Regard Noir

Regard noir, aux yeux allongés d’une parodie asiatique. C’est la description que je ferais de cette femme, aperçue dans le bus, l’autre matin. Pendant de longs instants, rien d’autre n’a marqué ma vue, que son regard.

Elle n’est pas belle, du moins, pas vraiment. Mais de son regard, émerge une flamme, brûlante, faite de volonté et de désir. Elle est assise au fond du bus. Ses yeux voyagent lentement, d’un passager à l’autre. Elle néglige les femmes, glissant sur leur image comme l’eau sur les plumes d’un canard. Sans mépris (comme certaines savent si bien le faire) mais, sans intérêt. Très vite, je sens qu’elle élimine les hommes qui sont en couple, son regard s’éteint à leur vue. Elle ne chasse qu’un gibier libre, prendre ce qui appartient aux autres n’est pas dans sa nature. Bientôt, ses yeux se posent sur moi. Mon alliance est bien en évidence mais une fraction de seconde lui suffit pour savoir que ce n’est qu’une façade, un bouclier, inutile face à sa perspicacité.

D’ailleurs, mon regard, qui ne la quitte pas, dément cette faible défense. Mes yeux, d’un bleu profond, la déshabillent. Impossible de se méprendre sur mes sensations. Mon message est d’une clarté effroyable: «Toi ! Je te posséderais…»

Elle affiche sur ses lèvres, un fantôme de sourire. Elle décroise les jambes et se déplace légèrement, pour offrir à ma vue la totalité de son corps. Un corps souple, fait pour l’amour, des seins menus et libres, des jambes courtes mais bien proportionnées et, à l’évidence, gainés de bas. Je la détaille comme on inspecte une marchandise. Elle le sent, elle le sait et cela n’a pas l’air de la gêner. Bien au contraire.
Ses genoux s’écartent un peu, un peu plus… Dévoilant une nudité, sereine sous sa jupe courte. Curieusement, son sexe semble éclairé de l’intérieur. Il est rose et frais, sans doute, rasé ou épilé… Mais la vision disparaît soudain. La jeune femme se lève et quitte le bus. Passant à mes cotés, j’ai le temps de découvrir un visage poupin malgré une peau trentenaire aromatisée d’un parfum félin et sucré.

Nulle marque de son exhibition, nul signe ou invite de sa part, quand elle passe à ma portée. Son regard s’est éteint dès qu’elle s’est déplacée. Personne n’a rien vu de cet échange hautement érotique. Elle disparaît juste de ma vie comme elle y est entrée, sans rien dire.

La reverrais-je?

Je n’en ai pas la moindre idée.

La question, d’ailleurs, ne m’occupe qu’un instant, je plonge dans mon livre et j’oublie la belle jusqu’au soir.

C’est en remontant dans le bus du soir, après une lourde journée de travail, que son souvenir me revient. Je fixe désespérément la place ou elle était assise, me disant que, peut-être, mon imagination la ressuscitera. Mais… Peine perdue !

Je ne suis d'ailleurs pas dupe, je sais bien que cette femme que j'ai désirée avec tant de violence, je ne la reverrai jamais. Ce genre d'aventure n'arrive qu'une fois... Alors, tranquillisé, je rentre chez moi, retrouver ma routine.

A une nuit sans rêve succède une journée, plate comme l'ordinaire. Je n'ai, en douze heures, fait qu'un aller retour. Encore le retour n'est-il pas terminé. Je suis désabusé et plonge dans mon livre. L'évasion est d'un réalisme bien plus amusant que la réalité.

Ce n'est que deux ou trois arrêts avant de descendre, que j'ai reconnu sa chevelure brune. Elle est assise, me tournant le dos. Sage, en apparence. Un homme l'observe à la dérobée. Mais son regard n'a pas l'intensité du mien. D'ailleurs, il la regarde salement, c'est un voyeur qui guigne un moment d'oubli de sa victime, pas autre chose. Et je me mets à détester cet homme, à le mépriser profondément, à le haïr, presque... Alors vient le temps de descendre. Et je laisse dans ce bus mes souvenirs et mon ressentiment.

Un peu de cuisine et de lecture, agrémentées d’un fond musical, finissent de me détendre. Je n’ai pas envie de sortir ou de me vautrer devant la télé. Je me transforme en paresseux quand la sonnette vient perturber l’équilibre douillet dans lequel je m’alanguissais.
Je sors de ma torpeur avec la douceur d’un vieil ours. J’ouvre la porte, bien décidé à envoyer bouler l’importun. Et je reste coi.

Elle est là, devant moi. Un petit sourire charmeur aux lèvres, qui s’efface bien vite, quand elle me reconnaît. Légèrement décontenancée, elle bafouille.

-«Je suis votre voisine, il est tard et je n’ai plus de beurre pour le dîner…»

Au lieu d’accéder à sa demande, je l’invite à venir partager mon repas. Elle ne refuse pas, me demandant juste, à quelle heure elle doit revenir. Je calcule à toute vitesse le temps nécessaire à une douche, histoire de me débarrasser de cet ennui de la journée, qui me colle à la peau comme une poisse gluante.

-« D’ici trois quarts d’heure. » Je réponds.

C’est fou ce que le temps peut être long, quand on attend. Il ne m’a pas fallu plus d’une demi-heure pour être prêt. Je me suis glissé dans un pantalon de velours marron foncé et une chemise de daim, qui pue encore, comme si la bête avait été tuée hier. Les pieds nus, les avant bras dégagés, je ressemble à l’ours que je suis devenu.

Le dîner est au four, n’attendant plus qu’une allumette pour atteindre la température idéale. Le bar est accessible, le salon dans un désordre de bonne aloi (pour une fois, mes chaussettes n’y traînent pas. Tout va bien.) J’attends. Je suis sur qu’elle sera en retard mais la sonnette me dément.

Je lui ouvre et, sans la regarder, je la précède au salon. Dans la plus pure tradition du mufle, je m’installe dans mon fauteuil. Elle me suit et s’arrête au milieu de la pièce. Sans lui offrir de s’asseoir, je la détaille. Elle est vêtue d’un pull échancré sous lequel se devinent ses seins nus et, d’une jupe courte qu’elle porte avec grâce et naturel. Je la laisse un instant dans cette situation désagréable, tout en caressant du regard ses jambes fines et gainées de nylon… Juste avant que s’installe le malaise, je lui demande, d’une voix qui se voudrait douce mais reste autoritaire :
-« Servez-moi un verre, le bar est derrière vous.
Un Talisker fera l’affaire. Servez-vous également et venez vous asseoir.»

Sans hésiter, elle obtempère. De dos, son pull dénude une échine aux lignes fluides. Quand elle se penche, sa jupe qui remonte, dévoile les deniers de ses bas, faits de fines dentelles.

-« Je m’appelle Amélie. » Dit-elle en me tendant mon verre. Puis elle va s’asseoir sur le canapé, tout au bord, le corps tourné vers moi. Elle sirote son verre dans le silence que je laisse peser.

En revenant de la cuisine avec les entrées, je l’invite à passer à table.

-« Raconte-moi ! » Lui dis-je une fois installés.

-« Racontez quoi ? » Son ton n’est pas sur la défensive, juste un peu curieux…

-« Ta vie, jusqu’à tes dix-huit ans »

Elle parle lentement, d’une voix chaude et mélodieuse, un reste de chanson du sud coincé dans ses accents aigus. Très bas, je mets « Peer Gynt », pour accompagner son récit. Le repas rythme sa narration : son enfance campagnarde en entrée; son arrivée en ville pour intégrer un collège lyonnais, en plat de résistance; pour fromage et dessert, ses années de lycée à Paris.

Le whisky, puis le vin, ont délié sa langue… Tout en l’écoutant, je rêvais, j’avais envie de la voir nue, chaude et offerte comme l’autre jour, dans le bus. Sans doute mon regard se fit-il éloquent car son discours cessa, brusquement.

-« Veux-tu un café ? » Dis-je pour meubler ce soudain silence qui me prit au dépourvu.

A mon retour de la cuisine, la jeune femme était assise au pied de mon fauteuil, sur le tapis. Je repris ma place après lui avoir confié le plateau. Elle me regarda et repris la parole.

-« Jamais je n’ai été traitée comme vous venez de le faire… Dès que je suis entrée, j’ai eu l’impression d’être, étrangement, partie intégrante de ce lieu, de cette pièce, de votre vie; d’être à la fois femme et décoration, objet… C’est un sentiment réconfortant et effrayant à la fois.
L’autre jour, dans le bus, j’ai aussi éprouvé cette sensation, c’est ce que j’ai voulu vous dire en faisant ce que j’ai fait. Même s’il m’est arrivé de faire la même chose pour d’autres raisons, comme ce soir, par exemple…»

Elle s’interrompit pour tendre vers moi le plateau. Ses bras tendus mettaient en valeur sa poitrine et sa gorge. Je bus mon café d’un trait et, tandis que d’une main, je la débarrassais du plateau, de l’autre, je la relevais et la conviais à danser. Le CD qui tournait jouait un slow, la vision qu’elle venait de m’offrir avait décuplé mon désir, je voulais maintenant, sentir contre moi, son corps et sa chaleur. Elle ne résista pas. Simplement, elle reprit son discours, le susurrant plutôt que le parlant. Sa voix se fit rauque, grave, caverneuse. Les mots venaient à mon oreille comme le souffle d’un vent étésien.

-« Je me sens bien, dit-elle. Quand je vous ai vu, la première fois, j’ai eu l’impression d’être nue, d’être possédée par vous. Toute ma volonté s’est envolée d’un coup. J’ai eu envie de m’offrir à vous. Et, plus vos yeux glaçaient, plus j’avais envie de vous appartenir …»

Tandis que les mots tombaient de sa bouche, mes mains survolaient son dos et ses épaules. Sans même les effleurer. Mes bras l’entouraient mais ne la touchaient pas. Pourtant, son pull glissait, lentement, dénudant ses épaules. Comme si une main invisible le tirait vers le sol. Ses épaules, puis ses seins furent rapidement nus. Le pull tombait toujours, inexorablement emporté par son propre poids. Bientôt, il fût à terre. Nous ne dansions plus, nous ne parlions pas. Je pris ses mains, les guidant dans son dos, vers la fermeture de sa jupe. Elle la dégrafa et aussitôt, celle ci rejoignit le pull.

Mes doigts remontèrent le long de ses bras, lentement. Serpents fluides et précis, ils prirent possession de la rondeur de ses épaules sur lesquelles, tandis que mes yeux lui parlaient, j’exerçai une pression légère. Elle n’eut pas besoin que j’insiste pour saisir mon désir et se mette à genoux. Me regardant toujours. Je défis ma braguette et je sortis mon sexe. Elle posa, sans attendre, ses lèvres dessus et aspira mon gland. Elle fit doucement tourner sa langue autour, en une valse lente. Ses lèvres se mirent à coulisser sur ma verge au rythme imposé par ma main, délicatement venue caresser ses cheveux. Sa langue, tel un tapis doux et soyeux, caressait ma hampe et mon gland, de sa pointe effilée. Son savoir faire allié à sa docilité eurent raison de ma résistance. Très vite, j’explosais dans sa bouche, un sperme chaud qu’elle engloutit. Je me rajustais prestement et regagnais mon siège, la laissant à genoux au milieu de la pièce. Qu’elle était belle, les seins aux mamelons gonflés, fièrement pointés vers moi ; le regard humblement baissé, comme si le fait de m’avoir fait jouir lui avait retiré tout pouvoir. Qu’elle était désirable, le corps coupé en deux par son porte-jarretelles, les cuisses entrouvertes sur un string noir, les dentelles de ses bas faisant ressortir la teinte abricot de sa peau. Elle était si parfaite dans son rôle d’objet que je ne pus le supporter. Je me levais d’un bond :

- « Je vais dormir, suis-moi ! »

Comme elle fit mine de se lever, je la foudroyais du regard. C’est à quatre pattes qu’elle rejoignit ma chambre. J’avais, je ne sais ni pourquoi ni comment, imposé mon emprise à cette jeune femme. Cette nuit là, elle dormit au pied de mon lit, pelotonnée dans la couverture que je lui avais jetée.

Je dormis peu et mal cette nuit là. La proximité de la jeune femme dérangeait mes habitudes et troublait le fragile équilibre que j’avais retrouvé grâce à la solitude routinière où je me complaisais.

Je perdis toutefois un instant à la regarder avant de la réveiller. Elle dormait emmitouflée dans la couverture comme une momie dans son sarcophage. Son visage reposait sur ses vêtements roulés en boule. Un demi-sourire poignait aux commissures de ses lèvres… Pourtant, sa nuit avait été bruyante, agitée. A moultes reprises elle avait gémit comme un chat prisonnier. Je ne me souciais pas de la cause de ces glapissements, je la réveillais et, sans même lui proposer un café, la renvoyais chez elle.

Elle paru déçue mais elle obtempéra.

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