Clorinde, Ma Colocataire (19)

Elle est allée déposer son bol dans l’évier.
– Bon, allez, feu ! Je pars rôder du côté de la grande surface. Il y a des courses à faire n’importe comment. Et vous, j’ai pas de conseils à vous donner, mais moi, à votre place, j’irais jeter un coup d’œil du côté de ce club de pétanque. Histoire de tâter le terrain. Et de vérifier qu’il en fait bien partie, notre magnétiseur. Mais enfin, c’est vous qui voyez, hein !

Le local était fermé, mais il y avait une femme sur le boulodrome. La trentaine. Châtain foncé. Bouclée. Seule.
Elle m’a interpellé à travers le grillage.
– Vous cherchez quelque chose ?
– Non. Enfin si, oui. Je me demandais si, éventuellement, il serait possible de s’inscrire.
– Bougez pas ! J’arrive.
Elle a fait le tour par derrière, m’a ouvert.
– Allez-y, entrez !
Elle s’est activée derrière le comptoir, a déplacé des dossiers, ouvert des tiroirs.
– C’est toujours pareil ! Quand on cherche quelque chose… Faut dire aussi que normalement, les inscriptions, c’est pas moi qui m’en occupe. Mais je peux toujours vous faire remplir la feuille. C’est à la bonne franquette, ici. Pour le reste, les frais, l’assurance, tout ça, vous aurez qu’à voir avec Nadine. C’est la secrétaire, Nadine. Elle est là tous les après-midis. De deux à cinq.
Elle m’a tendu un stylo, regardé remplir le formulaire.
– Vous devez me prendre pour une folle, non ?
Je lui ai lancé un regard interloqué.
– Non. Pourquoi ?
– Ben, une fille qui joue aux boules toute seule, ça craint, non ?
– Ah ! Oh, chacun fait ce qu’il veut.
– En fait, on a une grosse compét le mois prochain, au niveau régional, et si je veux être prête, il y a pas de secret : entraînement, entraînement et encore entraînement.
– Je sais pas si…
– Vous débutez, hein ! Oh, mais faut pas faire de complexes. Vous serez pas le seul, vous verrez. Et puis faut bien commencer par commencer.

Tenez, venez, tant qu’on y est, je vais vous donner un casier. Que vous puissiez y mettre vos affaires.
Elle a farfouillé dans un bocal.
– Le 42, il est libre. C’est là-bas. Venez, je vais vous montrer.
On est passés devant le sien. Qui était ouvert. Qu’elle a refermé.

– Et alors là, je te le donne en mille.
– Quoi ? Ben, accouchez !
– Le nom, sur le casier… Mégane Hugonnet.
– C’est pas vrai !
– Eh, si ! C’est pas le mari magnétiseur, l’amant d’Alexandra, qui gagne des trophées à la pétanque, mais sa femme.
– C’est peut-être les deux…
– Non. Parce que tu penses bien que je suis restée bavarder un peu avec. Et que je lui ai posé la question, l’air de pas y toucher. « Mon mari ? À la pétanque ? Oui, oh, ben alors ça, c’est pas demain la veille. Non, lui, à part son boulot et les films américains à la télé, il y a pas grand-chose qui l’intéresse. »
– Et le cul de sa collègue Alexandra. Mais ça, en principe, elle est pas au courant. Bon, ben vous avez sacrément bien avancé, dites donc ! Je suis fière de vous. Et maintenant que vous êtes dans la place, il y a plus qu’à dérouler. On avance… On avance… D’autant que moi, de mon côté, il y a eu mèche avec Alexandra. Elle était au café aujourd’hui. Alors vous pensez bien que j’ai sauté sur l’occasion. On a discuté. Bien. Pas mal. De plein de trucs. Presque une demi-heure durant. Et on remettra ça : je lui ai soutiré ses horaires.

* *
*

– Vous savez quoi ? J’ai une furieuse envie de me faire mater aujourd’hui. D’avoir plein de désirs sur moi.
– Normalement, ça, ça devrait pouvoir s’arranger.
– Vous pensez bien que oui ! Sans problème. On va à la piscine ? La municipale ? C’est le jour ou jamais le jeudi. Il y a pas les scolaires. On est tranquille.
– Eh ben, allez !

Elle avait revêtu un maillot de bains noir une pièce qui lui moulait le fendu et les fesses au plus près.
– Hou là ! Mais ça relève carrément du cameltoe, ton truc, là, dis donc !
– Faut ce qu’il faut.
Bon, mais je compte sur vous, hein ! Vous regardez bien les réactions. Et vous me direz.
Elle a majestueusement longé le rebord de la piscine, à pas lents, jusqu’au plongeoir, de l’autre côté, là-bas. Elle y est restée debout, un long moment, immobile, à contempler la surface de l’eau. Avant de s’y jeter.
On l’avait suivi tout du long des yeux. Un type d’une quarantaine d’années, ouvertement, sans dissimuler le moins du monde son intérêt. Deux autres, plus âgés, aussi discrètement que possible. Un autre encore, la soixantaine bien sonnée, que la présence de sa femme à ses côtés contraignait, manifestement à contre-cœur, à une certaine retenue. Et puis il y avait ce jeune, d’à peu près son âge, qui la buvait littéralement des yeux, qui s’est précipité à l’eau quand elle y a sauté, qui a nagé dans son sillage.

Elle est venue s’étendre à mes côtés. A relevé une jambe.
– Alors ?
– Tu as ton petit succès.
– Mais encore ?
Le jeune est sorti de l’eau. Lui a jeté, au passage, un regard appuyé.
– Celui-là, s’il te fait envie, c’est quand tu veux.
– Non, merci. Sans façons. C’est pas déplaisant de lui faire de l’effet, mais bon…
– Sinon, ben ça m’a tout l’air de bander à tout-va. Même si ça s’efforce de le dissimuler. Il y a des signes qui ne trompent pas. Et c’est pour toi. Aucun doute là-dessus.
Elle s’est retournée. Sur le ventre. A fait claquer l’élastique du maillot contre sa fesse.
– Et le couple ? Qu’est-ce qu’il fait, le couple ?
– Elle, elle compulse un magazine. Et lui, il lit un journal. Il fait semblant. Parce qu’en réalité, il arrête pas de jeter tout un tas de coups d’œil dans notre direction. Sur toi, en fait.
Elle s’est lascivement étirée.
– Qu’est-ce vous pariez que, ce soir, sa bobonne va y attr ?
– Ça, c’est pas impossible.
– C’est même quasi certain. Quand il se sera bien gorgé de moi… J’adore. Je suis peut-être tordue, sûrement même, mais j’adore ça, me dire que la bonne femme, elle croit que c’est elle qui l’excite, son mec, alors qu’en réalité, dans sa tête, c’est moi qu’il est en train de baiser.
Bon, mais après, elle a pas trop à se plaindre non plus. Parce que, sans moi, elle aurait rien du tout. Elle me doit une fière chandelle finalement !
Elle s’est remise sur le dos.
– Il y aura peut-être pas qu’elle d’ailleurs. Parce que tous ces types, là, qui me reluquent à qui mieux mieux, va bien falloir qu’ils fassent retomber la pression. D’une façon ou d’une autre. À un moment ou à un autre. Avec leur nana, s’ils en ont une. Ou tout seuls.
Elle s’est appuyée sur un coude.
– Vous devriez pas me faire penser à des trucs pareils. Ça me donne envie.
– Ben, voyons ! C’est de ma faute. Non, mais alors là, c’est la meilleure !
– Beaucoup trop envie. On va se prendre une douche ? Il y en a près des vestiaires.
Elle s’est levée.
– Mais d’abord, un dernier tour de piste. Histoire de…
Elle a rajusté son maillot, chaloupé jusqu’au plongeoir, apparemment indifférente aux regards. Posés sur elle. Rivés à elle.
Une longueur de bassin. Une autre. Encore une.
Elle est sortie de l’eau, est revenue lentement vers moi, s’est penchée en avant, saisie de sa serviette, longuement essuyée.
– On y va ?

On a refermé sur nous la porte de la douche. Elle a retiré son maillot. Presque aussitôt, quelqu’un est venu occuper la cabine voisine.
Elle a silencieusement ri.
Chuchoté.
– J’en étais sûre. C’est lequel à votre avis ?

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