Histoire Des Libertines (68) : Anaïs Nin, Amoureuse Passionnée

Anaïs Nin (1903-1977) est une écrivaine américaine. Son nom évoque comme une odeur de soufre. Diariste admirée, épistolière exaltée, femme « d'aventures », elle a bravé tous les interdits (étant respectueuse de la charte d’HDS, je n’évoquerai pas ici le plus tabou de ces interdits). Elle a passé sa vie à vivre la sexualité qu’elle souhaitait, et pas celle que la société lui imposait.

Anaïs Nin est aujourd’hui connue pour ses romans érotiques, et surtout pour son journal. Elle y raconte sa vie, celle d’une artiste, mais aussi celle d’une femme qui vit sa sexualité comme elle l’entend. Elle a beaucoup d’amants malgré son mariage. Sa vie est pleine de plaisirs charnels, à une époque où le droit à l’orgasme était nié aux femmes.

Sa vie fut une course au plaisir, une chasse au bonheur, marquée par sa passion incandescente pour le romancier américain Henry Miller (1891-1980).

Ravissante, intelligente, drôle et ouverte d’esprit, Anaïs Nin ensorcelle tous ceux qui la croisent ou qui la lisent. Mais à quoi tient donc ce magnétisme qui l’entoure? Est-ce cet esprit aiguisé, cette grâce de danseuse ou encore ce visage qui envoûte tant? Cette femme est une mosaïque que même ses journaux intimes n’arrivent pas à dévoiler entièrement. Une mosaïque, en effet, puisque d’origines, de langues (elle écrira d’abord en français, puis en anglais), d’hommes (ils seront plusieurs à traverser sa vie, amants et maris confondus) et de terres (elle vivra en France, en Espagne et aux États-Unis) multiples.

LES DEBUTS

Anaïs Nin est la fille d’un compositeur et pianiste cubain d'origine catalane, et d’une chanteuse d'origine franco-danoise. Après la séparation de ses parents en 1914, la mère d'Anaïs part alors pour New York avec sa fille et ses deux fils.

À quatorze ans, Anaïs Nin quitte l'école et commence à travailler comme mannequin. En 1923, elle épouse Hugh Parker Guiler dit « Ian Hugo ». Le sexe la rebute.

En un an de mariage, le couple ne fait pas l’amour. Elle découvre sa sensualité avec un professeur de flamenco, puis avec un ami de son mari.

Au début des années 30, le couple s’installe à Louveciennes. À l’automne 1931, par l’intermédiaire de l’avocat Richard Osborn, Henry Miller est invité à déjeuner chez Anaïs et Hugh Guiler, à Louveciennes. Anaïs a vingt huit ans, Henry quarante. Il est déjà auréolé de sa légende d'écrivain pornographe et jouisseur. Cette rencontre marque le début d’une grande amitié littéraire, et d’une liaison passionnée.

Anaïs ne sera pas la muse de Miller, mais une écrivaine à part entière : sous l’influence de Miller, Nin se lance dans l'écriture, sa première œuvre est un livre sur D. H. Lawrence. Elle explore également le domaine de la psychanalyse, étudiant notamment avec Otto Rank, un disciple de Sigmund Freud.

UNE VIE PRIVEE TUMULTUEUSE QUI FIT SCANDALE

Mariée à l’âge de 20 ans à Hugh Guiler, jeune banquier protestant new-yorkais, elle mènera de véritables vies parallèles avec Henry Miller, Gonzalo Moré, l’artiste péruvien et révolutionnaire communiste, et enfin l’acteur Rupert Pole (1919-2006), qu’elle épousa en 1955, alors qu’elle était toujours mariée à Guiler!

Elle met un terme à l’accumulation de ses histoires quand elle rencontre Rupert Pole, lors d’une garden party aux États-Unis en 1947. Lui a dix-sept ans de moins qu’elle. «La première fois qu’elle le voit, elle est électrifiée par lui, raconte Paul Herron. Il pouvait lui donner du plaisir comme personne d’autre. Quand elle l’a rencontré, son attirance pour les autres s’est éteinte, elle n’en avait plus besoin, parce qu’elle avait Rupert.»

Sans dire un mot, elle se partage entre la côte Est, auprès d’Hugo, et la côte Ouest, auprès de Rupert. S’il ne comprend pas tout de la complexité de Nin, Rupert la fascine, sans qu’elle sache l’expliquer. Ce n’est qu’à la fin de sa vie, déjà atteinte par le cancer, qu’elle avoue tout aux deux hommes de sa vie, pour finir ses jours auprès de Rupert.


Anais Nin compte également de nombreux amants de passage, parmi lesquels on peut citer :

• Deux de ses psychanalystes, René Allendy (1900-1942) et Otto Rank (1884-1939),

• Les écrivains Waldo Frank (1889-1967), Antonin Artaud (1896-1948), Edmund Wilson (1895-1972) et Lawrence Durell (1912-1990)

• Les romanciers Gore Vidal (1925-2012) et James Agee (1909-1955)

• Le poète Robert Duncan (1919-1988)

• L’artiste japonais Isamu Noguchi (1904-1988)

Elle multiplie les expériences pour mieux les décrypter dans son journal. Il n’est pas rare que dans la même journée elle se donne à Miller, s’offre à son mari, couche avec son analyste.

«Mais ce n’est pas de la nymphomanie», tient à préciser Béatrice Commengé, sa traductrice. Sophie Taam confirme: pour Nin, «le sexe pour le sexe, ça ne l’intéressait pas, elle voulait des aventures, des vraies relations avec des sentiments, même si c’était avec beaucoup d’hommes, et beaucoup d’hommes en même temps». Nin se nourrit de passion. Cette femme dépend de l’amour des hommes, de la passion qu’ils lui procurent. Quand elle se lasse, elle part. Et enchaîne.

BISEXUELLE

Bisexuelle, elle aura une liaison avec la femme de Henry Miller, June (1902-1978) puis avec l’épouse de Gonzalo Moré, la danseuse inca Helba Huara (1900-1986).

En décembre 1932, la femme de Miller, June, vient à Louveciennes. Anaïs, subjuguée, découvre une femme nerveuse, fantastique, comme enfiévrée. Sa beauté m’a inondée, écrit-elle dans son journal. Pendant le séjour de quatre semaines de June à Paris, les deux femmes se font une cour étrange et trouble, qui ira jusqu’à une relation sexuelle. Qui d’Anaïs ou de June a séduit l’autre ? Quoi qu’il en soit, le charme opère. D’abord amusé par cette relation, Henry partage leurs jeux érotiques et leurs fréquentations de lieux glauques. Cette relation triangulaire nourrit leur œuvre littéraire et va durer jusqu’à la fin de 1933.


En décembre 1935, Anaïs rencontre au cabaret « Le Monocle », à Paris, Frede, une lesbienne affichée dont nous avons déjà parlé au sujet de Marlène Dietrich (voir « Histoire des libertines (67) : Femmes libres d’Hollywood : 4) Marlène Dietrich, ange ou scandaleuse ? », texte publié le 7 octobre 2020), avec laquelle Frede eut une longue liaison à partir de 1936.

DES JOURNAUX INTIMES SULFUREUX

Dans son journal et ses nouvelles, Anaïs Nin revient toujours sur les mêmes thèmes: le droit de la femme à avoir la sexualité qu’elle veut, à se frayer un accès jusqu’au plaisir, la bisexualité, voire l’e.

Anais Nin aura écrit, en soixante ans, plus de 45 000 pages relatant ses aventures, ses expériences et ses réflexions. Son journal, c’est sa vie tout entière couchée sur papier, une vie qui, bien souvent, s’avère mille fois plus trépidante qu’un roman.

Ses journaux, publiés en sept tomes sur plus d’une dizaine d’années, sortent d’abord dans une version expurgée, selon son souhait, pour ne pas causer de tort ni à son mari encore vivant, Hugh Guiler, ni à ses amants. Il faut lire entre les lignes pour le comprendre.

Au départ, à l'âge de onze ans, cette pratique d'écriture intime prend la forme d'une lettre adressée à son père qui a abandonné la famille. Par la suite, elle tient son journal de façon assidue jusqu'à sa mort. La seconde publication se présente comme le Journal authentique, le plus proche de la vérité des faits. Ces écrits transcrivent avec brio ses rencontres amoureuses, artistiques ou analytiques.

Son « journal de l’amour (1903-1977) » est le complice des « mensonges héroïques » d’Anaïs Nin, destinés à ne pas blesser son entourage. La version non expurgée est parue en 1979 après la mort de son auteur : « Je ne suis pas un écrivain ni une artiste, je suis une diariste [...]. Le journal : mon œuvre principale. Post mortem. » En effet, si Anaïs Nin a écrit un nombre considérable de romans, elle doit sa notoriété à la publication de ses journaux intimes qui s’étalent sur plusieurs décennies et offrent une vision troublante de sa vie privée et de ses relations avec des artistes aussi célèbres que Henry Miller ou Antonin Artaud.


Parce qu’elle souhaite comprendre ses désirs, mais aussi les autres, Anaïs, sans aucune malice ou mauvaise intention, se livre au jeu de la séduction, transgresse les limites et s’engage dans des aventures avec plusieurs personnes, hommes et femmes, dont son père et son cousin, ses psychanalystes et plusieurs artistes aujourd’hui internationalement reconnus.

Son astuce pour préserver sa vie rangée avec Hugo, son mari qui lit à l’occasion ses écrits, consistait à tenir deux sortes de journaux : ceux de sa vie ordonnée dans certains cahiers, et ceux de sa vie « débridée », libérée, dans d’autres. Pour le lecteur, les deux se complètent dans un jeu de miroirs impressionnant, montrant à quel point cette fine stratège était maître non pas de sa vie, mais de ses vies. Hugo n’en sut-il jamais rien ? Elle prit soin de conserver dans les coffres-forts blindés d’une banque américaine les précieux volumes de son journal et ne les publia qu’à la suite de la mort de son mari et après y avoir changé le nom de certaines autres personnes dont elle fut la maîtresse.

Une question se pose : son journal est-il véridique? Comment départir le vrai du faux si, parfois, s’y glissent ici et là des indices qui pourraient nous faire douter : « Quand les autres me demandaient la vérité, j’étais convaincue que ce n’était pas la vérité qu’ils voulaient, mais une illusion avec laquelle ils pourraient supporter de vivre. J’étais persuadée de leur besoin d’illusion », écrit-elle dans Journal (1931-1934). Et encore, « Devant une lettre ou mon journal, j’ai le désir d’être honnête, mais peut-être qu’au bout du compte je suis la plus grande menteuse de tous, […] à cause de cette apparence de sincérité » (Henry et June : Les cahiers secrets). Le mystère reste entier !

PREMIERE FEMME AUTEURE EROTIQUE

Anaïs Nin est également appréciée pour ses œuvres érotiques. Avant elle, très peu de femmes s'étaient lancées dans ce champ de la littérature. Nin, confrontée dans les années 1940 à d'importants problèmes financiers, rédige les nouvelles du « Delta of Venus » pour un dollar la page et qui sera publié sous le titre de « Vénus érotica ». Son écriture, jugée scandaleusement explicite pour son époque, met un accent particulier sur la bisexualité féminine.

HENRY MILLER, SA GRANDE PASSION

Au cours d’une passion charnelle vouée à tous les excès, Henry Miller va être son initiateur. La relation d'Anaïs Nin et Henry Miller passe pour la plus torride des rencontres d'écrivains. Le couple, il est vrai, réunit deux formidables briseurs de tabous, volontiers provocateurs et précurseurs de tous les mouvements de libération sexuelle. Le 8 mars 1932, la jeune femme de 28 ans, frêle et délicate mais avide de jouissance, va finir par se donner à l’écrivain américain solide et obstiné de 40 ans.

Miller a éveillé en elle la femme, et donné à l’écrivain sa pleine mesure. « Je suis physiquement obsédée par Henry… Je lui appartiens par un lien vital, brûlant, créateur et intellectuel. » Ensemble, ils lisent, écrivent. Anaïs s’enivre de sexualité, Henry aime sa fringale de libération, sa force et sa gaîté.

En 1934, Anaïs elle apprend qu’elle attend un . De qui est-il ? Peu importe, sa décision est prise. Elle se fera avorter. Au bébé, les deux amants préfèrent Lawrence Durrel, jeune écrivain anglais que désormais ils encouragent et entretiennent grâce à Hugo qui continue à gâter sa femme. Miller aborde parfois la question du mariage. Pas question de divorce pour Anaïs qui apprécie son confort bourgeois. En outre elle a besoin de l’argent de son mari. Elle paie le loyer de Miller, le nourrit souvent, et l’habille. Être entretenu par sa maîtresse ne dérange nullement Miller !

L'histoire de leur liaison est connue à travers une célèbre correspondance. La dimension mystique et affolante de la fougue dont témoignent leurs échanges les place parmi les plus célèbres amants écrivains. On y retrouve la révélation érotique de leurs étreintes, les déchirements et les triangulations à l'égard des conjoints respectifs. Mais les lettres font aussi état de leur inépuisable complicité intellectuelle. Rêvant d'encourager le génie de Henry Miller, Anaïs Nin finance la publication de « Tropique du Cancer » en 1934. Envoûtée, elle écrit dans son Journal qu'elle aime l'attendre, lui faire la cuisine, le recevoir en elle, le voir partir. « Henry a le pouvoir de baiser, de dériver, de blasphémer, d'élargir le monde, de communiquer la vie, de détruire et de faire souffrir. C'est le démon que j'admire en lui. ».

Leur passion, placée sous le signe de l’amoralité libertaire et de la vitalité animale, dure neuf ans. Leur amitié littéraire, toute la vie. Anaïs finira par ouvrir les yeux sur des aspects peu reluisants d’Henry, que la passion lui avait cachés : son égoïsme forcené, sa vulgarité, ses obsessions sexuelles. Le 12 juillet 1941, Anaïs et Henry décident de mettre fin à leur liaison. Amitié et soutien demeurent. Un lien basé sur l’admiration réciproque de leur œuvre qui va durer toute leur vie.

LA BOITE A MENSONGES

Comme elle l’écrit dans son journal : « La seule personne à laquelle je ne mente pas est mon journal. Et même à lui, par tendresse, il m’arrive quelque fois de mentir par omission. »

Le 14 mai 1933, jour où son mari a failli les surprendre au lit avec Henry Miller, alors même que l’amant se rhabille dans la chambre d’invités, elle trouve l’aplomb de tenir tête à Hugh et lui déclare : « Henry est venu me voir hier, et comme c’était le soir de congé d’Émilia, j’avais peur de rester seule et il a dormi ici. » Puis elle enchaîne et se noie dans un flot de paroles. Anaïs sait faire cela, sa voix est tour à tour calme, enjouée, rassurante. Dans un dernier effort de vérité, son mari s’agrippe. « J’ai cru entendre Henry sortir précipitamment de ta chambre. » Mais elle comprend la situation avec une acuité et une clairvoyance extrêmes, sait que Henry est sauf, que Hugo ne demande qu’à la croire, alors elle ose. « Quelle imagination tu as ! Crois-tu que si je devais te tromper, je le ferais de manière aussi flagrante ? »

Le mensonge est une nécessité qu’elle assume. Anaïs Nin connaît la nature humaine, mais surtout se connaît elle-même. « J’ai recours à des demi-mensonges : ce sont ceux qui marchent le mieux, parce qu’ils écartent les soupçons [...]. La conviction qu’aucun de mes mensonges ne peut faire de mal me procure un sentiment de sécurité et d’innocence qui resplendit sur mon visage. »

Pour cacher à son mari ses aventures extraconjugales, Anaïs fait la distinction entre deux journaux : un pour les faits « réels » et un pour les faits « imaginaires ». Ainsi, lorsque son mari tombe sur un passage où il est question d’une visite à l’hôtel avec Henry Miller en septembre 1933, Anaïs soutient à Hugh qu’il est tombé sur son « faux » journal, celui de la femme écrivain et de ses fantasmes. Elle lui propose alors de lire le « vrai », qu’elle rédige le soir même en cachette !

Mais elle va plus loin encore : pour gérer ses multiples doubles vies, elle met au point un système de fiches classées, qu’elle nomme sa « lie box » (boîte à mensonges), qui ne la quitte pas et où elle consigne les différentes histoires racontées aux différentes personnes, pour ne pas les confondre et ne pas être confondue. Et en comparant la version de 1966, date de la première publication du journal, expurgé par Anaïs Nin elle-même, et celle de 1979, on comprend à quel point cette femme a passé sa vie à jongler entre mensonge et vérité. « Tandis que nous roulions à bicyclette, Henry avait dans sa poche des lettres d’amour passionnées de Hugo. Et il a lui-même posté mes lettres d’amour à père. »

Si elle semble en rire parfois, pour le côté rocambolesque, il lui arrive aussi d’en souffrir, comme ce 23 juin 1933, où elle écrit : « Je n’ai jamais autant détesté mes mensonges. J’étais prisonnière de toutes mes tromperies à la fois. Je ne voulais pas que père sache que j’étais capable de retrouver Henry après neuf jours passés avec lui. Et je ne voulais pas que Henry sache que je ne voulais pas le rejoindre. »

PROFONDEMENT AMORALE

Dans son journal, Ana écrit « Parce que je vis tellement avec la phrase de Rabelais : “Fay ce que vouldras.” Parce que je me sens tellement libre. Sans esprit critique. Amorale. (...) Parce que comme Rank l’a dit avec tant de sagesse, il y a une différence entre se priver et renoncer ! »

En mars 1933, après quatre jours de joie passés dans les bras de son amant Henry Miller, Anaïs apparaît dans toute la gloire d’une femme adultère sans scrupule. « Ma seule religion, ma seule philosophie, mon seul dogme, c’est l’amour. Tout le reste, je suis capable de le trahir si la passion me transporte vers un monde nouveau. »

Il est très rare de croiser dans la vie – et encore plus dans la littérature – une femme qui soit à ce point libre en pensée et en action. Pas étonnant que les féministes aient un temps voulu récupérer Anaïs sous leurs daux, mais comment concilier les thèses de ces dernières avec celle qui déclara à son amant que « les femmes sont fondamentalement des putains, elles veulent être traitées comme des putains » ? Libre et amorale.

À ceux qui la traitent d’infidèle, elle rétorque : « Cela ne m’est encore jamais arrivé de me donner à un homme que je n’aime pas. J’ai toujours été fidèle à l’amour. » Et elle ne voulait sacrifier personne. « Je ne serai jamais capable de fuir mes sentiments, mes sentiments qui me disent que la vie n’est pas liberté, mais amour, et que l’amour est esclavage, et qu’aucun épanouissement n’aurait de valeur s’il fallait lui sacrifier trois ou quatre personnes. » S’il s’agit là d’une morale personnelle, elle n’en guide pas moins ses actions avec bonté. « Ma morale existe seulement lorsque je suis confrontée à la peine de quelqu’un. » Et c’est alors qu’elle décide, pour protéger ceux qu’elle aime, car elle les aime tous, d’une manière « surabondante, surattentionnée, suréloquente, surhumaine », de mentir.

Femme de passion, son but ultime est de s’épanouir à chaque instant. Et pour ce faire, elle n’aura d’autre choix que de laisser libre cours à ses pulsions qui la mèneront au plus profond d’elle-même, là où selon elle se trouve la source de toute création. Elle a besoin de se sentir vivante, de se sentir « pleine », comme elle l’écrivit si souvent. Ainsi, tel un allié qui la ramène dans le droit chemin, qui lui permet de reposer un moment son esprit tourmenté sur son épaule ou d’élaborer réflexions, notes ou portraits, son journal est une œuvre majestueuse dont la force réside dans l’écriture fine, adroite, sensuelle aussi bien que dans le contenu : la libération des désirs de la femme écrite noir sur blanc.

SA MOTIVATION : L’AMOUR

Tous ces mensonges n’ont de sens que si l’on comprend combien Anaïs Nin aimait l’amour.

Les plus belles pages de son journal sont dédiées à la description du sentiment amoureux. « Je n’arrive plus à penser ni à parler. Oh ! Mon Dieu, je ne connais pas de plus grande joie que cet instant où l’on se jette dans un nouvel amour, je ne connais pas d’extase comparable à celle d’un amour nouveau. Je danse dans le ciel ; je flotte ; mon corps est rempli de fleurs, de fleurs pourvues de doigts qui me font des caresses si subtiles, des étincelles, des joyaux, des tremblements de joie, et un étourdissement, un tel étourdissement. Une musique à l’intérieur de moi, une ivresse. Rien qu’en fermant les yeux et en me souvenant... »

Et chaque fois, elle tombe. Chaque fois, elle cède avec délice et laisse son cœur s’embraser. « J’ai trouvé l’amour – j’ai trouvé l’amour, l’amour, l’amour partagé ! Je suis bénie, je suis gratifiée, gratifiée d’une extase nouvelle, d’une nouvelle forme d’amour, d’un homme nouveau, d’un monde nouveau. »

Toute sa vie n’est que dans la démesure, elle est l’esclave des palpitations de son corps et s’en réjouit sans jamais culpabiliser. « Au diable, au diable l’équilibre ! Je casse les verres; je veux brûler, même si je dois me détruire [...]. J’aime l’extravagance, la chaleur..., la sexualité qui fait sauter le thermomètre ! »

Quant à la sexualité, elle sait la vivre et l’écrire. L’érotisme est plus qu’un moteur pour son écriture, à une époque où aucune femme écrivain n’avait osé se lancer dans ce champ de la littérature. « Henry me touche ; la vie est une poursuite de ses caresses. Il laisse l’empreinte de sa chair sur ma peau, dans mon ventre, et pendant des jours, je ne sens que mes jambes. Rien dans la tête... le monde entre les jambes... le monde sombre, humide, vivant. »

Anaïs sait être amoureuse et suscite les passions les plus poétiques. Otto Rank lui confie un jour sur l’oreiller : « Avec toi, on s’éloigne tellement de la réalité qu’il est presque nécessaire d’acheter un billet de retour. »

Mais chez des êtres moins stables que ce psychanalyste, elle déclenche des sentiments ravageurs. Ainsi, les pages consacrées à son aventure avec Artaud sont un modèle en la matière. Leur première nuit est un échec, il ne parvient pas à lui faire l’amour. Il lui avoue qu’il prend trop d’opium, mais ne peut masquer son humiliation. Dur, froid, brutal, il lui somme de ficher le camp. Elle ne cède pas à cette violence et trouve les mots pour apaiser l’homme nu « si malade et si impuissant ».

LE DROIT AU PLAISIR

Anaïs Nin est découverte alors que les mouvements de libération de la femme ont déjà débuté, mais elle marque les esprits grâce à son audace, exprimée entre les années 1920 et 1950, période où une femme devait se battre pour avoir accès à sa sexualité. «Elle a été la première à parler du droit de la femme au plaisir», se souvient sa biographe Tristine Rainer.

«On attribue toujours le côté Don Juan à l’homme, et la femme est celle qui veut s’accrocher, se marier, déplore Sophie Taam. Anaïs Nin a montré que si on va chercher dans leur vraie nature, les femmes sont autant en demande d’érotisme, de liberté physique et émotionnelle que les hommes.»

Anaïs Nin disait « Une vie ordinaire ne m’intéresse pas ».

Il y a évidemment chez Anaïs Nin des aspects qui dérangent profondément : son amoralité, ses mensonges envers un mari qui l’entretient et, à travers elle, entretient son amant Henry Miller, son passage à l’acte dans l’accomplissement du tabou absolu.

Et pourtant, comment ne pas signaler ce qu’elle représente, première femme à revendiquer son droit au plaisir, à défendre l’idée que le donjuanisme n’est pas réservé aux hommes ? En saluant son audace, comment ne pas être fascinée par ses œuvres érotiques et autobiographiques, où elle décrit avec tant de puissance le plaisir féminin ?

PARMI LES SOURCES :

Je signale une bande dessinée très récente de Léonie Bischoff : « Anaïs Nin sur la mer des mensonges » (Casterman, 2020)

Dans les ouvrages qui lui sont consacrées, je mentionnerai celui de Sophie Taam : « Anaïs Nin, genèse et jeunesse » (Chèvre feuille étoilé, 2014)

Outre l’article Wikipédia dont je me suis inspirée, je renvoie aux liens suivants sur le net :

• Anaïs Nin et la psychanalyse : https://www.cairn.info/revue-cliniques-mediterraneennes-2009-2-page-127.htm#

• https://revue.leslibraires.ca/articles/litterature-etrangere/anais-nin-berceuse-d-illusions/

• http://www.slate.fr/story/164849/anais-nin-liberation-individuelle-par-sexe-droit-femme-plaisir-ecrivaine-libre

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