0219 La Fin Des Illusions

[Ceci est une version écourtée de l'épisode 02.19. Version complète sur jerem-nico.com].

Comment reprendre le cours des choses après l'horreur? Comment recommencer ne serait-ce qu’à respirer à pleins poumons après ça, alors qu’on a tous une énorme boule au ventre qui ne veut pas partir ?
Comment vivre après ça ? Comment vivre avec ça ? Comment croire en l’Humanité après cela ? Comment faire des projets, des études, comment partir bosser, après ça ? A quoi bon reprendre le cours normal des choses ? Comment avoir envie de faire quoi que ce soit après ça alors que tout peut se terminer quand on s’y attend le moins ? Comment être heureux, avoir de l’espoir en l’avenir, comment vivre sa jeunesse après ça ? Comment aimer, comment faire l’amour ? Comment être heureux à nouveau, alors que la simple idée d’essayer de l’être paraît une insulte aux victimes de cette horreur qui dépasse l’entendement ?
A côté de ce drame, tout paraît désormais futile, sans importance, sans utilité.
Comment ne pas laisser la peur nous ronger ?
Jérém demande à utiliser le téléphone de Charlène pour appeler son frère Maxime.
Dans un moment de lucidité, je pense à maman. Je demande à mon tour à Charlène d’utiliser son téléphone. Pendant le coup de fil, je sens qu’elle est très inquiète de me savoir loin. Elle me demande quand je compte rentrer.
« Demain, demain, en fin de matinée ».
J’ai envie de pleurer en prononçant ces mots. Et je pleure en raccrochant le combiné.
L’idée d’être éloigné de Jérém m’est de plus en plus insupportable. Comment ça pourrait en être autrement, alors que le seul endroit au monde où je me sentirais désormais en sécurité c'est dans le creux de ses bras ?
Nous aidons Charlène à soigner les chevaux. J’ai l’impression que cela dure une éternité, que nos gestes sont empâtés, comme s’ils avaient perdu toute motivation. Charlène nous propose de rester manger avec elle. J’entends Jérém décliner son offre.

Nous ne nous sommes pas concertés mas moi non plus je n’ai pas envie de rester. J’ai envie de profiter de ces dernières heures en sa compagnie, j’ai envie de l’avoir tout pour moi. J’ai envie de pleurer, et j’ai besoin de pleurer dans ses bras.
Je l’entends également expliquer en deux mots la raison de notre visite, la nouvelle de son départ pour Paris le lendemain. Raison dont on n’avait pas pu lui faire part avant, accaparés comme on l’était par l’Horreur. J’entends Charlène féliciter son « protégé ». J’entends leurs échanges comme enveloppés dans un brouillard épais, comme dans un écho lointain.
Les félicitations de Charlène sont sincères. Et pourtant, je décelé une note de tristesse dans sa voix. Elle est visiblement émue.
« Fais bien attention à toi, mon grand » fait-elle, en serrant longuement Jérém dans ses bras et le couvrant de bisous comme une maman aimante et inquiète.
« Et toi aussi, Nico, fais bien attention à toi » elle me lance dans la foulée, tout en me serrant à mon tour très fort dans ses bras.
« Essayez d’être heureux, essayez malgré tout. La vie doit gagner, pas la peur. Nous ne devons pas nous laisser avoir par la peur, nous ne devons pas rentrer dans le jeu d’une poignée de tarés qui veulent nous empêcher de vivre, d’être libres, d’être heureux ».
Pendant le retour vers la petite maison, Jérém demeure silencieux. Il a l’air tout aussi secoué que moi. J’ai envie de le serrer contre moi, j’ai envie de lui dire que je ne veux pas qu’on se quitte, que je veux rester avec lui pour toujours, qu’il n’y a qu’en restant ensemble qu’on sera en sécurité.
Je ne sais pas par où commencer, je ne sais pas quels mots utiliser. Tout paraît si creux après ce qui vient de se produire. J’ai envie de pleurer, mais je me fais violence pour me retenir.
Alors je renonce à la parole. Je choisis d’essayer de communiquer avec lui à l’aide d’un câlin. Je passe une main dans son cou, je glisse le bout de mes doigts dans ses cheveux bruns.

Et là, sans que je l’aie vu venir, mon Jérém éclate en sanglots. Jérém, le mec viril qui n’est pas vraiment du genre à perdre le contrôle des émotions et à les montrer ouvertement, est en train de pleurer à chaudes larmes devant mes yeux. Le voir ému devant les images horribles de la télé m’a beaucoup touché. Mais le voir éclater en sanglots me bouleverse. C’est dur de voir un homme pleurer. Devant ses larmes, les miennes ne peuvent se retenir plus longtemps.
De retour à la petite maison, il rallume le feu. Là encore ses gestes sont lents, sans motivation. C’est lorsqu’il allume une clope près de la cheminée que je réalise que depuis notre arrivée chez Charlène il n’avait pas fumé.
Je m’approche de lui, je passe mes bras autour de sa taille, je le serre contre moi, je plonge mon visage dans le creux de son cou.
Ni lui ni moi n’avons faim. Nous nous mettons au lit et nous restons longtemps en silence, dans les bras l’un de l’autre. A chaque seconde je me dis qu’on devrait profiter de ces derniers instants pour parler, pour rigoler, pour faire l’amour. Et pourtant, nous n’avons pas le cœur à ça. Nous venions de retrouver notre complicité sur la butte au cœur de cirque de Gavarnie, et voilà qu’elle nous échappe à nouveau, emportée par des événements terribles.
Je suis inquiet. Inquiet par ce qui va se passer demain, dans un mois, dans un an. Pour notre séparation, pour l’avenir du monde après ce désastre.
« Tu crois qu’il va se passer quoi, maintenant ? » je finis par le questionner à un moment.
« Je ne sais pas ».
« J’ai peur que ça frappe ailleurs ».
« Ce n’est pas impossible ».
« J’ai peur qu’il y ait la guerre ».
« Je crois qu’on a tous peur de ça ».
« Tu vas me manquer, Jérém ! ».
« Toi aussi, toi aussi… ».
Je pleure. Jérém me serre très fort dans ses bras et me couvre de bisous tout doux.
« Nous devrions essayer de dormir » je l’entends chuchoter.
Il a raison, l’heure tourne, et demain il a un long voyage à faire.

J’essaie de m’endormir, mais la peur me hante.
Ce soir, quand le soleil se couche, tout l’occident a peur.
Lorsque le sommeil vient enfin, il est peuplé de cauchemars et ponctué par de réveils en sursaut.
Jérém aussi semble avoir du mal à dormir. Il tourne sans cesse dans le lit, sans arriver à trouver la bonne position. Ce qui contribue certainement à mes réveils répétés.
Le petit radio réveil indique 2h45 lorsqu’il se lève pour aller fumer une nouvelle cigarette près du feu.
« T’arrives pas à dormir ? ».
« Je suis désolé, je t’empêche de dormir aussi ».
« C’est pas grave, c’est surtout pour toi que je m’inquiète, tu as un long trajet à faire demain ».
« Ca va aller ».
De retour au lit, Jérém me prend dans ses bras. Qu’est-ce que j’aime me sentir enveloppé par son corps chaud et musclé. Qu’est-ce que ça va me manquer !
Je sens son souffle chaud dans le cou. Je sens les battements rapides de son cœur. Soudain, je me rappelle que cette nuit est certainement la dernière occasion qui nous est donnée de faire l’amour avant longtemps. Pourtant, ni lui ni moi n’osons nous y lancer.
J’en ai terriblement envie mais pour la première fois de ma vie je ne suis pas à l’aise avec cette envie. Je culpabilise de penser au sexe alors que dans une ville meurtrie on compte les morts par centaines, alors que de milliers de secouristes sont à pied d’œuvre pour chercher des survivants dans les décombres fumantes, alors que le monde entier est traumatisé.
Comment ne pas culpabiliser de faire l’amour après ça ?
Soudain, je repense aux mots de Charlène.
« La vie doit gagner, pas la peur. Nous ne devons pas nous laisser avoir par la peur, nous ne devons pas rentrer dans le jeu d’une poignée de tarés qui veulent nous empêcher de vivre, d’être libres, d’être heureux ».
Oui, je repense aux mots de Charlène et tout va mieux. Car elle a raison. Ces attentats ont détruit des vies, et ils visent à en traumatiser bien d’autres.
Il ne faut pas que cela arrive. Notre seule arme est de continuer à vivre. Il faut bien du courage, bien de l’énergie pour continuer à vivre après ça. Et pourtant, il le faut.
Car, demain ce sera trop tard. Demain Jérém ne sera plus là, près de moi. Et peut-être qu’après demain une catastrophe semblable nous empêchera de nous retrouver pour de bon. Alors, il faut profiter de l’instant présent, de notre jeunesse, du plaisir que nos corps et nos esprits peuvent nous offrir. Tant qu’on est vivants, personne ne nous empêchera d’être heureux ensemble.
« J’ai envie de toi, Jérém » je chuchote dans le noir.
« Moi aussi » je l’entends me répondre.
Cette nuit, nous faisons l’amour. C’est un amour tout doux, tout comme le sont les bisous qu’il pose sans cesse sur mon cou et sur mes épaules, tout comme l’est l’étreinte de ses bras puissants.
Ce moment de plaisir, de complicité et de tendresse avec Jérém, c’est tout ce dont j’ai besoin en ce moment.
Après l’amour, mon bobrun m’enveloppe toujours avec son torse et ses bras puissants.
Définitivement, il n’y a que dans son étreinte que je me sens en sécurité.

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