Amande 1

Café parisien

Je viens de passer un énième entretien d’embauche. Cette fois, c’était pour une boîte qui propose des balades touristiques sur la Seine, à bord de bateaux-mouches, mais aussi des excursions dans la «Ville Lumière», en Normandie, en Bretagne ou encore dans les châteaux de la Loire.
Il me reste du temps à avant de rejoindre la gare Saint-Lazare et de monter dans l’Intercités qui me ramènera au Havre, ma ville. J’ai décidé de faire une halte dans un célèbre café, là où des auteurs illustres, paraît-il, ont dû fouler les pieds. Moi, ça tenait du rêve de gosse. Au serveur élégamment habillé notamment d’un nœud papillon assorti à sa tenue, j’ai commandé une pinte de Guinness. Pinte qu’il me sert avec cérémonie, sur un bock. J’en absorbe une gorgée. Le breuvage froid et ambré me descend jusque dans le ventre, me rafraîchit et me permet de me décoincer. Je peux un peu lâcher du lest et me détendre. J’ai juste envie de ne penser à rien. J’ai juste envie de prendre du bon temps pour moi.
Mais ça, c’était avant… Avant que cette petite blonde n’entre dans le café, avec un petit essaim d’amies à ses côtés. Petite, heu… façon de parler. Plus rien n’a d’importance à présent. C’est comme si les dégâts sont déjà perpétrés. Elle mesure bien un bon mètre soixante-quinze. Ses cheveux longs, blonds et ondulés me font penser à ceux de l’actrice américaine Jessica Alba quand elles les portait ainsi, il y a encore peu de temps. Elle était une actrice que je trouvais particulièrement jolie quand j’étais encore ado. Un bleu particulièrement turquoise remplit ses yeux. Un bleu semblable à l’eau des lagons, comme dans les océans Pacifique et Indien. Je crois que je vais me noyer dans ces yeux d’un bleu digne des eaux profondes. Je ne vois qu’elle malgré les rires qu’elle échange avec ses amies dont j’entends les prénoms à travers les bribes de conversations qui me parviennent et que j’intercepte: Margaux, Sophie, Maëva… Oh oui, je ne vois qu’elle… Je me noie déjà dans ses yeux bleus, très clairs.


Les ondes de la FM du poste radio du café et relayées par des hauts-parleurs relayent un tube des années 1980: Corps à corps du groupe Images. Station: RFM. Fréquence: 103.9
Elles s’assoient à une table, juste à côté de la mienne. Margaux et Sophie me tournent le dos. Maëva et la petite blonde aux yeux couleur menthe à l’eau sont dans ma ligne de mire. J’ingurgite une seconde gorgée de bière. Le garçon de toute à l’heure se dirige vers la table des jeunes femmes et prend leur commande.
C’est Maëva, la première, qui passe sa commande, en minaudant et en faisant les yeux doux ainsi qu’un petit sourire au serveur. C’est elle, la grande gueule de ce petit groupe de jeunes femmes.
– Café allongé, avec sucre. S’il vous plaît.
Puis, c’est au tour de Margaux de passer la sienne :
– Un chocolat viennois pour moi, s’il vous plaît.
Puis vient le tour de Sophie :
– Ce sera un diabolo menthe pour moi, s’il vous plaît.
Trois des quatre demoiselles ont déjà passé leur commande. C’est bizarre… La quatrième n’a encore rien commandé. Quand soudain… Maeva s’adresse à son amie aux cheveux blonds, longs et ondulés :
– Quant à toi, ma petite «Amande», ce sera quoi pour toi? Un beau gosse qui a un beau nœud papillon?
Pourquoi l’appelle t-elle donc «Amande» ? Ce n’est quand même pas son prénom ! Si ?
«Amande» s’adresse alors au garçon et lui demande d’une voix fluette, posée :
– Je voudrais un thé aux fruits rouges, si vous avez… s’il vous plaît. Bien infusé. Avec un seul sucre. S’il vous plaît.
«Je suis tombé sous le charme…»: Christophe Maé est à présent à l’honneur sur les ondes de la FM, et moi… je suis aussi sous le charme. La petite blonde a une texture vocale bien à elle, une personnalité sonore qui lui est propre, et… j’aime ce genre de choses. Et… j’en tombe raide dingue, sans même lui avoir adressée la parole. A cet instant précis, je fais quelque chose qui scelle mon sort: je jette un regard en direction de «Amande».
Et… surprise! Nos yeux sont braqués les uns dans les autres et les miens se retrouvent noyés dans ses yeux bleu océan.
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Regards croisés

Mes yeux rencontrent les siens. Pareil regard mérite attention. Inconsciemment, je saisis ma pinte et bois une gorgée de bière, pour me donner une relative contenance parce que je suis troublé. Le temps de reposer le verre sur le sous-bock, «Amande» ne me regarde plus. Elle regarde ses amies alors qu’elles sont dans une discussion 100% filles qui fait un peu penser à celles des quatre héroïnes de la série télé Sex and the City, et que cette discussion perdure:
– Si vous saviez à quel point je suis heureuse avec Esteban. C’est la première fois qu’un mec me fait vibrer et pas seulement au niveau de mon clitoris ou de ma chatte… J’ai envie de lui dire «Te quiero, mi amor!» à mon bel espagnol…
Cette Maëva semblait avoir fait la rencontre d’un bel étalon espagnol, et ne s’en cachait pas auprès de ses amies. C’était la plus croqueuse d’hommes des quatre filles, il faut dire…
– Moi, je suis comblée avec Dimitri. Je vous jure! Des petits plats…Des bouquets de fleurs… Des billets doux… De tout petits baisers… Sa main dans mon cou… Son corps contre le mien. Toute cette attention qu’il me porte dans la rue comme dans notre lit… Wouah! «Ti amo, amore mio!» …
Margaux, elle aussi, était une mordue d’hommes. Cependant, sans doute moins quand même que Maëva. Il n’empêche que quand un mec craquait pour elle et le lui faisait comprendre, elle n’hésitait alors plus et usait de tous ses charmes pour le mettre à ses pieds.
– Mais où est-ce que vous les trouvez, vos beaux éphèbes, vos dieux du stade? Dites-moi enfin quoi! Sérieux les filles! Pourquoi ce sont toujours les mêmes qui récoltent tous les suffrages? Expliquez-moi! Qu’est-ce qui ne va pas chez moi? J’ai un travail qui me plaît et qui paie bien, mon appart’ bah j’ai rien à redire dessus depuis que je l’ai redécoré à mes goûts, je m’efforce d’avoir un beau sourire aux lèvres, mes seins sont gros et je sais que mon cul fait saliver ces pauvres diables.
Sérieux, mes cocottes, qu’est-ce qui ne va pas chez moi? Pourquoi n’aurais-je pas le droit, moi aussi, d’être avec quelqu’un et d’être heureuse»
Sophie, elle, était sans doute la plus malchanceuse du quatuor… Elle enchaînait les histoires d’amour foireuses. D’amour ? C’était vite dit… Les hommes ne voyaient en elle qu’une femme à baiser, à consommer puis à jeter. Elle avait de beaux atouts partout : de beaux… et gros seins, un cul d’enfer, des lèvres pulpeuses… Et pourtant… Les hommes, tout ça, ils le voyaient mais c’était pour une nuit. Pour la vie, ils s’en foutaient de ça. Ça rendait Sophie malheureuse à certains moments car elle se mettait à douter d’elle. Avec le temps, et bien qu’elle était encore jeune, elle se mettait de plus en plus dans la tête qu’elle ne rencontrait pas l’homme idéal. L’homme de sa vie. L’homme à qui elle dirait «oui» sur l’autel et avec qui elle aurait envie de fonder une famille.
Maëva tente alors de la rassurer, du moins qu’elle peut. C’est à dire… à la Maëva :
– Je crois que c’est parce que tu n’as pas trouvé le bon, celui que tu auras dans la peau et qui saura te faire vibrer… Un peu comme c’est le cas pour moi, avec mon bel hidalgo.
Bla bla bla… Bla bla bla… Ça ressemblait curieusement bien à un épisode de Sex and the City où Carrie Bradshaw, Samantha Jones, Miranda Hobbs et Charlotte York débattent de tout et de rien… et surtout… surtout… d’hommes et de sexe.
Quand… soudain…
– Si tu croyais que tu allais t’en tirer à bon compte, «Amande»… Tu te fous le doigt dans l’œil! Tu ne t’en tireras pas comme ça, ma choupinette. Tu ne nous dis jamais rien alors que nous, on te fait saliver avec tous nos mecs et toutes nos histoires croustillantes. Raconte-nous! C’est juste pas possible qu’il ne se passe rien dans ta vie. Avec ton beau sourire, tes beaux yeux bleus clairs, ton corps sexy, tes belles fesses… Allez! Déballe ton sac, ma grande! Ne me dis pas que tu ne fais pas tourner la tête d’un danseur hip-hop métisse ou d’un de ces guides touristiques qui étalent leur science dans tout Paris…
«Amande» était la plus silencieuse, la plus discrète, la plus réservée des quatre.
Elle n’étalait jamais sa vie privée. Si elle vivait quelque chose, elle le gardait pour elle.
Bla bla bla…
C’en est trop pour moi. J’ai besoin de faire une pause, d’échapper à leur conversation. Je me lève de ma chaise, quitte ma table, passe devant l’essaim des filles puis rejoins les toilettes. Je m’enferme dans les WC messieurs. Pourquoi ces bavardages entre filles me font-ils autant d’effet et pourquoi ces sous-entendus sur la «petite Amande» me plantent-ils ce coup de poignard dans le ventre? Non… Je ne peux pas succomber si facilement à la petite blonde aux yeux bleu turquoise… alors qu’elle est une inconnue parmi des millions sur Terre!
A peine m’a t-elle vu passer devant elle, et me diriger vers les toilettes, que elle aussi, voulut y aller. Mais… Si elle disait qu’elle allait aux toilettes, comme ça, tout d’un coup, ses copines la grilleraient automatiquement et sauraient qu’elle va aux toilettes parce que moi, j’y étais. Il fallait alors qu’elle improvise, qu’elle trouve quelque chose, un prétexte…
– Pardon les filles, mais… J’ai… J’ai… Je dois aller aux toilettes. Un… Un petit besoin à faire… Je reviens…»
Elle se lève, s’éloigne, et se dirige vers les toilettes, ses bottines en faux daim aux pieds.
Maëva, la plus demandeuse des quatre filles en matière de ragots, de potins et de détails… croustillants, s’adresse à ses amies :
– Mes chéries… Combien vous pariez alors? Moi, je suis sûre que c’est parce que c’est ce morceau de premier choix qui vient à peine de passer devant nous, avec ses lunettes, et ce #jean slim gris qui lui fait un beau petit cul. Très joli petit cul appétissant même. Je les toucherais bien, ses fesses, et même plus…
Une vraie Samantha Jones…
Sophie, malheureuse en amour, malheureuse avec les hommes, envieuse parfois de ses amies, tente au mieux de défendre le prétexte que «Amande» a utilisé :
– Mais tu ne penses qu’à ça, TOI! C’est pas possible! Tu es…incorrigible, Maëva! Et si notre petite «Amande» avait juste besoin d’intimité et d’un petit moment à elle? C’est pas trop te demander, non? Après tout, rien nous dit que c’est cet homme qui a mis ses hormones en ébullition et que c’est pour ça qu’elle est allée aux toilettes, enfin!
S’en suit un dialogue animé entre les trois jeunes femmes, digne d’une scène d’une sitcom ou bien encore de Sex and the City, où chacune d’elles reste fermement campée sur ses positions.
Et… pendant qu’elles débattent du cas «Amande»…

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