L'Étudiante

L’étudiante (1).

Elle tenait le service Scolarité d’un département de la faculté quand je l’ai vue pour la première fois. C’était pour la remise des copies et des notes de fin de semestre. Un large sourire illuminait sa figure juvénile, à peine sortie de l’enfance malgré son âge : vingt-cinq, vingt-six ans au jugé en tenant compte de son niveau d’études (Master 2).

Elle vint à ma rencontre toute souriante et me prit des mains le paquet de copies et le relevé de notes que je n’avais pas eu le temps de lui tendre. D’une voix extraordinairement douce et chantante, elle me précéda pour dire bonjour en ajoutant, comme si elle s’adressait à une connaissance et dans notre langue commune dont elle n’était pas censée savoir que nous la partagions : comment ça va ?

Une discussion animée sur le sujet des études s’ensuivit entre nous et je quittai le service pour vaquer à mes occupations. Plusieurs jours après, je fis sa rencontre par hasard dans la cour de la faculté. Comme je l’avais inconsciemment noté lors de notre première entrevue, sa mine réjouie tranchait nettement avec le voile vert olive dont elle s’était revêtue. Elle vint vers moi avec résolution et nous discutâmes de tout et de rien cette fois, pour ne pas encombrer l’atmosphère de problèmes professionnels récurrents – les siens certainement accentués par la monotonie des tâches qu’elle effectuait. Avant de partir cependant, elle me demanda timidement si j’accepterais de faire partie du jury de soutenance de son mémoire de Master qu’elle allait bientôt déposer. Je lui répondis « oui bien sûr » en me réjouissant vraiment de cette idée par simple besoin d’un contact différent de celui qu’habituellement l’enseignant a avec les étudiants, toujours à quémander une révision de note ou le report d’un examen. Je ne préjugeais nullement de la qualité de son travail ne sachant d’ailleurs même pas de quel sujet elle avait traité.

C’est lors de cette soutenance qui eut lieu en mai, avec retard comme je l’appris, que je fis plus amplement connaissance avec elle.

Elle avait revêtu cette fois un voile bleu ciel aussi léger qu’agréable en comparaison du voile vert olive, avec un foulard assorti. Traitant d’un sujet au croisement de plusieurs disciplines qui ne relevait traditionnellement pas du niveau de Master, je découvris une jeune femme aussi vive d’esprit en matière scientifique que dans la vie courante au vu de ce que j’avais pu me faire comme idée sur elle lors de nos deux premières rencontres. Au cours de la soutenance dont je présidais le jury en raison de mon grade et de mes travaux sur une palette de sujets assez étendue, je me rendis compte qu’elle en savait bien plus sur la question – qu’elle avait d’ailleurs traitée avec minutie en dépit des tentations de diversion qu’offrait le thème choisi – que son directeur de mémoire, davantage porté sur des aspects techniques marginaux que sur le cœur du travail présenté.

Son exposé préliminaire fut concis en dépit de quelques imprécisions conceptuelles que je dus relever en fin de séance quand je pris la parole pour synthétiser les remarques. J’en profitais pour lui indiquer des ouvertures de perspective qu’elle n’avait pas entrevues pour ses travaux ultérieurs si elle envisageait de se lancer dans les études doctorales. Toute reconnaissante pour ces remarques autant que pour les appréciations positives que j’avais portées sur son travail, elle me remercia en privé et avec insistance à la sortie de la soutenance. Nous nous échangeâmes nos coordonnées à toutes fins utiles et nous nous sommes quittés, elle enjouée et souriante, moi satisfait et quelque peu fier de ma prestations. Puis je repris mes occupations jusqu’aux grandes vacances et je ne la revis plus pendant plusieurs mois.

C’est vers la mi-décembre qu’elle vint frapper à la porte de mon bureau. Tout heureux de la revoir, je ne fus pas surpris qu’elle me dît combien elle l’était aussi. Un lourd manteau grenat lui couvrait le corps, ne laissant presque pas apparaître le voile qu’elle portait.
Elle préparait un dossier volumineux pour une inscription doctorale à l’étranger et me demanda une lettre de recommandation que je rédigeai sur place, sous ses yeux ; ce qui a semblé la subjuguer à cause de l’aisance avec laquelle j’avais accompli cette obligation. Le contenu de ma lettre la laissa sans voix tant il lui paraissait élogieux.

Elle me remercia en une étrange formule où se mêlaient notre langue commune et le français, le tutoiement naturel de l’une et le vouvoiement respectueux de l’autre, comme si nous étions à la fois proches et éloignés en amitié ou en parentèle. Je protestai sincèrement en relativisant mon mérite et elle partit, le même sourire franc sur le visage, en agitant plusieurs fois la main en signe d’au-revoir.

Pour je ne sais quel motif, elle frappa de nouveau à ma porte quelques jours après et l’entrouvrant, elle me vit en réunion avec mes jeunes collègues. Je lui fis un signe de la main pour lui indiquer que j’étais occupé et qu’elle devait repasser et elle repartit, avec une moue désolée en guise d’excuse. C’était pour savoir, comme je l’appris plus tard, si je pouvais la recommander personnellement à quelque collègue étranger pour son inscription, qu’elle avait au demeurant déjà réalisée en ligne. Je lui fis comprendre qu’il n’était pas possible d’agir sur la procédure en ligne dès lors qu’elle était entamée, mais je lui promis de la présenter à un collègue, compatriote installé à l’étranger, qui allait justement nous rendre visite sous peu. C’est ce que je fis, le collègue, plus informé que moi de la procédure, lui ayant confirmé mes dires tout en lui laissant en fin d’entrevue ses coordonnées à toutes fins utiles.

Elle revint le lendemain de son passage pour me remercier. Chaudement habillée comme la veille, elle s’assit et me fit part de ses inquiétudes concernant le rejet éventuel de sa demande. Je tentai de la rassurer tant bien que mal, de lui dire qu’il n’y a pas que les études dans la vie en assortissant mes propos circonspects d’arguments d’autorité forgés par l’expérience.
J’enclenchais naturellement, quoiqu’avec une sourde appréhension sur sa vie privée en lui disant que, belle et enjouée comme elle était, elle n’aurait aucune difficulté à trouver un parti et à s’installer dans une vie conjugale remplie sans perdre espoir de trouver un travail qui l’intéresserait au lieu de ce contrat en CDD ; lequel était à présent au demeurant son seul lien formel avec l’Université. Par une dérive lente, délibérée mais contrôlée de mes propos, je lui fis remarquer que les femmes dans notre contrée ne portaient pas le voile et que si elle adoptait ne serait-ce que le vêtement féminin traditionnel, elle serait à croquer de beauté et de charme. Elle fit une moue ambiguë puis, après un long silence, elle me fit part de son scepticisme en ciblant particulièrement ses camarades masculins dénués de civilité, hargneux, sales ignorants ; ce sur quoi j’étais bien d’accord avec elle sans oser pourtant le lui dire.

Le hasard a voulu qu’on frappa énergiquement à la porte à ce moment même et je me levai dans un excès de rage contenue pour ouvrir, sachant par avance de qui il s’agissait : une grappe d’étudiants me fit face pour je ne sais quel revendication et je me surpris à les renvoyer sans ménagement, en feignant une grande colère dont ils ne me supposaient pas capable tant je les avais habitués à calmer le jeu et à répondre autant que faire se peut à leurs sollicitations. Ils repartirent, penauds et je revins au bureau, en fermant la porte à clé cette fois, de crainte de voir d’autres groupes surgir et entrer sans se faire prier ; ce qui était déjà arrivé plusieurs fois.

Elle resta assise, légèrement interloquée par ma réaction et se mura dans un long silence tandis que je cherchais le fil de notre conversation. Elle me regardait en coin, sans doute un peu apeurée par ce qui venait de se passer mais elle reprit assez vite une posture assurée. Je dus rompre le silence pour justifier ma colère mais elle avait bien compris la situation. Nous n’eûmes pas l’occasion de reprendre notre conversation : se levant lentement, elle me dit qu’elle allait me laisser travailler à présent et me fit de nouveau au-revoir en agitant la main comme les fois précédentes.


Je me levais à mon tour en me souvenant que j’avais fermé la porte à clé en lui disant : attends, je t’ouvre. Sa main était déjà sur la poignée de la porte quand la mienne chercha la serrure et, se retournant brusquement, son visage se trouva à deux doigts du mien. En une fraction de seconde elle colla sa bouche à la mienne en passant sa main derrière ma nuque pour me retenir. Je ne fis aucun geste pour me retirer tant je fus liquéfié littéralement. Bouches fermées, nous restâmes ainsi de longues secondes qui me parurent des heures. Elle desserra sa prise sur ma nuque avec lenteur tandis que nos bouches se séparèrent au même rythme. Ses yeux s’allumèrent en me fixant et je ne pus réprimer le geste involontaire de poser deux doigts à plat sur ses lèvres en les gardant immobiles un long moment. Dans un accès de folie dont je me rendais vaguement compte, je soulevais ma main pour frôler de dos son petit nez retroussé et taquiner imperceptiblement sa frimousse jusqu’au front. Je parcourus ses sourcils légèrement épilés pour descendre par la joue jusqu’à la mâchoire. Je la pressai de mes doigts tout en allant vers le menton que je pris de deux doigts par-dessous pour lui imprimer précautionneusement un mouvement vers l’avant. Je posais délicatement mon nez sur le sien et dans cette langue familière qui nous unissait, je lui murmurai un « ouvre la bouche » qui me parut aussitôt maladroit et inconvenant tant à cause de ma position que de l’indécence de ces mots dans cette langue où les choses du sexe ne se disent qu’en sous-entendus. Elle l’ouvrit aussitôt. Je supputais qu’elle n’avait jamais embrassé de garçon et j’eus raison. Prenant alors successivement ses lèvres entre les miennes déjà préparées à cette offrande impromptue, j’y fis courir ma langue de l’intérieur en balayant dans le même mouvement sa gencive rosie par un afflux de sang. J’introduisis ma langue dans sa bouche que je me mis à explorer vigoureusement mais sans brusquerie. Ma jeune partenaire entra dans un alanguissement de tout son corps sans bouger ni, a fortiori, répondre à mon baiser que je m’efforçais de contrôler par crainte d’une réaction négative de sa part. Assuré à présent du contraire, je me retirai précautionneusement pour chuchoter à l’inexpérimentée jeune femme de me donner sa langue. Elle la sortit de son antre et je la lui pris entre les lèvres en la suçotant et en la taquinant de la mienne. Je m’enhardis pour l’attirer dans ma bouche avec mes dents et oh surprise : ma jeune partenaire répondit à ma supplique muette et se mit à faire tournoyer maladroitement sa langue dans mon palais qui secréta force salive !

Ma langue alla à sa rencontre et la féérie se réalisa. Nous nous embrassâmes ainsi longuement, voluptueusement puis, me retirant, je me mis à lui lécher tout le visage comme un chiot le ferait pour sa maîtresse, en salivant modérément mais suffisamment pour humecter toute sa frimousse. A lèvres ouvertes, je pris son petit nez dans la bouche comme on le ferait d’une sucette et me mis à le lécher en douceur. Elle émit un gémissement de plaisir qui me ravit et qui m’enhardit à poursuivre. Avec un effort surhumain, je me repris enfin pour aller déposer un dernier baiser, lèvres closes, sur son front. Je pris un mouchoir en papier de ma poche et me mis à lui tapoter délicatement le visage pour le débarrasser de ma salive, tandis qu’elle se laissait faire comme une que le père aiderait à se laver.

Elle me précéda pour me dire un merci à peine audible. Je ne pus que grommeler un remerciement en retour tant je me sentis coupable de ce que je venais de vivre en pensant que, si j’avais contribué à éveiller en elle le désir, je risquais néanmoins de susciter un amour interdit. Je calculais mentalement, après son départ, la différence d’âge qui nous séparait en me disant que j’aurais pu être son grand-père.

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