Laquelle 4



LAQUELLE 4

-Tu en as beaucoup des jouets? Ca me donne des idées.

La chaîne est assez longue. Danser ainsi unis par des menottes devient un jeu. Jenna s’en amuse, oublie son héros absent. Elle apprécie ma façon de conduire:

- Blagueur, tu n’as vraiment pas besoin de leçon de danse. Si j’avais su. Elle se rapproche.

-Si tu avais su quoi?

-Tout ça. Tu t’es débarrassé de René la terreur, tu danses mieux que moi, tu emballes les plus belles gamines. Que de surprises, j'aurais dû deviner...Elle est un peu jeune pour toi cette Jeanne ? Hum...Tu as remarqué : Jeanne ou Jenna, c’est presque la même chose.

A la différence que Jeanne a plus de retenue. Ma prisonnière ne cherche plus la fuite mais le contact, un contact serré, charnel. Si c’est pour me voler la clé, elle se trompe. la clé des menottes est à l’abri, je l’ai confiée à Alfred en passant près de lui.

Je comprends René et ses sorties de salle. Cette fille est née tentatrice. Elle a un tempérament de feu. Elle ferait un malheur sur l’ « Ile de la tentation ». Je chauffe, je bande...Elle demande

- Dis, je te plais ? Je regrette de ne pas avoir vu tout de suite qui tu étais vraiment. Je me sens si bien contre toi. Je voudrais être ta prisonnière à vie. Serre-moi fort contre ton corps.

Elle me flatte et me câline, se fait chatte, cherche mon regard, veut me charmer et me troubler. Je ne suis pas maître corbeau pourtant mon sang se met à bouillir

- Tu sais, j’ai envie de faire l’amour avec toi.

- Que dis-tu? Veux-tu répéter? Ai-je bien entendu? Non, attends. Je te demande pardon de t’avoir fait dér. Ces menottes devaient te faire connaître l’ennui ressenti par un être seul dans une foule, attendant en vain, assis à une table, devant un sac dont la propriétaire lui a confié la garde. Mais en plus de l'ennui je souhaitais te faire vivre la pénible impression qu'on se moque de toi, le désagréable sentiment de passer pour une andouille en voyant ton partenaire danser presque toujours avec un complice bien connu.

Je comptais te relâcher après l‘expérience. Pourquoi sommes-nous enchaînés sur cette aire de danse?

- Je te l’ai suggéré, je ne m’en plains pas. Je te connais mieux enfin.

- Peut-être, mais tu tiens ce discours parce que tu n’es pas libre. Tu ne penses pas tes paroles, tu veux trouver un moyen de briser ce lien et tu me dis n’importe quoi, que tu veux faire l'amour avec moi. Comme ça subitement. C'est absolument dingue, incroyable. Tu cherches à me tromper pour te sauver.

- Il ne s’agit pas de ça. Je suis sincère. Regarde-moi dans les yeux, ça se voit. Tu crois au coup de foudre?

- Je t’ai regardée dans les yeux, j’y ai lu des promesses et… tu es partie danser avec ce René. Ta sincérité est simple à vérifier. Viens près d’Alfred.

- Voilà. J’ai la clé. J’ouvre le bracelet, la cage est ouverte, reprends ta liberté.

L’oiseau ne s’envole pas.

Ah! Si tu peux aller. Va ! Quand tu souhaiteras rentrer à la maison, tu me feras signe pour le retour.

- Mais je suis bien dans tes bras. Je te le redis, je suis amoureuse de toi. Garde-moi, danse avec moi. Ne refuse pas de mieux me connaître.

- Cette déclaration est moins osée. Tu constates que l’anneau de menote au bras exagérait tes sentiments ou faussait l’expression de ta pensée. Dansons ensemble si tu le veux, ce n’est pas désagréable.

- Tu rougis! Je t’ai choqué? J’ai été maladroite. Mais je te trouve si mignon, si différent des autres garçons, de René par exemple. Je sais, j’ai fait des choses déplaisantes … maintenant je m’en rends compte, j’étais à la recherche d’un garçon comme toi. Tous les autres je veux les oublier. Je te tiens, tu m'appartiens, je ne te lâcherai plus.

- Il y a quinze jours, ta déclaration m’aurait ravi. Depuis, j’ai rencontré Jeanne et mes projets ont changé. Restons amis.

- Ne t’embarrasse pas de cette poupée. C’est une lycéenne sans expérience, une gamine encore, elle goûte ses premiers émois, elle apprend à peine à embrasser.
Elle s’enflamme à la première occasion, mais des occasions elle en aura d’autres. Le premier garçon pour une fille est celui qui précède le deuxième. Vous formez un couple touchant, à mon avis sans avenir. Tu es un homme, raisonnable, tu travailles. Elle est trop jeune pour se lier définitivement. Pour le moment elle rentre à minuit chez papa et maman. Étudiante, elle apprendra la liberté, fréquentera une population différente et t’oubliera vite.

- Jenna, qu’en sais-tu? Ton pessimisme ne me découragera pas. Si tu avais raison, je serais bien malheureux, mais je ne serais pas le premier homme délaissé. J’ai déjà donné. Je veux tenter ma chance.

- Tu échoueras, je t’attendrai. Tu te méfies de moi. Je regrette de t’avoir froissé. Ta vengeance m’a rendu furieuse au début. D’autres auraient été plus brutaux. Finalement, tu as su me faire réfléchir à la stupidité de ma conduite, j’aime ta façon de faire. Ne recommence pas trop souvent cependant! Rendez-vous dans deux mois. Je vais être sage comme une image, je vais t’attendre, promets-moi juste de te souvenir que je t’aime. Je veux faire ma vie avec toi. Sur un signe de toi, je serai à toi. Et là, en bas, quelque chose de tangible trahit tes émotions, tu ne peux pas me le cacher: un homme est un homme. Tu en es un, je le sens! Je suis heureuse de te sentir en forme.

- Souhaites-tu prendre une boisson? Bien, je te rejoins à notre table.

Verres en main je retrouve Jenna. Elle n’est pas seule. Un homme est penché sur elle, lui a pris la main et tente de la faire lever. Je pose les boissons.

- René! Tu es revenu? Magnifique costume, tu en jettes. Ca va mieux, pas trop de bobos? Les genoux, les coudes ? Ah! Le nez quand même, un peu plus rouge que d'habitude. Dans huit jours on ne verra plus rien.

- Ah! Te voilà. Dis, tu permets que je t’emprunte Jenna ?

- Emprunter et ensuite oublier. Ne compte pas sur moi pour la jeter dans tes bras de séducteur infidèle.
Elle est majeure, vaccinée, a toutes ses dents et fait ce qu’elle veut, bien sûr! Elle n’a plus de menottes, n'a pas besoin de ma permission Si elle veut te suivre, je n’y vois pas d’inconvénient.

Je vais constater immédiatement si ses déclarations étaient sincères. Elle tient à moi, elle reste. Elle a un impérieux besoin de soulager ses sens, René l’emporte et va la satisfaire, culotte baissée devant la porte, contre un mur ou un arbre ou dans sa voiture s‘il pleut encore comme il fait avec les autres. Il n’est pas revenu à la dernière minute du bal pour lui réciter des poèmes. Il n’a pas lâché la main, tire sans trop user de sa force. Jenna me regarde. Je ne sais pas ce que je souhaite. Je serais vexé de rester seul. Je serais soulagé de ne plus avoir à me poser de questions. Je lui tends son verre, elle dégage sa main pour le saisir, me remercie :

- A ta santé, Nicolas.

Elle me sourit et envoie René se servir au bar. Sans doute son costume est-il trop beau, il ne pense plus à s’expliquer entre hommes à l’extérieur.

- Qu’en dis-tu? Il ne m’a pas obligée à me soumettre. Je t’ai choisi, il ne m’aura plus. Devant toi il n’osera plus me tordre le bras pour me faire obéir. Tu es vraiment l’homme rêvé, j’ai besoin de toi. Je ne peux pas te forcerà m'aimer, je vais vivre comme si j’étais ta femme.

René de retour a entendu la dernière phrase.

- C’est quoi ces histoires? Tu m’oublies, je compte pour du beurre? On va voir.

Il pose un verre devant Jenna, lève le sien et me toise. On ne perd pas facilement ses habitudes de domination. Chez certains l'arrogance est une deuxième nature.

Jenna se lève, vient à moi :

- Allons danser.

Elle va près de l’orchestre. A sa demande les musiciens engagent: « J’attendrai, le jour et la nuit », extrait de la nuit des temps !

- Tu entends, c’est pour toi. Je t’aime.

A René le plaisir d’occuper seul une table.
Pourquoi les dernières filles non accompagnées refusent-elles son invitation? Il retourne bredouille vers notre table, s’arrête: Alfred et sa dulcinée y sont assis. Dégoûté il se dirige vers la porte.
Le bal se termine, nous sortons. Plus de coupé sport sur le parking. Je sens la main de Jenna dans la mienne, elle y est depuis notre dernière danse, je n’y prêtais pas attention. Me voilà dans un sacré pétrin: Jenna et Jeanne. Laquelle choisir ?

La première est femme, célibataire, libre, possède un appartement, jure qu’elle m’aime, vient de me donner une preuve de son attachement en rejetant René. Elle est charmante. Hélas René est passé par là. D’autres peut-être aussi. A quel point l'a-t-il marquée? Elle se dit prête à m’attendre. Serait-elle une épouse fidèle ou son tempérament la poussera-t-il à l’adultère? René pourrait revenir. Certaines images s’effacent difficilement. Jenna a-t-elle pu échapper au sort de ces filles que je l'ai vu traiter comme des objets sexuels jetables devant la salle? René n'en était-il encore qu'à la phase de conquête, n'avait-il pas encore conclu, ce qui expliquerait son acharnement à s'incruster ?

La seconde s'appelle Jeanne, c'est une tendre jeune fille, idéaliste, romantique, rêveuse la tête dans les étoiles. Si vite amoureuse, sait-elle vraiment ce qu’est l’amour? Jeune, si fraîche, si jeune, trop jeune peut-être? Elle n’a pas la présence physique des femmes plus mûres. Un minois frais, des années de patience, trop d’attente, pour quel résultat, avec quelle certitude?

- Tu es bien silencieux. A quoi penses-tu? A moi? Tu veux venir prendre un dernier verre chez moi? Ca me ferait plaisir. Ne crains rien, je ne te violerai pas, sauf si tu l’exiges. Je sais être correcte et pour toi je vais changer ma vie. Je m’en veux de t’avoir fait attendre avec René. Que celui qui n’a jamais péché me jette la première pierre. Tu n’as jamais eu de copine?

- Si, j’en ai eu deux. On me les a « empruntées » et on a oublié de me les rendre. Je les aimais bien. Au départ de la deuxième j’ai été très malheureux. Elle était insouciante, inconsciente de ma douleur.

- Tu as fait l’amour avec elles?

- Tu veux tout savoir. Eh! Bien oui, plusieurs fois avec la seconde. Nous étions timides tous les deux. Elle m’avait juré qu’elle épouserait son premier amour . J’étais trop doux, pas assez hardi, je ne sais pas. Un jour je l’ai vue en train d’embrasser un autre garçon, si fort, si longtemps. J’ai pleuré. Elle avait voulu comparer, ce n’était rien, pas grave:

- On n’achète pas un chat dans un sac, s’excusait-elle.

- Elle a pris goût à faire des comparaisons, je l’ai constaté avec désespoir et colère. Nous avons rompu. Depuis je n’ai plus fréquenté de fille. Tu as été la première à me troubler et à me rendre de l’espoir lorsque tu m’as invité à ce bal.

- Ah! Quand même ! Dans ce cas, où est le problème? Ah! C’est vrai, mon problème s’appelle René. Mais tu as vu, c’est fini.Tu entres?

Je me laisse tenter. L’appartement est petit mais coquet et bien entretenu. L’hôtesse me sert un alcool, me prend les mains, me fixe dans les yeux. D’un mot, je le sens, je pourrais décider de notre avenir. Une étincelle peut mettre le feu. Elle attend, j’hésite trop longtemps, parce que ce serait déloyal. Je me lève pour m’en aller. Un bisou chaste sur la joue, le deuxième se perd en route. C’est très rapide, mais c’est sur la bouche. Qui l’a voulu? Qui accusera l’autre? Un dernier sourire un peu gêné: je me sauve. Je tremble, je bous. Le salut est dans la fuite. Elle en brûlait d’envie; et moi donc. Ca m’aurait décongestionné.

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