Hébergement D'Urgence (1)

Ce matin-là, Coralie, ma vendeuse, tirait une tronche de dix kilomètres.
– Hou là ! Ça va pas, toi, on dirait !
Ah, non, ça allait pas, non !
– Je me suis embrouillée avec mes parents. Quelque chose de rare.
– Ça s’arrangera.
– J’en sais rien. Ils me gavent. C’est sans arrêt des réflexions sur tout. Ma façon de m’habiller. Le temps que je passe sur mon smartphone. Et les mecs. Alors ça, il supporte pas, mon père, que je ramène des mecs dormir à la maison. Ma mère non plus. Sous prétexte qu’elle, elle le faisait pas à son époque. Mais j’ai vingt ans, moi, merde ! Alors si je profite pas de ma jeunesse maintenant… Et c’est pas parce que, eux, de leur temps, la baise, c’était seulement en option qu’il faudrait que nous, on s’en passe aussi. Ça a changé, tout ça ! On voit plus les choses du tout pareil aujourd’hui. Et heureusement !
Elle a soupiré, fixé un long moment le mannequin en vitrine.
– Non, ce qu’il faudrait, c’est que je me tire. J’y pense de plus en plus. Seulement pour aller où ? Les locations, par ici, c’est hors de prix. J’ai fait mes comptes. J’y arriverais pas, c’est pas la peine. Ou bien alors faudrait que je me prive de tout. Et ça, j’en suis incapable. Alors…
Et elle est allée disposer les robes nouvellement arrivées sur les portants.

Le lendemain, elle était en retard. D’une bonne demi-heure.
– Excusez-moi ! Je suis désolée.
– Oh, toi, t’as pleuré.
– J’en peux plus ! J’en peux vraiment plus. Je me suis encore pris une de ces avoinées. Et tout ça parce que je traversais la salle de séjour sans rien. Ça fait des années que je me balade dans la maison à poil. Ils y ont jamais rien trouvé à redire. Seulement là, on a de nouveaux voisins. Deux jeunes. Des mecs. À cent cinquante mètres, tu parles ! Paraît qu’à deux ou trois reprises ils sont passés sur le petit chemin derrière. Et alors ! Ils ont bien le droit de se promener, s’ils ont envie. Et quand bien même ils me verraient ! La belle affaire ! D’autant que, si ça tombe, ils sont homos et qu’ils en ont strictement rien à fiche de moi.


Une cliente a poussé la porte. Elle est allée s’occuper d’elle. Est revenue.
– Vous connaîtriez pas quelque chose quelque part par hasard ? De pas trop cher. Même petit.
– Non. Mais, par contre, ce que je te peux te proposer, si c’est vraiment insupportable chez toi…
– Ça l’est ! Vous avez même pas idée…
– C’est de t’héberger, dans ma chambre d’amis, le temps que tu te retournes, que tu te trouves autre chose.
– Je dis pas non. C’est drôlement sympa de votre part. Je dis pas non.

Mais, l’après-midi, elle avait changé d’avis.
– Ça va pas être possible.
– Et pourquoi donc ?
– Pour plein de raisons…
– Mais encore ?
– Oh, ben d’abord, vous me connaissez pas… Du moins dans ce domaine-là ! Parce que moi, quand je tombe sur un mec qu’assure, ça donne ! Les murs en tremblent.
– Quand je dors, tu sais, je dors…
– Oui, mais quand même ! Parce qu’à la maison, je peux pas me laisser aller. Je me retiens. Alors si c’est pour que ça fasse la même chose chez vous, que j’appréhende sans arrêt ce que vous allez dire ou penser, c’est pas la peine. Autant que je reste là-bas.
– Ce que je pense, c’est qu’on a toujours raison de vivre à fond ce qu’on a à vivre. D’en profiter pleinement. Sans s’encombrer de considérations parasites. Et je peux t’assurer que tu n’auras jamais à essuyer la moindre réflexion ni le moindre reproche de ma part à ce sujet-là.
– Si seulement mes parents pouvaient être comme vous ! Bon, mais il y a pas que ça ! Comme je vous disais, j’aime me sentir à l’aise. Je trouve ça nul d’être obligée de se cacher. De pas pouvoir aller de la salle de bains à la chambre sans s’entortiller dans une serviette de bain. De pas pouvoir déjeuner en string si on en a envie. Ou même carrément à poil. Seulement si ça doit vous choquer et que je suis obligée de faire attention à tout…
– Ça ne me pose absolument aucun problème non plus…
– Ça va alors ! Mais ce qu’il y a aussi…
Elle a paru hésiter, chercher ses mots.

– C’est compliqué. Je sais pas comment dire sans vous vexer ni avoir l’air prétentieuse.
– Essaie toujours !
– Vous êtes un homme. Et, si on vit tous les deux ensemble, dans la même maison, peut-être qu’à un moment ou à un autre, vous allez avoir envie d’essayer avec moi. Surtout si vous voyez défiler des mecs comme des mecs. Vous allez vous dire que pourquoi pas vous ? Et ça, c’est complètement exclu. Moi, les types de votre âge, je peux pas. Je pourrai jamais, c’est pas la peine.
– Il est pas question de ça. Et il en sera jamais question.
– Dans ces conditions…

Et, le vendredi suivant, elle a emménagé chez moi.
– Ils font bien un peu la gueule, là-bas, pour pas dire beaucoup, mais bon, j’en ai strictement rien à battre…
Trois ou quatre cartons. Deux sacs de voyage.
– Pour commencer. Après, on verra…
Elle a pris possession de la chambre.
– Elle est juste à côté, la vôtre.
Investi la salle de bains.
– Je l’encombre, hein ! Désolée, mais nous, les nanas, il nous faut tout un tas de trucs, sinon…
Branché sa console de jeux au salon.
– Ça vous dérange pas au moins ?
Et voulu voir la cuisine.
– Je suis pas très douée pour ça, mais bon, je vous aiderai quand même. Pas question que je vous laisse tout faire.

Le samedi soir, elle est sortie.
Après avoir passé deux heures à se préparer. Mini-jupe noire. Petit haut rouge. Bas résille noirs. Et maquillage savamment assorti.
– Hou là ! La classe, dis donc ! Tu vas en faire des ravages !
– C’est le but !
Et elle s’est enfuie avec un petit signe de la main.

Elle est rentrée sur le coup de trois heures du matin. Accompagnée.
Il y a eu des chuchotements. Des rires étouffés. Et puis des soupirs. Des halètements. Elle a doucement gémi. Plus fort. Encore plus fort. Le sommier a grincé. Et elle a crié. Elle a joui. À pleins poumons.
Ils ont recommencé. Au lever du jour.
Plus apaisé. Plus serein. Elle a eu des plaintes douces de petit animal blessé.
Il est parti aussitôt après. Sans bruit.

Elle a fait son apparition à onze heures. En petit tee-shirt blanc ras des fesses.
– J’ai la tête dans le cul.
– Ça, ça se voit.
A navigué, au radar, vers la cafetière. A levé les bras pour attr le sucre dans le placard. Le tee-shirt est remonté, laissant entrevoir, un court ainstant, le bas des fesses.
Elle s’est laissée tomber sur la chaise.
– Quelle nuit !
S’est beurré une tartine. À larges coups de couteau.
– Et pourtant, c’était vraiment pas gagné, celui-là !
– Comment ça ?
– On était trois nanas sur le coup.
Elle s’est animée. Ses seins ont remué sous le tee-shirt. De jolis petits seins satinés bien ronds, bien fermes dont je me suis ef, sans succès, d’apercevoir les aréoles dans l’échancrure.
– Oui, trois. Une espèce de blonde décolorée, avec un nez à piquer les gaufrettes, qui lui faisait du rentre-dedans comme c’est pas permis. Et une petite brune grassouillette avec une paire de loches qui la précède de loin. Des loches qu’elle arrêtait pas d’aller lui fourrer sous le nez. Et il y avait moi qui me la jouais discret, subtil et qu’ai fini, au bout du compte, par emporter le morceau. Elles étaient vertes, les deux autres.
Elle s’est étirée.
– Comment c’est mieux, un mec, n’empêche, quand il y a de la concurrence, que tu peux te dire que c’est toi qu’il a préférée. Moi, en tout cas, j’adore !
– Tu vas le revoir ?
– Je sais pas. Ça va dépendre. De plein de trucs. Mais ce qu’il faut surtout, c’est que j’aie pas l’air d’être en couple avec. Parce que ça complique, ça, après, pour draguer.

(à suivre)

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