L' Été D'Anaïs ,Actes 5 Et 6

ACTE V SCENE 1, MANON ANAIS

La scène se déroule dans le séjour

MANON
Vous m'avez réclamée en ce matin blafard..

ANAIS
Oui Manon il nous faut, avant qu'il soit trop tard
Toutes deux échanger sur un sujet sensible.
Je te vois te muer en forme irrésistible
Car peu à peu tu perds ta silhouette nubile,
Tout ton corps se transforme, tu deviens si gracile ,
Et le regard des mâles se pose sans détour
Sur ton charmant minois et tes jolis contours.

MANON
Là vous me rappelez le plus charmant émoi :
Cela fait bien quatre ans que je perçois sur moi
Le regard soutenu, si singulier des hommes,
Et je ne sais pourquoi ma sève se consomme
En une chaleur vague au tréfonds de mon corps
Surtout si ce regard se perd dans le décor.

ANAIS
Ah l'émotion subtile que d'être regardée
Pendant de longs moments sans l'avoir décelé.
Je peux te raconter l'épisode vécu
Peut-être dans un bar , quelquefois dans la rue.
L'homme est  dans notre dos ou de trois quarts arrière
Peut-être a t-il en main une pipe ou un verre
Si on se trouve au bar au cœur d'un brouhaha
Enveloppée d'odeurs d'alcool et de tabac,
Attendant patiemment le service du thé.
Est-ce l' homme qu'on vit au moment d'arriver
D'un vif balayement que nul ne peut saisir,
Car son visage seul s'accole aux souvenirs.
Qui sait qu'il vous observe depuis un long moment ?
Le regard est léger, qui sans être insistant,
Finit par éveiller le sens secret des femmes
L'intuition supérieure qui habite leur âme :
Celle de deviner d'être vue sans rien voir
Et rechercher l'image d'un irréel miroir.
C'est alors brusquement qu'on se retrouve nue,
Qu'on se sent exposée dans une beauté crue.
Il y a de l'audace à garder son sang froid
Dans ce curieux mélange de douceur et d'effroi
Où lentement on veut se faire apprivoiser.


L'inconscience serait, lors, de se retourner
Pour découvrir celui qui ainsi vous observe,
Et tel d'un crâne ouvert surgir comme Minerve,
Impérieux et superbe par sa lance brandie.
Le charme faiblirait dans un regard qui fuit
Ou pire s'éteindrait dans celui qui s'accroche
Et nous mènerait dans une hasardeuse approche...
Plus outrageant encore par sa persévérance
Ou par sa fixité qui frise l'indécence !
Mais comment remercier ce curieux anonyme
Qui vient par un regard vous redonner l'estime :
Relever une mèche pour découvrir la joue,
Mettre à nu une épaule, mieux croiser ses genoux,
S'incliner doucement, esquisser un sourire,
Mais surtout dans le geste, l'empêcher de s'enfuir.
Car l'instant est magique. En ces quelques minutes
On a le ventre en feu et le cœur en culbute.

MANON
O comme vous savez dire la sensation
De l'anonyme hommage d'un mystérieux garçon.
Mais je veux faire part de mon questionnement
Quant au bonheur furtif d'un fugitif instant.
Comment imaginer qu'une improbable quête
N'apporte à notre ego qu'une impression surfaite ?
Certes je n'avais pas il y a peu de temps
La bonne connaissance des joies et des tourments
Que nous font ressentir le genre féminin.
Et puis en quelques jours j'ai compris ô combien,
A vous voir vous aimer , votre homme et vous, ma mère
Le plaisir absolu a des aspects sévères...
Pardon de vous le dire mais je n'ai fait qu'entendre
Depuis le premier jour vous plaindre et vous défendre
Des assauts de Mathis tout en les réclamant.
Votre attitude m'est un mystère troublant  :
J'y perçois des attraits, même une tentation,
Qui pourraient me conduire en même soumission
Si je pouvais trouver dans la sphère des hommes
Celui qui me ferait connaître ce fatum .
Il faut ma chère mère m'entrouvrir votre cœur
Me conter vos douleurs et vos petits bonheurs.


ANAIS
Par ton phrasé direct, je te vois fort experte
Des sujets qui concourent au drame et à la perte.
Mon propos plus martial t'enjoindra d'une chose,
Pour moi la plus précieuse et plus noble des causes :
Conserver cet hymen que donna la nature
Lorsque au monde tu vins parée d'une âme pure.

MANON
Je m'incline et j'admets votre ordre impératif
Malgré la submersion de penchants intuitifs.
Toutefois dites-moi de votre expérience
Quelle sérénité, quel don, quelle vaillance
Vous tirez aujourd'hui avec l'homme cruel
Dans une relation aussi pénitentielle ?

ANAIS
Je ne sais pas par où reprendre tout cela
Sans plonger ton esprit dans de profonds émois :
C'est le comportement de femme , heure après heure
Qui influe sur le vie du couple et son ardeur...
Quand la raison, le corps et l'âge seront mûrs,
Quand tu succomberas au maître le plus sûr,
En t'ouvrant toute à lui, tu t'offriras entière
Jusqu'à te l'aliéner , ce dont tu seras fière,
Et tu remarqueras par son air alarmé
Qu'il ne craindra plus que de te voir s'en aller.
Il faut pour le tenir une bonne addiction,
Tu la lui offriras dans ta soumission...

MANON
Redites-moi encore ce qui vous rend si pâle
Vos rêves de soumise, vos obsessions caudales,
Vos attentes contraintes dans les nuits de douleur,
Votre faim d'imprévus qui défie votre peur
Et puis finalement entendant vos prières
Pour l'homme qui impose cette vie singulière :
De très longs épisodes de chasteté e
Rompus brièvement d'étreintes déchaînées.
Je ne puis me lasser de votre confiance
En partageant ainsi vos combats sans défense.

ANAIS
S'il est un plaisir fou qu'on exprime trop mal,
Un classique érotique devenu trop banal,
Mais qui garde au final un air de majesté,
C'est l'attente statique du premier coup de fouet.

Le dos courbé offert au noble tortionnaire,
Les poignets prisonniers dans des bijoux de fer,
Les minutes s'allongent dans le recueillement,
Le silence s'installe sous les yeux de l'amant,
Mille images défilent dans un cerveau bouillant,
Irradient lèvres, cœur et le ventre brûlant.
Et puis soudainement un sifflement déchire
L'air devenu brumeux qu'on hume et qu'on expire.
La brûlure des cordes sur une peau à vif
Envahit tout le corps d' un plaisir implosif.
O Manon s'il te faut un jour y succomber
Sous peine d'y laisser ta propre identité
Songe que la contrainte et la digne souffrance
Te rendent l'innocence de ta portion d'enfance.
Mais ce nouvel état il faut l'appréhender
Après avoir mûri sur de longues années.

MANON
Mais le maître au final n'est-il pas simplement
Ce dur levier de chair, de sang, le plus brûlant,
Qui néglige les ordres de son propriétaire
Et s'affiche sans fard, si intraitable et fier.

ANAIS
Oui quand elle se montre sous la toile tendue
Cette hampe imposante au profil distendu,
On n'a qu'une prière qui vient comme un murmure
C'est d'avoir à sa bouche l'insolente monture.
Ou lorsque prosternée, les seins sur la desserte,
On écarte les parts d'une croupe entrouverte,
C'est pour sentir en soi brusquement se glisser
Le pal cruel et roide dans l'anneau contracté...
Mais que te conté-je ?

MANON
Votre folie ma mère
Qui m'emplit maintenant du feu de Lucifer...
Mais j'entends au lointain votre maître qui vient
Je reviendrai plus tard connaître mon destin.

Manon sort


ACTE V SCENE 2 ANAIS MATHIS

Mathis entre

ANAIS
Monsieur je dois vous dire en toute dignité
Que je surprends ma fille souvent à vos côtés.
Si je n'ignore pas qu' elle vous fait la cour
Vous vous devez par contre d'écarter cet amour.

Car Manon est intacte et j'ai fait contrôler
Par la meilleure science sa vraie virginité.
J'entends que quand viendra le jour de son mariage,
On la trouvera telle et quel que soit son âge..
Elle est déjà formée pour de grandes passions
Mais trop fragile encore pour perdre la raison.
Je la veux épanouie , et simplement curieuse
Pour ne pas succomber aux liaisons dangereuses

MATHIS
J'entends vos exigences mais ne veux y souscrire
Cette est pour moi un objet de désir
Mais pas plus que tel autre dont nous parlions le jour
Où j'ai passé sur vous mes passions sans détour.
Elle a bien des attraits dans le genre et la forme
Qui fait qu'on est tenté par des essais hors-normes
Pour découvrir chez elle la finesse d'un corps
Qui ne plaît qu'à s'offrir et encore....Mais d'abord
Vous devriez savoir que le risque est minime
Que mon goût érotique, et ce n'est pas un crime,
Porte de préférence sur les parties du corps
Laissant inexploité l'hymen en son trésor.
Alors vous ne pourrez attendre de ma part
Une présence forte y allant dare-dare.
Si je n'ai près de moi ses attraits pré-pubères,
Un stimulant puissant pour mon imaginaire,
Si je ne puis goûter à ses lèvres si fines
Me laisser r par ses airs androgynes
Si enfin vous voulez écarter de ma vue
Ce qui peut remplacer une passion connue...
Est-ce parce qu'un autre vivant dans la maison
A choisi de nier mes sollicitations
Et va tel un oiseau moqueur et sans égard
Promener son corps d'ange devant mes yeux hagards ?
Savoir que se dandine d'un mouvement heureux
La partie postérieure qu'on dessine des dieux,
(Qui se trouve moulée à Naples, à Rome, au Louvre,
Et tel un livre d'heures qu'à nos prières s'ouvre),
Puis sentir la pulsion qui nous anime alors
Celle qui fragilise dans un sublime effort,
Quand la part de soi-même mue par un fol ressort
Se gonfle de passion et veut se bouter hors !

ANAIS
Ami, vous m'affolez dans votre ardente chasse
Tout ce qui est gagnable, fille, gars, tout y passe !
A force de mendier les objets de conquête
Vous ne récolterez que ce qu'un laquais quête,
Le mouvement manuel , qu'on fait en solitaire,
Pour laisser se vider la voie séminifère.

MATHIS
Ne raillez pas mon sort, il risque d'en coûter
A vos cuisses, à vos reins, plus de cent coups de fouets.
Mais dîtes-moi plutôt en quoi vos préventions
Épargneront Manon de toute tentation.

ANAIS
Je veux lui enseigner une pudicité,
Une façon prudente de savoir observer
Par un regard oblique, fugitif et discret
L'effet qui se produit chez le mâle exalté
Quand lui viennent en tête toutes ses turpitudes.
Cette attitude sied à la jeune prude
Qui souffre le danger en l'ayant provoqué
Mais s'en éloigne vite sans goûter les effets.

MATHIS
Rassurez-vous ma chère, elle en a connaissance
Et la pratique aussi avec grande innocence.
Mais il faut sans attendre renforcer l'aptitude
Qu'elle possède en elle pour ce genre d'études..

ANAIS
Je vous sais pédagogue par votre science infuse
Mais je crains qu'à ce titre vos procédés n'nt.
Je la laisse aux bons soins d' écoles non laïques
Où s'échange entre élèves le bon art des pratiques,
Où les maîtres soucieux de vieilles traditions
Savent manier le verbe comme le goupillon.

MATHIS
L'éducation ma chère dans notre pauvre France
N'apporte plus aux jeunes les bonnes connaissances.
Même dans ces écoles qu'on dit confessionnelles
On a abandonné les savoirs spirituels.
Adieu les Belles Lettres , les épineux problèmes,
L'enseignement scolaire bannit le théorème,
L'histoire du pays, les versions et les thèmes.
On n'ouvre pas les âmes mais on se les perturbe,
Ne nourrit le cerveau mais on se le masturbe,
On ne sert plus l'esprit qu'en poussant la critique.
Les écoliers occupent une épopée ludique
Où les bons droits s'empilent et les devoirs s'effondrent..
On n'y fait maintenant que répéter des frondes.
Alors pour votre pas de distraction,
N'attendez de personne la bonne initiation
Vos principes moraux qui aussi sont les miens
Ne lui seront que mieux enseignés par les siens.

ANAIS
Allons ! Vos bons conseils nous feront rechercher
Un bon instituteur qui lui sache enseigner
De la bonne romance ses arcanes subtiles
Mais je ne suis pas sûre connaissant le profil
Que vous soyez celui, le mieux fait pour cela...


MATHIS
La voici qui nous vient, épargnons l'embarras
Qui peut vous envahir en restant près de nous.

ANAIS
Pourvu que cette agnelle ne soit confiée au loup !

Anaïs sort.


ACTE V , SCENE 4 Manon, Mathis

MATHIS
Ainsi, c'est toi Manon, es-tu bien réveillée ?

MANON
Je constate Monsieur, que vous vous dérobez,
J'en connais l'origine, j'en sais tout le prétexte
Je veux m'agenouiller en cette heure de la sexte
Pour vous redire encore avec humilité
Les affres mortifères de l'interdit d'aimer.

MATHIS
Garde la position qui enchante mes sens,
Dirige tes yeux vers quoi tu dois allégeance,
Laisse moi regarder la nuque qui s'incline
Deviner s'entrouvrir la belle bouche fine...
Je promène mes doigts sur tes lèvres tremblantes
J'y sens  la vraie nature d’une passion naissante  
J'y perçois la douceur qui un jour m'enserra
J'y goûte encore l'effet d'un toucher délicat.

MANON
Il ne tient qu'à vos ordres pour que puisse durer
La belle initiation dont j'ai pu profiter
Même si notre mère se déclare hésitante...


MATHIS
Ta jeune soumission m’apparaît si troublante
Qu'un désir d'explorer ton corps et ses mystères
Me dévore d'un feu tout proche de l'enfer.
Il me semble sentir  une âme se donner
Dépasser les limites, se laisser dominer,
Aller jusqu'à l’extrême, s'abandonner ... Mais...Mais...
J'ai promis à ta mère de ne  te plus toucher.,.
Et ses ordres seront strictement  respectés.
Je les observerai malgré le grand supplice
Que tu me causeras, telle une Bérénice.

MANON
Mais que fait Bérénice ici dans ce discours.

MATHIS
Pour la rime, ma chère, pour la rime tout court.
Même si ton amour, comme pour l’héroïne,
Connaîtra le rejet dont la châtia Racine.

MANON
Votre abandon m'afflige, ma jalousie s'en mêle,
Car je sais que vos choix se portent sur Maël.
Et à peine franchi le seuil de cette porte
Vous n'aurez qu'à forcer celle d'une autre sorte.

MATHIS
Il ne faut pas confondre deux appétits distincts
L'un qui est fantaisie et l'autre qui est faim.
Je ne veux préciser quel est l'autre de l'un
Pour ne pas offenser ni vexer...
...Néanmoins
Je veux garder sur toi un regard exigeant
Que ta docilité soit de tous les instants.
Je veux que chaque jour, tes tenues dénudées
Mettent bien en valeur ta vraie servilité .
Je veux te voir aller et venir en nos murs
Dans ces maillots seyants avec désinvolture
Me rappelant sans cesse ta liberté gagnée
Qu'un de ces jours prochains, je te ferai payer.
Mais j'exige surtout que tu ne cherches pas,
Par des gestes nocturnes sous le secret des draps,
En te remémorant des tentations lunaires,
À trouver le plaisir que l’on dit solitaire.

MANON
Je me lierai les mains plutôt qu'y succomber
Si tels sont vos plaisirs et votre volonté

MATHIS
Mais j'exige de plus que ton éducation
S'entrouvre davantage aux récits de passion.
Aussi tu trouveras sur les hauts rayonnages
De la bibliothèque d'enrichissants ouvrages.
Que Vanessa Duriès, Guillaume Apollinaire,
Tous les livres qui peuplent ce qu'on nomme l'Enfer,
Les auteurs interdits mis sur la liste noire,
Sacher-Masoch, Bataille, leurs féroces histoires,
Et le divin Marquis ou la belle Réage...
Je te veux haleter en parcourant leurs pages...
A leur seule lecture, éprouver et souffrir,
En perdre la raison sans user de plaisir...
Ou mieux tous ces récits d'extases religieuses
Qui forcent à s 'engloutir les âmes les plus pieuses
Vers le gouffre sans fond d'un douloureux partage..

MANON
Je ne connais aucun de ces curieux ouvrages

MATHIS
C'est ce qui fait le prix de ta candeur unique,
Mais le temps est venu aux écrits érotiques.


MANON
Oui...Je les lirai tous jusqu'à m'user les yeux.

MATHIS
Tu retrouveras dedans la volonté des Dieux
Qui glorifient la chair, la souffrance absolue
Et insensiblement, dans ton cœur mis à nu,
Quand la voix des auteurs t'arrachera des larmes
Tu rendras pour finir une à une tes armes

MANON
Cet exposé précis me donne le tournis
Et je cours me plonger dans ces nobles écrits.

MATHIS
Enfin puisque ton corps encore inexploré
A gardé la fraîcheur de la virginité,
Ne te laisse tenter par aucune fredaine
Qui aurait pour méfait d'y laisser ton hymen.
Tu paraîtras ainsi selon le bon vouloir
De ta mère et ton maître le matin du grand soir.
Et puis tu t'offriras jolie mademoiselle
Pas complètement pure mais encore pucelle
Toute la  tête éteinte et le trésor atteint
N’ayant que pleurs en liesse et que rire en chagrin.

MANON
Mais si pour mon malheur, je devais succomber
Aux étreintes pressantes d'un jeune fiancé.

MATHIS
Il y a , tu le sais , par nombreuses manières
Qu'à la flamme des hommes tu pourras satisfaire
Sans que le trésor que tu portes en ton sein
Souffre de déchirure, d'écoulement carmin..
L'une que tu connais, dont tu usas naguère
A genoux devant moi, lèvres et yeux ouverts,
Elle permet sans peine de contenir ses sens,
Du vertige exalté, de l' aveugle jouissance..
Je ne te décris pas la seconde façon
Pour faire aller en toi l'objet fier des garçons...
Les Mauresques en font un si discret usage
Pour conserver l'hymen jusqu'à leur mariage.
Moi-même comme acteur, dans ce domaine, actif
J'en pratique un rituel qu'on dirait abusif,
Mais j'aime à bien entendre quand je prends mon plaisir
Le cri qui par ma faute ne peut se retenir.
Et si tu crains encore de céder ta vertu
Sache qu'une ceinture solidement tenue
Pourra sauvegarder ta chasteté de nonne
Et ne s'ouvrir jamais que si la clef est bonne..
Encore plus discret , quelques anneaux bien sages
Qui unissent les lèvres , en ferment le passage,
Et forment un bijou en son plus bel écrin...

MANON
J'imagine ces choses qui font qu'on est contraint..
Il me tarderait presque d'entrer en tentation
Pour que cette menace trouve une application.
Mais pourriez-vous me dire pour connaître mon sort
Si demain l'interdit qui m'asservit si fort
Venait à s'abolir, quelle serait la forme
Dont vous useriez pour me soumettre à vos normes ?

MATHIS
Il me tenterait bien d'aider à  te parfaire
Aux règles des contraintes. Si je ne veux le faire
Je choisirais alors le service énergique 
D'une maîtresse femme qui connaît la pratique .
Lola malgré son charme et ses capacités 
Ne saurait aboutir à l'objectif visé ;
Je connais l'expérience et la nature fine
D'une dominatrice qui tient une officine, 
A l'autorité forte, au pouvoir séducteur,
 Dont ta mère un moment a vécu la rigueur.  
Les femmes savent mieux faire naître un désir 
Partager leur savoir des choses du plaisir 
Éveiller dans un corps de la nature du tien
La montée lente et sourde d'une ineffable faim...
Surtout si sa méthode, pour ton plus grand bonheur,
 Forme  la sujétion de ton corps, de ton cœur 
Par la flagellation, par l' immobilité,
La peur, par la douleur d' orifices s..
Dans la communauté de l' Homme, ma pucelle,
Les plus cruels sont ceux qui se disent icelles.
Elles sont les plus fortes et les plus inflexibles 
Pour battre et pour marquer autant qu'il est possible 
Le corps d'une semblable où règne l'innocence...

MANON
Qu'il est  terrible et doux le travail de nos sens ,
Tout se trame en secret au fond de l'intellect,
On s'écoute , on se voit, et l'effet en direct
S'immisce dans le corps par sensations brûlantes.
On s'abandonne alors au destin qui nous hante,
Être l'esclave aimée qui cherche la tourmente.

Fin de l'Acte V




ACTE VI SCENE 1 Mathis, Alexandre, Anaïs

Chambre de Mathis et Anaïs. Anaïs est allongée sur le dos, les pieds et les mains attachés par des cordes . Sa tête déborde du lit et se trouve ainsi renversée.

ALEXANDRE
Mathis, je vous savais homme de grand talent
Mais là vous dépassez tout mon entendement

MATHIS
J'ai envoyé les gosses par le funiculaire
S'en aller barboter quelques instants en mer.
Nous serons bien tranquilles comme deux vieux amis
Avec celle que j'aime attachée sur ce lit
Prête à offrir son corps et à le partager.

ALEXANDRE
Votre amitié est forte, je veux la louanger.
Anaïs me dédie un sourire magique
Qui a pour moi l'effet d'un stimulant physique.

MATHIS
Ce matin la servante nous l'a bien préparée.
Pendant une heure au moins, nous l'a enamourée.
Je les ai entendues pousser tant ,de soupirs
Que je crains maintenant ses forces se tarir.

A Anaïs

Dites-nous mon amie, sans faire l'élégante,
Ce que Lola a fait, pour vous rendre brûlante ?
Quels actes liminaires vous auront révélée ?

ANAIS
Lola sait embrasser comme nul ne le fait
Sa langue est si puissante et sa grâce si forte
Que le premier baiser rend déjà ivre-morte.
Mais aussi il y a cette patience à faire
Sans jamais s'empresser ni se laisser distraire
Un long dépouillement de tous les vêtements
Pour que la nudité arrive au bon moment.
Et ses mains, oh ses mains d'une douceur divine
Se promènent longtemps sur sa peau carmeline
Avant de caresser celle de sa compagne
L'accompagnant dans son ascension de cocagne.
Et sa langue , oh sa langue, à la vibrance folle
S'insinue doucement vers un point qui s'affole
Dans un jeu qui, supplice, à son tour s'improvise.
Et ses doigts, oh ses doigts à la finesse exquise
Dans tous les trous du corps glissent en tapinois
Savent forcer celui qui est le plus étroit
Et la pauvre Anaïs, malgré elle, âme en feu,
Par mouvement réflexe se contracte autour d'eux.

ALEXANDRE
Bravo ! la pause déjeuner vous aura, je l'espère,
Rendue aussi sensible sans perdre vos repères.

MATHIS
Le repas que tous trois, nous avons fait avant,
Arrosé de Loupiac et et de léger Crémant
A brouillé notre esprit sans affaiblir nos forces.
Croquons le fruit tout frais sans l'amer de l'écorce...

ALEXANDRE
Nous avons pris le temps qu'il fallait, qu'il faudra,
En citant du Boccace et du Casanova
Rien ne s'assemble mieux que les Lettres et le vin.

MATHIS
Et les plats d'Escoffier, et les femmes... Enfin !
N'oublions pas de grâce ce qui est essentiel
Dans notre quête aveugle d'un soupçon d'éternel.

Puis après un silence

Mais vous semblez bien calme o très cher Alexandre
Cette scénographie ne prétend pas détendre !

ALEXANDRE
Il est vrai qu'en venant je me suis souvenu
Des détails de propos que vous m'aviez tenus
Et une excitation a si vite monté
Que j'ai dû un moment m'arrêter de côté
Pour me laisser tenter au réflexe onaniste.

MATHIS
Je ne suis pas adepte du plaisir des solistes
Mais par salubrité, certes, je le comprends ,
Vous n'en conserverez que beaucoup plus longtemps
De bonnes aptitudes à ne pas secréter.

Puis après un silence

Trouvez-vous Anaïs joliment apprêtée ?

ALEXANDRE
Au toucher de sa peau je la sens qui s'enfièvre.

MATHIS
Voyez ces reins intacts et ces petites lèvres
Que l'on trouve plissées, glabres et virginales
Comme chez la novice pré-pubère et vestale.
Je préserve Anaïs autant que nécessaire ;
Il faut comme en nature un cycle de jachère.
Depuis la première heure de mon séjour ici
Je délaisse son sexe, son corps est en répit.
Durant ces quelques jours je compte sur mes doigts
Quand j'ai sa bouche et l'orifice étroit.
J'ai Lola pour l'hygiène, les jumeaux pour le rêve :
La bonne satisfait mes appétits sans trêve
Et les deux jouvenceaux aux airs si puérils
M'apportent l'illusion des amours infantiles.
Je crois aux privations qui aiguisent l'envie,
Le jeûne du jouir affine l'appétit
De mets et de pratiques où plaisir et souffrance
Se mêlent aisément sans aucune nuance.
Mon ami, Anaïs vous offre primauté
De choisir un objet qui va la corriger.

ALEXANDRE
N'est-il pas dans les mœurs d'obtenir un accord
De celle dont on va martyriser le corps ?
Il me semble évident que cet assentiment
Apporte à ce congrès sa dose de piment.

MATHIS
C'est vrai, interrogeons notre chère maîtresse
Avant de bâillonner sa bouche pécheresse
Pour que ses cris, ses plaintes et ses râles mêlés
N'alertent vainement tous les gens du quartier.

ANAIS
J'ai la bouche trop sèche, les lèvres trop tremblantes
Pour pouvoir exprimer ma nature flagrante.
Nul ne peut réclamer sinon pour s'entremettre
Les sévices cinglants de son vénéré maître.
Ce serait s'immiscer dans son choix impérieux
Qui est sa liberté, son jugement et mieux,
La manière aboutie d'exprimer son amour..

MATHIS
Sais-je dire je t'aime ou jamais ou toujours ?
Ce sont les châtiments mes ultimes ressources.
Et si parfois mon bras hésite dans sa course
J'en demande pardon pour autant de faiblesse...

ANAIS
Vous n'avez jamais fait acte de maladresse...


ALEXANDRE
Madame comme ami je pourrai affirmer
Que lui ne vous hait point et que vous vous l'aimez.
Le dialogue trahit votre complicité
Ses mots sont hésitants et vous, vous frissonnez.

ANAIS
Et si je tremble autant avant cette séance
C'est d'amour et de peur, d'ivresse et d'impatience.
De grâce conservez le choix de l'instrument,
Le choix de la durée et le choix du moment .

ALEXANDRE
La souffrance aide aussi à dépasser l'effroi,
Elle apporte sagesse, dépassement de soi

à Mathis

Mais vous mon cher ami quelle est votre habitude,
Quand votre peau s'échauffe et que vos eaux s’exsudent,
Quand vous sentez le sang migrer vers votre truc,
Battre avant ou après que n'éjecte le suc  ?

MATHIS
L'une ou l'autre manière mène à la même issue.
Notre littérature sur le thème a connu
Une variation de genre et de débat.
Je ne veux pas créer un nouveau marquisat.
On brutalise avant pour attiser la flamme,
Pour soi-même se mettre au service de la dame,
Pour réveiller en elle le feu qui la consume ...
Ou on corrige après car c'est une coutume
Pour punir celle qui vous aura épuisé,
Vous aura fait sombrer dans la bestialité,
Surtout si elle-même s'est toute abandonnée
Et a manifesté un plaisir passionné.
Je ne sais par ces causes quand je suis le plus dur
Les humeurs évoluent à la bonne aventure..


ALEXANDRE
Vous me parliez aussi d'autres dispositions
De certaine exigence et de vos conditions
Pour parfaire vos jeux auprès de vos soumises
Et en particulier, prohiber la sottise...
Vous demandez chez elles un fonds de connaissance,
La culture des livres et des notions de science,
Car la beauté du corps, comme ici notre aimée,
Doit être accompagnée de bonnes facultés.

MATHIS
Plus la femme a d'esprit et de raison critique
Plus grandes sont chez elle les charges oniriques.
Et l'imagination dans ses contours obscurs
Rend possible le rêve jusqu'à la déchirure.
Elle s'adapte mieux au pacte redoutable
De soumise prête à vivre l'insoutenable.
Allez donc pratiquer auprès d'une ignorante
Son inculture seule nous paraît impudente,
Elle apporte remords et culpabilité
Quand s'achève le temps de la brutalité.
Car ce n'est pas l'amour mais l'animalité
Qui se partage alors, à vous désespérer...
Bien sûr c'est différent quand l'immaturité
D’une jeunesse pure encore inexplorée
Se conjugue si bien avec de l'innocence.
On se veut précepteur pour cette inexpérience :
La belle âme docile écoute sagement
Les notions et savoirs que l'on juge importants.
Entre deux réflexions, au milieu des préceptes,
Pour qu'elle soit tentée , et qu'enfin elle accepte,
On raconte en détail l'usage de son corps
Et on met la pratique comme dernier accord.

ALEXANDRE
Et qu'en est-il pour vous de son aspect physique
N'est-ce pas l' épicentre de l' invite érotique ?

MATHIS
Oui, pour mon stimulus, il faut évidemment
Que l'objet du désir, qui en devient tourment,
Ait un visage fin, une silhouette accorte,
Une bouche sensuelle, un regard qui emporte,
En un mot il nous faut que la belle ait du chien,
Que son style relève d'un peu de tragédien
Même si sans différend celle qu'on se choisit
D'entre toutes les perles n'est pas la plus jolie.
Je redis mon penchant pour l'âge pubescent
Mon addiction charnelle pour les adolescents,
Je sais que la jeunesse le plus facilement
Concentre ces valeurs par principe évident,
Mais je dis que la femme qui a de l'expérience,
De la maturité, et en sexe des sciences,
Reste aussi un bon choix , comme Anaïs l'est ...

ALEXANDRE
Certes
On retient la sagesse d'une maîtresse experte
Qui cultive parfois depuis plusieurs années
Les méthodes gracieuses pour assouvir l'aimé
Dans ses pires fantasmes. La bouche d'Anaïs,
Au sourire si doux qu'elle inspire le vice
Capte toute attention depuis mon arrivée.

MATHIS
Vous avez bien raison de me le rappeler
Car tout ça nous éloigne de notre objet premier...
Je vois à votre port l'organe se gonfler.

ALEXANDRE
Il ne se contient plus dans l'espace étriqué
Que lui offre la toile. Il faut le libérer...

Alexandre sort son sexe.


MATHIS à Anaïs
Voyez comme Alexandre est joliment membré
Je vous laisse loisir de bien le regarder ;
Il a de ce côté de belles proportions.
Pour donner une idée de ses mensurations
Qui l'ont fait désigner de nous deux maître-queue
-Mais regardez encore !- vous constaterez que
Ne se rejoignent pas lorsque ma main l'entoure
Mon pouce et mon majeur bien resserrés autour,
Et que mes deux poings mis à l'encapuchonner
Laissent une longueur notable dépasser .

Mathis joint l'acte à la parole

Il y a de la douceur sur la peau de ma main
Mais aussi de la force, les deux se marient bien....

ALEXANDRE
Avec urbanité vous savez nous guider
Dans le monde touffu des arts et des idées .
Mais vous savez aussi être un très bon manuel
Votre esprit s'accompagne de grâce gestuelle.


ACTE VI SCENE 2 LOLA , MATHIS, ANAIS, ALEXANDRE

Lola entre dans la pièce précipitamment.

LOLA
J'arrive ! Je le vois : c'est les préliminaires
Je craignais d'atterrir comme carabinière.

Puis apercevant le sexe bandé d'Alexandre

Je parodie : Oh oui, c'est colossal Monsieur
On peut tenir, Mon Dieu ! bien des propos curieux
En variant le ton , - par exemple, tenez :
Plaintif : je compatis pour celle ou pour celui
Qui le laisse accéder à son étroit pertuis.
Descriptif : C'est un pieu, c'est un mât, c'est , que dis je
Un obélisque dru dressé comme une tige
Qu'aucun archéologue a jamais découvert..
Prévenant : protégez vos mirettes, vos verres
Quand vous penchez la tête un peu trop en avant
Vous y perdrez un œil en percutant le gland.
Épique : Louis Philippe, s'il l'eût connu avant
Aurait imaginé et dressé autrement
Le monument qu'on voit Place de la Concorde.
Pratique : Pauvre marin si un jour une corde
Vient à lâcher ton mat sur le pont du navire,
Sache qu'un expédient te permet de tenir
Et de suivre ta route toutes voiles dehors...
Technique: Si les fusées spatiales qui explorent
Tous les objets du ciel jusque Alpha du Centaure,
En viennent à manquer pour un prochain envol,
On l’émasculera en retroussant son col
Et on l'apportera à Cap Canaveral.
Judiciaire : on peut rendre au supplice du pal
Un air de déjà vu du côté des Carpates,
Si on se veut sensible au toucher de prostate.
Sportif : Les femmes qui gravissent les montagnes
Y trouvent les plaisirs d'ascension de cocagne,
S'en courent le Mont Blanc et même l'Everest
Alors que des exploits pareillement alpestres
S'accomplissent ici au pied de ce pénis.
Voila ce que je dis, pour rire et sans malice
Au spectacle inédit de votre braquemart,
Roide et tendu, Monsieur , d'un beau pourpre sans fard,
Et il est temps bien-sûr d'abaisser la pression
Par quelque délicate et profonde succion.

ALEXANDRE
Vous me voyez sensible à tous ces compliments
Lola , votre expertise dans ce sujet brûlant
M'est marque de confiance et là, je vous demande
D'aider notre soumise à ce qu'elle n'appréhende
Aucun raffinement , aucun des durs sévices
Que par fraternité, m'a garantis Mathis.

MATHIS
Agissons comme si la Morale des hommes
Irait se précipiter au fond d'un maelstrom.

LOLA
Qui parle de Morale,  ici-bas votre honneur 
Il est  moins moraliste que moralisateur.
Je préfère en tout point une imagination
Qu'on trouve dans la prose et les belles chansons..

ALEXANDRE
 Et  qui fait de  la prose, en s'en flattant , ma Soeur
Fait plus du prosaïque qu’œuvre de prosateur ..

LOLA
Et qui parle d’amour  sans pratiquer messieurs
il est fort peu amant et bien trop prétentieux..

MATHIS
Cessez donc cette joute aux fondements abscons,
La pose d'Anaïs mérite une réponse.

LOLA à Anaïs
Anaïs vous semblez maîtresse bien soumise
Prête à subir le viol , l'homme qui tyrannise,
Vous voilà prisonnière de fausses tentacules
Allongée sur le dos, la tête qui bascule
Prête à ouvrir les lèvres pour une intromission
Si profonde et si forte de l'instrument fécond,
Alors qu'un second homme de son côté caresse
La fente glabre d'où l'appendice se dresse...


MATHIS
Notre ami sait aller dans la gorge profonde
Rechercher un plaisir qui parcourt comme une onde
Le corps de notre esclave ardent et volcanique.
Voyez ses aptitudes en tous points héroïques
A engloutir sans pleurs l'organe monstrueux
Qui forme dans son cou des vagues et des creux.

Alexandre agit en ce sens.

LOLA
La mise en scène est forte, le spectacle est troublant
Où l’on voit l'honnête homme déguisé en servant
Empli de prévention et d'attention louables
Parrainer sa compagne pour des actes coupables.
Trouverez-vous Mathis la force et la colère
Pour l'avoir délaissée aux folies adultères ?

MATHIS
C'est une bonne action que d'offrir sans retour
L'être qui nous est cher à l'ami de toujours.
On la sent bien nerveuse car elle ignore en fait
Le supplice qui suit, les actes improvisés
Qui vont bien la punir de son écart nuptial.
Oui ce plaisir qu'elle a, qu'aucun autre n'égale
A chaque enfoncement du sexe ou de ses bourses,
Je le sens sous mes doigts à l'abondante source
Qui coule de ses plis comme aveu de faiblesse.

LOLA
Vous êtes bien sévère face à une prouesse
Que je redouterais si j'en étais victime.
J'ai rarement connu une gorge sublime
Qui engloutisse ainsi sans bruyant haut-le-cœur,
Sans suppliques plaintives ni suintements d' humeurs
Le format de l'engin de Monsieur Alexandre.


MATHIS
Oh vous ne perdrez rien, rien de rien pour attendre...
Je vous initierai à cette irrumation
Avant que de quitter notre noble maison.

LOLA
J'en frissonne de peur autant que d'impatience
Tant vos proportions frisent l'inconvenance ,
Même si je le dis sans aucune avanie
Elles diffèrent de celles de votre ami.

MATHIS
Gardez pour vous, Lola, tous vos comparatifs
Sur le port des lingams, leur format relatif,
Et prenez votre rôle de bonne domestique
Pour stimuler mes sens, valider ma réplique
Pendant que mon ami en larges mouvements
Lui envahit la gorge en rêvant à Maman.

En silence, pendant de longues minutes les quatre personnages s'affairent.

ALEXANDRE
Ce silence abbatial nous invite à l' entracte...
De mes désirs, de mes paroles et de mes actes,
Je ne sais bien pourquoi ma jouissance est plus forte
Lorsque j' entends souffrir l'élément qui l'apporte.
Anaïs est si souple et presque trop docile
Je crains me relâcher en jouissance facile,
Je veux garder en moi un soupçon de vigueur.
Je m'arrête un moment , un peu à contrecœur...
Cette belle paix trouble une concentration
Et pourrait nous laisser aller à l'abandon.

MATHIS
Si le plaisir décuple à cette condition
Je veux bien faire mienne votre disposition.
Je propose de prendre la chaude et large place
Qu'a su si bien offrir la belle Lovelace
Cependant que Lola viendra vous amuser
Par une exhibition de fouettage endiablé.

Les personnages s'exécutent . Lola se met à fouetter doucement le corps d'Anaïs.

ALEXANDRE
Tout ce charmant spectacle me maintient bien en vie
Sans marquer durement la peau de notre amie,
Chère Lola allons, donnez-nous le spectacle
Du rougeoiement du flanc de la blanche bernacle.

LOLA
Anaïs, une oie blanche, comme vous y allez !
L'esprit qui est dedans sait se dissimuler
Mais il ne fait de doute qu'il y a en sa tête
Plus de lubricité que chez son maître esthète.

MATHIS
Je sais, les femmes ont sur toutes ces questions
Une aptitude, un goût, une imagination,
Qui pourraient en revendre à plus d'un débauché.
Elles ont pour le plaisir tant de capacités
Qui s'éveillent si tôt , latentes et violentes,
Que les hommes demeurent, là, loin de leurs attentes.
Elles cherchent sans fin la passion dévorante
Que ne peut assouvir ni amant ni amante
Mais le fantasme fou, la chimère absolue,
Est de jouir et puis, mourir de ses mains nues.

LOLA
Les gentils petits coups de ce fouet de salon
Font comme un son de braise maniée par le tison.
Ils lèvent en douceur le désir féminin
Qui sans ces conditions ne peut s'exprimer bien.

MATHIS
Mais notre élève attend bien plus que ces caresses
D'un cuir trop bienveillant donné avec mollesse
-Pardonnez-moi Lola-, je la sens réceptive
A des jeux exauçant son talent de captive.


ALEXANDRE
Oh ! à votre air soucieux, je sens qu'une variante
Va vite transformer notre Eve en suppliante.
Quelle voie démoniaque, et quel ressort subtile,
Vous inspirent ces plans qui la rendent fébrile .
Avec vos scénarios qu'un commun n'imagine
Vous nous préservez de la sinistre routine,
De celle qui nous noue l'aiguillette fragile,
De celle qu'à nos femmes on se rend trop docile.

Mathis parle à l'oreille d'Alexandre, propos inaudibles pour le spectateur et les autres personnages.

ALEXANDRE
Mon ami quel programme ! Et quelle cruauté
Je ne sais si moi-même je pourrais supporter
Le tableau inspiré par votre extravagance
Qui se défie de tout même la vraisemblance.

MATHIS
Philosophiquement je retiens du Marquis
La divine instruction que naguère il offrit.
Si par essence l' homme fait prospérer le mal
C'est pour la permanence des conventions  sociales.

Puis après un silence

On ne peut concevoir qu'une assemblée future
D'un théâtre lointain, fût-il le plus obscur,
Initiée pleinement aux fantaisies d'un rite,
Puisse malgré tout voir la scène ainsi décrite.
Il faut laisser aux faits une part de secret
Pour ne faire entrevoir qu'un phantasme discret,
Et l'imagination en sera débridée
Et le plaisir des sens en sera décuplé.
Tirons pudiquement le rideau de la scène
Et gardons à nous seuls pour n'être pas obscènes,
Ces actes indescriptibles qui ne se pourront voir...
L'égoïsme se pare des vertus du devoir …

ANAIS
Ils ne sont plus témoins ces spectateurs frustrés
D' abandons convenus, alors je laisse aller
Vos coupables actions sur mon corps sans défense
Jusqu'à la démesure, jusqu'à l'invraisemblance...


La lumière baisse progressivement alors que les deux hommes et Lola s'affairent sur le corps d'Anaïs
Fin de l'Acte VI

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