Attente

.
((Quelqu'un m'a dit un jour "C'est compliqué, les filles". Certaines plus que d'autres.

Une soirée, elle restait à l'écart.
Elle portait au cou un drôle de collier ... un petit sourire calme ... sereine ... un éclat farouche aux yeux ... la voix douce.
Une fille très brune aux yeux clairs nous a rejointes ; elle s'est tue, un instant.
Ses yeux brillaient.

C'est compliqué, les filles,c'est vrai. ))

... l'été, une terrasse soir de plage, au serveur "la même chose que la dame, ça me plairait", quel sourire ! je ne sais même plus ce que je buvais, un truc avec des fruits sur une pique de bois, moi je n'y touchais pas, je la reposai au bord du verre.

... elle prenait les fruits du bout des dents en me regardant, elle éclatait de rire après "Je suis gourmande".

... je lui avais offert ma petite brochette de fruit. Un couple cherchait une table, elle leur a fait signe de prendre la sienne et sur un grand sourire s'est invitée à la mienne.

[ Temps chaud et venteux. Le front collé à la vitre je regarde
[ un moineau posé au bord du bol où elle met des graines. Elle
[ a dit "C'est pour Zaza, ça lui fait des jouets", mais elle
[ serait bien malheureuse et moi aussi si la chatte attrapait
[ un des moineaux qui viennent se nourrir.
[ La vie bousculée, le passé effacé, l'attente. Son désir est
[ le mien. Ma vie c'est elle.
[ La fragilité d'avant, une attente sans horizon, mal-être
[ quotidien. Des rêves en rouge et noir. Forte d'acceptation.
[ Et elle.
[ Je vis aujourd'hui. Parce qu'elle m'a trouvée. Parce que je
[ l'ai reconnue.

... elle a commandé un deuxième cocktail, pour nous deux, le même, a mordu dans sa brochette, lèvres ouvertes pour saisir de ses dents, un morceau d'ananas, un morceau de kiwi, a laissé la fraise effleurée d'une pointe de langue et l'a tendue à ma bouche sourcil levés en question.



... pas de mots. On regardait les passants qui allaient vers la mer et revenaient en sirotant nos cocktails. Un legging noir, un top "Blanc du nil" sans manche ouvert sur un collier d'ambre et sa peau dorée, des boutons oubliés, la naissance des seins. Ni bracelet ni bague, la peau brune.

... discrète, je croyais l'être. Elle, me détaillait sans se cacher, les lèvres étirées d'un grand sourire en croisant mon regard, s'est penchée vers moi pour voler ma brochette de fruits posée au bord de mon verre, baissait les yeux sur mes jambes par-dessus l'accoudoir du fauteuil en osier. Elle riait. Voix grave et chaude. Regard calme attentif. Lèvres plissées fermées sur la paille et langue gourmande après.

... gourmande. Ses mots, les seuls prononcés, ceux qui tournaient dans ma tête et desséchaient ma bouche. Elle a approché son fauteuil et croisé les jambes, son pied nu contre mon genou, juste dessous, à l?ourlet de ma robe étirée sous mes cuisses pour éviter la morsure de l?osier tressé du fauteuil.

... de l'index elle égrenait sur mon poignet les perles brunes et vertes de mon bracelet. Je regardais la foule et ne voyait rien, réduite au contact de son doigt qui quittait les perles et dressait d?effleurement la fine toison sur mon bras, réduite au poids de ses yeux que je savais attendre les miens.

[ J'avais ... j'étais jeune.
[ Un dimanche de mai. La soeur de mon père, que je connaissais
[ peu, m'accueillait chez elle pour quelques jours dans son
[ pavillon en banlieue, pendant que mon père se cherchait un
[ nouveau travail.
[ La semaine s'est transformée en mois, en années. Quatre ans.
[ J'étais ... comme je suis ? Peut-être. Ou peut-être le suis-je
[ devenue. Je ne me souviens pas très bien de celle que j'étais,
[ de ce qu'étaient mes rêves, mes pensées. Timide, effacée, solitaire.

[ Ma tante recevait des amies, des amis, je ne sais quels noms
[ donner à ceux qui venaient, qui venaient pour elle.
Et venaient
[ pour moi.
[ J'étais peut-être, et je suis devenue par elle et par eux. Parce
[ que je baissais les yeux. Parce que je ne montrais de larmes qu'au
[ plaisir, de plaisir qu'à céder sans bataille, être objet.
[ Je suis partie de chez elle le jour de mes dix-huit ans. Je savais
[ ce que j'étais, comment m'accomplir. Ou pas. Je devais couper les
[ ponts, m'échapper.

[ De comment gagner ma vie seule, je ne connaissais que l'exemple
[ de mon père, un travail de saisonnier, serveur en restauration le
[ plus souvent, parfois vendangeur ou cueilleur à la belle saison ;
[ ce qu'il trouvait.
[ Une pizzeria sur la côte basque, une brasserie dans une station
[ de ski.
[ Depuis trois ans, je suis entre parenthèses, le corps en repos et
[ l'esprit libre. Aucun, aucune, n'a su me connaître. A aucun ni
[ aucune je n'ai montré mon attente.

... elle a posé sa main sur la mienne sur l'accoudoir, s'est penchée vers moi pour caresser ma joue du dos d'un doigt, prétexte à croiser mon regard. Elle voulait mes yeux. Mes yeux, mon âme noyée dedans. Sa main serrait fort la mienne, ses yeux demandaient, sa main sur ma joue doigts ouverts et son pouce sur mes lèvres, l'attente dans ses yeux et son pouce sur ma bouche, j'ai fermé les yeux, fermé les lèvres sur son pouce, comment dire autrement ? comment dire mieux ?

[ En trois ans en aucune rencontre je n'ai su voir, deviner,
[ qu'elle pourrait me satisfaire. Mes besoins physiques jamais
[ n'ont été assez forts ni l'attrait de ceux qui m'approchaient
[ suffisant pour me donner l'envie de céder.
[ Après les tourbillons et la contrainte des années d'avant, je
[ voulais un palier, être seule, me poser, être libre de mes choix,
[ libre de choisir à qui m'abandonner, me donner, cette exigence
[ plus forte qu'un compromis dont je ne voulais pas.


... des milliers d'idées se bousculaient d'incohérence. Ne pas la regarder, elle saurait, elle savait, saurait trop. Cacher le trouble, mental, physique, un regard et je me livrais. Gorge serrée, résister à décroiser les jambes, ne pas fuir au contact de son pied qui brûlait ma peau. Faiblesse. Frisson contenu et trahi des grains qui piquent ma peau sous son doigt. Je devinais le sourire quand elle frottait mon bras, effaçait les pointes de frisson. Elle savait ? Elle voyait ? Céder, attendre. Indécision et colère.

... je me sentais très bête, empruntée. Et gênée. Gênée parce qu'en même temps que la peau de mon bras se piquait je sentais la tension prendre mes seins et mon ventre, je sentais toutes les aspérités de l'osier sous mes fesses à travers ma robe. En colère de mon envie de gigoter et décroiser les jambes et de m'en empêcher. En colère des mots que je ne trouvais pas, de ma gorge serrée qui les aient.

[ Trois ans. Le temps de refaire le parcours, sans faire le
[ partage entre ce que j'étais au fond de moi et ce que j'étais
[ devenue au cours des quelques années passées entre les mains
[ de ma tante, entre les mains de beaucoup d'autres.
[ Avec le recul, quoiqu'il se soit passé au cours des quatre
[ années où j'ai vécu chez elle qui a en partie forgé ce que
[ je suis, je ne lui en veux pour rien ; presque rien ? aussi
[ brutal qu'ait été l'apprentissage, sans doute aussi inacceptable
[ qu'il puisse paraître.
[ Même si c'est incontournable, il ne s'agit pas que de sexualité,
[ ces relations qui m'étaient imposées ne sont qu'une part, un
[ corolaire, de ce à quoi j'aspire.

... envie de plaire, désespérément. Peur de décevoir. Peut-être ... me libérer avec elle d'incertitude et d'hésitation.

[ Ses yeux. Sa façon d'être. Ses gestes. Elle, peut-être, ou
[ parce que trois ans c'est très long et qu'il était temps de
[ sortir de ma léthargie.
J'étais prête. Sans doute aussi aux
[ compromis nécessaires à vivre autrement que recluse dans la
[ vaine attente d'une vie fantasmée.

... soir d'été, une terrasse soir de plage, j'ai rencontré Audrey.

***

Trois ans pour me nommer, me connaître. Avoir les mots pour me penser.
On n'existe pas mieux par les mots, on se connaît.
Timide, effacée, réservée, mais farouche. Et dure.
Ce que j'étais.

***

J'étais jeune.

Plier ou résister ? Une autre voie : j'avais choisi l'orgueil. Garder en moi, garder les larmes et les cris. Voir les failles et les faiblesses du bourreau et fermer les yeux, attendre, attendre encore, être forte. Les larmes et les cris se méritent.

Elle s'impatientait de ne rien obtenir de moi. Je restais froide, glacée, étrangère. Pour elle une provocation, un défi.
Elle seule au début, dès les premiers mois. Elle voulait des gestes que je ne connaissais pas, les voulait pour elle comme elle les avait pour moi, se mettait en rage de mon indifférence : le début des punitions.

Ce qu'elle n'avait jamais obtenu de ses caresses, que je n?avais jamais connu, est venu un jour de colère et d?exaspération où elle avait cinglé mes fesses et mes seins d'une badine de bambou et trouvé pour la première fois mon sexe brûlant d'humidité.
J'étais ? Je suis devenue celle que je suis ? Quelle importance ?
De témoin aux soirées que donnait ma tante, j'en suis devenue actrice contrainte, celle pour qui les participants se multipliaient d?inventions perverses pour m'arracher une larme, un cri, un orgasme. Des hommes parfois hésitants, souvent brutaux, qui n'obtenaient le plus souvent de moi que leur propre satisfaction. Des femmes, plus inventives, plus habiles au corps d'une fille, qui s'ingéniaient de froideur de calcul et de vice, en escalade progressive, à me procurer des orgasmes en bout de résistance.

Si ma peau n'en porte plus de traces, ou presque plus, ce que je suis est profondément ancré en moi.
Je dis donner, m'abandonner. C'est bien sûr plus compliqué qu'un renoncement.
L'accomplissement est à la fois oubli de soi et partage.
Je pensais « elle », celle qui m'accompagnerait sur un chemin librement consenti, sans douter un instant qu'elle me reconnaîtrait.

Un soir d'été, en terrasse un soir de plage, j'ai rencontré Audrey.

***

Elle s'est levée sans un mot, a contourné les tables et les fauteuils, s'est retournée vers moi en bordure de terrasse. Elle ne montrait aucune impatience, simplement elle m?attendait, a glissé son bras sous le mien quand je l'ai rejointe. J'ai accordé mon pas au sien sur les traverses de bois qui mènent à la plage.
Elle se tenait à mon bras pour enlever ses ballerines, me soutenait d'une main sur ma taille quand je me suis déchaussée à mon tour pour la suivre sur le sable encore chaud de soleil du jour, plus dur et humide sous la plante des pieds en approchant la mer.

Dos tourné à l'écume elle se tenait face à moi, ses yeux rivés aux miens, attentive, plus, concentrée comme pour lire en moi à la clarté de nuit étoilée, froissait mes lèvres du pouce, le dos de sa main dans mon cou, entre mes seins, sur mon ventre. Ses yeux lisaient en moi, nos visages proches à se toucher, mon souffle haché, retenu, elle écartait de son visage les mèches de mes cheveux libérées du peigne qu'elle avait ôté dans mon cou où elle a posé un baiser morsure.
Je sentais sur mes seins l'appui souple de ses seins, et je m'abandonnais à la chaleur de son souffle dans mon cou, les yeux clos aux embruns levés par la brise, savourant la chaleur de sa main qui soulevait un sein de doigts fermes froissant le lin de ma robe, qu'elle a déboutonnée de gestes lents jusqu'à ma taille et ouverte de ses mains sur mes épaules, offrant mes seins au vent de mer, indifférente comme moi aux promeneurs de la nuit.
Son bras sous le mien, nous avons longé la mer, elle riait en m'empêchant de m'échapper quand une vague venait lécher nos pieds.

Elle m'a entraînée vers la dune et s'est assise sur le sable sec. « Enlève ta robe ». Les premiers mots qu'elle m'adressait, écho de ceux prononcés en terrasse « Je suis gourmande ». Sa voix calme, posée de certitude. Elle n'avait aucun doute. Depuis qu'elle avait découvert mes seins face à la mer ? Avant ; ses yeux aux miens.
Le frisson. Ni le froid, ni la peur ni la honte. Je sais, je ne suis pas faite comme tout le monde. Si j'ai un bref instant fermé les yeux et si les joues me brûlaient c'était parce je me sentais à ma place à cet instant, avec elle.

J'ai posé mes chaussures et dégrafé ma ceinture, soulevé ma robe au-dessus de ma tête.
Elle était assise en appui sur les bras rejetés dans son dos, genoux levés et jambes ouvertes. Entre ses jambes j'ai étalé ma robe avant de m'asseoir et obéi à la main glissée sous mon bras et fermée sur mon sein qui m'invitait à m'appuyer du dos contre elle la nuque au creux de son cou ma joue contre son visage.

Il n'y avait ni hésitation ni doute, ni tendresse ni brutalité, à la main qui giflait un sein, en éprouvait le poids et la souplesse de ses doigts chauds, prenant possession plus que caressante avant de l'abandonner pour la poser sur mon genou et l'écarter contre le sien, de remonter sur l'intérieur de ma cuisse en riant de mon souffle relâché d'un soupir quand la main s?est refermée sur mon entre-jambe, la paume de sa main sur le bombé saillant du Mont de Vénus et ses doigts tendus sur le nylon blanc brillant de la lumière des étoiles, ses doigts qui se refermaient forçant leur passage entre les chairs tendres au creux de mon ventre.

Je me suis soulevée en sentant ses deux mains sur mes hanches glisser sous l'élastique de ma culotte qu'elle a repoussée à mi-cuisses et que j'étirais de l'ouverture de mes jambes pour laisser passage à ses doigts plongeant dans la toison qui faisait tâche brune sur mon ventre et m'ouvraient, se plantaient d'une seule poussée dans mon vagin inondé de mon désir d'eux en moi.

Je sentais contre ma joue le sourire qui étirait ses lèvres et gonflait ses joues. Ses doigts m'ont quittée dans un petit bruit humide et elle les a portés à ma bouche d'abord, à la sienne ensuite, humides de nous sur ma joue pour tourner mon visage vers elle et un baiser. Un baiser gourmand qui prenait ma bouche, ce baiser d'intimité bouche à bouche que j?avais toujours refusé à tous et à toutes, le premier accordé, donné, qu'elle avait su prendre.

Je tremblais en posant la main sur sa joue pour garder ses lèvres aux miennes et goûter encore sa bouche en lui offrant la mienne. Elle riait de ce premier geste que j'avais pour elle, « Tu es gourmande aussi », et elle écartait ma main.

Elle parlait de son chat roux et du square sous ses fenêtres, de l'arbre toujours le même où le soir il étirait ses griffes, des pauses hautaines qu'il prenait en refusant de répondre à son nom quand il fallait rentrer.
Elle jouait d'un doigt sur mes seins et riait du téton qui se dressait, caressait ma toison comme elle caressait son chat, me disait être aussi brune que moi, s'étonnait de la blancheur de ma peau où elle effaçait les grains de froid qui la piquaient, les faisait renaître d'un effleurement, mouillait son doigt entre mes jambes et me le donnait à sucer avant un baiser en croisant ses doigts aux miens.
Elle parlait d'une boutique dans une galerie commerciale, du grand lit à partager, des commerçants de sa rue, qu'elle me ferait vivre nue, du bruit du boulevard au-delà du square, du bâillon qu'elle poserait à ma bouche pour mes cris, des soirées longues d'hiver, nous deux.

Elle jouait de mon désir, l'étirait du bout d'un doigt en fil de lumière d'étoiles, me le donnait à goûter, en dressait mes tétons indifférente aux frissons et à mon ventre creusé d'attente.
Elle disait son abandon au soleil tout le jour et le glacé des vagues qui claquaient son corps nu, ses errances nocturnes et ses plaisirs solitaires.
Elle disait son été parenthèse aux tracas quotidiens, calmait la houle de mes hanches d'une main posée immobile sur mon ventre, pinçait un téton, étouffait la plainte de ses lèvres aux miennes.

Elle a balayé sur mon corps le sable collé et m'a rhabillée. Elle tenait mon bras, me poussait d'une main au creux des reins pour me glisser entre les derniers promeneurs nocturnes croisés sur le chemin de planches en escaladant la dune.
Arrêtée devant un immeuble elle a peigné mes cheveux de ses doigts et remis en place la barrette sur ma nuque, m'a quittée d'une caresse sur la joue, "Sois sage", en entrant dans l'immeuble, la porte refermée sur elle sans un regard en arrière.

"Sois sage". Ni la nuit, ni les deux suivantes je n'ai cédé au désir de jouissance qui me faisait trembler dans mon lit où ma peau se souvenait de ses mains. Trois ans de totale abstinence et trois nuits à gémir et me tordre les cuisses mouillées de mon souvenir d'elle. "Sois sage".

Après mon service du soir je prenais un cocktail en terrasse en jouant avec la brochette de fruits qu'elle n'est pas venue me voler, je regagnais ma chambre et froissais mes draps dans la nuit.

Le troisième jour Audrey s'est installée à une table de la pizzeria où de mai à mi-octobre je travaillais depuis trois ans et j'ai pris sa commande.
"Je t'emmène à la plage cet après-midi".
Elle attendait la fin du service en terrasse occupée d'un livre de poche, un panier d'osier à ses pieds dont dépassait un drap de plage noir quand je l'ai rejointe.

Je n'avais ni maillot ni drap de plage en quittant le travail, elle ne s'en est pas inquiétée en me prenant par le bras comme le premier soir pour m'entraîner vers la plage.
Elle a étalé son drap noir à mi-chemin de la dune et de la mer, à distance de la foule pressée autour des fanions bleus de la zone de baignade surveillée, à distance aussi de l'espace de la plage du camp de naturisme.
Avant d'elle-même se déshabiller elle m'a attirée sur le drap de plage, m'a mise nue de gestes lents debout dans le vent, m'a enduite de crème solaire de la tête aux pieds "Tu es si blanche", s'attardant d'indécence à loisir sur mes seins, entre mes fesses, sur mes cuisses et mon ventre, transformant les gestes en caresses sans équivoque qui me réveillaient au désir de mes nuits agitées, indifférente aux regards des vacanciers et promeneurs de bord de mer qui rosissaient mes joues plus que le soleil auquel je ne m'exposais jamais.
Elle portait sous sa robe en indienne un maillot une pièce noir uni très échancré sur les hanches, soulevé sous le ventre creusé de la bosse du sexe et piqué sur le torse des tétons devinés.

Elle m'avait dit s'exposer nue au soleil. Tout l'après-midi elle a gardé son maillot noir sur sa peau hâlée en contre-point de ma nudité blanche même quand elle m'a entraînée dans les vagues.
Elle s'installait à genoux entre mes jambes pour souvent étaler sa crème de protection sur ma peau et chaque fois m'ouvrait de ses doigts en riant de l'épais nectar qui sourdait de mon vagin et faisait briller de lumière mes chairs tendres exposées au regard de tous dont j'étais consciente, qui ne m'importaient pas. Elle seule m'occupait, de ses rires et de ses caresses, de sa voix chaude qui me lisait des passages du livre de poche dont elle tâchait les pages de crème solaire et du désir épais visqueux qu'elle prenait entre mes cuisses sur ses doigts, étiré en fils luisants dont elle mouillait mes lèvres avant un baiser.

Devant la pizzeria en fin de soirée où elle m'a raccompagnée : "Je te garde, veux-tu?". Il y avait la question, il y avait sa main qui tenait la mienne. Il y avait dans ces yeux une affirmation qui dépassait la question.
"Il faudra me dire qui tu es".
Dire. Je ne me souvenais pas d'un seul mot que je lui aie adressé avant, même quand je l'avais servie ce jour en terrasse de la pizzeria. Elle ne connaissait pas le simple son de ma voix.
Dire ? Elle savait l'essentiel. Quelques lignes suivies du doigt sous un sein, une fesse, dans l'aine, vestiges d'un avant.

J'ai fait ce soir-là de fin juillet mon dernier service sous l'oeil furieux du patron que j'abandonnais, elle patientait en terrasse, ma dernière cliente.

J'ai posé ma maigre valise dans l'entrée de son studio. Ces affaires étaient prêtes.
Elle s'est assise sur le canapé-lit, j'étais agenouillée près d'elle.
Je lui ai dit l'avant, la vie d'errance à la suite de mon père, je lui ai dit les années chez ma tante, l'acceptation sans lui dire de quoi, elle suivait d'un doigt la fine boursoufflure rosie sous mon sein, je lui ai dit les trois ans d'après, l'attente, je lui ai dit "elle" et ses yeux noirs le premier soir où je savais pouvoir me noyer, l'envie d'une vie possible, lavée de sa bouche qui buvait les larmes à mes yeux.


Voyage d'une nuit pour changer de vie.
Il était tard dans la nuit quand on est arrivées chez elle. Pour la première fois je partageais un lit.

Ce matin ...
Première levée, ma toilette, un peignoir décroché au dos de la porte de la salle de bains.
Dans la cuisine je prépare un café, dresse la table du petit-déjeuner où elle me rejoint dans un déshabillé de soie noir ouvert sur ses seins et noué d'une ceinture à sa taille.

Elle me tourne le dos, boit son café face à la fenêtre qu'elle a entrouverte pour que Zaza, sa chatte tigrée, grimpe sur la margelle d'où elle observe les oiseaux qui chantent dans les platanes du square que surplombe l'appartement.
Elle rince son mug dans l'évier et range cafetière et gâteaux, me lève de la chaise et prend ma place en me retenant d'une main, écarte grand les deux pans du peignoir sans défaire la ceinture.

Elle me regarde. Regarde mon corps nu. Suit du doigt la ligne rose sous mon sein, une autre pareille dans l?aine qui mord une lèvre de mon sexe, en partie masquée par ma toison pubienne brune qui envahit mon ventre et déborde sur le haut des cuisses, qu?elle peigne du dos d?un doigt comme elle le faisait au grand soleil hier sur la plage, défrise les poils entre ses doigts pour en mesurer la longueur, les étire à deux mains pour ouvrir mes lèvres et m?attirer plus près d?elle, mes jambes ouvertes encadrant ses genoux serrés.

Sa main levée en appui contre mon ventre elle ouvre mon sexe à deux doigts et pince de l'autre main la pointe du clitoris qu'elle roule entre le pouce et l'index, qu'elle décalotte en tirant entre ses ongles le capuchon vers le haut.
Ses mains jointes entre mes cuisses, elle glisse ses deux pouces dans la fente de mon sexe et masse de mouvements lents les chairs roses et sensibles du plat des doigts enfermant les petites lèvres entre eux qu'elle froisse l'une contre l'autre en remontant vers le bouton irrité de son massage.

Elle se penche et pose un baiser sur ma peau, son front appuyé entre mes seins puis lève la tête et s'accroche à mon regard en entourant ma taille d'un bras, sa main creusant mes reins pour basculer mon bassin vers elle, me retenant pendant que son autre main doigts serrés et tendus forcent un passage dans mon vagin encore trop sec et m'arrache une grimace qu'elle salue d'un sourire en poussant plus fort ses doigts en moi, reste là immobile en poussée de son bras, et masse du pouce mon clito étiré vers lui de la traction des petites lèvres bousculées de ses doigts, le balaye lentement, le presse et remonte sur la tige tendue comme une petite verge qu'elle caresse lentement.

Elle replie et déplie ses doigts au creux de mon vagin dont les parois s'assouplissent et secrètent la cyprine qui adoucit l'invasion de ses doigts qui me pénètrent plus profonds.

Elle sait à mon ventre qui se creuse et se tend vers elle que le plaisir pourrait venir et interrompt la danse de son pouce, retire ses doigts de mon vagin et me les tend à la bouche, me repousse et se lève.
Elle m'entraîne vers la salle de bains, détache la ceinture de mon peignoir et se défait de son déshabillé, s'assoit au bord de la baignoire cuisses écartées sur l'éclat rose de la fente ouverte brillante d'écume laiteuse où elle m'attire d?une main, où elle veut ma bouche qu'elle presse contre elle d'un poing serré dans mes cheveux.

Je bois la sève épaisse que les contractions de l'orgasme expulsent en coulées chaudes.

Elle me lave sous le jet brûlant de la douche, embrasse mes seins et mes cuisses, embrasse ma bouche en me serrant de douceur dans ses bras, m'enveloppe d'un grand drap de bain, me sèche les cheveux et me peigne, pose des baisers tendresse dans mon cou.

Elle s'habille et me garde nue pour me conduire dans la pièce qui fait face à sa chambre où elle ouvre grand les deux portes d'un dressing revêtues de miroirs :
"Pose sur le banc ce dont tu ne veux pas, on ira les jeter plus tard.".
Elle me laisse seule devant les étagères exposées, m'abandonne d'un baiser sur l'épaule et d'une caresse de la main glissant sur mon bras jusqu'à la main doucement serrée, ferme la porte derrière elle en quittant la pièce.

La pièce est nue, plus grande que sa chambre. Un banc de bois à l'assise haute et large est posé au milieu . Face au dressing, deux poutres vernies garnies d'anneaux d'acier régulièrement espacés sont fixées au mur peint d'ocre foncé, l'une proche du plafond et le seconde au ras du sol. La fenêtre qui donne sur une arrière-cour est encadrée de lourds rideaux de velours rouge.
Rien dans cette pièce ne peut réellement m'étonner. J'en ai connu une très semblable, à cette différence que dans celle-ci, je choisis aujourd'hui de librement y rester.

J'examine un à un les objets rangés sur les étagères, semblables à ceux de mes souvenirs.
Ceux qui ont déchiré mon anus avant de faire couler mon sang de vierge.
Ceux qui zébraient ma peau de claquements mordants, ont laissé trace en légère boursoufflure sur une fesse, une lèvre de mon sexe.
Celles qui dessinaient ces traces sanglantes dont mon sein seul garde mémoire.
Celles dont témoignent de minuscules pointes brunes sur mes seins et invisibles où elles perçaient mes chairs les plus tendres et arquaient mon corps.
Tous ces objets qui aiguisaient mon orgueil à mordre mon cri jusqu'à l'insupportable où la vague m'emportait.
Celles qui emprisonnaient mes poignets et mes chevilles, écartelée, tordue, dont je regrettais l'absence provocante quand il fallait conjuguer liberté offerte et résistance obstinée, esprit plus fort que le corps.

Malgré la chaleur du jour de fin d'été, ma peau se pique de froid et je frissonne de cet étalage sans que rien ne m'y surprenne pourtant, n'y trouvant aucun objet qui ne m'ait déjà arraché de larmes ou arraché un orgasme.

Je suis une fille différente, pas faite comme tout le monde, une fille pour elle.
Je l'étais, je le suis devenue, peu importe. Je le suis.
De ces étagères je n'ai extrait qu'un seul objet : j'ai fixé autour de mon cou une chaîne faite de maillons d'acier noir fermé, comme un médaillon, sur un anneau plus large où brille une pierre rouge.

Je referme les portes. Je quitte la pièce.

[ Temps chaud et venteux. Le front collé à la vitre je regarde
[ un moineau posé au bord du bol où elle met des graines. Elle
[ a dit "C'est pour Zaza, ça lui fait des jouets", mais elle
[ serait bien malheureuse et moi aussi si la chatte attrapait
[ un des moineaux qui viennent se nourrir.
[ La vie bousculée, le passé effacé, l'attente. Son désir est
[ le mien. Ma vie c'est elle.
[ La fragilité d'avant, une attente sans horizon, mal-être
[ quotidien. Des rêves en rouge et noir. Forte d'acceptation.
[ Et elle.
[ Je vis aujourd'hui. Parce qu'elle m'a trouvée. Parce que je
[ l'ai reconnue.

J'attends Audrey.

Misa - 05/2016

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