Les Poupées Russes

Un homme se promène dans la vie, au milieu d’une multitude de poupées russes, toutes identiques. Au hasard d’un son ou d’une image, il pose son regard sur l’une ou l’autre d’entre elles et voilà qu’elle se dévoile aussitôt. La première enveloppe, celle de l’anonymat, est ainsi levée… S’offrent alors au regard du promeneur solitaire une silhouette, une voix, une attitude…
Ensuite, les hasards de la vie permettent d’ôter une deuxième enveloppe. C’est l’heure de la rencontre, du premier contact. Des détails viennent s’ajouter à la connaissance de l’autre : un sourire, un regard, une frange rebelle, une chute de reins diabolique…
Bien souvent, la découverte s’arrête là. La jolie serveuse, la fille qui dansait, l’étudiante égarée hante l’esprit quelques minutes puis s’évaporent aussi vite que leur subtil parfum.
Cependant, et fort heureusement, la main du destin ou la témérité de chacun autorisent parfois à retirer un nouveau voile. Place alors à l’intimité naissante, à la séduction, au désir croissant, jusqu’à l’instant où cette enveloppe tombe en dévoilant la suivante. Elle tombe en même temps que le chemisier que l’on vient de déboutonner. C’est précisément là, pendant cette seconde que tout bascule. En posant ses doigts sur une peau douce et soyeuse, le promeneur peut sentir bouillir à l’intérieur un volcan passionné.
Prenons un instant pour évoquer ce moment magique où l’on part à la rencontre de l’autre. Car quoi que fanfaronne l’homme en errance, le plus beau moment d’une relation n’est pas l’apogée du désir sexuel mais bien son commencement :
Quand les yeux fermés, les baisers s’éternisent afin que les doigts se rencontrent, se mêlent puis s’aventurent à dégrafer les vêtements pour lire à même la peau la passion qui dévore les futurs amants.
Quand d’un revers de la main, le tissu s’écarte et que la paume épouse délicatement le sein inconnu, qu’ils se frôlent, s’évitent, se fâchent, se réconcilient lors d’une puissante étreinte.


Quand les lèvres quittent une bouche à présent apprivoisée pour une nuque à découvrir.
Quand ces mêmes lèvres s’enivrent de la volupté d’une poitrine offerte, pendant que les mains, toujours plus audacieuses, découvrent des fesses pleines de volupté et des cuisses pleines de promesses.
Quand les baisers glissent vers le ventre d’une poupée russe devenue fiévreuse pour atteindre enfin un sexe assoiffé d’attentions.
Quand le promeneur apprend les vibrations d’un corps inconnu à mesure que le bout de sa langue génère soubresauts et gémissements.
Quand il sent dans son dos, des ongles creuser un sillon.
Quand il sent dans sa chevelure, une poignée s’accrocher fermement.
Quand il s’immisce dans l’antre de volupté tant convoité mais déjà ouvert et bouillant de désir.
Quand il découvre une étreinte jamais encore ressentie.
Quand il s’aperçoit que ce corps encore inconnu il y a quelques heures fait maintenant partie intégrante de lui.
Quand il ne pense plus qu’à donner, qu’à rechercher pour la poupée russe un maximum de plaisir et de sensualité, jusqu’à ce qu’elle perde la raison, jusqu’à ce qu’elle perde tout sens des réalités.
Quand il retombe, vaincu, sur un corps éreinté par tant de passion et dégoulinant de plaisir.

Cet instant-là est l’opium de la vie. Cependant, les poupées russes cachent encore bien des secrets car le corps éreinté qui git à côté du promeneur naïf, se transforme nuit après nuit, étreinte après étreinte. L’amour qu’il absorbe, le plaisir qu’il recrache dévoilent à leur tour une nouvelle enveloppe. L’être sensible, qui se cachait derrière la maîtresse implacable, se dresse. Le corps qui dévorait le plaisir de son amant en pompant la totalité de sa substance révèle une âme blessée à choyer. L’enveloppe qui protégeait la femme, cette femme, s’est disloquée. Adieu l’être charnel anonyme, le promeneur a désormais une compagne sur son chemin.
Une question subsiste : est-il pour autant sevré de l’opium ?
Il partage avec sa compagne une complicité sexuelle, ils multiplient les expériences inédites plus mémorables les unes que les autres mais l’opium ? Pourrait-il s’en passer ?
Il résiste à toute tentation pour ne pas blesser celle qui est devenue son amour.
Il protège sa vie, sa famille… Mais quand une nouvelle poupée russe se dévoile, dès la première enveloppe qui se détache, il sent bouillir en lui les anciens démons de l’opium. Il voudrait pourtant et sincèrement se débarrasser de cette addiction mais comment renoncer à jamais à : découvrir un corps pour la première fois, à poser ses mains sur une peau inconnue, à humer le parfum du désir entre des cuisses inexplorées, à fermer les yeux le temps qu’une étreinte étrangère devienne à ce point familière qu’elle manque dès qu’elle s’interrompt.

Comment de si brèves heures peuvent-elles hanter toute une vie et la mettre en péril si souvent ?

Quoi qu’il en soit merci à toutes les poupées russes qui sont notre doux poison et notre tendre . Si l’une d’entre elle dispose d’un antidote, merci de me le communiquer et de vous faire connaître…

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