Rédemption

Après quelques histoires où l’humour prédominait, on attaque un autre genre : le mélo. Rien à voir. Mais j’aime tellement ces portraits de femmes déchirées.
Cette histoire s’appelle « Rédemption ».

On y va, vous allez voir, ça va bien se passer.


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- Dis-moi Carole, comment on s’organise ?

Paul, mon mari me fait face dans la cuisine au petit déjeuner :

- Comment on s’organise pour quoi ?
- Pour le divorce …
- Le divorce ? Comment ça ? Qui divorce ?

Il me tend une enveloppe kraft. Elle contient une série de photos A4.

Moi avec mon amant dans des poses ne laissant place à aucune mauvaise interprétation.
Moi en train de lui faire une fellation. Pas de doute, on reconnait bien mon visage, même de profil. En missionnaire, en levrette, puis sur les dernières, manifestement il me sodomise :

- Mais …
- Oui ?
- Je ne …
- Tu ne ?
- …
- Alors comment on s’organise ? Tu prends tous les torts pour toi, et on va vite ? Ou une procédure plus longue ?
- Mais non, c’est ridicule, on ne va pas …
- Oui, je te rejoins sur le côté ridicule de la chose. Ridicule et sordide d’ailleurs.
- Mais, chéri, non, je t’aime …
- Tu m’aimes ? Ces photos le prouvent en effet !
- …

J’aurais préféré des cris, un scandale, une scène. Là, la froideur de Paul, sa détermination m’ont tout de suite fait comprendre que la cause était entendue. Sa décision était irrémédiable, je le voyais dans son regard, fixé sur moi. Un regard de glace. Il n’y aurait pas de retour en arrière, pas d’explication.

Un petit retour en arrière s’impose pourtant. Oui, j’ai cédé à ce beau parleur. Il me baise deux fois par semaine depuis deux mois dans des chambres d’hôtel.

Oui, je sais, tout comme me l’a dit Paul, et avec le recul, c’est sordide. Et encore, sordide, le mot est faible.

Comment mon mari l’a découvert ? Je n’en sais rien, mais les faits sont là. Et ces photos ? Il a engagé un détective, il m’a suivie ? J’ai été dénoncée ? Une lettre anonyme ? Peu importe, là n’est pas l’important. J’ai dû commettre une erreur à un moment donné, le mensonge de trop, il a eu des doutes. Les doutes se sont transformés en certitudes, puis en preuves accablantes. Moi sur ces photos, quelle honte. Je le comprends complètement. Mon adultère n’est plus virtuel pour lui. Il m’a vue. Il sait de quoi j’ai été capable. Ce que j’ai fait. Ce ne sont plus des mots.

Oh ce n’est pas le premier. Il y en a eu d’autres avant, plus ou moins longtemps. Deux autres pour être précise. Pour moi, tout ça n’était pas sérieux. Il n‘y a aucun amour là- dedans.

Comment lui expliquer ça ?

- Chéri ... je peux tout t’expliquer.
- Non, je n’en ai rien à foutre de tes explications. Tu me dégoutes au plus haut point. Et il n’y a plus de « Chéri ». Épargne-moi ça. Comment as-tu pu ? Qui est ce connard ? Et puis non, je ne veux même pas le savoir, ça ne m’intéresse pas. Ça ne m’intéresse plus.

Un silence s’est installé. J’y ai cru à cette fameuse explication, après ce début d’énervement de la part de Paul. Mais il s’est repris très vite et son regard est à nouveau redevenu glacial.

Je ne sais plus quoi dire. J’ai honte bien sûr, je regrette cet écart de plus. Comme j’ai regretté les précédents à chaque fois. La différence avec les précédents, c’est que Paul sait cette fois. Pourquoi je replonge à chaque fois ? Trois amants en vingt ans, ça peut paraître peu, ou beaucoup, c’est selon. Beaucoup trop même, c’est ce que j’étais en train de me dire, trois de trop.

- Je veux juste savoir comment on s’organise …


Voilà comment ça s’est passé. C’était il y a un an.
Nous avons divorcé. Tous les torts ont été pour moi. Les preuves étaient accablantes. Je n’ai pas cherché à minimiser quoi que ce soit.

Maintenant, je suis seule.

Oui, je l’ai trompé. Pour moi ce n'était pas sérieux. Pas grave, je me disais même sur le moment. Pour lui ça l’a été. Et je peux le comprendre. ment et c’est normal. Je me suis demandée comment j’aurais pris le fait que lui me trompe. Mal surement, ça manque de crédibilité, mais je l’aurais mal pris.

Que dire de plus ? Que je regrette ? Bien évidemment. Et une fois qu’on a dit ça ?

J’ai toujours eu ce besoin de séduire, de capter l’attention autour de moi. Ça c’est toujours arrêté là. L’intérêt des autres me suffisait. Puis la peur de la quarantaine m’a rattrapée. Je craignais qu’on ne me regarde plus. J’ai passé le cap à peu près à cet âge-là.

Ne plus plaire me foutait la frousse.

Pourtant mon mari me montrait tous les jours que pour lui, rien n’avait changé, qu’il m’aimait toujours autant, que je lui plaisais toujours. Je le savais, je m’en rendais compte au quotidien. Ça ne me suffisait pas.

Bien sûr, ce n’était plus les folles étreintes de nos débuts. Nos rapports ont évolué, vers plus de douceur, mais finalement vers plus de complicité aussi.

C’est à 39 ans que j’ai eu ma première expérience extraconjugale. Lors d’un séminaire professionnel de trois jours, j’ai cédé à un collègue le dernier soir. C’était, comment dire ? Différent. Mieux ? Non. Plus de plaisir ? Non plus … C’était juste différent. Braver l’interdit, être rassurée sur mon pouvoir de séduction. Plaire. Baiser, au lieu de faire l’amour. Tout ça était nouveau pour moi.

Il y en a eu un autre un an plus tard que j’ai revu trois fois. L’envie de goûter à nouveau à l’interdit, au frisson que m’avait procuré mon premier écart. Physiquement ? Pas mieux, juste ce fameux frisson.

Et puis mon dernier amant que je voyais depuis deux mois.
Toujours ce même sentiment de transgresser les règles, mais d’absence de gravité. Toujours ce plaisir plus cérébral qu’autre chose. C’est un peu l’escalade, le premier, une seule fois, trois fois avec le suivant et une relation suivie avec le dernier. Toujours pas d’amour, que du sexe. Avec lui, je me suis lâchée sur mes pratiques. Il m’a sodomisée, il a éjaculé au fond de ma gorge, sur mon visage même. Tout ce que je trouvais dégradant avant. Ça faisait partie du délire. Le plaisir de faire des choses sales, d’être une … salope … moi la mère de famille, l’épouse aimante. C’est aussi et surtout revendiquer que je n’aimais pas ce type, qu’il n’y avait aucun sentiment entre nous. Je me rassurais ainsi. Je me trouvais des excuses aussi. Je jouais mon rôle d’épouse infidèle à fond. Quitte à le faire, autant le faire complètement. Aller au bout des choses. C’est ce que je me disais. Quel cliché. Autre cliché, le sexe de mon amant. Il était plus que conséquent. Plus gros que celui de mon mari. Ça ne m’a apporté aucun plaisir en plus. On n’arrête pas de vous le dire, la taille n’a rien à voir avec le plaisir féminin ! C’est physiologique ! Un gros cliché. C’est juste dans la tête cette histoire. Dans la tête des femmes sûrement, mais surtout dans la tête des hommes. Mais ce cliché supplémentaire cadrait bien avec le reste, et en ajoutait encore à cette relation de pacotille.

Pourtant, je l’aimais mon mari. Je l’aime toujours, même après plus d’un an de séparation. C’est certain, aucun doute là-dessus. Il me manque tellement aujourd’hui. Il était mon équilibre, celui sur lequel je m’appuyais. Je m’en suis aperçue trop tard. Après …

Aussitôt après mes coucheries à l'hôtel, je regrettais amèrement ce que je venais de faire. J’avais honte. Honte de moi, honte de tromper mon mari. J’étais tout juste aimable avec mon amant, avant de m’enfermer dans la salle de bain pour nettoyer mon corps. Je partais sans un mot. Je trainais avant de rentrer pour me vider l’esprit.
En quelque sorte, me nettoyer moralement comme j’avais nettoyé mon corps sous la douche juste avant.

Pourtant, j’y retournais à chaque fois. Même si depuis deux semaines, j’avais la ferme intention d’arrêter tout ça. J’avais fait le tour des choses. Le plaisir que j’y prenais était amoindri, éclipsé même par le mal être provoqué par mes écarts. Ce côté « salope », ce n’était pas moi. Oui, je voulais plaire, c’est au plus profond de moi ça. Seulement le chemin emprunté n’était pas le bon. Ou bien, je me suis perdue en cours de route. Peut-être une relation plus conventionnelle ? Même pas. Je n’en avais plus envie.

Cette décision de tout arrêter est arrivée trop tard.

Pour quelques séances de baise, j’ai foutu en l’air vingt ans de mariage et très honnêtement, vingt ans de bonheur.

Quelle conne je suis …

Mes deux s, ados, m’en veulent également. Même si j’ai la garde alternée, ils ont bien compris pourquoi leurs parents avaient divorcé. Ils me le font bien sentir, surtout Julia, ma fille de quatorze ans, qui a très mal pris ce divorce. Elle s’est mise en opposition par rapport à moi. Lucas, mon fils de seize ans, plutôt du genre à intérioriser, a souffert également.

Pour ça aussi, je m’en veux. J’ai fait souffrir mon mari, je fais souffrir mes s.

Oh Paul a été très bien, jamais il ne m’a accablée auprès d’eux. J’ai même surpris, juste avant le divorce, une conversation où il recadrait les s, leur disant que nous divorcions certes, mais que c’était juste un problème d’adultes.

Depuis le jour de cet échange au petit déjeuner, je suis sous antidépresseurs. Je survis. Je tente au moins de reconquérir mes s. Je fais bonne figure, enfin la meilleure figure possible. Et je pense à Paul tous les jours. J’aimerai tant qu’il me pardonne.

Le pire, c’est que nous n’avons pas pu avoir de véritable échange. Il n’a rien voulu entendre. Mes explications ne l’intéressaient pas. Les photos qu’il avait devant les yeux lui suffisaient. Il n’a jamais voulu savoir, qui, depuis quand, et surtout pourquoi. Il s’est juste refermé, refusant mon contact, rejetant mes tentatives. Je le dégoutais, je le voyais dans son regard. Il voulait juste en finir le plus vite possible.

De mon côté, c’est la déprime, les cachets qui vont avec, le sentiment de grande solitude. Je n’avais pas l’envie de voir quelqu’un d’autre. Je crois que je n'aurais pas pu faire l’amour avec qui que ce soit. Je n’avais pas non plus l’occasion de le faire. Je ne sortais pas, je ne voyais personne. A part aller travailler et m’occuper du mieux possible des s lorsqu’ils étaient là, je ne faisais rien. Je n’avais plus de vie sociale. J’ai coupé, à cette époque, les ponts avec mes connaissances. Les amis, pour la plupart, étaient des amis communs. Après un divorce, les liens ont tendance à se distendre. Je voyais mes parents, une amie d’enfance et c’est tout.

C’est après une énième scène que m’a faite ma fille, pour un motif tout ce qu’il y a de futile, que j’ai décidé de réagir. Elle venait de me lâcher à la figure « De toute façon, tu as foutu en l’air notre famille, je ne te pardonnerais jamais ».

J’ai voulu reconquérir Paul. J’étais consciente que c’était quasiment impossible. Je lui avais fait trop de mal. On n’efface pas une trahison. Pour lui, c’est bien ça. Je voulais au moins lui parler. Il fallait qu’il sache. Peut-être qu’il ne comprendra pas, peut-être qu’il ne me pardonnera pas, mais je devais crever l’abcès. Lui dire mes regrets, mes remords. Lui dire que je n’ai aimé que lui, que je l’aime toujours, que lui. Lui parler de mon mal-être, du dégoût que j’ai de moi-même.

Une année s’étant passée, peut-être que ses sentiments se sont atténués. Peut-être …

Nous échangeons bien sûr, au moins pour l’éducation des s et pour la gestion de la garde partagée. Cela se fait toujours par téléphone. Nous ne nous sommes jamais revus physiquement. Sa voix au téléphone est neutre. Jamais un mot plus haut que l’autre, jamais un reproche, juste de la distance, de la froideur même.

C’est lui qui m’a appelé la semaine suivante, le jeudi pour être précise.

Il devait récupérer les s le vendredi soir pour le week-end et la semaine suivante.

- Carole ? Bonjour, c’est moi …
- Bonjour Paul.
- Je ne pourrai pas prendre les s à 18 heures demain soir, j’ai un empêchement, je ne pourrai les prendre que vers 20 heures.
- Ce n’est pas grave. Par contre, pourras-tu monter les chercher. J’ai des documents à te faire signer pour le collège de Julia ?
- Quels documents ?
- Pour le voyage scolaire le mois prochain, il faut l’autorisation des deux parents.
- Non, je préfère que tu lui donnes, je les signerai tranquillement ce week-end, Julia te les ramènera la semaine prochaine, ou les ramènera directement au collège.

Manifestement, il faisait tout pour ne pas me voir. La plaie n’était toujours pas cicatrisée.

- C’est que nous sommes justes en termes de délais. Julia a tardé à les donner. Si tu les signes demain, je peux les déposer samedi matin au collège, j’ai rendez-vous avec sa prof principale.
- Un problème avec le collège de Julia ?
- Non, rien d’important. Sa prof souhaite juste voir les parents, enfin un des parents, une fois par semestre. Tu veux venir avec moi ?
- Non, mais tu aurais pu m’en parler …
- T’en parler ? Mais on ne se parle plus !
- Pour les s, je suis prêt à t’écouter …
- Écoute, Paul, viens me voir demain. Il s’est passé ce qu’il s’est passé. Notre divorce ne doit pas déboucher sur une guerre.
- …
- On peut échanger tous les deux, tu ne crois pas ? Je peux comprendre que tu souhaites avoir le moins de contacts possible avec moi …
- Ce n’est pas une guerre …
- Une guerre ouverte, non, mais une guerre froide si !
- Tu étais mon âme sœur, on n’accepte pas la trahison de son âme sœur, c’est définitif !
- Tu sais Paul, je me suis souvent posé la question de savoir comment j’aurais réagi à ta place.
- Tu n’es pas à ma place.
- Non, mais je peux te dire que j’aurais sûrement eu la même réaction que toi. Oui je sais, je peux paraître gonflée de dire ça. Mais je mesure complètement la portée de mes actes. Je le regrette chaque jour. J’étais dans un engrenage. Il n’y avait aucun amour. Tu parlais d’âme sœur tout à l’heure. Tu étais mon âme sœur aussi. Peut-être que je ne te l’ai pas assez dit à ce moment-là. C’est surtout que je ne m’en apercevais plus. Mais je peux te dire une chose Paul, tu es toujours mon âme sœur. Et crois-moi c’est terrible de vivre sans son âme sœur, douloureux.
- Je sais.
- Tu m’aimes encore ?
- Je n’ai pas dit ça, je passerai signer tes papiers vendredi soir, mais n’attends rien d’autre de moi. A vendredi.
- La fin d’un mariage n’est pas une fatalité. D’une simple signature au bas d’un document, on a fait exploser toutes les promesses que l’on s’était faite, mais on peut …
- On s’était surtout fait la promesse de s’aimer et de rester fidèles …

Il a raccroché.

Pour la première fois depuis un an, nous venions d’échanger, de parler de nos sentiments. Même si ça s’est terminé en queue de poisson, j’avais enfin entrouvert une porte. une porte on va dire.

Ça m’a aussi fait un bien fou d’exprimer par des mots mes sentiments. Surtout de lui dire à lui.

Malgré sa froideur, malgré le fait qu’il m’ait raccroché au nez, qu’il avait encore fuit le dialogue, il avait exprimé, lui aussi ses sentiments, avec pudeur, certes, en essayant de les taire aussi. Mais ce qu’il a dit à demi-mot m’a fait chaud au cœur et m’a redonné un semblant d’espoir. Il ne fallait pas que je m’enflamme, mais c’était un début.

Paul est passé le vendredi soir chercher les s. Il est monté à mon appartement pour signer le document. Il est reparti aussitôt après. Devant les s, je n’ai pas pu en rajouter, et reprendre notre conversation de la veille. Mais je l’avais revu. Nos regards se sont à nouveau croisés. Son visage est resté fermé, mais ce que j’ai lu dans ses yeux, enfin ce que j’ai cru y lire, m’a conforté. Peut-être que je me faisais des idées. Peut-être que j’essayais de me persuader de choses qui n’existaient pas, mais dans son regard, j’ai vu du regret. Du regret, au moins, sur notre passé commun. Sur ce que nous avons été, sur notre couple avant.

C’est le dimanche que tout s’est précipité.

Ma fille, Julia m’a appelé en pleurs, catastrophée :

- Maman …
- Qu’est ce qui t’arrive Julia ?
- Papa a eu un accident !
- Quoi ? Qu’est ce qui s’est passé ?
- Il a été renversé par un chauffard, Lucas était avec lui, il vient de rentrer. Les pompiers ont emmené Papa… Lucas dit qu’il était inconscient ... Il y avait partout ... Fais quelque chose Maman !
- Lucas est avec toi ?
- Oui
- Ne bougez pas, je vais à l’hôpital. Je vous tiens au courant dès que je sais quelque chose. Ne bougez surtout pas … Non, allez chez vos grands-parents. Je vous tiens au courant dès que je peux …
- Maman … Rappelle-nous vite … S’il te plaît …
- Promis ma chérie.

Sur le chemin de l’hôpital, j’ai grillé au moins trois feux rouges. J’ai pu parler, en arrivant, avec le médecin qui avait pris Paul en charge lors de son admission, le Docteur Philippe Marchand :

- Il a un traumatisme crânien et de multiples fractures aux deux jambes. Il est dans le coma
- Mon dieu …
- Ne vous inquiétez pas, c’est un coma de stade 1, donc rien d’irréversible.
- Il va rester combien de temps dans cet état ?
- Difficile à dire, un jour, deux jours, peut-être plus. C’est compliqué de prévoir l’évolution d’un patient dans le coma.
- Il y aura des séquelles ?
- Là encore, difficile à prévoir. Tout dépend du temps qu’il va y passer. Mais les séquelles éventuelles ne seront pas définitives, enfin en principe. Quand il sortira, il devrait être dans un état de grande confusion par contre.
- Il nous entend ?
- La possibilité de communication avec lui est plus que réduite. Toutefois, si on lui pose une question, il peut réagir. Le stimulus douloureux est légèrement actif aussi. Il peut tenter de repousser la main qui le pince par exemple. C’est surtout un réflexe d'auto-défense.

Par contre, après son réveil, et une fois remis de son traumatisme crânien, sa rééducation pour ses jambes va être longue. Il sera en fauteuil un bon moment. Il devra faire un séjour prolongé en centre de réadaptation avant de retrouver l’usage de ses jambes.

Le Docteur Marchand partit, je me suis assise près du lit où Paul était allongé. Il était branché de partout et perfusé. Je lui ai pris la main. Seul le bip régulier des appareils troublait le silence de la chambre et du service de réanimation.

Je lui ai parlé :

- Reviens, Paul. Reviens … Tu me manques tellement. Même si on n’est plus ensemble, même si tu ne reviens pas pour moi, reviens pour les s.

J’ai pleuré à ses côtés. Je lui ai raconté. Tout. Depuis le début. Je lui ai dit tout ce qu’il ne m’avait pas permis de lui dire.

Une fois cela fait, je lui ai raconté mon quotidien depuis un an. Comme une épouse raconterait à son mari sa journée le soir en rentrant.

Ça a duré deux jours. J’arrivais le matin, je repartais le soir, quand les infirmières devenaient insistantes. En principe, les visites c’était une personne à la fois et pas plus d’un quart d’heure.

De temps à autre, il tressautait légèrement. J’en ai parlé au Docteur Marchand. Il m’a dit qu’il s’agissait sûrement juste de réflexes. Peut-être entendait-il quelques bribes de ce que je lui disais, mais pas plus. C’était à même de le faire réagir ? Pas sûr, peut-être. Le Docteur ne connaissait pas notre situation. Il pensait que nous étions toujours mariés. J’avais peur que s’ils savaient que nous étions divorcés, l’équipe médicale ne m’aurait pas permis de rester.

En fin d’après-midi le deuxième jour, Paul bougea de manière plus prononcée. Une fois, puis deux, puis trois fois. Il grogna aussi. Enfin il ouvrit les yeux avant de les refermer aussitôt. Il se réveillait :

- Paul ! Tu m’entends ? Je suis là …

J’ai appelé l’infirmière, qui est venue constater le réveil. Elle a appelé aussitôt le Docteur Marchand :

- Il va reprendre conscience progressivement, il va peut-être être angoissé au vu de ce qu’il va découvrir avec une conscience limitée. Il est possible qu’il y ait une perte partielle ou même totale de mémoire.
- Ça peut être définitif ?
- Non, pas d’inquiétude, généralement, ça revient assez vite. La présence d’un proche qu’il va reconnaître devrait le rassurer.
- Espérons-le !

Un doute m’a envahi sur le fait que la personne proche présente à son réveil ce soit moi. Quelle sera sa réaction en me voyant ?

- Ne brusquez rien, parlez-lui doucement et calmement. De choses banales aussi.
- Il va souffrir en se réveillant ?
- Non, il est sous morphine, il ne sentira rien.

Paul ouvrit les yeux et les referma à nouveau aussitôt dans une grimace, comme si la lumière l'éblouissait. Il a aussi bougé la main. Il est à nouveau revenu à un stade d’inconscience.

- Le processus de réveil peut être un peu long. Il va y avoir des phases de semi-conscience, parfois très courtes et d’inconscience. Je dois partir. Restez près de lui et faites-moi appeler quand ça évoluera.
- Je ne bouge pas Docteur. Sûrement pas.

Je me suis assise près du lit. J’ai pris sa main dans la mienne.

Paul bougeait de plus en plus souvent. J’ai senti sa main serrer légèrement la mienne. J’étais prête à appeler le Docteur Marchand.

Il a ouvert les yeux. Contrairement aux fois précédentes, il ne les a pas refermés. Il regardait autour de lui :

- Paul, tu m’entends ? Tu me vois ?
- Carole ? Qu’est-ce que je fais là ? Je suis où ?
- Tu as eu un accident mon chéri, tu es à l’hôpital, mais ça va aller maintenant.

Le « Mon chéri » est sorti tout seul. Paul n’a pas semblé réagir.

- Oui, je sais. Je viens de me souvenir. J’étais dans le coma. J’avais des flashs, J’entendais certaines choses, diffuses. Tu étais là, ça je m’en souviens. J’étais content que tu sois là. J’ai bien retenu ce sentiment-là.
- Ne te fatigue pas mon chéri.

Paul a refermé les yeux. Il ne bougeait à nouveau plus. Il est retombé dans le coma ? Affolée, j’ai appelé le médecin, qui l’a ausculté, a soulevé sa paupière et lui a mis sa loupiote dans l’œil.

- Ne vous inquiétez pas. Il va plutôt bien. Ce n’est plus un coma, plutôt un sommeil profond maintenant. Il va alterner les phases de sommeil et d’éveil. Il va bien, soyez rassurée Madame. Ses constantes sont bonnes.

Cela prit, en effet, plusieurs jours. Paul retrouva un cycle plus normal dans ses phases d’éveil et de sommeil. Lorsqu’il était éveillé, nous communiquions un peu. Rapidement, il se fatiguait. J’eu la permission de faire venir les s le voir quelques minutes. Il les a reconnus et un sourire a illuminé son visage.

Nous étions enfin réunis tous les quatre dans la même pièce. Je me suis isolée près de la fenêtre pour laisser couler mes larmes. Paul s’en rendit compte. Une fois les s repartis il me demanda de m’approcher et de m'asseoir près de lui sur le lit. Il m’a pris la main :
- Tu sais, j’aurais préféré que tu me dises la vérité quitte à me faire mal, plutôt que de t’enfoncer dans le mensonge et la trahison. J’ai eu mille fois plus mal.
- Je sais, j’ai tellement honte. De t’avoir fait souffrir. Ma souffrance à moi, je m’en fous. C’est ma punition, je l’accepte. Je n’accepte pas celle que je t’ai causée.

Cette fois, je pleurais à chaudes larmes :

- J’ai mal surtout de la distance que tu as mise entre nous. J’aurais préféré que tu me …
- Que crois-tu ? J’ai été incapable de réagir avec mesure, ni de gérer mes émotions. Je n’ai pas été à même de surmonter le sentiment de trahison. La douleur et le chagrin sont devenus impossibles à gérer.

La seule solution que j’ai pu trouver, c’est de me cacher derrière cette froideur et surtout de fuir la confrontation. Je ne voulais pas entendre tes explications.

Tu me manques Carole, tu me manques tous les jours, tu m’as manquée dès le premier jour. J’ai d’abord cru que c’était parce notre séparation avait généré un sentiment de solitude, que ma vie de célibataire retrouvée me pesait. Je cherchais à me rassurer. Je repoussais l’idée que mes sentiments pour toi restent inchangés, que mon envie de partager le reste de ma vie avec toi est toujours présente. La fierté, l’orgueil même, m’empêchait de te l’avouer, de me l’avouer surtout. J’ai mis de la distance entre nous. S’il n’y avait pas eu les s, je crois que tu n’aurais plus jamais entendu parler de moi. Je serais parti faire ma vie ailleurs. C’était une manière de me protéger. D’essayer d’oublier. Aujourd’hui, je suis heureux que tu sois là. Soulagé aussi.

Il sa serré ma main plus fort, presque à m’en faire mal :

- Oh mon Amour !!! Je te promets, sur ce que j’ai de plus cher, toi, les s, je ne reproduirai pas les erreurs du passé.


J’ai du mal à exprimer le sentiment de joie qui m’habitait quand j’ai poussé le fauteuil roulant de Paul pour sortir de l’hôpital. Les ambulanciers étaient là, mais j’ai voulu le pousser moi-même.

Il fut transféré dans un centre de réadaptation fonctionnelle. Il devait y rester de longues semaines.

La rééducation fut longue. Les conséquences de l’accident, la période de coma même si elle a été courte ont laissé des séquelles.

La rééducation a été aussi lourde et douloureuse. Une jambe entièrement plâtrée, l’autre seulement au mollet, elle a surtout été lente et laborieuse.

J’allais le voir tous les deux jours, après le travail, malgré les cinquante kilomètres qui me séparaient du centre. Le weekend, j’y amenais les s.

Quel bonheur de voir la joie dans leurs yeux à nouveau briller. Revoir leur père déjà et constater de semaine en semaine ses progrès. Nous revoir ensemble aussi. J’ai pu mesurer le mal être qui les a habités pendant cette année. J’en étais la responsable bien sûr. Paul, un jour, m’a dit qu’il s’en sentait tout aussi responsable, quelque part :

- C’est moi qui ai voulu cette rupture brutale. J’aurais pu faire les choses plus en douceur pour préserver les s. Je ne voulais pas les séparer de toi, faire de toi une méchante à leurs yeux, mais c’est ce j’ai fait. Inconsciemment, c’est certain, c’est ce que j’ai mis en place. Par vengeance peut-être, toujours inconsciemment pour te faire mal, pour te rendre la monnaie de ta pièce.
- Oh, mon chéri …

Après quelques semaines, il a pu remarcher un peu, lorsque sa jambe gauche a été déplâtrée. Seulement avec des béquilles et pour un temps limité. Il passait le plus clair de son temps en fauteuil roulant ou sur son lit.

Très rapidement, nous avons refait l’amour. Nous nous cachions dans sa chambre, ou à l’écart dans le parc de l’établissement. Nous étions comme deux ados amoureux. C’est cet état d’esprit qui a permis que nous puissions retrouver rapidement notre complicité.

Ce fut tout de même compliqué pour lui, comme pour moi.

Pour lui bien évidement, à cause de son état physique, bien sûr, mais moralement surtout.

Je m’imaginais bien les images qui lui passaient par la tête dans ces moments-là. Moi, même si ça me bloquait un peu au début, je me suis faite douce, attentionnée, à l’écoute de mon mari. Ma gêne et la sienne ont finalement rapidement disparu.

Au début, vu sa faible mobilité, nous nous contentions de simples caresses. Je lui faisais des fellations sur son fauteuil, il me caressait sous ma jupe et dans mon décolleté. Puis au fur et à mesure de l’avancée de sa rééducation, et de la récupération de ses capacités physiques, nos rapports ont évolué. Nous en sommes revenus à des situations plus classiques. Les positions possibles restaient toutefois limitées. Je le chevauchais sur son lit, après avoir pris soin de bloquer la porte de la chambre au cas où une infirmière ou une aide-soignante n’entre. Je m’asseyais sur lui dans le parc, alors qu’il était dans son fauteuil, ou sur un banc, quand il a commencé à pouvoir réutiliser ses jambes

Le côté interdit, le risque d’être surpris, le caractère improvisé, voire le côté légèrement exhibitionniste sur les bords nous stimulaient. Bon, honnêtement, c’était parfois plus que légèrement exhibitionniste sur les bords. Il y avait un côté aventure, piment et aussi l’impression de revenir à nos 16 ans. Parfois il me disait « Chuuuttt, on va se faire repérer, sois discrète». Ça nous provoquait généralement des fous rires. Juste après, on avait l’impression d’avoir fait une bêtise et de devoir la dissimuler.

Ses multiples fractures aux jambes lui avaient fait perdre sa motricité, par contre son membre, lui, fonctionnait plus que normalement.

C’est quand il est sorti et que nous sommes rentrés, que nous avons pu vraiment faire l’amour normalement. Plus question de se cacher (les s étaient chez les grands-parents pour les vacances d’été en plus). Nous étions chez nous, nous pouvions exprimer notre plaisir, faire du bruit, nous lâcher, prendre notre temps. C’est ce que nous avons fait. La première chose après avoir ouvert la porte de l’appartement. Il m’a amené dans la chambre, m’a embrassée devant le lit, puis sur le lit. Nous nous sommes déshabillés mutuellement, et nous nous sommes aimés en douceur, longtemps.


Nous avons repris notre vie normale, celle d’avant. Il a fallu cet accident pour pouvoir dépasser cette épreuve. Sans cela, nous serions nous retrouvés ? J’en doute parfois. Mais au fond, nous étions faits l’un pour l’autre. Autre chose nous aurait certainement réunis à nouveau. Je me rassure ainsi. En suis-je si sûre que ça ? Quand ?
Surement que ça a aussi ren notre couple. Chacun a été ensuite plus attentif à l’autre. Je suppose que Paul n’a jamais oublié, qu’il se posait de temps à autre des questions, que des images lui revenaient, bien qu’il m’ait pardonné. Nous n’en avons jamais reparlé.

Telle a été ma rédemption. Parce que s’en est une. Pas une métamorphose, je suis restée Carole, celle que j’ai toujours été. Mais une Carole qui a pu évoluer, qui s’est remise en cause, qui a vraiment assumé, moins centrée sur elle-même. Autre question que je me suis posée, si Paul n’avait pas découvert ma liaison avec mon dernier amant, même si à l’époque je m’étais lassée et que j’avais l’intention d’arrêter, est-ce que quelques mois après je n’aurais pas replongé ? Encore et encore ? Je n’ai pas la réponse. Ce que je sais, c’est que cet épisode m’a changée, guérie aussi. J’ai vite regretté mes actes. Je les regrettais même avant que Paul ne me mette ces photos sous le nez. En revanche, je ne regrettais que les conséquences de mes actes à l’époque, pas de les avoir commis. Le pardon que Paul m’a offert n’a été possible qu’à cette condition-là.

J’ai aujourd’hui 75 ans. Les s sont loin, ils ont fait leur vie.

Julia est une femme épanouie, mère de famille. J’ai de beaux petits-s. Elle a choisi le plus beau métier du monde, sage-femme. Elle donne la vie. Sa révolte vis-à-vis de moi, cette période d’opposition, voire d’affrontement sont passées aussitôt notre réconciliation avec Paul. Je me suis aussi réconciliée avec ma fille. Ca correspondait aussi avec sa crise d’adolescence, mais c’est la façon qu’elle avait trouvé pour montrer son mal-être.

Lucas, mon fils aîné, parcourt le monde. Il est ingénieur dans les travaux publics. Sa société l’envoi partout pour concevoir et bâtir des ouvrages. Il est actuellement à Dubaï pour la construction d’un énième gratte-ciel « le plus haut du monde ». Juste avant, il rentrait du Chili, où il avait conçu les plans d’un pont, le plus long du continent. Il est toujours célibataire et il ne s’est jamais fixé. Mais cette vie lui plait. Il est bel homme, ses conquêtes sont nombreuses. Peut-être n’a-t-il pas l’envie de fonder une famille. Malgré le temps passé, cette année de séparation, la situation imposée aux s me ronge toujours. Je m’en sens toujours responsable. Et je me dis que le célibat de mon fils est peut-être dû à ça. Lucas a toujours intériorisé ses sentiments et je n’ai jamais osé lui en parler. Ces longues absences me pèsent un peu, ment, mais je le sais heureux de cette vie. Ça, il m’en parle souvent.

Paul, mon époux est décédé il y a cinq ans. Pas d’une longue maladie, il est partit d’un seul coup. J’en suis heureuse pour lui, pas de souffrance, mais j’ai perdu mon âme sœur. Comme je lui avais promis sur ce lit d’hôpital il y a plus de trente ans, je n’ai jamais reproduit mes erreurs. Je lui suis restée fidèle. Je lui suis encore fidèle. Aujourd’hui, je vais le voir une fois par semaine. Je lui parle, je lui donne les dernières nouvelles des s, des petits-s, je lui raconte ma semaine, je lui dis que je l’aime. Je passe pour une vieille folle auprès des gens qui fréquentent le cimetière. Mais ça m’est égal.

Je ne suis pas ment pressée de prendre ma place à côté de lui, mais le jour où ça arrivera, je partirai l’esprit tranquille.

J’ai eu une belle vie, tu m’as rendue heureuse, tu m’as comblée.

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