Rue Queûwe Curé. Légende 5.

Monsieur le curé était un bon curé. Attentif à ses ouailles. Curieux de tout. Et on s’en aperçut un jour, il avait bien caché les choses, curieux de ce qui se trouvait sous les vêtements de ses paroissiens et paroissiennes. Monsieur le curé se disait guérisseur, se disait artiste, et comme il était bon, les braves villageois croyait en lui.
Comme il se disait guérisseur, les gens l’appelaient pour se faire soigner. Et pour guérir, il fallait qu’il examine. Comme il était saint homme, ceux et celles qui se déshabillaient n’y voyaient pas de mal…
Et il s’en mettait plein la vue monsieur le curé. Des culs, des nichons, des pubis, des zigounettes, tout l’intéressait et il y avait facilement accès. Mais guérissait-il vraiment ? Monsieur le curé n’était pas sot. Quand la maladie lui semblait bénigne, il prescrivait une potion au goût désagréable, mais inoffensive. Il faut dire que les villageois se sentaient déjà mieux, rien que du fait de la visite. Et comme de plus, il conseillait le repos, de bonnes soupes et une consommation améliorée de fruits et de légumes, les gens allaient évidemment mieux après quelques jours. Quand il était moins sûr de lui, il conseillait alors d’aller voir le médecin, ce qui d’une part le rendait plus crédible encore, ce qui lui permettait également d’augmenter son taux de guérison, et dans les cas où ça n’allait pas mieux et que la personne dépérissait, il se retranchait derrière une double incompétence, la sienne qu’il reconnaissait humblement et celle du praticien spécialiste qui ne trouvait pas de solution. Et monsieur le curé vivait son petit bonhomme de chemin dans le village, attendant que l’une ou l’autre avenante ou charmante dame, que l’un ou l’autre robuste monsieur, ne se sente pas bien pour la ou le faire se déshabiller devant lui, prendre son air sérieux, palper là où ça lui semblait médicalement nécessaire, et, mais ça, les patients ne le savaient pas, où ça lui procurait aussi le plus de plaisir.

Monsieur le curé terminait alors gentiment le travail dans son lit avant de s’endormir, ce qui lui permettait de passer une belle nuit, peu perturbée par des rêves licencieux.
Monsieur le curé se disait aussi artiste. Il avait restauré une peinture de l’Eglise, avait offert une autre toile représentant Ponsarmont à la mairie, ce qui avait convaincu les habitants du village. Il prétendait qu’il devait également travailler pour d’autres Eglises pour lesquelles ses collègues curés souhaitaient une œuvre. Il cherchait alors des modèles parmi les villageois qui au vu de son talent trouvaient un intérêt évident à poser. D’autant plus que c’était pour une œuvre charitable. Il expliquait cependant que l’objectif n’était pas du tout la ressemblance, mais plutôt ce qu’il ressentait et les liens qu’il pouvait faire avec les histoires saintes. Et monsieur le curé peignait. Et il demandait évidemment aux modèles de se déshabiller.
La crainte de ces modèles était d’être ensuite vus nus par d’autres habitants du village. Mais comme l’objectif n’étant pas la ressemblance, ils étaient aussi rassurés. Les modèles ne pouvaient pas voir l’avancement des œuvres. Il fallait que Monsieur le curé termine le travail pour pouvoir enfin admirer ce à quoi ils avaient participé en posant à poil. Monsieur le curé les remerciait d’avoir posé, puis ils devaient attendre quelques semaines avant de pouvoir observer le résultat final. Et de ressemblance, il n’y avait effectivement pas. Mais monsieur le curé prenait le temps d’expliquer son travail, de faire remarquer le grain de peau qui l’avait inspiré, de la courbe dont il s’était servi, et les gens acquiesçaient, heureux de se retrouver dans des toiles qui avaient, il faut le reconnaître, une certaine allure. Le soir, dans son lit, après une séance de peinture, monsieur le curé se terminait seul, ce qui lui permettait ensuite de passer une nuit calme, bien loin des rêves érotiques qui l’auraient hanté s’il ne s’était ainsi achevé.
Monsieur le curé mourut brusquement sans raison apparente.
Le village fut attristé. Mais la vie continua. On retrouva bien des toiles dans le presbytère, mais étonnamment les églises des alentours disaient qu’elles n’avaient rien commandé de tel. Comme ces toiles étaient malgré tout plaisantes, et que nombre de villageois se reconnaissaient en elles, il fut décidé de faire un musée dans une salle de la mairie, musée qui servait aussi de salle du conseil le jour où les conseillers municipaux se réunissaient.
Le temps passa. Un jour, un vieux monsieur vint au village. Il se rendit au musée. Quelle ne fut pas sa surprise de reconnaître ses propres toiles. On ne le crut d’abord pas. Mais il sortit d’autres œuvres et les ressemblances étaient telles qu’il ne fut pas possible de ne pas se rendre à l’évidence. Les toiles exposées à la mairie étaient sorties du pinceau de ce peintre. Le curé était un imposteur… Les gens étaient désolés de ne pas vraiment être dans les toiles… Et pourtant ils s’y retrouvaient quand même. Monsieur le curé avait su se montrer convaincant. Les langues se déliaient et chacun se rendaient compte que monsieur le curé avait été un petit vicieux… Mais ça ne se disait pas trop, chacun ayant quand même le sentiment d’avoir été guéri par lui, et chacun se retrouvant dans ces fameuses peintures.
C’est en référence à cette imposture que l’on choisit le nom de Queûwe curé pour cette petite rue du village. Le peintre s’appelait Queûwe, les toiles lui étaient dues, mais les villageois voulurent croire jusqu’au bout qu’elles étaient du curé… D’où le nom de la rue…

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