Bourgeoise Délaissée Et Amours Ancillaires (1)

Bourgeoise délaissée et amours ancillaires (1)

Une tulipe ! De cette fleur, elle en avait la beauté singulière certes mais aussi et de plus en plus son comportement particulier qui la fait s’ouvrir le jour pour se refermer la nuit venue. Voilà ce qu’était à la quarantaine la jeune Vénus Petitjean devenue madame de Combourg.
Pourtant une fée généreuse s’était penchée sur son berceau : petite fille vénérée par tous, adolescente rayonnante de fraîche beauté, elle avait vécue sa jeunesse dans une ambiance dorée, admirée plus qu’éduquée dans une famille de gros commerçants de cette bourgade de province. Elle atteint l’apothéose lors de l’élection de la rosière du pays où elle fut élue avec un brio qui parut toutefois suspect à la bonne société bien pensante. Il se trouve que Vénus, si elle assumait très bien l’ambition symbolique d’un tel prénom, ne remplissait pas, loin s’en faut, tous les critères nécessaires pour concourir à un tel titre. Si du côté de la plastique elle était largement au-dessus des conditions requises, les rumeurs concernant son style de vie auraient dû l’écarter d’une sélection où l’aréopage qui constituait le jury local se serait soi-disant laissé « attendrir » par le comportement de la jeune fille peu conforme aux conditions d’une aussi sage consécration. Alors que la première règle de participation à une telle épreuve était l’absolue virginité des concurrentes, les opposants à la candidature de Vénus Petitjean auraient pu produire une longue liste de témoins prouvant le contraire, les plus mauvaises langues affirmant que certains des membres du jury faisaient partie de ce carré de privilégiés.
Cet événement aurait pu rester anecdotique pour Vénus si lors de la cavalcade de la Rosière, Laurent de Combourg, le fils du maire de la commune, n’avait dû remplacer son père, le comte, en tant qu’invité d’honneur de cette fête champêtre. Cet homme fraîchement trentenaire, après une déception amoureuse tragique, avait immigré aux Etats-Unis pour s’isoler dans des études qui firent de lui un habile manager d’entreprises.

Son retour était dû à la santé alarmante de son père, le comte de Combourg, aristocrate acariâtre et obtus qui ne lui avait jamais pardonné d’avoir osé espérer épouser une roturière. Cette dernière, rejetée sur l’autel des traditions aristocratiques, s’était suicidée.
Las de cette cérémonieuse tradition provinciale qu’il trouvait ridicule, le coeur de Monsieur Laurent, ainsi que le nommaient les habitants du village, faillit défaillir lorsqu’il aperçut cette rosière perchée en haut d’un char fleuri dans une robe de dentelle blanche. Cette apparition provoqua en lui un véritable cataclysme car la fille était la copie vivante de sa défunte fiancée.
La jeune fille avait un visage gracieux et fin encadré par une chevelure noire de jais dont les boucles s’étalaient sur les épaules pour tutoyer les limites d’un décolleté qui soulignait une gorge rose éprise d’une liberté bâillonnée par le corset.
Séduit plus par l’image de son premier et seul amour que par la rosière, Laurent de Combourg emporta deux mois plus tard aux Etats-Unis Vénus, après avoir enterré son père. Ils s’y marièrent et n’eurent aucun . Rentrés dix ans plus tard à Paris où Laurent de Combourg avait obtenu la direction de la section européenne de la multinationale pour laquelle il travaillait, la vie de Vénus sombra dans une platitude désespérante. Cela faisait maintenant dix autres années qu’elle était mariée avec cet homme qu’elle n’avait jamais eu ni le désir ni le temps de vraiment aimer. Elle s’était laissée éblouir par la perspective d’un mariage inespéré qui n’avait été qu’un mirage pour une midinette bien incapable de se hisser à la hauteur d’une mission impossible, celle de remplacer une image disparue. Jamais elle n’avait pu se satisfaire et satisfaire Laurent qui avait pris le parti, devant la déception qui affirmait chaque jour qui passait son évidence, de se réfugier dans son travail. Leurs seuls rapports conjugaux ne dépassaient pas la fréquence d’un par mois lors de la période de fécondité de son épouse.
Le résultat en était toujours resté vain.

Ce matin, alors qu’elle venait d’avoir trente huit ans, Vénus lisait dans son salon, activité illusoire qui ne lui permettait pas d’évacuer sa déconvenue désormais irréversible. Elle était vêtue d’un tailleur grenat fait d’un tissu satiné. Ses jambes croisées étaient gainées de bas fumés et elle agitait machinalement un escarpin en daim seulement retenu par ses orteils .
Elle eut la sensation de ne pas être seule et elle sursauta quand elle se rendit compte de la présence de son majordome qui la regardait dans l’encadrure de la porte, figé comme une sentinelle qui aurait été terrorisée par l’approche du danger.
Ferdinand ! Mais que faites vous ici ? Fit-elle en sursautant ce qui eut pour effet de faire choir l’escarpin sur le tapis.
Saisi par le ton glacial de sa maîtresse et fasciné par l’apparition de la nudité du pied voilé par la soie, l’employé bafouilla quelques mots inaudibles tandis que la dame se penchait pour se rechausser. Il eut ainsi le bref loisir de sentir ses sens s’enflammer sous l’effet du chuintement du tailleur en satin, le crissement soyeux des bas tendus sur les cuisses, l’habileté gracieuse du geste réparant l’égarement accidentel.
- Exprimez-vous Ferdinand, insista la dame agacée par l’immobilité du majordome.
C’est que Madame je souhaiterais solliciter un congé…
Mais n’êtes-vous pas en congé demain pour tout le week-end ?
Je… je me suis mal exprimé, Madame, je vous demande de prendre un congé… euh… définitif.
Stupéfaite, Vénus de Combourg écarquilla ses grands yeux noisette de biche étonnée et se lança dans un interrogatoire où il s’avéra que Ferdinand n’était ni mal payé, ni lassé de son travail, ni frappé par un problème grave dans sa famille… Bref, elle n’obtint aucune réponse positive.
Bon ! finit-elle par dire en renonçant à obtenir une raison audible. Je vous laisse réfléchir jusqu’à votre retour lundi et nous aviserons alors avec mon mari.


Seule tout le week-end, elle apparut très retournée par le comportement de son employé. Elle était très attachée à ce garçon qui, malgré son jeune âge, accomplissait son travail avec un grand professionnalisme. Elle avait une grande confiance en lui d’autant plus qu’il accomplissait, en plus de ses attributions domestiques, avec une grande maîtrise l’entretien de son cheval, la seule passion de sa patronne qui passait une grande partie de ses longues et ennuyeuses journées de châtelaine à chevaucher les terres immenses de feu le Comte son beau-père. C’est d’ailleurs en prenant des leçons d’équitation avec ce dernier qu’elle perdit sa virginité. Elle s’était d’ailleurs de nombreuses fois trouvée dans des situations coupables lorsque Ferdinand préparait son cheval et l’aidait à y monter dans une promiscuité d’odeur de cuir et de transpiration qui la troublait si profondément qu’elle chevauchait sa monture dans de longues courses où elle était poursuive par l’image du Comte sexagénaire très vert qui la couchait dans les herbes hautes en faisant glisser sa culotte de cheval jusqu’à ses bottes pour la besogner sauvagement, lui arrachant des cris qui déchiraient le silence de la forêt. Ces jours-là, la solitude de sa vie de bourgeoise campagnarde que l’on ne sortait que pour des réceptions insipides lui pesait lourdement.
Ferdinand était le dernier fils du régisseur du domaine. On le disait attardé quelque peu car il était victime d’une timidité pathologique qui faisait le désespoir de son père, un grand diable moustachu trousseur de jupons à qui celui de Vénus n’avait pas échappé non plus alors qu’elle n’était encore qu’adolescente. Ce fils attardé et considéré comme dégénéré était entré au service des de Combourg il y a dix ans quand les époux étaient rentrés d’Amérique. Sa discrétion, son application et son intelligence refoulée avaient rassuré Vénus qui se reposait sur lui en ressentant une empathie qu’elle se gardait bien de laisser transparaître. Manifestement voué à un célibat inéluctable, le garçon au physique impressionnant de gros poupon blond aux cheveux bouclés et au regard bleu perdu dans un fond de naïveté, semblait se satisfaire de sa condition qui offrait un abri salutaire le préservant des paniques maladives qui survenaient en dehors du cadre de ses attributions.

C’est ainsi que le considérait Vénus, toujours prête à le défendre face aux exaspérations de son époux qui se refusait à voir dans son majordome autre chose qu’un employé stupide indigne de la classe de sa maisonnée. Cela accentuait la contrariété qu’avait provoquée chez elle la décision aussi brutale qu’inattendue de Ferdinand : une fois encore son mari lui ferait sentir que son jugement était autrement plus sûr que le sien. Espérant éclaircir ce mystère alors qu’elle était encore seule ce dimanche, Laurent ayant manqué son avion et ne rentrant de son congrès de Londres que le lendemain, elle décida de se rendre dans les soupentes du manoir pour inspecter la chambre de Ferdinand où elle espérait trouver la raison de son départ annoncé si surprenant.

Ce fut un vrai choc ! En poussant la porte que l’inoffensif Ferdinand n’avait pas daigné fermer à clef elle fut saisie par une apparition extraordinaire. A côté du petit lit à une place militairement fait, trônait un mannequin du style que ceux que l’on voit aux Galeries Lafayette. Son visage était coiffé d’une perruque de couleur jais avec un petit chignon fixé au-dessus de la nuque tandis que que le reste des cheveux était ramené haut au-dessus du front en gonflant. Les oreilles étaient dégagées avec comme parures les mêmes boucles d’oreilles que les siennes serties de diamant. Son maquillage était imité à la perfection avec des sourcils finement épilés pour dégager ses paupières où le dégradé de gris glissait vers le noir à la base des cils. Seuls les yeux n’avaient pu être représentés et leur emplacement laissait le regard noisette de l’original céder la place à un vide blanc où l’on pouvait estimer la frustration des rêves du majordome. Sur la bouche du mannequin, l’exagération e du rouge à lèvres rendait superbement vivant autant le côté pulpeux du modèle que la passion du peintre. Le mannequin était vêtu d’une guêpière où le satin cramoisi et la dentelle noire se mariait à l’identique d’une parure que Vénus adorait mettre lorsqu’elle avait envie de plaire, ce qui était de plus en plus rare. Les bas fumés à fine couture étaient également les mêmes que ceux qu’elle affectionnait. Ils se tendaient sous la pression de jarretelles rouge qui encadraient la petite culotte assortie, tandis que des escarpins vertigineux finissaient de teindre le tableau en rouge passion.
Sidérée, Madame de Combourg resta longtemps sans réaction. Ferdinand était donc follement amoureux de sa patronne. De plus il avait dû se ruiner pour habiller ce mannequin.

Ce n’est que beaucoup plus tard que lorsqu’elle redescendit les escaliers pour regagner ses appartements, toujours bouleversée par cette révélation, elle sentit de grosses larmes creuser le maquillage de ses joues.

(à suivre)

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