, son regard clair et ses pommettes rouges, sa lèvre mordue de blanc.
… les deux pans ouverts, au milieu, aperçu, un petit triangle vert pâle caché d’une main, d’abord là dans l’ouverture du pantalon et sur les hanches après doigts glissés sous la toile pour l’entraîner en glissant sur les cuisses jusqu’au genou qui s’est levé pour l’enjamber.

Une seconde, deux, j’ai fermé les yeux, pour retarder, par plaisir d’attendre et freiner le désir trouble à la voir comme au premier jour, pendant qu’elle effaçait la deuxième jambe, corps ployé à la taille bras tendus qui bousculaient ses seins et creusaient entre eux un sillon sombre de douceur. J’ai suivi des yeux le pantalon qui rejoignait son chemisier sur le lit à côté de moi et vite relevé la tête, cherchant cette fois son regard. Nos yeux liés, je devinais son corps tendu, crispé, ses bras le long des jambes, ses mains serrées en poings.
- … tu vois, il fallait que ce soit aujourd’hui, c’est le même, celui dont tu te souviens.
… des mots murmurés, sa retenue et sa gêne devinée, l’inquiétude et le trouble montrés du pli sur son front et de ses lèvres pincées.

Du corps d’une femme dénudé, je ne savais que l’image me renvoyant le miroir de l’entrée de mon studio depuis que j’avais gagné mon indépendance et échappé aux lubies de ma mère, les corps d’ado dans le gymnase du lycée quelques années plus tôt, celles qui se déshabillaient à côté de moi le jour où j’avais rencontré Aurélie.
Elle m’offrait en s’offrant à moi ce dont je lui avais avoué que j’en nourrissais mes rêves.
Elle avait cru à quelque fantasme érotique, attachant à la nudité suggérée par des dessous indiscrets une autre valeur et une autre intention que moi. Bien sûr cette dimension existait, bien que je n’en sois pas consciente, toute idée de besoin physique ou de satisfaction sexuelle m’étant jusque-là étrangers.
Comment aurait-elle deviné ?
Je n’avais jamais avant elle nommé, reconnu, les curiosités, les émois et les besoins de mon corps pour ce qu’ils étaient.

En se dévêtant pour moi, elle brisait le tabou, l’interdit du corps exposé, qui me faisait fuir toutes les situations de la vie où mon corps existait en tant que tel, visible, accessible à l’autre, alors qu’il ne me l’était pas à moi, elle me donnait à me connaître en la connaissant dans sa normalité.
Elle fermait les yeux, serrait les poings plaqués contre ses cuisses.
De son visage à son corps, je profitais de ses yeux clos pour la regarder. Sa peau dorée. Le petit arrondi de son ventre au-dessus de l’élastique de son slip. Le pli marqué sous la mousse verte creusée qui se noyait entre ses cuisses serrées, cette ligne creusée que je n’avais pas retrouvée dans mon miroir, qui posait question, une différence entre nous.

Elle s’est penchée pour m’embrasser et s’est reculée, a enlevé le petit slip vert.
J’ai ri. Comme une imbécile. Mes nerfs qui lâchaient. Je riais de son ventre nu, de sa nudité, de son sexe nu, du pli à son front, du pli creusé deviné sous son petit slip avant.

***

Je n’y arrivais pas. Je me mettais à trembler, je n’arrivais plus à respirer.
— C’est rien, chérie, on a tout le temps, c’est pas grave. Je voudrais tellement que ça soit bien pour toi !
Je ne supportais ni ses yeux ni ses mains sur moi, ses mains sur ma peau nue. La nuit, dans le noir, elle soulevait ma chemise de nuit et posait sa main sur ma culotte. Mais dès qu’elle bougeait trop ou qu’elle voulait glisser ses doigts dessous, je me débattais, je la repoussais. C’était plus fort que moi. Je l’ai même frappée une fois.

Au début, même moi la toucher, poser mes main sur elle, je n’y arrivais pas. Même dans le noir de la nuit. Sa patience. Ma main sur la sienne pendant qu’elle caressait son sexe. Sa main sur la mienne après, qui me guidait.
Honnêtement ? Au début je trouvais ça … un peu stupide, un peu dégoûtant aussi, de mettre mes doigts à l’intérieur d’elle, et en même temps je me sentais bizarre, toute chaude. Maintenant … maintenant j’attends le soir avec impatience.

Tous les soirs.
Dès qu’on rentrait chez nous je la déshabillais. Complètement. Tous les soirs.

J’ai appris les mots, j’ai appris les gestes, j’ai appris son corps.
Mes journées ne sont plus que l’attente du soir où elle est nue pour moi.
Elle m’a avoué, elle riait, que cette envie permanente lui faisait un peu peur.

Elle m’appelait « mon tyran », s’agaçait parfois, mais ce qu’elle m’avait donné, cette faim dévorante, elle ne pouvait le reprendre.
Elle disait c’est trop, elle soupirait et ouvrait grand ses jambes quand je la repoussais sur le lit pour plonger mon visage entre ses cuisses, que je retenais ses mains entre les miennes quand elle voulait m’échapper au premier cri, que je voulais d’elle encore une plainte, encore les soubresauts de son ventre, son souffle hâché et ses cuisses tendues toutes raides à mes doigts qui lui arrachaient un autre cri.

Au début elle disait plaisir, elle disait orgasme, ces mots qui n’avaient d’autre sens pour moi que ses cris et la tension de son corps, ses yeux noyés et ses baisers après.
Et puis elle a dit douleur, elle a dit j’ai peur, elle a dit j’ai besoin de temps, je pars une semaine.

Elle était partie depuis deux jours, j’étais perdue.
… son petit slip vert dans la commode, abandonné au milieu de ses autres sous-vêtements … l’image infidèle dans le miroir de l’entrée … j’ai rasé mon ventre … elle , l’image d’elle, il fallait que ce soit elle … le miroir décroché du mur posé au sol au pied de mon lit … elle dans le miroir, l’image d’elle noyée de mes larmes … pour la première fois les gestes pour moi que j’avais pour elle en étant l’image d’elle … le même mouillé onctueux, la même sensation sur mes doigts, la culpabilité refoulée puisque c’était elle et pas moi, la chaleur, la tension, la peur la honte et l’envie, le besoin impérieux … le sang sur mes doigts profonds dans mon ventre et la vague qui montait en brûlure, m’emportait … les contractions violentes …

Plusieurs fois dans la nuit, jusqu’à la douleur et les sanglots.

***

Elle est revenue aujourd’hui. Je ne l’ai pas laissée parler, je craignais ses mots, il fallait qu’elle sache avant.

Je l’ai prise par la main et je l’ai tirée jusqu’à la chambre, je l’ai poussée sur le lit. Elle a protesté, j’ai noyé ses mots d’un baiser.

Je me suis écartée du lit et je me suis déshabillée pour elle en pleine lumière.

Misa – 10-2015

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