Laquelle 5

LAQUELLE 5


Mais Jeanne ?

Au détour des couloirs de l’usine, chaque jour je rencontre Jenna. Elle est partout. A droite, à gauche, devant, derrière, elle surgit quand je ne l’attends pas. Chaque fois elle me salue et en profite pour une accolade chaleureuse. Chaque fois le contact de ses bras, de ses seins jette en moi le même trouble, une sorte de bouillonnement. Chaque fois ses yeux appuient ses « Je t’aime » glissés à l’oreille et chaque fois elle disparaît mutine et heureuse. Je redoute le prochain samedi. La confrontation risque d’être houleuse. Je suis toujours irrésolu.

J’ai rendu visite au père de Jeanne. Elle a obtenu gain de cause. Si je m’engage à veiller sur elles, les trois jeunes filles pourront rentrer à deux heures du matin, en ma compagnie, exceptionnellement. Chaque semaine, au retour je devrai rendre compte.

Jenna et moi arrivons sur le parking. Parmi les voitures je repère vite un coupé sport. Jenna se mord la lèvre inférieure. René accourt, jovial.

- Ah! Vous voilà. Toujours ensemble? Alors ce Nicolas, est un bon coup ?

- Idiot, obsédé. Tu ne penses qu'à une chose! baiser. Quand sauras-tu aimer? Nicolas sait me respecter. il m'aime.

- Tu resteras vierge, ma pauvre. Attention, plus tu attends plus ton hymen durcit. Un jour tu seras impénétrable! Dis ma poule, j’ai travaillé pour toi. Jeudi, à la sortie du lycée, j’ai rencontré, tout à fait par hasard, une certaine Jeanne. Une gamine sensationnelle.

Par hasard, dit-il. J'éprouve pour la petite les pires craintes . L'animal a-t-il touché le tendron? at-il son hymen fragile de pucelle.

- Je l’ai prise en voiture pour la ramener chez elle. Elle a voulu faire une pointe de vitesse sur l’autoroute. Elle a aimé. Nous avons fait une halte sur une aire de repos déserte. Elle a aimé. Elle m’a remercié d’un bisou et, de fil en aiguille, m’a tricoté ce petit souvenir.

Elle a aimé ça aussi. La coquine n’est pas née de la dernière pluie, c'est un formidable petit lot elle m'a séduit ! Elle va te déniaiser, Nicolas, si j’ai bien compris. A son âge elle sait tout faire, c'est époustouflant. N’aie pas peur, tu n’auras pas à la dépuceler. La où René passe, l’hymen trépasse. Elle est jeune, mais aux âmes bien nées, la valeur…et cetera. Je te souhaite bien du bonheur. Je vois que tu apprécies mes restes. Tu ne me crois pas? Tu veux une preuve ?Tiens : C'est cadeau.

Il sort de sa poche un chiffon, le déploie: c’est une petite culotte de femme!

Je vais l’écraser. Jenna intervient, serre ma main et riposte:

- Mais tu es fou. Je ne t’ai rien demandé. Des petites culottes on en trouve partout d’ailleurs. Tu frimes. Tu as volé celle-là sur une corde à linge. La gamine se perdrait dans ce sac beaucoup trop large pour elle.

- Ah! Oui. Dis, Nicolas, hume ça! Tu ne connais pas ce parfum? Si elle vient, tu lui rendras son précieux étui perdu. Elle en aura besoin, elle m’a promis de ne rien porter sous sa robe ce soir. Tchao, amusez-vous bien.

Il saute dans son coupé et fait un démarrage sur les chapeaux de roues. Jenna essaie de me rassurer:

- Ne le crois pas. Il veut se venger et a inventé cette histoire de toute pièce. Il bluffe. De nos jours les filles sont averties et ne montent pas avec n’importe quel conducteur.

- D’autant plus que je les ai mises en garde contre ce René. Ce n’est pas possible. Mais c’est tout à fait son parfum.

Le fond de ma passagère est bon. Jenna protège la réputation de sa rivale. J’en suis agréablement surpris. Je m’inquiète:

- Que vas-tu faire, tu sais que Jeanne est possessive? Je ne pourrai pas te faire danser. Elle me voudra pour toutes les danses.

- Je vais m’asseoir, attendre, attendre et attendre. Si on m’invite à danser, j’irai, mais ne crains rien, je t’aime. Mais qui sait, mon attente sera peut-être écourtée.



Nouveauté, Françoise me fait la bise et me présente son ami Roland, Denise est avec son ami Charles, en dernier, souriante et espiègle, Jeanne tient dans ses bras un grand carton et me présente mon sosie, Nico, dessiné par elle. Ce n’est pas vraiment à mon avantage. Une caricature. Elle met en évidence mon trop grand sérieux. Est-ce intentionnel ? Tout le monde rit, la soirée sera gaie.

Comment croire la fable de René ? Cette fille enjouée et tendre n’a pas pu me trahir. Ses yeux ne pourraient pas aujourd’hui avoir cet éclat de franchise si elle avait laissé à René le loisir de lui enlever sa culotte, de fouiller son intimité pour vérifier sa virginité avant de la traiter comme Margot ou d'autres, avant de lui ravir sa virginité, sur cette prétendue aire d’autoroute. Lui poser la question serait une indélicatesse tout sûr. Lui donner la culotte parfumée à la sueur me ferait passer pour un satyre. Je ne passerai pas pour un obsédé sexuel, ni pour un type maladivement jaloux. Tous les rires, toutes les plaisanteries sont les bienvenus. Dansons, réjouissons-nous, la vie est belle. Je ris, je ris un peu jaune. La question me taraude.

Jenna fait pénitence. Elle danse, je l’observe. Jamais deux fois avec le même. Du coup elle est souvent assise. Du bar, je lui ai fait servir à boire. Roland et Charles m’ont emprunté ma douce rieuse. J’ai fait une danse avec chaque cousine. Elles ne sont pas bavardes aujourd’hui. Je sens un malaise latent. Depuis son bisou d’entrée Jeanne m’a embrassé très peu, contrairement à son habitude. Je la sens absente, elle n'offre que des baisers distraits. En dansant j’ai laissé errer ma main sur ses hanches, l’élastique marque le haut d’un sous-vêtement ! Tiens, ce baiser est plus appliqué, bouche ouverte, langue provocatrice. En huit jours elle a fait d’incroyables progrès. Mais elle papote, me demande si j’ai bien regardé l’étoile polaire. Sauf jeudi à cause d’un gros nuage, Jeanne a été fidèle à ce rendez-vous.
Je relève intrigué:

- Étrange, jeudi le ciel était clair à 22 heures.

- Ah! Tu crois, je me trompe de jour ? Non, jeudi j’étais fatiguée, je me suis couchée plus tôt.

Jeudi, un coupé sport, une aire d’autoroute, un sagouin qui tire sur tout ce qui bouge, une petite culotte, une fille trop fatiguée pour le rendez-vous dans les étoiles. Samedi, une gamine qui embrasse peu mais comme une femme accomplie, à bouche que veux-tu. Dans ma tête le discours de René rencontre des échos troublants.

A minuit une minute. René réapparaît, fait le tour de la salle, s’incline devant Jenna, essuie un refus, mais en rit. Il tourne, s’incline devant Jeanne. Le pauvre va essuyer un refus cinglant… Jeanne se lève

- Tu permets que je l’emprunte?

Les cousines affichent un air plus affligé que surpris, me regardent par-dessous et se réfugient sur le parquet avec leur petit ami. Il a choisi le slow. Le spectacle me révulse. Jeanne est-elle folle? C’est quoi ces fous-rires? Mais, elle le bécote. Il répond, donne la leçon, les nez en duel se penchent pour un long baiser d’amoureux. Me provoque-t-elle ou oublie-t-elle qui est son partenaire ? Je ne suis pas myope. Quoi, Jeanne va prendre place avec René, à sa table? C’en est trop. Je vais la chercher, elle s'étonne:

- Allez, je suis assez grande pour danser avec qui je veux. Lâche-moi un peu. René est charmant. Tu n’es pas le seul homme sur terre. Tu es trop gentil, mais nul.

- Je te prie de m’accorder une dernière danse. Après tu feras ce que tu voudras, promis. René, permets que je te l’emprunte.

René hausse les épaules et la pousse vers moi! Il a gagné et se montre magnanime. Elle lui reviendra. Il a osé , c'est sûr, alors que je la respectais... trop! Nous dansons. Elle fait grise mine, comme si je la privais de dessert.

- Je te rappelle que j’ai promis à ton père de veiller sur toi. Sans mon intervention tu serais à la maison.
Conduis-toi honnêtement, danse avec qui tu veux. Ne t’avise pas de quitter la salle sinon je te ramènerai illico chez toi. Au retour, tu présenteras René à ton père et René pourra s’engager à me remplacer à l'avenir. Je veille sur toi ce soir pour la dernière fois. Ton père décidera. Tu peux retourner près de René.

Je n’attends pas de réponse, je la laisse au milieu des danseurs et vais m’asseoir. Elle accourt:

- Mais, Nico, ne te fâche pas. Je ne pensais pas ce que je t’ai dit. Je voulais te rendre jaloux, j’ai trop bien réussi. Je suis bonne comédienne, reconnais-le. Montre un peu d’humour. Tu paraissais absent, je voulais t’exciter. Allez, reviens danser.

- Plus jamais avec toi. Je t’ai vue en train d’embrasser René. Continuez, mais sans moi. Préviens-le du rôle que tu lui réserves à l’avenir. Après deux heures du matin, quand tu auras embarqué avec tes cousines, je ne te connaîtrai plus.

- Tête de mule. Gros nul. Tant pis pour toi. Tu l’auras voulu.

Mon dilemme est résolu. Jeanne écartée, reste Jenna pour le bal. Jenna a suivi de loin nos mouvements. Elle a constaté le retour de Jeanne près de René. Quand je lui tends la main pour la faire danser, je lis son plaisir dans un sourire à peine esquissé. Elle ne m'humiliera pas. Je la prie :

- Rends-moi service: observe ce qu’elle fait. Il ne faut pas lui laisser la possibilité de quitter la salle, surtout pas avec René. Après son départ, je serai libéré.

- Laisse-la tomber. Là, n’es-tu pas mieux avec moi? Jamais, si tu me gardes, je ne te ferai un pareil affront. Elle est jeune, un peu folle. Elle découvrira vite son erreur, c’est comme cela qu’on se construit. Je serais heureuse si tu ne souffrais plus..

Sur combien de filles ou de femmes René a-t-il laissé ses empreintes? Je vois arriver avec joie l’heure du retour, mon seul regret est de ne pas continuer à tenir Jenna plus longtemps dans mes bras. Françoise et Denise ont encadré Jeanne pour le retour... Dans le sillage de leur voiture suit le coupé de René. J’aurai accompli mon travail quand les filles seront à l’abri. De loin je suis les feux rouges.

- Tu n’as pas l’intention de la récupérer? Je saurai à quel point tu prends les choses à cœur. Ce trait de caractère te rend encore plus désirable. Dis, tu m’aimes un peu ?

- C’est une mineure. Elle a abusé de ma crédulité. Je suis déçu, mais je refuse de la laisser tomber dans les pattes de René alors que son père m’a confié sa garde. Dans quelques minutes, René ira endosser cette responsabilité, si elle le souhaite et si les parents l’approuvent. Je m’en laverai les mains. Hélas pour la malheureuse ingénue.

J'imagine mal la douce créature crédule mais avide de découvrir l'amour, soumise au débordements sexuels du satyre, troussée, déculottée, caressée, pénétrée, emplie de sperme et heureuse de ses connaissances nouvelles et prête à rééditer l'acte à la première occasion. J'en suis malade, non de jalousie mais d'écoeurement. Ce n'est pas un concours, je ne suis pas homme à profiter de son jeune âge pour me livrer sur elle à une comédie d'amour pour soulager mon sexe. J'éprouvais des sentiments amoureux pour elle.Voilà sans doute pourquoi elle m'a traité de nul. Je perds mes illusions. Jenna avait raison.

Jenna a posé sa tête contre mon épaule. La belle brune m’observe dans la lueur des phares. J’adorerais lui faire confiance. J'aime son abandon .C’est une belle plante, de mon âge à peu près. Elle a un passé, c’est normal. J’en ai un aussi. Son attitude confiante me rassure. La légèreté de Jeanne contraste avec la résolution de Jenna. Les deux voitures stationnent devant la maison des parents de Jeanne. Je m’arrête, baisse mes vitres avant. J'entends Jeanne exhorter René à sortir de sa voiture:

- Allez, viens donc, il le faut. Tu me l’as promis. Moi je ferai ce que je t’ai dit. On pourra s'aimer librement, sans chaperon.

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