Mister Hyde - 18

18-


Julie versa la dernière goutte de vin dans le verre de Frédérique et leva le sien devant ses yeux : la couleur ambrée du liquide la ravissait. C’était un liquoreux roumain comparable au Beaume de Venise ou au Moscatel, bien qu’il soit moins sucré que le second et plus vif que le premier. En bouche, c’était une merveille. Elle fit goulayer la gorgée qui glissa lentement, lui réchauffant le ventre. Elle aimait prendre son temps et savourer chacune des saveurs que lui offrait le vin. Pas comme Frédérique qui, de toute évidence ne faisait pas la différence entre un vulgaire mélange de picrates et un vin de propriété amoureusement travaillé. Cela l’énerva. Elle décida de poser la question qui lui brûlait les lèvres.

– Tu me parles de punition mais, vue votre relation, ce n’est pas anormal. Tu as commis une faute, il te punit, pas de quoi en faire un fromage. Jusqu’à présent, c’est toi qui me l’a dit, il a toujours usé de la même méthode : quelques jours d’abstinence, beaucoup d’excitation suivie d’une bonne dose de frustration. Bref, pas la mer à boire. D’autant que tu as l’habitude. Je ne comprends pas que tu sois aussi angoissée…

Afin qu’elle ne sente pas jugée par ses remarques, Julie expliqua à Frédérique qu’être dominée ne lui déplaisait pas, bien qu’elle ne se fusse jamais aventurée à jurer sa foi à un homme. Sans doute, avait-elle ajouter, par crainte d’être piégée et contrainte d’accepter des situations ou des obligations qu’elle refuserait si le choix lui en était laissé.

– La confiance ! avait répondu Frédérique. Un bon maître ne trahira pas la confiance que tu as en lui. À moins d’y être poussé par deux raisons : l’envie de te voir partir sans avoir à te répudier ou la nécessité de te punir d’une faute impardonnable. Dans le premier cas, tu endure la peine avant de le quitter parce que ta confiance disparait pendant l’action ; dans le second, tu as une chance d’y échapper : les maîtres informent souvent leurs soumises des corrections qu’ils leurs réservent.

Dans ma situation, la sanction est tellement méritée que, même si je souffre, rien qu’à l’idée que ça puisse arriver, je dois m’y soumettre.
– Donc, ce n’est pas une punition classique…
– Non, c’est une punition qui me frappe au cœur. Il vise la femme en moi, pas la soumise.
– Mais c’est dégueulasse !
– Peut-être, encore que je n’en sois pas sûre. Dans une relation comme la nôtre, on n’est pas à l’abri de ce genre de situation. On est sur le fil du rasoir, tout le temps.
– Mais qu’est-ce qu’il veut de toi, à la fin ?

Frédérique refusa de répondre, elle avait peur qu’en le faisant Julie pensât qu’elle l’avait attirée dans un guet-apens. L’insistance de sa nouvelle amie la mit mal à l’aise, lui prodiguant le sentiment d’être enfermée dans un cul de sac sans la moindre porte de sortie. Julie, au contraire, soupçonnait que les exigences de Frédéric seraient à même de l’exciter. Elle tenait donc absolument à ce qu’elles lui soient révélées. Elle s’obstina, harcela Frédérique qui finit par craquer.

– Tu ferais un bon flic, tu sais comment arracher des aveux mais surtout, je veux que tu saches que si j’ai choisi de me confier à toi, ce n’est pas dans le but de t’entraîner dans mon histoire et encore moins dans celui de te piéger.

Julie balaya les mises en garde de Frédérique d’un revers de main et l’incita à poursuivre.

– Il veut que je trouve une femme, une soumise, pour la prochaine fois qu’il viendra. Il veut que je lui explique les règles qu’elle aura à respecter et que j’atteste de son obéissance. Il veut aussi que je l’habille mais j’ignore encore comment.

Julie tenta de rester impassible mais ne put s’empêcher de rosir. Elle s’était promis d’accrocher Frédéric à son tableau de chasse depuis qu’il lui avait ordonné d’aller au coin, elle trouvait là l’occasion rêvée. Cependant, afin de ne pas donner à Frédérique l’impression de se jeter sur son mâle, elle tempéra et fit semblant de réfléchir à haute voix.


– Il y a bien le club libertin de *** dont je connais un peu le patron. Peut-être y trouverons-nous une soumise sans maître disposée à tenter l’expérience. Ça vaudrait le coup d’essayer, tu ne crois pas ?

Frédérique n’était pas emballée par l’idée mais elle ne pouvait évincer aucune possibilité, chaque heure, chaque jour qui passaient l’approchaient de l’échéance et elle n’avait pas d’autre idée, hormis celle d’implorer Julie de la dépanner et cela, elle ne pouvait le faire. Non qu’elle conservât la moindre rancœur à l’égard de son amie pour leurs premiers et difficiles contacts ; ce n’était pas non plus parce qu’elle se doutait que les fantasmes de Julie la portaient vers Frédéric, bien au contraire. Elle refusait de le faire, par crainte que Frédéric ne la blessât physiquement et moralement. Parce que, à choisir, tant qu’à être cocufiée elle préférait que ce ne soit pas par une inconnue en qui, par la force des choses, elle n’aurait aucune confiance.

– C’est une bonne idée, dit-elle à contrecœur. Mais il va falloir que je demande la permission de me rendre là-bas. Je le ferai demain matin.
– Dès que tu sauras, dis-le-moi, j’appellerai le patron, il me dira quel soir venir pour augmenter nos chances de trouver la perle rare. Maintenant, allons nous coucher.

***

Frédéric accorda son autorisation du bout des lèvres en précisant que de strictes consignes arriveraient par courriel le jour même. Il fallut plus d’une heure à Frédérique pour en faire la lecture à Julie, le soir même, au téléphone.

– Au moins, ton mec ne laisse rien au hasard convint Julie tout en finissant de griffonner ses notes.
– C’est mon Maître, pas mon mec corrigea Frédérique que la volubilité de Julie agaçait parfois.
– Tout doux ma jolie, je dis comme je veux, je n’suis pas sa soumise, moi !

Elle disait vrai et Frédérique s’excusa. Julie émit un petit rire.

– Je n’suis pas ta maitresse non plus, détends-toi.


Frédérique sourit. Julie lui faisait du bien. Elle avait beau avoir passé dans la région toute sa jeunesse et son adolescence, elle n’y avait plus un seul ami. Ils avaient tous migré vers Paris après leurs études et pas un n’était redescendu. Elle se demandait quelquefois si elle n’avait pas commis une erreur en revenant.

– J’appelle mon type et je te rappelle avait dit Julie. Cela ne prit pas cinq minutes.

***

– Bon ! Il faut que tu te trouves une baby-sitter pour jeudi. Prends-la pour la nuit, c’est plus prudent. On risque de finir tôt… euh… ou tard ça dépend comment on voit les choses.
– Jeudi… Demain ?
– Bah oui ma biche. Tu croyais qu’on allait attendre décembre ?
– Euh… ! non, bien sûr. Mais ça ne me laisse pas beaucoup de temps.
– T’inquiète… J’ai tout sous la main, la fille de mes voisins fera ça très bien. Je peux encore aller les voir dit-elle en consultant sa montre. Je te tiens au courant.

Moins d’une heure plus tard, Julie confirmait la présence de la gamine pour le jeudi soir. Elle l’amènerait en venant chercher Frédérique et la raccompagnerait de même. Tout avait été réglé.

***

Julie se changea dans la voiture au prix de milles contorsions.

– Je n’pouvais pas aller chercher la gamine dans cette tenue ou adieux ma réputation, avait-elle affirmé à Frédérique qui l’attendait, accotée à l’aile du coupé.

Sa chevelure châtaine librement répandue sur ses épaule nues, Julie portait un bustier bois de rose et une mini-jupe de la même couleur qui ne masquait rien de ses bas. À contrario, Frédérique était recouverte d’une longue robe noire qui la couvrait jusqu’aux chevilles mais dont la vertigineuse échancrure dorsale laissait deviner la nudité des seins. Cette robe, elle l’avait serrée à la taille d’une écharpe de soie fermée sur le devant par un nœud papillon. Toutes deux portaient des escarpins dont les talons rivalisaient de finesse et de hauteur.


En chemin, Julie avait exposé son plan à Frédérique. Pour une fois, celle-ci jouerait le rôle de la dominatrice à la recherche d’une soumise et Julie qui ne pouvait décidément pas déroger à sa réputation, celui de l’électron libre lui servant de guide.

Elles entrèrent et Frédérique eût l’impression de changer de planète.

***

Julie présenta Frédérique sous le pseudo de Mrs Hyde tandis qu’elle, pour l’occasion, serait Miss Jec. Annonce fut faite au micro, de leur arrivée et elles purent s’engager dans un long couloir au lumières rouge sombre. Au bout, un rideau écarlate s’écarta de lui-même leur laissant le passage. Elles aboutirent dans une vaste pièce dont les murs de pierre, nue, renvoyaient l’éclairage savamment dosé pour créer des zones d’ombre.

Julie entraîna Frédérique vers une table en pleine lumière, à proximité de la piste de danse et d’une petite estrade. Toutes deux prirent un siège et restèrent figée plusieurs minutes. Julie expliqua :

– C’est un rituel de la boîte. Chaque nouvel arrivant s’assied là ou va sur l’estrade pour que les autres puissent le voir. Il y reste quelques minutes et va s’installer ou il veut. C’est, en quelque sorte, une façon de se présenter. Bien sûr, ceux qui vont sur l’estrade, ce sont les soumis. Tu n’y as pas ta place ce soir.

De fait, les sièges étaient placés de telle façon qu’ils fissent face à la salle et Frédérique put distinguer que les tables les plus obscures étaient déjà très occupées.

Elles s’installèrent définitivement à une table qui avait une vue dégagée sur l’estrade et restait suffisamment dans la lumière pour qu’elles pussent être vues.

– Ici, serveurs et serveuses sont soumis. Nous sommes des femmes, ont nous enverra donc un homme. S’il te convient, passe ta commande et demande-lui de te lécher le pied. Sinon, renvoie-le sans commander et sans parler. Juste un geste de la main. On t’en enverra un autre.
– Et si je veux une fille ?
– Oh dis donc… Madame est coquine… Tu le renvoies à quatre pattes. On t’enverra une fille. Même rituel avec elle.

L’alcool, bien qu’autorisé, n’était pas très en vogue dans le club, cela, pour éviter que les esprits, déjà échauffés par l’ambiance érotique des lieux, ne s’enflammassent. Elles commandèrent donc deux cocktails de fruits aux propriétés, évidemment, aphrodisiaques. Frédérique se plia exactement au rituel tandis que Julie poursuivait ses explications tout en dirigeant le regard de son amie vers tel ou tel point de la salle, vers telle ou telle table. Elles furent interrompues par l’arrivée d’un homme qui, s’inclinant devant Frédérique, lui demanda la permission d’user de sa soumise.

– Miss Jec n’est pas ma soumise, adressez-vous directement à elle.

Derechef, il s’inclina puis se pencha sur l’oreille de Julie qui, d’un mouvement de cou, déclina l’invitation. Cela faillit les distraire de l’entrée d’une femme. Elle n’était pas de prime jeunesse mais portait beau. Elle avait surtout une démarche royale. Avec beaucoup de grâce, elle accéda à l’estrade et retira sa fine cape de soie grège. Son corps, malgré quelques lourdeurs de hanches dues aux ements plus qu’au passage des ans, avait une prestance folle. Il était droit mais souple, délié mais nerveux. Elle ne portait sur elle qu’un porte-jarretelles et des bas à large bande de dentelles, de simples artifices qui servaient à masquer un rien de cellulite sur ses cuisses et le bas de son ventre. Sa poitrine, en revanche, était parfaite. Menue, aux tétons érigés, elle était juste assez oblongue pour être évocatrice et assez légère pour rester fière.

Elle se mit à tourner, avec la grâce d’une ballerine, sur elle-même d’abord puis en cercles concentriques. Enfin, elle exécuta quelques pirouettes qui démontrèrent sa souplesse. Elle se pencha pour ramasser sa cape dont elle se couvrit et partit s’agenouiller au bord de la piste de danse.

Il ne fallut qu’une minute pour qu’une domina s’approche d’elle et l’invite à la suivre d’un claquement de doigts. L’une derrière l’autre, elles s’éloignèrent vers un coin de pénombre. Les tractations durèrent à peine. La domina quitta la salle, la soumise reprit sa place.

Frédérique fut fascinée par ce spectacle et le courage de la femme. Jamais elle n’oserait s’exposer comme elle venait de le faire mais surtout, elle se savait incapable d’être aussi fascinante.

– Si nous allions la voir ? murmura Frédérique.
– Attendons un peu, nous n’en sommes qu’au début. D’autres vont arriver.

De fait, les haut-parleurs annoncèrent maître Jean.

L’homme entra dans la salle comme en pays conquis. Il se tourna vers l’assistance et annonça le prêt d’une de ses soumises en échange d’une idée de punition la plus perverse possible. Sur ce, il claqua des mains et deux jeunes filles sortirent de derrière le rideau pour se diriger directement vers l’estrade. La première se mit de face, la seconde de dos. Elles restèrent ainsi trois minutes puis se retournèrent pour la même durée. Quand ce temps fut passé, elles quittèrent l’estrade et s’agenouillèrent au pied de leur maître.

– Celles-là, on les oublie glissa Julie à Frédérique, pas question de s’embringuer dans une histoire avec ce vieux cochon.

Frédérique remercia intérieurement le « vieux cochon » d’être ce qu’il était : les petites étaient trop jeunes et trop jolies, elle les voyait plus comme un danger pour elle-même que comme une offrande raisonnable. Une voix la tira de ses pensées.

– Vous êtes nouvelle ici madame, vous m’accorderez bien cette danse… ?

En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, elle ses dirigeait vers la piste au bras de maître Jean.

Contrairement à Frédérique, il était bon danseur. Il était aussi très direct.

– Offrez-moi vingt-quatre heures de votre temps et je vous l’échange contre quarante-huit avec mes deux soumises. Croyez-moi, le marché est honnête.

Danser et réfléchir au moyen de sortir de ce piège ne fut pas chose aisée pour Frédérique. Elle réussit néanmoins à trouver une parade sans user la patience de son partenaire.

– Mon orientation sexuelle m’oblige à décliner votre offre. Je vous remercie cependant pour votre générosité.
– Peuh ! répondit l’homme d’un ton pincé et méprisant, vous ne seriez pas la première gougnotte que je ferais grimper au rideau… je suis certain que très bientôt, vous vous mordrez les doigts de m’avoir repoussé.

Et il l’abandonna au milieu de la piste.

Durant cet intermède, trois soumises avaient rejoint l’estrade.

Celles-ci sont sans maître glissa Julie à Frédérique. En revanche, ne m’en veux pas, j’ai promis à quelqu’un de le rejoindre au fond.

Laissée seule, Frédérique suivit du regard le balancement de la croupe rose de Julie. Elle se dirigeait effectivement vers le fond de la salle où un homme isolé attendait. Il n’y a qu’une chaise à sa table s’étonna Frédérique. Où…

Elle n’eut pas besoin de s’interroger plus avant sur la place qu’occuperait Julie. La jeune fille se glissa sous la table et se mit à sucer l’homme. Frédérique regarda, fascinée. Julie avait adopté la même position qu’elle devait prendre pour satisfaire son maître. Les mains jointes dans le dos. Et c’était tout le torse de son amie qui ondulait au rythme des allers-retours de sa bouche sur le membre. Frédérique se demanda si le spectacle qu’elle offrait était aussi excitant que celui qu’elle avait sous les yeux. Habituée à se déprécier, elle pensa que non et en éprouva de la peine.

D’un geste, elle héla sa serveuse qui attendait, agenouillée au coin du bar.

– Lèche-moi lui dit-elle en retroussant sa robe.

Son regard ne quitta pas Julie.

***

– J’aime la queue de ce mec, dit Julie en se rasseyant. J’aime aussi le goût de son sperme. Quand sa femme est partie, il m’a demandé d’être sa soumise. J’ai dit non. J’aime trop mon indépendance. J’aime être soumise mais jamais au même. Et puis surtout, j’aime pouvoir changer de camp et martyriser un soumis de temps en temps.

Sur ce, elle éclata de rire.

– Bon. C’est pas tout ça. Tu as fait ton choix ?

Frédérique regarda Julie. Son cœur s’accéléra.

– Oui ! Mon choix c’est toi !

Elle trembla en prononçant ces mots. Elle trembla d’excitation mais aussi de crainte d’être abandonnée par Julie comme elle venait de l’être par maître Jean. Ce ne fut pas du tout ce qui arriva.

– Oooh Maîtresse, dit Julie en lui baisant les mains, rien ne pouvait me faire plus plaisir que cette demande. Commandez et j’obéirais !

Et puis elle se laissa glisser sur le sol et se mit à baiser les pieds de Frédérique, frénétiquement.

Frédérique devina que Julie blaguait. Elle n’en fut pas moins émue et passablement excitée. Puis elle se mit à douter de son jugement : Julie cherchait son sexe sous son vêtement.

***

À la suite de cet exploit, les filles s’enfuirent très vite du club car tandis que Julie fouillait sous sa robe, Frédérique eut tout loisir de constater que la salle contenait beaucoup plus de personne qu’elle n’avait cru de prime abord. Certaines parties du lieu était si sombre qu’elle les avait cru désertes. Ce n’était pas le cas et, quand Julie commença à s’agiter, Frédérique discerna de nombreuses personnes qui comme sorties des limbes s’approchaient pour jouir de la représentation. Ce n’avait pas été le cas quand elle avait exigé pareille caresse de la serveuse. Mais c’était une soumise confirmée, elle était là pour ça. A priori, ce n’était pas le cas de Julie et le spectacle d’une femelle se soumettant pour la première fois était une rareté qu’aucun des présents ne voulait rater.

Elles s’enfuirent donc mais Frédérique ne fut pas rassurée pour autant. Tout d’abord, elle venait de désobéir à son Maître dont l’une des directives interdisait le moindre attouchement, sauf absolue nécessité et uniquement avec une soumise du lieu. Techniquement, elle n’avait pas commis de faute avec la serveuse alors qu’avec Julie, il en allait tout autrement. D’autant que les caresses de la jeune fille ne lui avaient procuré qu’une désagréable sensation de gratouillis tandis que celles de son amie…

Ensuite elle avait vraisemblablement échoué dans sa mission puisqu’elle n’avait pas trouvé de soumise. Elle était certaine que Julie n’avait fait cette réponse que sous le feu de l’excitation. Elle venait de prodiguer une pipe à un type, elle était encore chaude comme la braise… Et Frédérique n’osait pas reposer la question. À quoi bon d’ailleurs ? Pour se heurter à un refus ?

Elles restèrent silencieuses une bonne partie du trajet. Frédérique, perdue dans ses pensées ne se rendit pas tout de suite compte qu’elles avaient pris la direction de la maison de Julie, pas celle de son appartement.

– Où on va ?
– Chez moi ! Je pense qu’il faut qu’on parle un peu. Tu ne crois pas ?

Le ton de Julie était neutre de telle sorte que Frédérique fut incapable de déterminer le degré de colère de son amie. Elle opina en murmurant un « oui » qui se voulait serein mais révélait, en fait, toute l’inquiétude qui l’habitait.

***

Julie leur servit à boire, ce que Frédérique apprécia. Il lui arrivait rarement de boire de l’alcool et ce n’était jamais plus fort que du porto. Ce soir, elle avait besoin de quelques degrés supplémentaires, elle choisit une vodka.

Julie lui sourit en lui tendant son verre. C’était plutôt bon signe, elle ne devait pas être si fâchée que ça, après tout. Elles sirotèrent leurs alcools quelques minutes dans le plus grand silence. Julie se comportait souvent comme ça, elle savourait le vin, l’alcool, la nourriture… Elle prenait son temps comme si elle voulait fixer dans sa mémoire toutes les sensations qu’elle ressentait et chaque détail de la situation qu’elle vivait.

– Je suis une jouisseuse, disait-elle. Et jouir, ça prend du temps. Une heure pour déjeuner, ce n’est pas suffisant ; une heure pour se nourrir, c’est trop.

Julie posa son verre sur la table et son regard et son regard sur Frédérique. Il était temps de parler.

– Tu m’as dit tout à l’heure que ton choix, c’était moi. Pourquoi nous avoir fait jouer cette mascarade ?

Julie attaquait et elle n’y allait pas de main morte. Droit au but, exactement comme l’aurait fait le Maître. Pourtant, Frédérique répondit aisément.

– Parce que je me suis décidée en te voyant sucer cet homme, dans le fond de la salle. Dire que je n’y avais pas pensé avant, ce serait te mentir mais je croyais que tu refuserais, que tu serais choquée, que tu penserais que j’avais voulu te piéger, que tu m’en voudrais et, je ne voulais pas perdre une amie.
– Tu m’as espionnée pendant que je suçais… Tu sais que ton mec a raison, t’es une vraie petite salope !

Frédérique rougit. Elle venait de ressentir la même poussée de d’adrénaline et d’excitation que quand son Maître la traitait ainsi.

– Oui, je t’ai regardée et je t’ai trouvée belle. Belle comme jamais je n’le serais même si mon… mec, comme tu dis, m’impose la même position. J’ai aimé voir bouger ton dos et tes fesses. Ce n’était pas une pipe, c’était une danse. C’était aussi beau, aussi hypnotisant que la femme, tout à l’heure, sur l’estrade. Et j’ai eu envie d’être à la place du mec. Je suis désolée ma chérie, désolée de t’avoir dit ça, mais c’est vrai : mon choix, c’est toi parce que je ne serais pas jalouse de toi, parce que ce que j’ai vu était si beau que je n’ai pas le droit d’en priver mon Maître, parce que… l’idée de te voir à genoux devant lui m’excite…
– Et parce que tu as envie de moi ?
– Oui !

Frédérique espérait, attendait que Julie se jette sur elle comme elle l’avait fait au club, mais elle n’en fit rien. Elle poursuivit la discussion avec beaucoup de calme.

– J’accepte d’être ton choix et ton maître sera mon maître le temps d’un week-end. J’y mets juste une condition : que ce soir, tu sois ma maîtresse et que demain tu me sois soumise.
– Tu sais bien que je ne peux pas te dire oui. Frédéric… Je dois lui demander la permission.
– T’es pas croyable ! Qu’est-ce qu’on en a à foutre de ton Frédéric ? Qu’est-ce qu’on en a à foutre de sa permission ? Finalement, je crois que la maîtresse, ce soir, ça va être moi. Viens ici et sois ma chienne, cette nuit.

Frédérique n’hésita que le temps d’un battement de cil. Depuis que Frédéric l’avait asservie, elle n’avait éprouvé cette attirance que pour les mots d’un seul homme. Les entendre dans la bouche d’une femme, de celle-ci en particulier, et découvrir qu’ils lui faisaient le même effet, la ravagea. Elle se laissa glisser sur le sol et rampa jusqu’à sa Maîtresse.

***

Julie accueillit Frédérique en caressant tendrement sa chevelure et sa frimousse. Mais cela ne dura que quelques secondes. Comme une serre, la main de la jeune femme empoigna les cheveux et guida le visage vers son entrecuisse. Julie ne s’était pas changée et sa jupette ne cachait pas grand-chose de son anatomie, Frédérique y plongea les lèvres puis la langue. Elle prit son temps, heureuse de laisser à Julie les instants nécessaires pour savourer sa dévotion puis, posant les mains sur ses cuisses, elle l’implora de s’ouvrir toujours plus.

La douceur, la tendresse que mit Frédérique dans ses caresses emmena Julie très très loin. Ce n’était pas la première fois qu’une femme l’aimait, ce n’était pas la première fois qu’une bouche lui offrait du plaisir mais jamais elle n’avait ressenti une telle intensité, une telle ferveur, une telle adoration. Ni une telle jouissance. Cependant, en un instant, elle venait de comprendre ce qui motivait Frédérique. Ce n’était pas le cul, pas au premier chef en tous cas. C’était le mysticisme. Eut-elle été nonne, elle aurait fait partie de cette petite frange oubliée : celle de ceux qui confondaient – si tant est qu’il n’y en ait plus – contrition et flagellation.

« Cela explique son comportement se dit Julie en dressant des analogies avec certaines anecdotes récemment contées par Frédérique. Elle assimile certains rituels à ceux de l’Eglise. Première fellation : le baptême. Absorption de l’urine : confirmation. Qu’en sera-t-il si un jour il ceinture son cou d’un collier… ? » Julie décida que, désormais, elle ferait tout pour la faire changer de crédo et l’entraîner vers l’hérésie.

***

Frédéric n’était pas certain que l’amour guidât ses pas tandis qu’il marchait vers saint-Lazare. Frédérique lui manquait-elle vraiment ou son désir de la voir n’était-il dû qu’à une trop longue abstinence ? Que la question se posât le mettait mal à l’aise et, bien qu’il refusât d’y répondre, celle-ci lui revenait sans cesse à l’esprit.

Il avait pris par Richelieu et Chabanais et gagné la rue du quatre septembre en empruntant les passages Sainte-Anne et Choiseul. Certes, c’était un peu plus long que de passer par l’avenue de l’Opéra mais le trajet était plus calme, il le préférait donc de beaucoup à celui qui passait par les grandes artères ; d’autant qu’il allait devoir se fader les grands magasins et leur foule de badauds.

Il ne s’étonna guère d’apercevoir Marc sortant d’un bistrot puisque la journée finissait et que son ami travaillait dans le coin. Il fut néanmoins surpris de le trouver en compagnie de Julien. Tous deux étaient des ex de Frédérique et, aux dernières nouvelles, leurs relations étaient plus que tendues. Mais, après tout, ses rapports avec Marc n’avaient pas toujours été au beau fixe et ils s’étaient considérablement améliorés, pourquoi n’’en serait-il pas de même pour eux ?

Marc lui fit un grand signe, l’invitant à s’approcher. Frédéric joua les hommes pressés en tapotant sa montre. Cinq minutes, lui demanda Marc en levant haut la main, tous les doigts écarté. Frédéric s’avança.

– Salut toi, tu connais Julien…
– Ouais. Salut.

Frédéric ne tendit pas la main et se concentra sur Marc.

– On se demandait si tu avais des nouvelles de Frédérique…
– Elle va bien mais tu sais, pour prendre des nouvelles de quelqu’un, le mieux, c’est de l’appeler…

Devant l’air étonné de Marc, il ajouta.

– Je ne suis pas un geôlier, elle a le droit de recevoir des coups de fil… Et si c’est ma permission que tu demandes, tu l’as. Et même, si ça ne vous fait pas trop loin, venez donc dîner tous les deux demain soir. Le loft est assez grand pour vous loger une nuit.
Bon ! il faut que j’y aille sinon je vais rater mon train. Salut.

Il s’éloigna tout en notant que marc lui faisait signe qu’il l’appellerait.

***

Lucile n’était pas dans le train, ou elle ne se montra pas, ce qui revint au même. Frédérique joua également à la femme invisible, ce qui eut le don de l’agacer sans qu’il pût pour autant y trouver à redire. Après tout, il n’avait pas prévenu de sa visite comme il en avait convenu au commencement de leur nouvelle relation. Donc, il patienta ou plutôt il rongea son frein.

Frédérique n’arriva que vers vingt-deux heures. Naturellement, il l’interrogea.

– Où étais-tu ?
– Tu permets ! Je couche Franck et nous discuterons ensuite. Merci.

Apparemment, elle n’était pas à prendre avec des pincettes et il remonta l’attendre à l’étage.

– Tu m’as donné une mission, j’étais en train de m’en occuper. Tu ne penses tout de même pas que je le fais sur mon temps de travail…

Le week-end commençait fort. Il en éprouva un désagrément tel qu’il hésita un instant à se lever et à partir. Il se ravisa en distinguant un changement dans le comportement de Frédérique. Elle se tordait les mains et avait pris l’air d’une petite fille prise en faute, les excuses n’allaient pas tarder. Magnanime, il lui tendit la main, elle se jeta dans ses bras.

– Pardon, pardon ! murmura-t-elle. J’ai peu dormi et la soirée d’hier m’a… troublée.

Ce disant, elle frotta tendrement son visage contre le torse de Frédéric qui, bien que sa main fût apaisante s’interrogeait sur la conduite à suivre. Une fois de plus, Frédérique le mettait au pied du mur. L’attaque avait été frontale, le maître qu’il était pour elle ne pouvait laisser passer ça sans réagir. Il se raidit. Elle le sentit. Elle leva les yeux vers lui dans une question muette. D’une main, il masqua ce regard, de l’autre, il entraîna la fille contre le mur, entre deux fenêtres.

Un mur de pierre, froid et rêche qui râpa la peau de sa joue tandis que le corps de son maître la pressait de toute part. elle sentit la main tirer sur sa jupe, elle sentit les doigts crocheter son sexe. Elle tenta de se cambrer, de s’ouvrir, Frédéric l’en empêcha. Il la voulait fermée, rigide ; il la voulait soumise. Du pouce, il la pénétra. Faisant fi de la ridicule ficelle de sa culotte. De la courbe entre pouce et index, il massa son clitoris avec rudesse profitant du renflement de l’articulation pour appuyer toujours plus fort. Sa brusquerie raviva la flamme de Frédérique. Elle tenta à nouveau de se cambrer, à nouveau il la plaqua au mur. Ce ne fut pas son pouce qui l’y cloua. Il s’enfonça en elle d’un seul mouvement de bassin, comme s’il voulait l’empaler. Puis il poussa, poussa encore, avec une telle rage qu’elle sentit, à travers son pull et son T-Shirt, l’âpreté de la pierre. Et soudain, il se détendit. Glissant un bras le long de son ventre, il la tira en arrière, empoignant ses cheveux, il la fit se cambrer. Alors commencèrent les interminables et sensuels va et vient qu’elle aimait. Il la limait avec l’infini douceur de l’ébéniste qui peaufine son œuvre tout en la tenant fermement pour qu’elle se plie à sa volonté. Elle se laissa aller, plongeant dans la jouissance en toute confiance. Jamais elle ne s’écraserait au sol, Frédéric serait son élastique, sa ceinture de sécurité. Il serait toujours là pour elle, elle en était persuadée.

Frédéric continua, jusqu’à la limite de sa résistance. Il se retira prestement et fit glisser sa femme au sol. Elle ouvrit la bouche, sachant ce qu’il attendait d’elle. Il s’y enfonça avec la même force, le même désir insatiable de la perforer au plus profond qu’en pénétrant son sexe. Il la pilonna longuement sans qu’elle pût prendre le contrôle et le caresser savamment. Puis il abandonna la bouche pour la reprendre, à quatre pattes sur le parquet cette fois. Enfin, il explosa, lâchant sur les fesses et le dos de la belle, des jets de jouissance infinis.

***

Bien entendu, Frédérique dormit mal. Son Maître ne l’ayant pas invitée à partager sa couche, elle s’était allongée au pied du lit, sur le parquet, sans même une couverture pour se tenir chaud. Mais ni la dureté du sol ni le froid n’était cause de son manque de sommeil. La vraie raison, la seule, c’était la jouissance de Frédéric. La vaille, il avait joui sur elle. « Sur elle ! » pas « En elle ». Depuis quelques mois, il préférait sa bouche sans pour autant dédaigner ni son con ni son cul. Mais la veille, il avait refusé qu’elle reçoive sa jouissance, il ne lui avait même pas donné son sexe à nettoyer. Et elle s’était sentie exclue de son plaisir ; d’autant plus vivement qu’elle s’en pensait le réceptacle naturel.

***

Frédérique avait étouffé des sanglots durant une bonne partie de la nuit. Naturellement, ce larmoiement lancinant avait fini par tirer Frédéric du sommeil. Il avait néanmoins fait semblant de dormir dans un relâchement paisible, forçant même, à certains moments, sur les ronflements simulés.

Il était donc, en ce samedi matin, d’humeur assez revêche et elle, assez maussade. Heureusement pour l’une comme pour l’autre, Franck était là, avec son sourire d’ange et son rire en cascade. Le petit bonhomme galopait désormais partout à quatre pattes et c’était, pour ses deux parents, un véritable enchantement de le voir si joyeux. Et la matinée, qui s’annonçait orageuse, passa comme un poème. Jusqu’à l’appel de Marc.

– Pas de souci, conclut Frédéric, dix-neuf trente c’est parfait. On s’occupe de tout. Ciao, à ce soir.

Il raccrocha et sourit face au regard perplexe et interrogateur de Frédérique.

– Il va falloir faire quelques courses, j’ai invité du monde.

***

Franck dormait paisiblement dans sa poussette tandis que ses parents déambulaient dans les allées de l’hypermarché, passant aux yeux de tous pour un couple des plus normaux. Mais l’un comme l’autre savait que le dîner n’était pas la principale préoccupation des futurs convives, tout comme elle ne fut pas dupe lorsque Frédéric imposant une longue étape au rayon animalerie et qu’il jeta dans le caddy, un collier de cuir noir et clouté ainsi qu’une laisse coordonnée, tressée de larges brins.

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