Chapitre 8 : Tristesse

Cinq années ont passé. Je suis face à mon miroir. J’ai trente ans, et mon corps n’a pas trop changé. Le sport me permet de garder la ligne. Je bosse toujours au garage, je dirige même l’équipe. Mon chef a ouvert un autre garage, et forme son successeur. C’est beaucoup de responsabilité, mais ça me plait. Tout tourne bien au boulot, et je suis fier de mon équipe. Je gagne bien ma vie, et j’ai tou-jours le même appartement. Le seul changement que j’y ai apporté, c’est une nouvelle table que j’ai achetée. Je n’ai plus le temps de construire. Des bras en-tourent ma taille, et me sortent de ma rêverie :
-Reviens te coucher, chéri, dit une voix grave, j’ai froid.
-Non, je dois aller travailler. Toi, va te recoucher, Michaël, ce soir, on sort diner.
-D’accord, je t’aime.
Michaël retourne au lit, mais je ne le regarde pas. Je ne suis pas amoureux de lui, j’ai de la sympathie. Ça fait huit mois qu’on est ensemble, et j’envisage de rompre. C’est mieux pour lui, il doit se trouver un mec qui saura le rendre vrai-ment heureux. Et puis, mon cœur appartient à un autre, je n’arrive pas à l’oublier. Je m’habille en silence, et je pars sans manger, je n’ai pas faim. Je fais un détour pour acheter un grand café que je déguste sur le chemin. La marche me permet de me replonger dans mes souvenirs en paix.
Deux ans, et je ne parviens pas à me remettre, à passer à autre chose. J’ai par-donné ses erreurs depuis longtemps, et trop tard. Je continue à revivre tous ces évènements, jour après jour. J’ai essayé de toutes mes forces d’avancer et d’oublier, je me suis perdu dans l’étreinte de plusieurs hommes, parfois en même temps. Je n’ai pas sombré dans l’alcool ou la drogue, juste dans le sexe débridé et le travail. J’ai même mélangé les deux, une fois, un client m’a sucé pendant qu’on s’occupait de sa voiture. C’est ce qui m’a calmé, et j’ai rencontré Michaël, vingt-cinq ans, brun, poilu, pas musclé pour un sou, mais un visage gra-cieux et des yeux marron en amande très beaux.


J’ai cru que je pourrais en finir avec ma tristesse grâce à lui. Ça été le cas, au début, puis il s’est attaché à moi, et on a eu moins de sexe, ça m’a lassé. L’amour ne m’intéresse plus, ça ne sert à rien. Seul le sexe apporte quelque chose d’utile, un soulagement passager, certes, mais au moins mon esprit s’apaise le temps de l’ébat.
J’arrive au travail, le cœur lourd. Je décide de mettre la main à la pâte, pour une fois. Une cliente a demandé une révision complète de son véhicule, et je m’en charge. Je fais exprès d’y passer la journée, je ne facturerai pas toute la main-d’œuvre, et j’ajoute une réduction. La cliente n’a pas à subir les consé-quences de ma vie désastreuse. Ça m’empêche de trop réfléchir, je dois faire attention à mon travail. Je saute même le repas pour continuer à ne pas réflé-chir. Mes collègues s’inquiètent de mon état, ils n’osent pas me questionner. J’ai l’air effrayant à leurs yeux.
Je rentre chez moi le plus tard possible. J’ai reçu un SMS de Michaël, il arrive à dix-neuf heures trente. Je file sous la douche, et je suis prêt juste à temps. Il entre au moment où je mets mes chaussures. Je me dis alors qu’une dernière baise avant la rupture ne peut pas faire de mal. Je le plaque contre la porte et je l’embrasse. Je défais son pantalon qui glisse sur ses jambes maigres, suivi par son caleçon. Je crache dans ma main, et je lubrifie son trou en y enfonçant deux doigts.
Il se cambre pour m’offrir son cul, ça m’excite. Je sors ma queue bien dure, et je pose mon gland contre son trou. J’entre en lui, il couine de douleur, et je m’en délecte. Je pousse plus loin, mon sexe glisse en lui. Il me supplie de faire atten-tion, je ne l’écoute pas. La douceur n’est pas ce que je cherche, je veux du sexe, je veux me vider, je me fiche de son plaisir. Je le défonce pour l’entendre crier, il satisfait mon désir au-delà de mes espérances. Il a les larmes aux yeux, j’exulte. Enfin, je trouve un moyen d’extérioriser ma rage, je ne ressens aucune culpabilité, juste un profond soulagement lorsque mon sperme gicle en lui.
Je me retire, il s’effondre sur le sol. Je le regarde, dégouté par ce sac de viande ava-riée. Je n’ai que du mépris pour lui :
-Prends tes affaires, et dégage de chez moi, craché-je. Va te trouver un autre mec, j’en ai assez de ton cul.
-Pourquoi ?, pleure-t-il. Tu es amoureux de moi.
-Tu plaisantes, tu n’es qu’un moyen rapide pour moi de baiser, un trou à disposition. Allez, dégage d’ici, tu me dégoutes.
Il se lève et ouvre la porte, toujours en larme. Je fonce dans ma chambre pour réunir ses fringues et ses affaires de toilettes que je fourre dans un sac. Je les balance devant lui, il attend dans le couloir que je le retienne. Je claque la porte, je viens d’économiser un diner et je me suis vidé les couilles. L’un dans l’autre, j’en sors gagnant. Je me change, et je plie soigneusement ma tenue, c’est le dernier cadeau qu’il m’a fait. Ça explique ma colère.
Je m’installe sur mon canapé, les pieds sur la table basse. Je commande une piz-za et je regarde un dvd. Qu’il est bon d’être seul chez soi, je peux enfin faire ce que je veux. Je dévore ma pizza avec un Coca, savourant ma solitude. Avec Mi-chaël, c’était toujours repas équilibré et bio. Le gras, c’est mieux, tout comme le fait de pouvoir mettre les pieds sur ma table. La liberté me fait un bien fou. Puis, mon regard tombe sur l’album photo, et la tristesse m’envahit. Je l’att et je caresse sa couverture.
Les larmes coulent sur mes joues, c’est moi qui ai mal maintenant. Je serre le livre contre mon cœur, et je me recroqueville autour. C’est la seule chose que je possède qui me rappelle tant notre histoire. Pourquoi m’as-tu fait ça ? Je hurle dans mon crâne, ma respiration se coupe. A cause de lui, je ne peux plus aimer, je traite les hommes comme des objets. Je ressens de la pitié pour Michaël, je l’ai utilisé pour mon plaisir, et pour combler un vide. Je ne veux pas être ce monstre, c’est plus fort que moi, pourtant. Je voudrais aimer de nouveau, mais quand je rencontre un homme, je vois déjà la fin de notre relation, et je passe directement à l’essentiel.

Mes larmes se tarissent, j’en ai déversé tellement, et je m’endors. Je rêve de notre rupture. Sylvain, après mon anniversaire, a trouvé le courage de démis-sionner, il s’est inscrit à une formation, en comptabilité, et huit mois plus tard, il obtenait un titre professionnel et un emploi dans l’entreprise où il avait fait son stage. J’étais fier de lui, et je lui ai demandé de vivre avec moi. Il a dit oui, et on a vécu heureux jusqu’à ce que son entreprise dépose le bilan. A partir de là, ça a été la dégringolade. Le patron est parti avec la caisse, et on a accusé Sylvain d’avoir participé, il a été vite disculpé. Toute cette histoire a fait la une des journaux, si bien que plus personne n’a voulu l’embaucher, sa réputation était fichue.
J’ai tout fait pour l’aider, mais il a sombré dans l’alcool. Je n’ai rien remarqué au début, il buvait quand il sortait, juste assez pour s’amuser, mis pas trop. Puis, il s’est mis à rentrer ivre, à boire toute la journée, avachi dans le canapé. Une fois, je l’ai trouvé couché sur le sol, inconscient et baignant dans son vomi. C’est là que j’ai réagi, et que j’ai haussé le ton. Après une longue discussion, il a repris du poil de la bête, et même obtenu un petit boulot dans une association. J’ai pensé que c’était bon, je me trompais. Il a continué à boire, il a encore perdu son travail, il m’a menti pendant des semaines, et on s’est disputés.
J’ai alors vu une facette de sa personnalité qui m’a effrayé. J’ignorais qu’il ca-chait en lui une telle méchanceté. J’ai compris qu’il me reprochait ses malheurs, que ma réussite entravait ses efforts pour s’en sortir. Il serrait les poings, prêt à me frapper, ce qu’il a fini par faire. Il s’est excusé mais quelque chose s’est brisé en moi. Il a fait son sac, et il est retourné chez son père. On a refait un essai, le cœur n’y était plus. Un soir, j’ai trouvé les placards vides et un mot : « Je ne peux plus vivre avec toi, je t’aime trop, et je te hais trop. Pardonne-moi ». J’ai déchiré la lettre et j’ai foncé chez son père.
Il m’a annoncé que Syl-vain était parti vivre ailleurs, il ne savait pas où. Le salopard avait fui. J’ai tenté de l’appeler, il n’a jamais répondu, et je ne l’ai jamais revu.
Je me réveille en sursaut, les oreilles pleines des reproches de Sylvain. Ce n’est pas la première fois que je fais ce rêve, et ce ne sera pas la dernière. Je suis toujours en contact avec son père, il me donne des nouvelles. Sylvain a trouvé un nouvel homme, ils sont heureux, et tout. Je ne sais pas où il vit, et je ne cherche pas à le savoir. Je pense que je ferais une bêtise, si je savais, genre le retrouver et le supplier de me reprendre. Ce serait l’humiliation complète. Je cache l’album pour ne plus jamais le revoir. Je m’écroule sur mon lit, et je prie pour ne plus faire de rêves, je n’en ai pas la force.

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