L'Amour Dans Les Fourrés 4

Je plaisante pour cacher mon ennui. J’ai cru à la fameuse collection de petites culottes du guignol de la poste. N’a-t-il pas bâti sa légende de grand séducteur sur quelques vols de lingerie intime sur les fils à linge dans les jardins et laissé supposer que c‘était le résultat de ses nombreuses conquêtes féminines? Cette légende lui ouvrirait maintenant les portes de la folle du logis, l’imagination, de celles qui se vexent d’avoir été oubliées ou pas encore sollicitées. Leur imagination les conduit à espérer la venue prochaine du prince charmant.

- Pourquoi Sylvain ne s’occupe-t-il pas de moi. Suis-je moins belle, moins attrayante que mes voisines. Cela devient vexant. J’attends mon tour.

Ainsi, la culotte volée, il lui reste à remporter sans résistance une place impatiente de se rendre.

Puisqu’on lui a volé sa culotte, la femme n’en porte plus. C’est tellement plus commode quand on veut se faire prendre. Comme elle n’en porte plus, elle attend le prince charmant et le prince peut pénétrer la belle sans obstacle. J’évite de faire partager à mon épouse mes soupçons, pour ne pas alimenter inutilement l’envie d’appartenir au cercle des élues. Peut-être suis-je plus près de la rechute que ma chérie. La paranoïa me guette. J’ai bâti tout un roman sur cette culotte brodée, pour apprendre soudain que c’est un effet de mode au sein d’un cercle fermé de ménagères lassées de voir disparaître leurs dessous à dentelle du fil à linge en été.

Par la suite, aux joies de la randonnée, je décide d’ajouter au plaisir de la marche en groupe celuide la photo. Je vais fixer les paysages, les personnages, les groupes en transformation, les anecdotes croustillantes, les petits événements. Avec un appareil numérique on peut enregistrer un peu tout, discrètement, sans bruit. Le travail le plus difficile sera le tri, le rejet des photos de mauvaise qualité ou sans intérêt. Ainsi je vais pouvoir parcourir d’avant en arrière le flot des participants, créer une mémoire de nos sorties, et pourquoi pas organiser une exposition annuelle.

Sans sermon, la crainte d’être épinglé inspirera de la retenue aux plus audacieux. En même temps, je trouve dans cette activité l’occasion, non formulée, de rendre à Anne un peu plus de liberté dans le choix de ses compagnes ou compagnons de route. Anne supervisera mon travail.

Premier résultat tangible, quand une dame doit s’isoler pour un pipi, spontanément une autre assure sa protection en bordure de chemin, éloigne d‘éventuels voyeurs. Aucune ne réclame plus les services de Sylvain. Le risque de rapports sexuels adultères diminue naturellement. Cette organisation, réelle bien que non inscrite au règlement, est-elle responsable des absences fréquente du chasseur de culottes ? On le voit de moins en moins dans le groupe des marcheurs. Il devra chercher ailleurs ses proies. Geneviève s’est beaucoup rapprochée de Sabine. Elles encadrent habituellement l’adjoint en tête de colonne. Les haltes casse-croûte sont plus joyeuses. On ne voit plus des maris esseulés,rongés par la crainte d’apprendre que leur femme en retard ou à la traîne, puisse s’être égarée volontairement avec un charmeur.

Sans le vouloir, j’ai organisé à mon insu,un concours des plus beaux rires et sourires. Anne paraît plus détendue, hélas trop souvent encore je la retrouve rêveuse. Je lui manque, je la laisse trop souvent seule. Pourquoi ne marchons-nous pas plus souvent ensemble , s‘inquiète-t-elle? Pour lui plaire je diminue le nombre de prises de vues. Personne ne s’en plaint. Mon Sony reste dans ma poche pour capter un événement exceptionnel.

Ce midi, monsieur le maire nous a rejoints en voiture au point de ralliement. Geneviève l’accueille officiellement, car Sabine et monsieur l’adjoint se sont attardés pour vérifier le bon déroulement de l’abattage des arbres. Tout le monde a réclamé une photo du groupe rassemblé autour de l’illustre visiteur. On a dépêché deux coureurs au-devant des attardés et on a crié leur nom. Ils arrivent tout rouges et essoufflés. Le malheureux adjoint est suivi par un pan de chemise échappé de son pantalon.
C’est l’œuvre, personne ne le contredira, d’une branche facétieuse, accrochée pendant sa course.

Madame Sabine en rit et raconte le pourquoi du comment. Il a fallu qu’elle décroche la branche ! Geneviève redresse la situation, rhabille son mari maladroit : j’immortalise cet instant savoureux où l’épouse remet en place ce que la maîtresse avait dérangé. Je ne sais que trop bien pourquoi Sabine et Joël se chargent de ces inspections dans les fourrés. Monsieur le maire sourit béatement. Cet adjoint dévoué est irremplaçable et il le félicite solennellement pour l’ensemble de son œuvre. Sabine applaudit plus fort que les autres ce petit discours improvisé et ces félicitations bien méritées, elle en sait quelque chose.

Après une entorse de la cheville, il faut redoubler de précautions. Les rechutes sont fréquentes. Anne s’est fait très mal en glissant sur un trottoir mouillé. Cette fois, je vois sa cheville enflée, ce n’est pas du chiqué.

- Mon chéri, tu ne peux pas manquer cette sortie de samedi. La collation sera servie sous un chêne centenaire en présence des conseillers municipaux au grand complet. Je ne commettrai pas d’imprudence, je veux guérir vite.

- Je pourrais prêter mon appareil à Adrien, il remplira parfaitement mon rôle.

- Et tu vas lui laisser cet honneur ? Non, ne te sacrifie pas. Je suis une grande fille, je te promets de ne pas m’ennuyer. Je vais profiter de l’occasion pour broder. Veux-tu que je me reproche pendant des années de t’avoir fait manquer la photo d’un événement aussi rare ?

Pourquoi accorde-t-elle autant d’importance à cette collation ? Son insistance est étrange. J’avais chassé tous mes vieux démons; ils reviennent au galop. Inconsciemment, ce besoin de me vanter un événement presque banal et d’en faire le summum de ma carrière d’amateur de photographie réveille ces abominables soupçons. L’entorse du cœur aussi réclame des précautions, les rechutes sont extrêmement graves.
Je vois arriver la peau de banane, je sens mon cœur glisser. Anne en fait trop. Nul n’est indispensable, pourquoi le serais-je, pourquoi veut-elle m’éloigner ? Je refuse l’affrontement frontal, j’ai ma petite idée.

Donc, tôt le matin, je rejoins la troupe sur la place. Comme d’habitude Sylvain se fait désirer. Pour moi,a situation est claire, Anne l’attend. Dans les rangs on ne s’ émeut plus de son absence, c’est devenu une habitude. Aucun mari n’ira le supplier de venir courtiser sa femme sur le parcours. Ni les autres, ni moi. Juste une pensée me turlupine : Anne a préparé la place. Je confie mon appareil à Adrien. Il est flatté de ma demande, il me remplacera avec plaisir dans le rôle du photographe. Tout le monde souhaite un prompt rétablissement à ma malheureuse épouse. Je suis un bon mari et ma femme mérite mes meilleurs soins. Je peux me retire et aller veiller sur elle. Y a-t-il des sous-entendus et de l’ironie dans ces propos. Je deviens trop susceptible.

Je reprends le chemin de la maison à pas lents. À cent mètres devant moi, d’une petite rue débouche un loulou blanc tirant une laisse. Je me colle dans une porte encadrée d’une haie à tailler. Au bout de la laisse apparaît le maître. Il marque un arrêt, observe la rue, à droite, à gauche et part en direction de notre maison. A-t-il pris l’habitude de suivre cette route le samedi matin ? Autre habitude étonnante, des voisins ont dû la noter, il arpente maintenant le trottoir devant chez nous. On n’est pas à Massabielle, quelle apparition attend-il ?

Si quelqu’un se montre, je le jure, ce ne sera pas une vierge ! Anne est seule. Les volets sont clos. Le loulou s’impatiente, tire sur la laisse en direction de mon jardin. Ce chien a des habitudes lui aussi. Il a également celle de lever la patte contre les poteaux de porte : je tiens l’un des coupables de ces traces brunes malodorantes.

Maintenant l’habitué sonne à la porte. Il examine les environs puis attend.
La porte s’ouvre. Apparaît Anne, cheveux en bataille. Elle occupe le passage. Ils discutent, Sylvain doit avoir des origines latines, il s’exprime beaucoup avec les mains. Celles d’Anne maintiennent fermée la robe de chambre. La conversation se prolonge sur le pas de porte.

Bizarre : Quand on attend quelqu’un pour un rendez-vous prévu, on le fait entrer immédiatement pour soustraire le visiteur et éviter les bavardages. C’est le toutou qui emporte la décision, il se faufile entre les jambes de ma femme. Il faut le rattr. La ruse fonctionne, les protagonistes disparaissent, la porte se referme. Depuis quand un toutou est-il capable d’arracher sa laisse des mains de son maître ? Sylvain a lâché l’animal en éclaireur. J’avance, je vais enfin savoir avoir la preuve de l’infidélité de ma femme. Par chance, ils n’ont pas pris le temps de refermer la porte à clé. J’entre sur la pointe des pieds. À gauche la porte du salon est fermée. Par la porte ouverte du séjour, à droite, m’arrivent les voix.Anne parle sèchement.

- Tu as rattrapé ton chien, tu peux t’en aller. C’est quoi cette histoire ? Tu es fou mon ami. Je suis mariée, je suis heureuse en ménage, tu le sais. Combien de fois devrai-je te le répéter. Tiens-tu à me compromettre aux yeux du voisinage. Si mon mari apprend que tu me rends visite, il va imaginer que je le trompe. Allez, va-t’en, tu n’as rien à chercher chez moi. !

Je ne comprends pas la réplique courte.de l’homme. D’habitude les femmes l’accueillent mieux. Il bredouille décontenancé une phrase inaudible. Mais il agit puisque Anne proteste :

- Stop, relève-toi, cesse de me baiser les pieds. Tu es ridicule. Sylvain, montre un peu de dignité… Non, c’est non, va. Comprends-tu le français ? Va, dégage, tu m’enquiquines.

- Je te vénère. Tu es la femme la plus honnête de cette ville, c’est pourquoi je suis tombé amoureux fou de toi. Je te baise les pieds en signe d’adoration.

- Oui, mais tire tes mains de mes jambes et va servir ton baratin à d’autres. Ici il n’y a pas de petite culotte à gagner.

- Permets que je vérifie. Oh! Le buisson sacré, la vision divine. Cul nu, tu m’espérais, avoue. Aïe. Oooh ! Tu me gifles?

- Fallait pas toucher. Ça suffit ou j’appelle au secours ?

- Tu m’ouvres ta porte, il n’y a pas d’effraction, tu vas faire mourir de rire ceux qui voleront à ton secours. Je vois que tu as mal au pied, assieds-toi dans ce fauteuil. As-tu une pommade, je vais te faire un massage léger. Je te respecte trop pour te manquer de respect !

- C’est déjà fait. Dégage. Tire tes sales pattes de là.

- Je ne suis pas un inconscient comme ton mari. Je l’ai vu sur la place. Il aurait mieux à faire que d’aller se promener avec son appareil, il devrait être là à tes pieds, à ma place, en train de te masser, de te caresser. Moi, je sais me tenir où il faut. Accepte mon aide.

- Arrête maintenant, je n’ai pas d’entorse à la cuisse. Ni plus haut. Tire ta bouche, dégoûtant, non, ne suce pas, salaud… Julien, au secours !

- Pourquoi appeler Julien, il est loin, trop loin pour t‘entendre, tu le sais ? Tu vas voir, je vais te révéler des sensations extraordinaires. Nous n’avons pas besoin de Julien pour vivre heureux.

- Mais je ne veux pas de tes sensations, Julien me comble, ça me suffit.

- Julien ? Où est Julien ? Julien court après les femmes des autres dans les bois, pendant que sa malheureuse épouse souffre, s’ennuie et se morfond, seule toute une longue journée dans sa maison vide. Julien t’a abandonnée. A ton tour, abandonne-toi, laisse toi faire, laisse moi faire. Remercie le ciel de m’avoir envoyé pour te distraire. Ça vaut bien un petit bisou, ma chérie.

- Ôte-toi ça de la tête. Ni bisou, ni distraction. Tu ramasses ton chien et tu vas travailler à la poste. Ça permettra à ta femme de se reposer. Car tu sais encore que tu as une femme ? Oui?

- Depuis un quart d’heure, tu discutes, tu m’ordonnes de partir. Tu entretiens une conversation sans but et sans issue. Mais plus ça dure, plus ça te plaît. Ton abricot mûrit. Tu vois, tu n’as pas crié une deuxième fois, ta petite gifle ressemblait à une caresse. Tu as envie de faire l’amour avec moi, simplement tu ne veux pas te l’avouer. Ne joue pas à la prude. Une honnête femme ouvre-t-elle sa porte juste vêtue d’un peignoir qui baille sur un corps nu ?

- Tu es vraiment pitoyable. Il y a un instant tu me vénérais et maintenant je ne suis pas une honnête femme. Mets-toi d’accord avec toi-même. Retire ton doigt, c’est du viol !

- Excuse mon emportement. L’amour me rend fou. Laisse-toi faire, une fois, juste une fois. Ton mari est loin, il n’en saura jamais rien. Accorde-toi un petit plaisir innocent, ça ne laisse pas de trace. Juge sur pièce. Et, si tu y prends goût, nous saurons trouver l’occasion de recommencer. Pourquoi être si farouche ?

- J’aime Julien, je ne t’aime pas.

- Le monde est rempli de femmes qui aiment leur mari mais qui prennent des petits suppléments avec des amants. Clinton aime Hilary et se fait sucer par Monica, Sabine aime le maire et baise avec l’adjoint, le maire aime Sabine et fornique avec Geneviève. Etcetera. Tu aimes Julien, c’est certain, ça ne doit pas t’empêcher de faire l’amour avec moi, d’y prendre du plaisir et d’en profiter pour mieux aimer ton mari, lorsque tu auras enrichi ton savoir faire. La monogamie est source d’ennui. Plus tard tu auras des regrets si tu t’entêtes à contre-courant de la société moderne.

- Mieux vaut les regrets que les remords. Bon, ton baratin de comptoir a assez duré. Je te prie de sortir. Peut-être veux-tu te faire casser la figure par Julien ?

- Voilà les menaces physiques maintenant ! Si julien en avait, il m’aurait cassé le nez cette fois-là dans la forêt, quand tu m’as demandé de t’accompagner pour ton pipi.

- Je t’ai demandé d’empêcher les autres de me déranger, pas de venir m’observer. Tu es malade, mon pauvre.

- Hé! Hé! C’est sûr, tu en voulais plus. Tu aurais aimé te faire embrocher.

— Pauvre Sylvain, si tu prends les vessies pour des lanternes tu vas te brûler, comme disait…

- Qui ? Je m’en fous. Je sais reconnaître une femme en chaleur. Comme tu es là, tu brûles d’envie, mais tu n’oses pas faire le premier pas. Eh bien, Dieu a créé Sylvain pour t’aider à oser, toi et toutes les gourdes qui confondez sentiments et sensations. Je vais t’enseigner la différence, Tu te prives par ignorance. Je t’apporte la révélation. Accepte ce cadeau du ciel, aime l’amour !

- Te rends-tu compte des insanités que tu profères ? Dieu, Sylvain: le beau couple. Tu déballes tous les arguments éculés de générations de séducteurs maladroits, incapables d’inspirer un véritable amour. Tu perds ton temps avec moi.

- Bien, j’ai compris, je pars. À une condition, accorde-moi un baiser d’adieu.

- Et tu t’en iras ? Juré ?

- Promis juré, si je mens je vais en enfer !

- Idiot.Après Dieu tu sors le diable. Bon, vite ton bisou et au revoir.

Un silence… des bruits de lutte… Au matin le loup dévora la chèvre de monsieur Seguin. Malgré sa résistance, Anne va-t-elle succomber ?

- Hum ! Non, stop !

- C’est trop bon, encore. Là… hum.

- Pas la main, laisse mes seins, salaud. Stop. Ne pince pas, cochon !

- Tu préfères ma main au panier. Je le savais. La touffe, le con, mais tu mouilles ma salope ! Nie que …Ha ! Ose enfin !

- Non, non, non, je ne veux pas. Arrête, tu as juré !

- Encore un peu et tu vas vouloir. Tiens un autre doigt…Je te le jure.

J’ai assez attendu, Anne se défend courageusement contre cet enragé, je bondis…

Une rumeur persistante court la ville, propagée par la gazette locale:
«  Notre très estimé receveur des postes s’est gravement blessé. En quittant Monsieur et Madame Julien Veilleur, après une visite de courtoisie, il s’est malencontreusement pris les pieds dans la laisse de son loulou blanc et a fait une vilaine chute dans l’ escalier extérieur. Sa convalescence pourrait être longue. À cet homme affable nos meilleurs vœux de prompt rétablissement. »

Comments:

No comments!

Please sign up or log in to post a comment!