53.7 Mourad

La nuit est tiède et la rue déserte. J'aime ce calme qui s'empare des rues des villes après une certaine heure de la nuit et avant une certaine autre heure du petit matin ; c'est un moment qui n'est jamais trop long, une heure ou deux, quand tout le monde semble couché et personne ne semble encore levé ; on a l'impression que la ville toute entière est en train de dormir, et que la Terre s’est arrêtée de tourner.
Le bruit de quelques voitures solitaires au loin semble mettre encore davantage l’accent sur ce silence presque parfait.
Le temps semble comme suspendu, assis sur les toits de la ville, en train de profiter lui aussi de la fraîcheur de la nuit.
Ce silence me fait du bien, m’apaise. J’ai un bon bout à marcher avant de retrouver mon lit. Je suis sonné, j’ai comme l’impression de planer, l’impression que je ne réalise pas complètement ce qui vient de se passer. Je n’ai pas vraiment envie de retrouver mon lit, je ne veux pas dormir ; je ne veux pas laisser filer cette nuit, pour ne pas devoir me réveiller demain, car je sais que je me réveillerai avec le cœur meurtri. J’ai envie de faire durer cette nuit le plus longtemps possible.
Voilà pourquoi, j’imagine, lorsque j’arrive au canal, une force inattendue m’empêche de tourner à gauche, en direction de mon lit, pour me pousser avec insistance dans la direction opposée.
Une force amorcée par le passage d’une petite bande de mecs dont les échanges me laissent entendre qu’ils sont du bon côté de la Force et qui se dirigent vers le On Off.
Je leur emboîte le pas. Je ne sais pas pourquoi je fais ça, c’est horriblement tard, je suis mort de fatigue, mes parents vont encore s’inquiéter, je vais encore devoir donner un million d’explication bidons ; et, surtout, je suis presque certain que je n’oserai franchir la porte tout seul ; de toute façon, en short, ils ne me laisseraient jamais rentrer.
Pourtant, je le fais. J’essuie mes larmes, je traverse la route, je marche côté canal, l’air de rien.

L’enseigne rouge lumineuse me nargue.
Je la fixe, comme en hypnose, je ralentis le pas ; lorsque mon regard se détourne enfin, je capte le regard d’un mec qui est en train de fumer juste en dessous de l’enseigne lumineuse ON OFF, comme mon bobrun l’avait fait la fois où il m’avait entraîné dans cette boîte.
Le mec me regarde de façon insistante ; je le regarde, cherchant à comprendre si vraiment il s’intéresse à moi. Nos regards ne se quittent pas. Je ressens une sensation grisante à l’idée de plaire à ce garçon. Je le détaille : 1 mètre 70, physique pas vraiment baraqué, néanmoins très bien proportionné, genre petit rebeu ; habillé simplement, simplement sexy : t-shirt bleu cintré col en V, jeans clair, baskets blanches.
Devant ce beau garçon, mon corps me rappelle son envie de sexe, cette envie qui l’avait ravagée comme un incendie une demi-heure plus tôt au pied d’un escalier.
Une envie qui devient désir brulant lorsque ce bel inconnu semble esquisser un petit sourire, accompagné par un petit signe de la tête m’invitant clairement à traverser la route et à le rejoindre.
Et moi, devinez quoi ? Je trouve le moyen d’hésiter.
Heureusement, le mec est du genre déterminé.
« Viens... » je l’entends me balancer cette fois à mi-voix, mais sur un ton bien ferme, tout en réitérant ce petit geste de la tête. J'aime les mecs qui ont les idées claires.
Je ne sais pas trop de quoi j’ai envie. Une partie de moi a envie de tracer la route et d’aller me blottir dans mon lit. Alors qu’une autre partie a envie de se laisser aller à l’inconnu que représente ce beau garçon.
C’est en m’appuyant sur la fausse excuse de l’avoir désormais trop cherché pour pouvoir me dérober, que je me décide enfin à aller le rejoindre.
La véritable raison étant que ce petit reubeu m’intrigue bien.
« Tu en veux une ? » il me demande, dès que je mets le pied sur le trottoir, tout en me tendant son paquet de clopes.
Vu de près, il est encore plus sexy que je l’avais pressenti.
Il doit avoir quelques années de plus que moi, 23 ou 24, je pense.
Très typé, très masculin, la peau bien basanée, des yeux très foncées, vifs, pétillants, perçants. Son regard dégage quelque chose d’un peu brutal, que son sourire coquin se charge d’adoucir.
« Non, merci, je ne fume pas… ».
« Qu’est-ce que tu cherches par ici ? » il me demande, après avoir expiré un bon nuage de fumée.
« Je sais pas trop… ».
« Tu cherches un plan ? » il va droit au but.
« Je sais pas, j’en ai jamais fait, ça dépend… ».
« Ça dépend de quoi ? ».
« Du mec, du feeling… ».
« Je te plais ? ».
« T’es très sexy… ».
« Toi non plus t’es pas mal… ».
« Merci… ».
« Alors, tu trouves qu’il y a assez de feeling ? ».
« Tu es du genre speedé… » je rigole.
« Je vais pas te faire la cour, surtout à quatre heures du mat… ».
« C’est sûr… » j’acquiesce bêtement.
« On fait un tour ? » il relance sans transition.
« Ou ça ? » fais-je, impardonnablement naïf.
« Bah, je pensais chez moi… j’habite pas très loin, si ça te dit » fait-il, tout en m’envoyant un clin d'œil charmant.
« Oui, ça me dit bien… ».
« J’habite Port Saint Sauveur » il précise.
Nous marchons côté à coté dans la fraicheur de la nuit. La situation, inédite pour moi, a un je-ne-sais-quoi de terriblement excitant. Jamais je n’ai été abordé par un mec de cette façon : devant une boîte gay à 4 heures du mat, me proposant de le suivre chez lui, pour un plan ; et, ce, au bout de tout juste dix phrases. Je ne sais pas trop quoi lui dire. Je ne sais pas trop comment me comporter ni sur l’instant, ni lorsque nous serons dans son appart.
Je repense à Stéphane, qui m’avait invité lui aussi dans son appart. Mais c’était pour prendre un verre, et la première fois il ne s’était rien passé. Il avait su me mettre à l’aise, il avait été adorable. Que devient-il d’ailleurs ce très charmant garçon dans cette lointaine Suisse ?
Avec ce mec, je sens que les choses ne vont pas du tout se passer de la même façon.
Il est charmant lui aussi, mais les choses sont claires, il a juste envie d’un plan.
De quoi va-t-il avoir envie au pieu ? Jusqu’où j’ai envie d’aller pour oublier ma tristesse et ma solitude ?
« Moi c'est Nicolas » je finis par lui lancer, la seule chose que j’aie trouvée pour briser ce silence gênant.
« Moi c'est Mourad... ».
Joli prénom qui sonne pour mes oreilles comme la promesse d’une belle rencontre sensuelle.
Nous traversons le canal et nous arrivons devant un grand immeuble. Il tape le digicode et nous voilà dans un grand hall d’entrée. Nous le traversons et nous rentrons dans l’ascenseur.
Dans le petit espace, je me sens de plus en plus mal à l’aise. Je ne sais pas quoi lui dire, je ne sais pas quoi faire. Est-ce que je devrais lui dire des mots pour le chauffer, ou alors l’embrasser ? Pourquoi ne prend-il pas l’initiative ? En fin de compte, de nous deux, c’est lui le mec expérimenté… ça ne doit pas être la première fois qu’il ramène un mec chez lui pour un plan.
Les quelques secondes que dure l’ascension me paraissent interminables. Je le regarde du coin de l’œil : il est vraiment sexy. Ce qui ne m’empêche pas d’être de plus en plus mal à l’aise… j’ai l’impression que je perds tous mes moyens, que je ne vais pas être à la hauteur.
Je le suis dans le couloir et nous arrivons enfin devant la porte de son appart.
Le mec me plaît, mais pas la situation, pas du tout. Je me surprends à me demander ce que je fais là. Je suis à deux doigts de faire demi-tour. J’ai mal en repensant à mon Jérém, mais c’est de lui que j’ai envie… et j’ai mal en pensant à mon lit, ces draps dans lesquels je n’aurais qu’une envie, celle de pleurer.
La porte renfermée derrière nous, Mourad me plaque contre la cloison, ses lèvres donnent l’assaut aux miennes, sa langue s’enfonce dans ma bouche.
Ah, putain… si seulement mon Jérém avait pu faire ça cette nuit…
Mais son élan est aussi enflammé que bref. Quelques instants plus tard, il att le bas de mon t-shirt et il le remonte le long de mon torse.
Je n’ai plus qu’à suivre le mouvement en levant les bras, et je me retrouve torse nu.
Il commence à me bouffer les tétons, provoquant chez moi une érection immédiate. Il me lèche fougueusement, sa langue court partout, curieuse, humide, avisée ; elle descend le long de mon torse jusqu'à mon nombril, provoquant des bons frissons sur son passage.
Pourtant je suis toujours ailleurs… je n’ai de cesse que de penser à Jérém, à son corps, à nos corps à corps…
Mourad défait ma ceinture, ouvre mon short, descend mon boxer et il prend direct ma queue dans sa bouche. Il entreprend de me sucer, expérience quasi-inédite pour moi, seul Stéphane m’avait offert ça jusque-là ; expérience qui se révèle d’ailleurs très agréable... oui, définitivement, j’aime bien me faire sucer… c’est presque aussi bon que de sucer… surtout sucer mon connard de bobrun…
Là aussi, sa fougue se révèle aussi intense qu’éphémère.
Très vite, le jeune reubeu se relève, se débarrasse de son t-shirt bleu, dévoilant ainsi un joli torse naturellement imberbe, une plastique tonique, sans être vraiment musclée ; à l’évidence, le mec n’est pas un adepte de salle de sport ou de terrain de jeu ; pourtant, son torse et son cou élancés constituent une brûlante invitation au plaisir. Sa peau basanée, douce et soyeuse, est aussi appétissante qu’un croissant de boulangerie encore tiède ; et ses deux beaux tétons bien bruns, bien sombres, donnent franchement envie de croquer dedans.
Et lorsqu’il descend son jeans et son boxer, c’est une belle queue tendue qui apparaît devant mes yeux. Là aussi, c’est très sombre ; de par une pilosité assez importante, mais aussi et surtout de par la couleur bistre de son service trois pièces, couleur assortie à celle de ses tétons. Un charmant code couleur semblant tracer la géographie des zones érogènes de ce beau petit mâle.
Mourad est à poil, la main sur sa queue, cette queue que, comme d’habitude, je ne peux m’empêcher de comparer à celle qui me rend dingue, celle de mon bobrun … mais au fond, les centimètres ont une importance relative, lorsque le plaisir qu’on recherche est celui d’offrir du plaisir à un beau garçon.
« Allez, viens me sucer… » me balance le sexy Mourad sur un ton d’impatience.
Si en plus il me parle comme Jérém, comment me concentrer sur l’instant présent…
Pendant que je me mets à genoux, je me revois me mettre à genoux devant mon Jérém une heure plus tôt dans l’entrée de son immeuble… quand je pense qu’on a failli se faire gauler. Je regarde cette jolie queue bistre tendue devant mon nez, mais c’est de la queue de mon Jérém dont j’ai envie…
« Allez, suce… on va pas y passer la nuit ! » s’impatiente le mec.
Sa peau dégage une odeur fraîche et fruitée, j’adore ce genre le gel douche. Une petite odeur tiède de transpiration s’y mélange, ce qui n’est pas fait pour me déplaire.
J’entreprends alors de le sucer, bien déterminé à m’appliquer pour lui faire plaisir. Je porte les doigts à ses tétons pour le titiller, mais très vite ses mains interviennent pour dégager les miennes.
« J’aime pas ça… » je l’entends me lancer. Comme quoi, les codes couleur peuvent parfois être trompeur.
Je continue de le sucer, du mieux que je peux. Pourtant, j’ai vite l’impression que je n’arrive pas à lui faire plaisir. J’ai du mal à trouver les bons boutons, les cordes sensibles. Avec Jérém, je sais exactement où toucher, caresser, lécher, pour le faire monter au rideau. Avec Mourad, ce n’est pas du tout le cas : oui, c’est vrai, je ne connais pas son corps ; mais, surtout, le cœur n’y est pas.
De plus, Mourad n’est vraiment pas du genre très expressif ; ça fait déjà un petit moment que je le suce, j’ai essayé à peu près tous les trucs qui peuvent faire délirer un mec… pourtant, pas un gémissement, pas un mot, sa respiration ne semble même pas s’affoler.
Je finis par me dire que je suis vraiment mauvais. Une sensation qui semble se confirmer lorsque le mec prend la situation en main, au sens propre comme au sens figuré, en me tenant la tête avec ses deux mains, tout en envoyant des coups de reins puissants, destinées à envoyer sa queue de plus en plus loin dans ma bouche.
Si en plus, il s’y prend comme Jérém, comment me concentrer sur l’instant présent…
Dans la théorie, j’adore ce qu’il est en train de me faire… dans la pratique, je crois que mon excitation est en train de retomber… et surtout, il y a des choses que j’ai envie avec mon Jérém, et qu’avec mon Jérém…
Je suis également inquiet (ce qui me rend crispé, la crispation étant le « tue l’amour » par excellence), au sujet des intentions de ce mec… j’ignore s’il est près de jouir, et j’ignore s’il est du genre clean ou du genre qui s’en tape… alors, je prends quand même le temps de me dégager et de lui dire que je ne veux pas qu'il jouisse dans ma bouche.
« T’inquiète, je sais me retenir... » fait-il tout en fourrant à nouveau sa queue entre mes lèvres et en reprenant ses coups de reins de plus belle.
Je suis un peu rassuré… mais j’ai envie du jus de mon Jérém…
Je continue à endurer ses assauts ; puis, au bout d’un moment, il retire sa queue de ma bouche, et il me demande :
« Tu te fais sodo ? ».
Je ne sais pas, je ne me suis franchement pas posé la question. Je n’ai pas de réponse.
Mourad est beau, sexy, le mec est à mes yeux une espèce de fantasme sur pattes.
Mais le cœur n’y est toujours pas. C’est certainement à cause du contexte, de cette façon de baiser, de juste baiser, de cet enchaînement d’actes mécaniques où l’on ne partage que des sensations tactiles de deux corps… il n’y a aucune connexion entre Mourad et moi, à part nos envies. Et encore, la mienne, je la cherche.
Je voulais me sentir désiré, coucher avec un mec pour ne pas penser à mon Jérém ; pourtant, paradoxalement, en baisant avec Mourad, je n’arrête pas de penser à Jérém.
J’essaie de le chasser de mes pensées et de me concentrer sur mon amant basané. Je décide de mettre à profit l’occasion et découvrir une nouvelle façon de faire l’… la baise…
« Oui, j’ai bien envie… » je finis par répondre à sa question.
Sans rien rajouter, il se penche pour rattr son jeans, il fait les poches une après l’autre et il finir par sortir une capote.
« Viens… » il me lance en s’engageant dans un petit couloir ; il ouvre une porte, allume la lumière ; c’est sa chambre, un grand lit monopolise la presque totalité de l’espace.
« T’aimes en levrette ? ».
« J’aime les deux ».
« Moi je préfère la levrette ».
« Ok… ».
« Allonge-toi… ».
Je m'exécute, je m’allonge à plat ventre sur le lit.
Je l’entends déchirer l'emballage de la capote, la sortir et la glisser sur sa queue. Il applique du gel sur sa queue et entre mes fesses.
« Vas-y, cambre bien ton cul… ».
Là aussi je m’exécute sans broncher.
Un instant plus tard, son gland vise l’entrée entre mes fesses. Son bassin applique une pression de plus en plus forte mais mes muscles ne semblent pas vouloir céder, comme s’ils n’étaient pas prêts.
Ou bien c’est le corps qui parle à la place de la tête qui ne veut pas dire non.
Il recule, il introduit un doigt pour préparer le passage. Rien que la présence de son doigt me fait déjà mal. Je pressens que ça ne va pas être génial.
Il revient à la charge en écartant mes fesses avec ses mains. Mais à nouveau mon ti trou refuse de céder ; le mec exerce une pression de plus en plus forte, tellement forte que j’ai peur que la capote casse. Ses mains écartent un peu plus mes fesses ; et son gland arrive enfin à se faufiler dans mon entrée toujours très serrée.
Tellement serrée que j’ai vite mal.
« Arrête, s’il te plaît… ».
« Qu’est-ce qui se passe ? ».
« Laisse-moi souffler une seconde… ».
Le mec se retire, mais il me laisse vraiment juste une seconde de répit avant de revenir à la charge. Cette fois-ci, il finit par glisser en moi jusqu’aux couilles. J’ai un peu mal mais je me dis que mes muscles vont se détendre, que ça va passer.
« T’as un bon cul ! » ce sera son seul commentaire.
Celle-là aussi, je l’ai déjà entendue.
Mourad commence à envoyer ses va-et-vient entre mes fesses : ses coups de reins sont puissants, ses couilles bien pendantes frappent lourdement mon entrejambe ; ses mains saisissent mes épaules pour donner à la fois appui à son corps et davantage d’élan à son bassin.
Je suis en train de me faire tringler par un petit reubeu bien charmant et bien chaud. La douleur finit par disparaître ; mais je ne ressens pas vraiment de plaisir pour autant.
Déjà, le mec ne s’occupe que de prendre son pied ; bien sûr, cela ne m’a jamais gêné avec Jérém. Mais avec Jérém, il y a plus que du désir, avec Jérém il y a cette étincelle que je n’ai pas avec Mourad, cette étincelle qui rend tout magique. Du moins, pour moi.
Et, une fois de plus, nos corps ne se connaissent pas : engin différent, angle de pénétration différent, mouvements différents ; une première coucherie est souvent une répétition en vue de la grande première qui viendra plus tard. Mais lors d’un plan, on n’a pas droit aux répétitions.
Bien sûr, avec Jérém, Stéphane et Thibault les trois garçons qui ont, chacun à leur façon et à leur degré, compté pour moi, l’alchimie a été pleine et parfaite dès la première fois… avec Jérém, c’était comme si nos corps se connaissaient depuis toujours, c’était une évidence ; Stéphane, Thibault, d’autres évidences, pour des raisons différentes : ces garçons ont su me mettre à l’aise, me faire sentir bien ; et dans ces conditions, le plaisir nous tend la main presque à coup sûr.
Avec Mourad, ni les corps ni les esprits ne semblent en phase. Déjà, il a voulu me prendre par derrière. Quand je couche avec mon Jérém, je préfère l’autre position, celle qui me permet de le voir prendre son pied.
Bien sûr, le fait de ne pas le voir m’évite de devoir soutenir des regards gênants ; mais déjà que je ne l’entends pas, car il n’émet aucun son traduisant son plaisir ; le fait de ne pas le voir, me prive d’une bonne partie de mon excitation ; je suis comme un pilote sans radar, je ne sais pas ce qui se passe, je ne sais pas où je vais.
Je me fais la réflexion que le missionnaire semble une position conçue pour des gens qui ont des choses à échanger, alors que la levrette est faite pour des gens qui veulent juste conclure et éviter des regards gênants.
Je commence à fatiguer, à ressentir une douleur aux reins sur lesquels le mec s’appuie de tout son poids ; je flippe à mort que la capote puisse casser ; non, je ne prends pas de plaisir, et je commence même à avoir mal.
Qu’est-ce que je donnerais pour que ce soit Jérém, mon beau Jérém, à la place de Mourad, pour que ce lit ce soit celui de l’appart rue de la Colombette... je crève d’envie de m’offrir à lui, de le voir prendre son pied, en espérant qu’il me tringle le plus longtemps possible, tout en attendant avec impatience qu’il jouisse en moi, qu’il me remplisse de son jus brûlant.
Heureusement, Mourad jouit assez rapidement ; mais même en jouissant, il est aussi expressif qu’une souche de bois ; il émet juste une expiration légèrement plus intense et prolongée ; petit orage de plaisir ; si loin des rugissements de jouissance de mon petit con de Jérém.
Dès son affaire terminée, il sort de moi ; je me retourne et je le vois enlever la capote, lui faire un nœud et la jeter négligemment dans un coin. Au moins je suis rassuré de ce côté-là. La capote a tenu bon.
Il att un t-shirt gris et un boxer noir dans le placard ouvert à côté du lit ; il les passe en silence, comme s’il était seul dans la pièce.
Je suis un peu déçu qu’il s’habille si vite, que le t-shirt et le boxer cachent sa nudité, comme un rideau qui se ferme sur une scène où il n’y aura pas de rappel ; comme s’il considérait que tout est fini avec sa jouissance, comme s’il considérait qu’il n’a rien à faire, ni me branler, même pas me caresser, au moins pour la forme, pour que je puisse jouir à mon tour ; à l’évidence, le mec considère que je n’ai pas besoin de jouir.
De toute façon, je n’ai pas envie de jouir ; j’étais tellement stressé et ailleurs que j’ai même débandé.
Je suis toujours allongé sur le lit : je sais que je n’ai rien de plus à attendre de ce mec, ni un câlin, ni un baiser, ni un mot rassurant, ni un verre, ni qu’il me demande de rester dormir, et encore moins qu’il me file son portable ou qu’il me dise qu’il a envie de me revoir. Il voulait un plan, juste un plan, j’ai été son plan, comme tant d’autres mecs auraient pu l’être à ma place ; je l’ai bien voulu ; mais soudainement je me sens vraiment mal. J’ai à a fois envie de partir très vite, mais je me sens comme incapable de bouger, vidé de mon énergie, tout accaparé par mon malaise.
« Je vais te demander de partir, je vais me coucher… » je l’entends lâcher froidement alors qu’il porte une nouvelle cigarette aux lèvres.
Vraiment, il ne me fait cadeau de rien. Et je parle moins du fait qu’il est en train de me foutre carrément à la porte que de cette cigarette après le sexe qui me rappelle tant les habitudes d’un autre garçon.
Je me fais violence pour me lever du lit ; je regagne vite le séjour, et mes vêtements.
J’ai envie de lui dire que c’était bien, même si je ne le pense pas. C’est con, même si je n’ai pas vraiment pris mon pied, je n’arrive pas à zapper un mec comme ça. A me dire qu’on a baisé une fois, qu’on va se dire au revoir, ou plutôt adieu, tchao et basta.
Je ne sais pas si j’aurais envie de le revoir, mais le fait d’être mis à la porte de façon si expéditive me touche, me déçoit, m’apporte un sentiment de solitude et d’humiliation.
Bien sûr, je savais dans quoi je m’embarquais. Mais je suis quand même choqué par ce sentiment de m’être fait baiser par un mec qui ne voulait vraiment que tirer un coup vite fait. Oui, je sais, je suis naïf à la limite de la bêtise.
« Salut… et à un de ces quatre… » je ne peux m’empêcher de lui lancer pendant que je passe la porte, alors que déjà la fumée de la cigarette irrite mes narines.
« Ouais, salut… » voilà sa réponse laconique pendant qu’il referme le battant presque sur mon nez.
En marchant le long du canal, je me sens envahi par un sentiment de tristesse et de désolation ; j’ai l’impression de n’avoir été qu’un jouet sexuel, rien de plus. S’il le faut, demain soir Mourad lèvera un autre mec et il oubliera tout aussi vite mon visage, mon prénom, mon si bon cul.
En marchant le long du canal, je réalise que les plans, les baises, c’est rude pour le moral. Je suis trop sensible, trop naïf. Mais les plans, ce n’est pas pour moi.
En marchant le long du canal, je ne peux m’empêcher de ressentir un malaise à l’idée d’avoir « trompé » Jérém... c’est très con, je sais, pourtant, cette idée me dérange.
Même si, de toute façon, cette fois-ci c’est vraiment fini. Cette nuit il m’a balancé ce « dégage », clair et sans appel. Comme à un chien. Il ne veut plus me voir. Et je ne veux plus le voir.
Non, je n’ai pas trompé Jérém mais je me suis trompé sur Jérém ; finalement, je lui ai prêté une sensibilité qu’il n’a pas, finalement j’ai juste pris mes rêves pour des réalités ; j’ai tout accepté de lui, en me disant qu’en dehors de nos baises il avait un minimum de respect pour moi ; apparemment, ce n’est pas le cas ; finalement, entre l’attitude de Jérém et celle de Mourad, je ne vois pas où est la différence. Vraiment, je n’ai été que son vide couilles, rien de plus.
Je suis presque arrivé chez moi lorsque, dans un éclair, comme une évidence éclatante, je trouve enfin d’où viennent ces putains de couplets qui me trottent dans la tête depuis que, plus tôt dans la soirée, avant d’aller à la rencontre de ce double fiasco avec Jérém et avec Mourad, j’ai été voir le film Moulin Rouge au cinéma.

Love lift us up where we belong/L'amour nous soulève jusque-là où nous sommes destinés
Where the eagles cry, on a mountain high/Là où les aigles pleurent, sur le haut d'une montagne

Ça fait quelques années déjà que j’ai vu le film dont cette chanson est issue, quelques années déjà que j’ai été sensible au charme ravageur d’un jeune Richard Gere en uniforme blanc ; charme qui, faut bien l’avouer, m’a accompagné lors de quelques bonnes branlettes d’adolescent.
Alors, dans ma tête, je remplace la voix sexy et jeune d’Ewan par la voix rocailleuse d’un célèbre chanteur barbu.
En repensant à la scène de Moulin Rouge, je me dis que finalement ce n’est pas Christian qui a raison, lorsqu’il clame ces couplets à Satine… mais bien cette dernière, lorsqu’elle lui rétorque, sur le même air :

Love makes us act like we are fools/L'amour nous fait agir comme si nous étions fous,
Throw lifes away, for one happy day !/Gâche nos vies, pour un jour de bonheur !

Oui, l’amour peut nous amener très haut ; mais il peut tout aussi bien nous mettre plus bas que terre.
Je rentre chez moi en me disant que je ne lui ai toujours pas donné le t-shirt de Wilkinson que j’avais acheté à Londres. Je n’ai plus qu’à le jeter. Avec sa chemise, son t-shirt, son boxer.
Je rentre chez moi en repensant aux mots de la chanson de David Bowie…

Oui, la plus grande chose que vous apprendrez jamais/Est juste d'aimer et d'être aimé en retour…

Rien que ça, rien que ça…

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